dimanche 25 juillet 2010

"Quand vous priez..."




Genèse 18, 20-32 ; Psaume 138 ; Colossiens 2, 12-14

Luc 11, 1-13
1 Jésus était un jour quelque part en prière. Quand il eut fini, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. »
2 Jésus leur déclara : « Quand vous priez, dites :
Père, que ton nom soit reconnu pour sacré ; que ton Règne vienne.
3 Donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour.
4 Pardonne-nous nos manquements, car nous aussi, nous remettons sa dette à quiconque nous doit quelque chose. Et ne nous expose pas à la tentation.
5 Jésus leur dit encore : « Supposons ceci : l’un d’entre vous a un ami qu’il s’en va trouver chez lui à minuit pour lui dire : Mon ami, prête-moi trois pains.
6 Un de mes amis qui est en voyage vient d’arriver chez moi et je n’ai rien à lui offrir.
7 Et supposons que l’autre lui réponde de l’intérieur de la maison : Laisse-moi tranquille ! La porte est déjà fermée à clé, mes enfants et moi sommes au lit ; je ne peux pas me lever pour te donner des pains.
8 Eh bien, je vous l’affirme, même s’il ne se lève pas par amitié pour les lui donner, il se lèvera pourtant et lui donnera tout ce dont il a besoin parce que son ami insiste sans se gêner.
9 Et moi, je vous dis : demandez et vous recevrez; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira la porte.
10 Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve et l’on ouvrira la porte à qui frappe.
11 Si l’un d’entre vous est père, donnera-t-il un serpent à son fils alors que celui-ci lui demande un poisson ?
12 Ou bien lui donnera-t-il un scorpion s’il demande un œuf ?
13 Tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. À combien plus forte raison, donc, le Père qui est au ciel donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent ! »
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« Enseigne-nous à prier », ont demandé les disciples.

« Voici comment vous devez prier : quand vous priez, dites... Père... », répond Jésus. Voilà qui nous place dans l’intimité de Dieu — Père / « Abba », selon ce que rapportent de l’araméen Marc (14, 36 : Jésus au Gethsémané) et Paul (Romains 8, 15 ; Galates 4, 6). Intimité : souvenons-nous que Matthieu précise : « entre dans ta chambre, ferme la porte. »

Où l’on reçoit du Père la loi clamée publiquement de la chaire, déjà au Sinaï, après en avoir reçu un nom. Et en écho la prière liturgique publique, le « Notre Père », donc. « Toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom du Père », rappelle l'Épître aux Éphésiens (3, 14-15).

« Que ton nom soit sanctifié », sanctifié c'est-à-dire mis à part, considéré avec un respect infini, jamais prononcé en vain, et donc, au fond, reconnu comme indicible. «Que ton nom soit sanctifié». D'autant plus que négliger le nom du Père, nous qu'il adopte comme ses enfants, c'est ne pas percevoir l’ouverture d'avenir qui s’y trouve. « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre » dit la Loi. D'emblée donc, la prière du Seigneur nous ouvre tout un programme, et un avenir, ce qui fait rejoindre un des thèmes de cette sanctification du Nom dans les livres prophétiques : cet aspect qui concerne l’avenir : la venue du Royaume — du Règne où Dieu sanctifie lui-même son nom en accomplissant sa promesse.

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Et effectivement cette première demande est suivie de la demande de la venue du Règne de Dieu, par l’accomplissement de la volonté de Dieu jusque sur cette terre en désordre.

Les disciples ne savent pas qu'ils viennent de poser à Jésus une question très délicate, aux conséquences périlleuses pour eux-mêmes. Mais c'est par là, par cette prière, que viendra le Royaume, le Règne de Dieu. En cinq demandes. Sept chez Matthieu — la troisième et la septième de Matthieu étant une extension de la seconde et de la sixième demande («que ton règne vienne» s'y commente en « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » et « ne nous soumets pas à la tentation » s’y commente en « délivre-nous du mal »).

Cinq demandes donc, qui risquent fort si nous y prenons garde, de nous mener où nous ne voudrions pas, à savoir au Règne de Dieu dont nous demandons pourtant qu'il vienne. Aller où nous n'aurions pas prévu, ou du moins d'une façon que nous n'aurions pas prévue, comme Pierre à la fin de l'évangile de Jean (21, 18) : « un autre te mènera où tu ne voudras pas ».

