Jérémie 20, 7-9 ; Psaume 63 ; Romains 12, 1-2 ; Matthieu 16, 21-27
Matthieu 16, 21-27
« Qui veut sauvegarder sa vie la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera. »
Que veut faire Pierre ? Il veut simplement intervenir pour sauver la vie de Jésus, lui éviter la croix ; et voilà Jésus qui le traite de satan ! Qu’est-ce à dire ? Et quelle signification cela peut-il avoir pour nous ? Jésus l’explique de cette façon : cela ne sert à rien de gagner le monde entier, sinon à perdre sa vie.
Le monde sur lequel Jésus règne, et qui n'est pas ce monde, mais le Royaume, s'inaugure par un véritable bouleversement. Pas question de le bâtir sur les vieilles catégories, celles de la violence : que ce soit les catégories militaires, comme s’y apprête Pierre sans s’en rendre compte — on sait qu'il voudra, plus tard, prendre l’épée pour Jésus ; que ce soit les catégories nationales ou identitaires diverses (défendre « son » messie militant) ; ou les catégories économiques et financières (qui s'avèrent régulièrement si fragiles)… Autant de façons — apparentes — de s'assurer un avenir — au prix, tôt ou tard, de la violence.
Car un tel monde est bâti sur le désir de posséder ce qui reçoit sa valeur de la convoitise partagée : l'or n' a-t-il pas en effet la réputation d'assurer l'avenir ? Or sa valeur vient d'où, sinon de sa relative rareté qui assure la permanence de sa convoitise ? Bâtir sur un souci de vanité, c'est bien de cela qu'il s'agit, et au prix de la violence — pour le défendre !
C’est là que l’invective contre Pierre nous concerne tous. Pas question pour nous de mourir crucifiés, on le suppose, et donc pas besoin d’éviter la croix.
Mais pour nous face à la mort, il est question — et c’est au fond l’équivalent : c’est cela la volonté de gagner le monde —, il est question de s’assurer un avenir (provisoire). Or c’est bien de satan que Pierre s’est fait traiter pour avoir voulu assurer un avenir à Jésus. Gagner le monde ?… Malheur garanti.
Qui veut sauver sa vie la perdra. Si on est, en ce qui nous concerne, loin de l'idée de mourir crucifiés et des tentations de s’en protéger par les armes, on est dans ce monde de déséquilibre et on va tous mourir d’une façon ou d’une autre, tôt ou tard.
Et quelle qu’en soit la façon, c’est Dieu qui assure notre avenir, qui sait le jour et l'heure. Et ni nos biens — alors que les déséquilibres s'accentuent — ; ni la façon dont nous assurons nos vies, et notamment l’épée censément protectrice, ne nous en protègent.
Alors à quoi bon la proposition de Pierre ? Simple tentation pour Jésus, puisque c’est son heure. Une attitude de Pierre pourtant compréhensible : il veut éviter une mort affreuse à son maître…
Alors avec d’autant plus de force, à plus forte raison, la réaction de Jésus nous enseigne : à quoi bon nos inquiétudes pour notre avoir — fût-ce pour notre propre vie !? Ce sont là les trésors que l'on accumule pour soi-même en leur prêtant une valeur à force simplement de les convoiter — à l'imitation les uns des autres ! Ainsi le dit Jésus : gagner le monde entier. C’est là le bonheur que Pierre a voulu procurer à Jésus : lui assurer un avenir. Mais Dieu seul ouvre un avenir heureux. Vers la résurrection, mais par la croix.
C’est en fait une véritable leçon d’espoir que donne ici Jésus. Pour tous, qui allons de toute façon mourir : on pourrait parler de ceux qui savent comme lui à ce moment avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête ; que ce soit la croix, un cancer, le sida, ou simplement le temps qui passe.
En attendant, c'est aujourd'hui le jour du salut, c'est aujourd'hui qu'il s'agit de vivre de la foi, c'est-à-dire la confiance en Dieu. C'est aujourd'hui qu'il s'agit de recevoir notre aptitude à entrer dans le bonheur éternel, au-delà de la mort. C’est cette richesse qu'il s'agit de boire avec abondance du sein du Christ d'où elle coule comme parole de vie : cherchez d'abord le Royaume de Dieu, — et tout ce que le commun des mortels recherche, vous le recevrez sans le souci qui sinon l'accompagne, — vous le recevrez avec en prime la grâce donnée à la seule foi, et qui est de développer l'aptitude au bonheur.
« Pierre, tirant Jésus à part, se mit à le réprimander, en disant : "Dieu t’en préserve, Seigneur !, cela ne t’arrivera pas !" ».
Pierre, l'homme prompt à tirer l'épée,… pour la plus juste des causes. Mais voilà que Jésus ne l'entend pas ainsi !
