Exode 16, 2-15 ; Psaume 78 ; Éphésiens 4, 17-24 ; Jean 6, 24-35
Exode 16, 2-15
Jean 6, 24-35
Une foule qui se donne de la peine. Ça a été un effort réel de rejoindre Jésus : depuis la traversée du lac jusqu’à sa recherche dans Capernaüm, où ils finissent par le trouver — dans la synagogue, puisque cette scène se passe dans la synagogue (cf. v. 69).
Un vrai effort qui vise, comme c’est souvent le cas de tout travail, à accéder à la possibilité de n’être plus contraint au travail. On peine, pour pouvoir enfin n’être plus obligé de peiner pour sa pitance. À quand la fin de l’antique malédiction "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" (Genèse 3) ? On travaille en visant à enfin pouvoir se reposer… Et avec Jésus, qui multiplie les pains, on accède peut-être enfin au temps où on sera libéré du travail quotidien harassant… D’où ce désir des foules, que connaît Jésus, de le faire roi (v. 15)…
C’est la reconnaissance de cette foule : ils ont reconnu en Jésus celui qui les a nourris. C’est d’ailleurs la base de la reconnaissance — source de bonheur —, qui s’adresse à un autre qu’à soi-même… Car si on y est attentif, la reconnaissance, qui conduit à reconnaître quelqu’un d’autre, nous fait sortir de nous-mêmes, et par là-même nous conduit à un vrai bonheur.
On a bien ici de la part de la foule qui cherche Jésus une attitude de reconnaissance — que Jésus met en lumière : "vous me cherchez parce que avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés" (v. 26) — reconnaissance… du ventre… Écho au bœuf et à l’âne de nos crèches de Noël, dont la présence a son origine au livre d’Ésaïe : "Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître : Mon peuple ne connaît rien, il n’a point d’intelligence." (És 1, 3) La reconnaissance du ventre : ce n’est déjà pas mal… Mais pas ce n’est pas assez : "vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés."
Jésus en appelle à une reconnaissance plus profonde — en signes —, vraie source de bonheur celle-là, par laquelle la faim de pain va apparaître comme signe désignant une faim plus fondamentale ; le désir du rassasiement comme signe d’un désir plus fondamental, ancré dans l'éternité. "Dieu a mis dans le cœur de l'homme la pensée de l'éternité" (Ecc 3, 11), écrivait l’Ecclésiaste, qui considère le repos comme le fruit heureux du travail, en méditation de la loi, dont l’observance, dit-il, est le tout de l’homme (Ecc 12, 13). Or que dit-il aujourd’hui, ce livre de la loi ?
D'une nostalgie à l'autre
Dans notre texte d’Exode 16, nous voyons le peuple quinze jours après sa sortie d'Égypte, commençant à regretter amèrement le temps qui lui apparaît à présent ironiquement comme le temps de son rassasiement ! — à savoir le temps de son esclavage. Et de rouspéter contre Moïse et Aaron qui leur ont fait quitter "les marmites de viandes" pour leur donner la sécheresse du désert !
Dès lors, nous sont données des scènes dignes de Job ou de Jérémie fatigués devant le poids de la vie : "que ne sommes nous morts [...] en Égypte" ! "Pourquoi ne suis-je pas mort dès les entrailles de ma mère" s'exclamait Job (3, 11) ; ou le prophète Jérémie : "malheur à moi, ma mère, car tu m'as fait naître" (Jér 15, 10). Et contre cette inévitable douleur, contre la douleur d'exister, au fond, le douleur de devenir selon le projet de Dieu, une nostalgie radicale perce dans la rouspétance, dans la protestation contre tout inconfort en fin de compte : celle de la bienheureuse éternité, inscrite de façon confuse et indélébile au cœur de nos mémoires.
