dimanche 18 septembre 2016

Un patrimoine pour la liberté




Cf. Exode 20 / Deutéronome 5
1) Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage.
2) Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ;
tu ne te feras pas d’images pour te prosterner devant elles
et pour les servir, car je suis le Seigneur ton Dieu.
3) Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu.
4) Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.
5) Honore ton père et ta mère.
6) Tu ne commettras pas de meurtre.
7) Tu ne commettras pas d’adultère.
8) Tu ne commettras pas de vol.
9) Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10) Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain.

Jérémie 31, 33
Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël, Après ces jours-là, dit le Seigneur : Je mettrai ma loi au dedans d’eux, Je l’écrirai dans leur cœur ; Et je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple.

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Protestantisme et citoyenneté, tel et le thème que nous nous sommes proposé pour ces journées européennes du patrimoine 2016. La société laïque actuelle pose comme clef de voûte de la cité des principes qui font qu'aucune des religions qui ont traditionnellement pu structurer la cité n'y exerce ce rôle. On pourrait noter que cela déplace le sens que nous continuons pourtant de donner au mot religion. Si au plan de la cité le terme suppose faire lien commun (selon une des étymologies – relier – du mot religion), aucune religion ne joue plus ce rôle aujourd'hui.

Le protestantisme est en France très minoritaire, mais il a joué un rôle significatif dans la mise en place du système laïque actuel, comme lieu d’expression d'une citoyenneté devenue universelle, étendue à tous ceux à qui elle fut refusée.

Le protestantisme français porte l'héritage d'une minorité persécutée, ayant connu sous l'Ancien Régime plus d'un siècle de clandestinité (de la révocation, en 1685, de l’Édit de tolérance dit Édit de Nantes, à un nouvel Édit de tolérance en 1687). On est en un temps où une religion majoritaire fait clef de voûte de la cité.

Les choses changent lors de la Révolution française, où la minorité protestante va réclamer plus que la tolérance, la liberté – pour tout culte minoritaire, protestants et juifs, dans la France d'alors.

Un pasteur, député à l'Assemblée constituante de 1789, le pasteur Jean-Paul Rabaud Saint-Étienne, sera le porte-parole de cette revendication. Rabaud Saint-Étienne a joué un rôle significatif dans l'adoption de l'article X de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (qui est en arrière-plan de l'article XVIII de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948) dans la forme qui est la sienne : « nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». L'incise « même religieuses » est due au pasteur Rabaud Saint-Étienne : nous voulons la liberté et pas seulement la tolérance.

L’articulation entre tolérance et liberté, qui ne relève pas d'une majorité qui octroierait cette tolérance à des minorités, apparaît dans la la fin de l'article : « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public ».

La minorité protestante, sortant alors de la clandestinité et de la persécution, se reconnaît dans une revendication de liberté, et pas seulement de tolérance, qui vaut pour toutes les autres minorités – selon la lecture que les protestants persécutés faisaient des textes de la Bible hébraïque rappelant l'exigence de respect de la dignité de quiconque : car toi aussi tu as été étranger au pays de l'esclavage (cf. Deutéronome 10, 19).

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En arrière plan, les dix paroles qui résument la Loi de Dieu, en deux tables que reproduisent celles de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, ces dix paroles qui se résument encore en deux paroles : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deutéronome 6, 5). « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18), puis en une, aimer le prochain (cf. Galates 5, 14), qui se décline en : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes. » (Matthieu 7:12 ; cf. Luc 6, 31) – « Ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît, ne l'inflige pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire. Maintenant, va et étudie » (Hillel, Talmud de Babylone, traité Shabbat 31a).

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Au départ, le Dieu invisible, dont on ne perçoit que la trace invisible, « par derrière », c'est-à-dire dans une relecture de ce qui est advenu…

Exode 33, 22 : « Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. 23 Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue. »
Puis, Exode 33, 1, « L’Éternel dit à Moïse : Taille deux tables de pierre comme les premières, et j’y écrirai les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées. »

Première parole de ces tables, parole décisive : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage ». Première parole d'une loi qui n'a dès lors pas de source : tu ne pourras pas me voir, sinon discerner mes traces à la relecture. Pas de pouvoir qui puisse prétendre être l'auteur de cette Loi qui excède tout auteur.

« Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage ». C'est là le libérateur, pas un homme, fût-ce Moïse, et c'est cet invisible, inconnu, irreprésentable, donc, qui est la source de la Loi qui libère, pas un homme qui en serait source et garant, comme Hammourabi en Babylonie ou Pharaon en Égypte. Bref : pas d'auteur ! Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, est donnée une Loi qui n'a pas d'auteur, et à laquelle par conséquent tout humain, fût-il roi ou empereur, ou pape, doit se tenir (cf. David, pourtant roi, soumis à la Loi, et qui se repend quand il la transgresse – Ps 51).

C'est cela qui se développera dans la suite de l'histoire en Droits de l'Homme où tous sont égaux devant la Loi, même les gouvernants, même les rois. Et, pas d'auteur humain donc, personne n'est clef de voûte de la cité, pas même un gouvernant, pas même une Église ou institution cultuelle.

Et en parallèle, à terme, nul n'est esclave. Plus d’opposition possible entre esclave et citoyen – ce dont en 1794 se saisit Haïti, alors colonie française de Saint-Domingue. C'est en effet sous la pression des esclaves révoltés de Haïti qui se sont saisis de la Déclaration de 1789 proclamant que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » que les représentants du peuple prennent conscience de la portée de ce qu'ils ont déclaré et abolissent en conséquence l'esclavage, cinq ans après 1789. Apparaît ainsi qu'au fond ils ne sont pas les auteurs de ce qu'ils ont proclamé, comme au Sinaï : la portée de ce qu'ils ont reconnu « sous les auspices de l’Être suprême » selon le préambule, les dépasse ! Ce qu’ils découvrent « par derrière »...

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Et en arrière plan, toujours, ce cœur de la loi, déjà de la loi biblique : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse / fais à autrui ce que tu voudrais qu'on te fasse (principe universel que l'on trouve déjà en Orient antique). Ainsi : tu as été libéré de l'esclavage, alors ça vaut pour autrui, pour quiconque !

Deutéronome 26:5 : « Tu prendras encore la parole, et tu diras devant l’Éternel, ton Dieu : Mon père était un Araméen nomade ; il descendit en Égypte avec peu de gens, et il y fixa son séjour ; là, il devint une nation grande, puissante et nombreuse. » Aussi, Deutéronome 10,19 : « Vous aimerez l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. »

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Une Loi qui va prendre effet de façon universelle comme structure intérieure de nos vies :
Jérémie 31, 33 : « voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël, Après ces jours-là, dit le Seigneur : Je mettrai ma loi au dedans d’eux, Je l’écrirai dans leur cœur ; Et je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple. »

Ézéchiel 36, 27 : « Je mettrai mon esprit en vous, et je ferai en sorte que vous suiviez mes ordonnances, et que vous observiez et pratiquiez mes lois. »

C'est de ces textes que se réclame l'événement de Pentecôte / Shavouoth, advenu dans le livre des Actes des Apôtres le jour de la fête du don de la Torah, appelée à s'inscrire dans les cœurs par le don de l'Esprit de Dieu.

C'est de cet héritage, de ce patrimoine que se réclame la tradition protestante de l'intériorité, où se fonde l'image de Dieu en nous, dont ces piétistes que sont quakers et méthodistes, qui refusent la possibilité de l'esclavage, et verront éclore l'égalité hommes-femmes.

Car quelle que soit l'origine, que ce soit l'appartenance religieuse, les convictions diverses, quel que soit le taux de mélanine qui donne la couleur de la peau, le taux hormonal qui distingue un homme d'une femme, l'image de Dieu en l'être humain, c'est-à-dire en d'autres termes sa dignité infinie, est au-delà de ce qui frappe la vue : on est au cœur de ce qui ressort de la découverte du tombeau vide : « votre identité est cachée, avec le Christ ressuscité, en Dieu », en dit Paul (Col 3, 3). Cela vaut pour quiconque, indépendamment de sa foi ou de sa non-foi.

L'image de Dieu est ce qui nous échappe en nous et qui nous fonde en humanité et en fraternité, et requiert comme loi intériorisée la liberté et l’égalité pour tous : la liberté reçue ne peut qu'être reconnue pour quiconque est ipso facto mon frère, ma sœur, appelé comme moi à la liberté : « c'est pour la liberté que avez été libérés, ne vous remettez donc pas sous le joug de l'esclavage » (Galates 5, 1).


RP, Poitiers, 18/09/16
Journées du patrimoine, « Patrimoine et citoyenneté »


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