Allons un pas plus loin, pour percevoir plus précisément le bouleversement qu'initie Jésus. Je m'en référerai, j'y ai déjà fait allusion, à ce que l'on sait des origines de la violence en lien avec ce que l'on s'imite les uns les autres dans ce qu'on désire, dans la convoitise de la même chose. Un processus qui fait facilement boule de neige : si deux personnes désirent la même chose, il y en aura bientôt une troisième, une quatrième.
Cela s'observe aisément dans une querelle entre enfants, pour le moindre prétexte, le moindre objet même sans importance, bout de ficelle ou queue de cerise, qui finit en cris voire en coups.
Mais qu'est-ce d'autre que le fait d'être plusieurs à le convoiter qui donne tant de valeur à tel métal jaune, l'or, on l'a évoqué, censé assurer l'avenir ? Être plusieurs à le convoiter : on reconnaît là le point de départ de toute querelle, même entre adultes — ce qui fait que le fautif n'est pas tant celui qui commence (en fait on ne sait jamais qui c'est), mais celui et ceux qui continuent (malgré ce qu'en disent les enfants — et adultes — en querelle : c'est lui qui a commencé).
J'ai parlé de métal jaune, j'aurais pu parler de résidu fossile huileux et à mauvaise odeur. Apparaît quoiqu'il en soit le rapport avec les questions économiques et financières et la guerre : la convoitise partagée, tous obnubilés par la même chose, le même matériau, le même symbole, métallique, de papier ou chiffré, de l'aisance économique, du même pouvoir…
Mais l’objet de la querelle est volontiers oublié, tandis que les rivalités se propagent et que l'on se donne bon droit : l'autre est le fautif, moi je défends le droit, voire les Droits de l'Homme… Ou, quelques siècles après la proposition de Pierre, le Christ et sa croix ! Tous ces bons motifs apparents pour des conflits qui se transforment, quand la crise mimétique devient aiguë, en antagonismes généralisés : le chaos, « la guerre de tous contre tous ».
Comment la crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, selon la théorie mimétique que l'on aura reconnue, énoncée l'anthropologue René Girard, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme renvoie au bouc expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon la Bible).
C’est ainsi, précisément, qu'au paroxysme de la crise de tous contre tous peut intervenir ce « mécanisme » : le tous contre tous violent se transformant en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si ce report sur un « bouc émissaire » ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe. « Il vaut mieux qu'un seul homme meure que tout le peuple », dira clairement le grand pontife Caïphe dans l’Évangile selon Jean.
Un véritable « mécanisme » : sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même. Plus les rivalités pour le même objet s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l'origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et il se pourra alors qu'un individu (ou une minorité) polarise l'appétit de violence. « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup »…
En effet, que le processus s'amorce, et par un effet boule de neige il s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).
Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime fait tomber brutalement l’appétit de violence dont chacun était possédé l’instant d’avant et laisse le groupe subitement apaisé et hébété. La victime gît devant le groupe, apparaissant tout à la fois comme l’origine de la crise et la responsable de ce miracle de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ». Elle devient sacrée, c'est-à-dire porteuse du pouvoir prodigieux de déchaîner la crise comme de ramener la paix. C’est, selon l'anthropologue René Girard, la genèse du religieux du sacrifice rituel comme répétition de l’événement violent fondateur.
Un événement déclencheur et un massacre qui ne peut plus s'arrêter !
Mais l'illégitimité de cette violence va déboucher sur une sorte de réhabilitation des victimes. Pour un « plus jamais ça ».
« Plus jamais ça » ! Eh bien c'est précisément ce cycle infernal pour un « plus jamais ça » que les sacrifices rituels mettent entre parenthèse tandis que Jésus — et c'est là le sens de la dureté de sa réaction contre Pierre « Derrière moi, Satan ! » — Jésus y met fin en ne s'y prêtant pas, en ne répliquant pas, en mourant, donc.
Une seule solution contre le cycle sans fin de la violence : le pardon — déjà dans nos relations quotidiennes. Ce qui suppose l'acceptation de la violence contre soi — pour la stopper. Jésus acceptant la croix : c'est là sa mission. Peu dans l'histoire ont compris cela, même après Jésus. Un Martin Luther King est des plus récents de ceux qui ont compris.
Voilà pourquoi Jésus dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute / scandale, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Jésus est venu pour mettre fin à un cycle infernal qui est tout simplement ce qui empêche, ce qui bloque (on appelle cela un scandale — ce qui bloque) : il est venu stopper un cycle qui empêche la venue du Royaume, qui en bloque l'entrée : un scandale.
C'est ainsi que « si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. Qui veut sauvegarder sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera. »
Matthieu 16, 21-27
21 À partir de ce moment, Jésus Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter.
22 Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant : "Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas !"
23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre : "Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes."