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« Donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour »… ? L'abondance à laquelle tous aspirent vient de Dieu seul. Lui seul est riche : des biens spirituels, du pain du ciel, et du pain qui nourrit le ventre de façon à ouvrir les oreilles. Cela dit, le pain de ce jour pour lequel nous prions est plus que la simple nourriture périssable. Le terme choisi l’indique clairement. Il est la manne. Il est la nourriture éternelle qui est d'être pardonné et accepté, d'avoir trouvé un père... Notre Père, disent les disciples.

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Arrêtons-nous donc sur la plus troublante de ces cinq demandes : celle concernant le pardon : «pardonne-nous nos péchés, comme nous pardonnons aussi à qui nous offense».

Ce mot rendu dans Luc par « péché », ou « offense », ou « manquement » peut aussi être rendu par « dette », selon le parallèle de Matthieu — le sens « péché » étant une dimension spirituelle de la dette. En ce sens, le mot peut relever non pas tant de la faute que de la création : même sans faute, nous sommes en dette envers Dieu comme on l'est à l'égard d'un père (ou d’une mère) — «Notre Père» — sans lequel nous ne serions pas, celui par qui nous sommes, non pas tant parce qu'il a donné la semence qui nous origine, mais parce qu'il nous a donné un nom, son nom. Cette dette-là ne peut être payée : son prix est infini. Le reconnaître entraîne une attitude de pardon, de remise des dettes. La remise des dettes est donc effectivement incontournable ; elle est la condition de la prolongation de nos êtres jusqu'à la venue du Règne, en lien étroit avec la demande précédente, celle du don du pain de ce jour. Si le plus puissant, le Père, exige le remboursement de la dette, il en vient à terme à écraser l'enfant.

Mieux qu’un père, Dieu donne ce qui est bon à ses enfants. L'instauration de son Règne est une remise de dettes par Dieu à notre égard. D'autant plus, au fond, que la dette est donc trop infinie pour être remboursée.

C'est sur cela qu'est établie l'institution biblique de la loi du Jubilé, par lequel s'inaugure le Royaume. Rappelons-nous que le Jubilé est ce que prévoit la Torah : cette remise des dettes obligatoire tous les cinquante ans. Jésus (cf. Luc 4) inaugure son ministère messianique par la proclamation du Jubilé.

Cette libération, remise des dettes par Dieu, se signifie dans nos remises de dettes. C’est le sens du « comme nous remettons ». Nous sommes appelés à la suite du Christ à faire un don gratuit de nous-mêmes, n’aurait-il en retour que de l'ingratitude.

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Précédée de la demande du pain, lieu par excellence de la dette à Dieu, la prière pour la remise des dettes et le pardon des offenses est suivie de : «Ne nous laisse pas entrer en tentation» — «ne nous expose pas dans l'épreuve». Pourquoi Dieu se tait-il face aux prières de son peuple, pourquoi tarde-t-il à instaurer son Règne ?

Face au silence céleste, ce silence qui dure, où Dieu qui est censé être notre Père nous apparaît pourtant si dur, impitoyable, nous donnant essentiellement une Loi, alors qu'on ne voit pas venir de consolation, et à plus forte raison la consolation du Règne de Dieu — on sera tenté de dire : ces maux qui nous adviennent, fussent-ils de notre faute, ne sont-ils pas le signe que Dieu se désintéresse de nous ? Où l'épreuve dont nous demandons que nous n'y sombrions pas devient tentation de se dire que ce Dieu est finalement méchant. Et que de fois l'a-t-on entendu à propos du Dieu dit « de l'Ancien Testament », oubliant que c'est ce Dieu que Jésus appelle son Père ? Tentation de rejeter ce Dieu qui donne la Loi, et avec elle son silence. Or c'est là son rôle de Père: donner la Loi et nous apprendre à patienter, à recevoir le plaisir plus tard. Se séparer un jour du plaisir immédiat du sein maternel. Le père disant la loi et privant ainsi du plaisir immédiat.

C'est de la sorte que Dieu nous conduit au Règne qui lui appartient avec la puissance et la gloire, ce Règne qui vient pour nous à la mesure où nous recevons avec joie la volonté de Dieu, sa Loi.