De même dans notre texte du livre de l'Exode, lorsque le peuple prend à partie Moïse et Aaron, ceux-ci remarquent : "ce n'est pas contre nous que sont dirigés vos murmures, c'est contre le Seigneur" (Ex 16, 8). C'est là encore ce que, en écho inversé, enseignera Jésus : "ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, mais mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel" (Jean 6, 32).
La manne comme épreuve
Et en contrepartie, cette nourriture, la manne, devient épreuve pour qui ne reconnaît pas dans ses regrets égyptiens sa vraie nostalgie, sa faim d’éternité : "le peuple en recueillera, jour par jour, la quantité nécessaire ; ainsi je le mettrai à l'épreuve et je verrai s'il marche, ou non, selon ma loi." (Ex 16, 4).
Signe de ce que Dieu seul est celui qui nourrit son peuple : puisque, conformément à la loi, le peuple ne travaille pas le jour du shabbath, — eh bien ! la veille de ce jour de repos, la manne tombera double (v. 5).
"Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle" (Jean 6, 27).
À nouveau la dimension de l'épreuve : allons-nous travailler pour la nourriture qui pourrit ? "Travaillez, non pour la nourriture qui périt". Car prenons-y garde. Au peuple aveugle à sa vrai faim, sourd à la vraie Parole, en redemandant, exigeant plus, Dieu a répondu finalement : de la viande en abondance, des cailles, en quantité, au point qu'on en vomissait... mais on avait pourtant toujours faim !
Mais, nous dit Jésus : "Moi je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif" (Jean 6, 35). Qu’est-ce dire ?
De la manne au Christ
Aux foules qui le poursuivent de leurs pieuses assiduités, Jésus a répondu : "vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés" (Jean 6, 26). Reconnaissance — du ventre, donc ! "Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître." (Ésaïe 1, 3) Ce n’est déjà pas mal… Mais pas assez… Reprenons :
Pour quelle raison les foules viennent-elles de se mettre en peine de traverser la mer de l'autre côté de laquelle Jésus les nourrissait la veille ?
On a vu Jésus — qui n'attend aucune gloire que pourraient lui apporter ses actions ! — se retirer du peuple, qui entendait le gratifier d'un titre royal ; s'en venant par la suite de ce côté du lac... à pied pour sa part, doublant la barque des disciples. Et Jésus d'inviter ses auditeurs à travailler pour une autre nourriture, celle qui subsiste pour la vie éternelle (v. 27). Un travail, une "œuvre de Dieu" qui consiste, un vrai repos... à "croire à celui qu'il a envoyé" (v. 29) — à savoir lui, Jésus.
Et là, on découvre cette réaction étrange à cet appel à la foi adressé à cette foule qui vient d'assister à la multiplication des pains : pour appuyer la foi qu'on lui demande, la foule requiert un signe afin de croire Jésus ! On est tenté de penser : mais enfin, ce signe elle vient de le voir, de le toucher, de le goûter ! Les pains multipliés la veille ! La suite du texte nous fait alors comprendre ce qu'on entend par ce signe : sa perpétuation, chaque matin, comme la manne : "nos pères ont mangé la manne dans le désert" (v. 31). Rien de nouveau sous le soleil : on persiste à regretter les marmites égyptiennes, se manifesteraient-elles sous l'espèce d'un miracle. On nourrit dans le signe l'espérance d'une sécurité matérielle définitive.
"Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera" (Jean 6, 27) — don du Ressuscité, le Fils de l’Homme, de la part du Père : "Mon Père vous donne le vrai pain venu du ciel" (Jean 6, 32). Et : "Moi, je suis le pain de vie" (v. 35) :
Au-delà de nos recherches légitimes, mais à vue limitée, de manne, de cailles, de marmites égyptiennes, ou de simple pain quotidien, le Christ, nous guidant à travers nos peines et nos périls, nous conduit à la reconnaissance de notre vraie faim et de celui-là seul qui la comble, concrètement, par une nourriture qui subsiste en éternité dans le signe du pain du ciel, présenté comme corps déchiré du Christ nous rejoignant jusqu’à la mort.