24 Alors Jésus dit à ses disciples : "Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive.
25 En effet, qui veut sauvegarder sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera.
26 Et quel avantage l’homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? Ou bien que donnera l’homme qui ait la valeur de sa vie ?
27 Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; et alors il rendra à chacun selon sa conduite.
*
« Qui veut sauvegarder sa vie la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera. »
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Que veut faire Pierre ? Il veut simplement intervenir pour sauver la vie de Jésus, lui éviter la croix ; et voilà Jésus qui le traite de satan ! Qu’est-ce à dire ? Et quelle signification cela peut-il avoir pour nous ? Jésus l’explique de cette façon : cela ne sert à rien de gagner le monde entier, sinon à perdre sa vie.
Le monde sur lequel Jésus règne, et qui n'est pas ce monde, mais le Royaume, s'inaugure par un véritable bouleversement. Pas question de le bâtir sur les vieilles catégories, celles de la violence : que ce soit les catégories militaires, comme s’y apprête Pierre sans s’en rendre compte — on sait qu'il voudra, plus tard, prendre l’épée pour Jésus ; que ce soit les catégories nationales ou identitaires diverses (défendre « son » messie militant) ; ou les catégories économiques et financières (qui s'avèrent régulièrement si fragiles)… Autant de façons — apparentes — de s'assurer un avenir — au prix, tôt ou tard, de la violence.
Car un tel monde est bâti sur le désir de posséder ce qui reçoit sa valeur de la convoitise partagée : l'or n' a-t-il pas en effet la réputation d'assurer l'avenir ? Or sa valeur vient d'où, sinon de sa relative rareté qui assure la permanence de sa convoitise ? Bâtir sur un souci de vanité, c'est bien de cela qu'il s'agit, et au prix de la violence — pour le défendre !
C’est là que l’invective contre Pierre nous concerne tous. Pas question pour nous de mourir crucifiés, on le suppose, et donc pas besoin d’éviter la croix.
Mais pour nous face à la mort, il est question — et c’est au fond l’équivalent : c’est cela la volonté de gagner le monde —, il est question de s’assurer un avenir (provisoire). Or c’est bien de satan que Pierre s’est fait traiter pour avoir voulu assurer un avenir à Jésus. Gagner le monde ?… Malheur garanti.
Qui veut sauver sa vie la perdra. Si on est, en ce qui nous concerne, loin de l'idée de mourir crucifiés et des tentations de s’en protéger par les armes, on est dans ce monde de déséquilibre et on va tous mourir d’une façon ou d’une autre, tôt ou tard.
Et quelle qu’en soit la façon, c’est Dieu qui assure notre avenir, qui sait le jour et l'heure. Et ni nos biens — alors que les déséquilibres s'accentuent — ; ni la façon dont nous assurons nos vies, et notamment l’épée censément protectrice, ne nous en protègent.
Alors à quoi bon la proposition de Pierre ? Simple tentation pour Jésus, puisque c’est son heure. Une attitude de Pierre pourtant compréhensible : il veut éviter une mort affreuse à son maître…
Alors avec d’autant plus de force, à plus forte raison, la réaction de Jésus nous enseigne : à quoi bon nos inquiétudes pour notre avoir — fût-ce pour notre propre vie !? Ce sont là les trésors que l'on accumule pour soi-même en leur prêtant une valeur à force simplement de les convoiter — à l'imitation les uns des autres ! Ainsi le dit Jésus : gagner le monde entier. C’est là le bonheur que Pierre a voulu procurer à Jésus : lui assurer un avenir. Mais Dieu seul ouvre un avenir heureux. Vers la résurrection, mais par la croix.
C’est en fait une véritable leçon d’espoir que donne ici Jésus. Pour tous, qui allons de toute façon mourir : on pourrait parler de ceux qui savent comme lui à ce moment avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête ; que ce soit la croix, un cancer, le sida, ou simplement le temps qui passe.
En attendant, c'est aujourd'hui le jour du salut, c'est aujourd'hui qu'il s'agit de vivre de la foi, c'est-à-dire la confiance en Dieu. C'est aujourd'hui qu'il s'agit de recevoir notre aptitude à entrer dans le bonheur éternel, au-delà de la mort. C’est cette richesse qu'il s'agit de boire avec abondance du sein du Christ d'où elle coule comme parole de vie : cherchez d'abord le Royaume de Dieu, — et tout ce que le commun des mortels recherche, vous le recevrez sans le souci qui sinon l'accompagne, — vous le recevrez avec en prime la grâce donnée à la seule foi, et qui est de développer l'aptitude au bonheur.
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« Pierre, tirant Jésus à part, se mit à le réprimander, en disant : "Dieu t’en préserve, Seigneur !, cela ne t’arrivera pas !" ».
Pierre, l'homme prompt à tirer l'épée,… pour la plus juste des causes. Mais voilà que Jésus ne l'entend pas ainsi !