C'est le temps d'un passage douloureux, celui de l'apprentissage, qui précède la liberté et la joie. C'est encore la leçon de Paul : comme pour la douleur d'un enfantement, Dieu a soumis la Création à la vanité et à la douleur, avec une espérance : sa libération, comme la naissance (Romains 8, 20-22). La tentation serait de se laisser abattre et de se dire que face à une telle situation, une telle douleur, celle qui est la nôtre, le Royaume ne viendra pas, la naissance n'aura pas lieu. C'est face à cette tentation que Jésus appelle à la persévérance dans la confiance en Dieu qui nous délivre du mal.

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Face à ce présent lourd, accablant, ou face à notre mauvaise volonté, — il s’agit de persévérer, de requérir la justice de la foi, prête à se manifester, dans sa splendeur et sa liberté ; il n'est qu'à exiger ce que Dieu promet, exiger son Règne. Persévérer dans la prière, comme l'ami qui demande du pain. Dieu finira par répondre, autrement que prévu peut-être, par le don imprévu de l'Esprit saint, qui mène au Royaume par des chemins auxquels l’on ne s'attend pas. Persévérer dans la prière est dangereux : c'est risquer de se voir transformé, dépossédé de soi et de ses biens, de sa vision du monde — qui sait ? Persévérer dans la prière transforme.

Apprendre à regarder le monde par les yeux de Dieu. Et explorer tous les possibles des chemins de son Règne.

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Dieu peut transformer le monde, par notre prière, et par notre agir qu’elle induit. Notre agir, l’agir des êtres humains : face à l'exemple que Jésus a choisi, en parallèle avec la remise des dettes par Dieu à notre égard et par nous à l'égard du prochain, — sommes-nous l'ami qui demande du pain à son ami, à Dieu, et le voyons-nous refuser, ou sommes-nous l'ami qui refuse du pain à son ami qui frappe à la porte, invitant l'importun à ne pas nous déranger, voire à rentrer chez lui. Mais a-t-il un chez lui ?

Voyez l'effet de la prière persévérante : l'ami importuné se lèvera et il donnera à son ami tout ce dont il a besoin. Ici prend place le Royaume, le Règne de Dieu, caché « au milieu de vous », dit Jésus. Le Royaume, le jour du bonheur partagé.

Effet de la prière sur le malheureux, qui est exaucé. Effet de la prière sur celui qui avait peur de se lever et de partager : il est transformé. La venue du bonheur est à ce double prix. Craignez de prier, si votre prière est vraie. Sinon pas de crainte à court terme : un mensonge est trop creux pour avoir autre effet que d'endurcir celui qui le profère.

La prière a une telle puissance qu'il est question d'ami face à son ami ; mieux, de père face à son enfant auquel il donne de bonnes choses. Voilà le lien que crée la prière persévérante. Qu'est-il donc besoin de craindre ? Au jour où dans le monde, et déjà dans l’Église, tous sont amis, frères, sœurs, mères, pères les uns des autres, c'est-à-dire faisant la volonté de Jésus, ce jour-là, le Règne de Dieu s’est approché. Ce jour-là, la prière persévérante, selon l'enseignement de Jésus a été exaucée, par la présence de l'Esprit saint, tout comme un père donne du pain à son enfant qui le lui demande. Et nous voilà conduits au cœur de la prière : apprendre à regarder le monde, soi-même, autrui, tel que Dieu le conçoit, le regarder selon son Esprit ; et ainsi entrer dans son projet dès aujourd’hui, devenir dès aujourd’hui des bâtisseurs du Règne qu’il promet, car c’est « à toi qu’appartiennent le Règne,… » dès aujourd'hui.

R.P.
Vence, 25.07.10


1 commentaire :

  1. cher Roland, je priais le notre père sans jamais le comprendre...je le priai , car Jésus ns l'a enseigné maintenant je lis et relis tes explications et cela change ma prière.
    Que le Seigneur te bénisse ainsi que ceux qui te sont chers , je le bénis de t'avoir " remis " sur ma route ! J'en ai souvent marre d'être athée et croyante en même temps mais c'est pour le plus grand bien de mon " ego" afin qu'il s'agite moins et que je ne me disperse plus ( ou nettement moins ) . Tous les jours le Seigneur me conduit , instants après instants et il me fait reposer ds de verts pâturages " si je l'accepte " à bientôt Isabelle

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