"Ils lui dirent : 'Seigneur donne nous toujours ce pain-là'" (v. 34). Que telle soit notre prière : "donne nous toujours ce pain-là". "Comme une biche soupire après des courants d'eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu !" (Ps 42, 2.)
Exode 16, 2-15
2 Dans le désert, toute la communauté d’Israël se mit à parler contre Moïse et Aaron.
3 Ils leur dirent : Ah ! si nous étions morts de la main du SEIGNEUR en Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! C’est pour faire mourir de faim toute cette assemblée que vous nous avez fait sortir dans ce désert !
4 Le SEIGNEUR dit à Moïse : Je vais faire pleuvoir pour vous du pain depuis le ciel. Le peuple sortira pour en recueillir chaque jour la quantité nécessaire ; ainsi je le mettrai à l’épreuve pour voir s’il suit ou non ma loi.
5 Le sixième jour, lorsqu’ils prépareront ce qu’ils auront apporté, il y en aura deux fois plus que ce qu’ils recueillent jour après jour.
6 Moïse et Aaron dirent à tous les Israélites : Ce soir, vous saurez que c’est le SEIGNEUR (YHWH) qui vous a fait sortir d’Égypte,
7 et au matin vous verrez la gloire du SEIGNEUR, parce qu’il vous a entendus parler contre le SEIGNEUR ; nous, en effet, que sommes-nous, pour que vous parliez contre nous ?
8 Moïse dit : Le SEIGNEUR vous donnera ce soir de la viande à manger, et au matin du pain à satiété ; le SEIGNEUR vous a entendus parler contre lui. Nous, en effet, que sommes-nous ? Ce n’est pas contre nous que vous maugréez, c’est contre le SEIGNEUR !
9 Moïse dit à Aaron : Dis à toute la communauté des Israélites : Présentez-vous devant le SEIGNEUR, car il vous a entendus parler contre lui.
10 Tandis qu’Aaron parlait à toute la communauté des Israélites, ils se tournèrent vers le désert, et la gloire du SEIGNEUR apparut dans la nuée.
11 Le SEIGNEUR dit à Moïse :
12 J’ai entendu les Israélites parler contre moi. Dis-leur : A la tombée du soir vous mangerez de la viande, et au matin vous vous rassasierez de pain ; ainsi vous saurez que je suis le SEIGNEUR (YHWH), votre Dieu.
13 Le soir, des cailles montèrent et couvrirent le camp ; et au matin il y eut autour du camp une couche de rosée.
14 Quand cette couche de rosée se leva, le désert était recouvert de quelque chose de menu, de granuleux – quelque chose de menu, comme le givre sur la terre.
15 Les Israélites regardèrent et se dirent l’un à l’autre : Qu’est-ce que c’est ? – Car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : C’est le pain que le SEIGNEUR vous donne à manger.
Jean 6, 24-35
24 Les gens de la foule, ayant vu que ni Jésus ni ses disciples n’étaient là, montèrent eux-mêmes dans ces barques et allèrent à Capernaüm à la recherche de Jésus.
25 Et l’ayant trouvé au delà de la mer, ils lui dirent : Rabbi, quand es-tu venu ici ?
26 Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.
27 Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera ; car c’est lui que le Père, que Dieu a marqué de son sceau.
28 Ils lui dirent : Que devons-nous faire, pour faire les œuvres de Dieu ?
29 Jésus leur répondit : L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé.
30 Quel signe fais-tu donc, lui dirent-ils, afin que nous le voyions, et que nous croyions en toi ? Que fais-tu ?
31 Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon ce qui est écrit : Il leur donna le pain du ciel à manger.
32 Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain du ciel ;
33 car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.
34 Ils lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours ce pain.
35 Jésus leur dit : Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif.
*
Une foule qui se donne de la peine. Ça a été un effort réel de rejoindre Jésus : depuis la traversée du lac jusqu’à sa recherche dans Capernaüm, où ils finissent par le trouver — dans la synagogue, puisque cette scène se passe dans la synagogue (cf. v. 69).