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Allons un pas plus loin, pour percevoir plus précisément le bouleversement qu'initie Jésus. Je m'en référerai, j'y ai déjà fait allusion, à ce que l'on sait des origines de la violence en lien avec ce que l'on s'imite les uns les autres dans ce qu'on désire, dans la convoitise de la même chose. Un processus qui fait facilement boule de neige : si deux personnes désirent la même chose, il y en aura bientôt une troisième, une quatrième.
Cela s'observe aisément dans une querelle entre enfants, pour le moindre prétexte, le moindre objet même sans importance, bout de ficelle ou queue de cerise, qui finit en cris voire en coups.
Mais qu'est-ce d'autre que le fait d'être plusieurs à le convoiter qui donne tant de valeur à tel métal jaune, l'or, on l'a évoqué, censé assurer l'avenir ? Être plusieurs à le convoiter : on reconnaît là le point de départ de toute querelle, même entre adultes — ce qui fait que le fautif n'est pas tant celui qui commence (en fait on ne sait jamais qui c'est), mais celui et ceux qui continuent (malgré ce qu'en disent les enfants — et adultes — en querelle : c'est lui qui a commencé).
J'ai parlé de métal jaune, j'aurais pu parler de résidu fossile huileux et à mauvaise odeur. Apparaît quoiqu'il en soit le rapport avec les questions économiques et financières et la guerre : la convoitise partagée, tous obnubilés par la même chose, le même matériau, le même symbole, métallique, de papier ou chiffré, de l'aisance économique, du même pouvoir…
Mais l’objet de la querelle est volontiers oublié, tandis que les rivalités se propagent et que l'on se donne bon droit : l'autre est le fautif, moi je défends le droit, voire les Droits de l'Homme… Ou, quelques siècles après la proposition de Pierre, le Christ et sa croix ! Tous ces bons motifs apparents pour des conflits qui se transforment, quand la crise mimétique devient aiguë, en antagonismes généralisés : le chaos, « la guerre de tous contre tous ».
Comment la crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, selon la théorie mimétique que l'on aura reconnue, énoncée l'anthropologue René Girard, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme renvoie au bouc expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon la Bible).
C’est ainsi, précisément, qu'au paroxysme de la crise de tous contre tous peut intervenir ce « mécanisme » : le tous contre tous violent se transformant en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si ce report sur un « bouc émissaire » ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe. « Il vaut mieux qu'un seul homme meure que tout le peuple », dira clairement le grand pontife Caïphe dans l’Évangile selon Jean.
Un véritable « mécanisme » : sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même. Plus les rivalités pour le même objet s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l'origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et il se pourra alors qu'un individu (ou une minorité) polarise l'appétit de violence. « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup »…
En effet, que le processus s'amorce, et par un effet boule de neige il s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).
Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime fait tomber brutalement l’appétit de violence dont chacun était possédé l’instant d’avant et laisse le groupe subitement apaisé et hébété. La victime gît devant le groupe, apparaissant tout à la fois comme l’origine de la crise et la responsable de ce miracle de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ». Elle devient sacrée, c'est-à-dire porteuse du pouvoir prodigieux de déchaîner la crise comme de ramener la paix. C’est, selon l'anthropologue René Girard, la genèse du religieux du sacrifice rituel comme répétition de l’événement violent fondateur.
*
Un événement déclencheur et un massacre qui ne peut plus s'arrêter !
Mais l'illégitimité de cette violence va déboucher sur une sorte de réhabilitation des victimes. Pour un « plus jamais ça ».
« Plus jamais ça » ! Eh bien c'est précisément ce cycle infernal pour un « plus jamais ça » que les sacrifices rituels mettent entre parenthèse tandis que Jésus — et c'est là le sens de la dureté de sa réaction contre Pierre « Derrière moi, Satan ! » — Jésus y met fin en ne s'y prêtant pas, en ne répliquant pas, en mourant, donc.
Une seule solution contre le cycle sans fin de la violence : le pardon — déjà dans nos relations quotidiennes. Ce qui suppose l'acceptation de la violence contre soi — pour la stopper. Jésus acceptant la croix : c'est là sa mission. Peu dans l'histoire ont compris cela, même après Jésus. Un Martin Luther King est des plus récents de ceux qui ont compris.
Voilà pourquoi Jésus dit à Pierre : « Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute / scandale, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Jésus est venu pour mettre fin à un cycle infernal qui est tout simplement ce qui empêche, ce qui bloque (on appelle cela un scandale — ce qui bloque) : il est venu stopper un cycle qui empêche la venue du Royaume, qui en bloque l'entrée : un scandale.
C'est ainsi que « si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. Qui veut sauvegarder sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, l’assurera. »
R.P., Rouillé, 3.09.17
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