Un vrai effort qui vise, comme c’est souvent le cas de tout travail, à accéder à la possibilité de n’être plus contraint au travail. On peine, pour pouvoir enfin n’être plus obligé de peiner pour sa pitance. À quand la fin de l’antique malédiction "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" (Genèse 3) ? On travaille en visant à enfin pouvoir se reposer… Et avec Jésus, qui multiplie les pains, on accède peut-être enfin au temps où on sera libéré du travail quotidien harassant… D’où ce désir des foules, que connaît Jésus, de le faire roi (v. 15)…
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C’est la reconnaissance de cette foule : ils ont reconnu en Jésus celui qui les a nourris. C’est d’ailleurs la base de la reconnaissance — source de bonheur —, qui s’adresse à un autre qu’à soi-même… Car si on y est attentif, la reconnaissance, qui conduit à reconnaître quelqu’un d’autre, nous fait sortir de nous-mêmes, et par là-même nous conduit à un vrai bonheur.
On a bien ici de la part de la foule qui cherche Jésus une attitude de reconnaissance — que Jésus met en lumière : "vous me cherchez parce que avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés" (v. 26) — reconnaissance… du ventre… Écho au bœuf et à l’âne de nos crèches de Noël, dont la présence a son origine au livre d’Ésaïe : "Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître : Mon peuple ne connaît rien, il n’a point d’intelligence." (És 1, 3) La reconnaissance du ventre : ce n’est déjà pas mal… Mais pas ce n’est pas assez : "vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés."
Jésus en appelle à une reconnaissance plus profonde — en signes —, vraie source de bonheur celle-là, par laquelle la faim de pain va apparaître comme signe désignant une faim plus fondamentale ; le désir du rassasiement comme signe d’un désir plus fondamental, ancré dans l'éternité. "Dieu a mis dans le cœur de l'homme la pensée de l'éternité" (Ecc 3, 11), écrivait l’Ecclésiaste, qui considère le repos comme le fruit heureux du travail, en méditation de la loi, dont l’observance, dit-il, est le tout de l’homme (Ecc 12, 13). Or que dit-il aujourd’hui, ce livre de la loi ?
D'une nostalgie à l'autre
Dans notre texte d’Exode 16, nous voyons le peuple quinze jours après sa sortie d'Égypte, commençant à regretter amèrement le temps qui lui apparaît à présent ironiquement comme le temps de son rassasiement ! — à savoir le temps de son esclavage. Et de rouspéter contre Moïse et Aaron qui leur ont fait quitter "les marmites de viandes" pour leur donner la sécheresse du désert !
Dès lors, nous sont données des scènes dignes de Job ou de Jérémie fatigués devant le poids de la vie : "que ne sommes nous morts [...] en Égypte" ! "Pourquoi ne suis-je pas mort dès les entrailles de ma mère" s'exclamait Job (3, 11) ; ou le prophète Jérémie : "malheur à moi, ma mère, car tu m'as fait naître" (Jér 15, 10). Et contre cette inévitable douleur, contre la douleur d'exister, au fond, le douleur de devenir selon le projet de Dieu, une nostalgie radicale perce dans la rouspétance, dans la protestation contre tout inconfort en fin de compte : celle de la bienheureuse éternité, inscrite de façon confuse et indélébile au cœur de nos mémoires.
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De même dans notre texte du livre de l'Exode, lorsque le peuple prend à partie Moïse et Aaron, ceux-ci remarquent : "ce n'est pas contre nous que sont dirigés vos murmures, c'est contre le Seigneur" (Ex 16, 8). C'est là encore ce que, en écho inversé, enseignera Jésus : "ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, mais mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel" (Jean 6, 32).
La manne comme épreuve
Et en contrepartie, cette nourriture, la manne, devient épreuve pour qui ne reconnaît pas dans ses regrets égyptiens sa vraie nostalgie, sa faim d’éternité : "le peuple en recueillera, jour par jour, la quantité nécessaire ; ainsi je le mettrai à l'épreuve et je verrai s'il marche, ou non, selon ma loi." (Ex 16, 4).
Signe de ce que Dieu seul est celui qui nourrit son peuple : puisque, conformément à la loi, le peuple ne travaille pas le jour du shabbath, — eh bien ! la veille de ce jour de repos, la manne tombera double (v. 5).
"Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle" (Jean 6, 27).
À nouveau la dimension de l'épreuve : allons-nous travailler pour la nourriture qui pourrit ? "Travaillez, non pour la nourriture qui périt". Car prenons-y garde. Au peuple aveugle à sa vrai faim, sourd à la vraie Parole, en redemandant, exigeant plus, Dieu a répondu finalement : de la viande en abondance, des cailles, en quantité, au point qu'on en vomissait... mais on avait pourtant toujours faim !
Mais, nous dit Jésus : "Moi je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif" (Jean 6, 35). Qu’est-ce dire ?
De la manne au Christ
Aux foules qui le poursuivent de leurs pieuses assiduités, Jésus a répondu : "vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés" (Jean 6, 26). Reconnaissance — du ventre, donc ! "Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître." (Ésaïe 1, 3) Ce n’est déjà pas mal… Mais pas assez… Reprenons :
Pour quelle raison les foules viennent-elles de se mettre en peine de traverser la mer de l'autre côté de laquelle Jésus les nourrissait la veille ?
On a vu Jésus — qui n'attend aucune gloire que pourraient lui apporter ses actions ! — se retirer du peuple, qui entendait le gratifier d'un titre royal ; s'en venant par la suite de ce côté du lac... à pied pour sa part, doublant la barque des disciples. Et Jésus d'inviter ses auditeurs à travailler pour une autre nourriture, celle qui subsiste pour la vie éternelle (v. 27). Un travail, une "œuvre de Dieu" qui consiste, un vrai repos... à "croire à celui qu'il a envoyé" (v. 29) — à savoir lui, Jésus.
Et là, on découvre cette réaction étrange à cet appel à la foi adressé à cette foule qui vient d'assister à la multiplication des pains : pour appuyer la foi qu'on lui demande, la foule requiert un signe afin de croire Jésus ! On est tenté de penser : mais enfin, ce signe elle vient de le voir, de le toucher, de le goûter ! Les pains multipliés la veille ! La suite du texte nous fait alors comprendre ce qu'on entend par ce signe : sa perpétuation, chaque matin, comme la manne : "nos pères ont mangé la manne dans le désert" (v. 31). Rien de nouveau sous le soleil : on persiste à regretter les marmites égyptiennes, se manifesteraient-elles sous l'espèce d'un miracle. On nourrit dans le signe l'espérance d'une sécurité matérielle définitive.
"Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle, et que le Fils de l’homme vous donnera" (Jean 6, 27) — don du Ressuscité, le Fils de l’Homme, de la part du Père : "Mon Père vous donne le vrai pain venu du ciel" (Jean 6, 32). Et : "Moi, je suis le pain de vie" (v. 35) :
Au-delà de nos recherches légitimes, mais à vue limitée, de manne, de cailles, de marmites égyptiennes, ou de simple pain quotidien, le Christ, nous guidant à travers nos peines et nos périls, nous conduit à la reconnaissance de notre vraie faim et de celui-là seul qui la comble, concrètement, par une nourriture qui subsiste en éternité dans le signe du pain du ciel, présenté comme corps déchiré du Christ nous rejoignant jusqu’à la mort.
"Ils lui dirent : 'Seigneur donne nous toujours ce pain-là'" (v. 34). Que telle soit notre prière : "donne nous toujours ce pain-là". "Comme une biche soupire après des courants d'eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu !" (Ps 42, 2.)
RP
Poitiers, 05.08.12
Poitiers, 05.08.12
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