1 Rois 3, 5-12 ; Psaume 119, 121-136 ; Romains 8, 28-30 ; Matthieu 13, 44-52
Matthieu 13, 44-52
Voilà une série de brèves paraboles qui reprennent le thème de la série de paraboles précédentes, depuis celle du semeur jusqu’à celle de l’ivraie en passant par celles du grain de moutarde ou du levain. Un point commun, abordé sous plusieurs angles : le Royaume de Dieu, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est de l’ordre de la semence et a quelque chose de caché — jusqu’au jugement final.
Jusqu’au jugement final, qui n’est pas de notre compétence, le Royaume est caché. Et non seulement caché, mais mélangé avec un provisoire lourd et lassant — comme le bon grain et l’ivraie de la parabole qui précède.
Le champ, c’est le monde, vient de commenter Jésus. Et peut-être a-t-il pensé à ceux qui en viendraient à en déduire que cela ne concerne donc pas l’Église, de laquelle, du coup, il faudrait arracher l’ivraie. Jésus a comme répondu à l’avance à ce genre de remarques par les paraboles d’aujourd’hui, où les choses concernent bel et bien l’Église : en son sein aussi, le tri se fait au jour du jugement, qui n’est pas de notre compétence.
Voilà donc que le Royaume de Dieu est comme un trésor, mais que l’on cache dans un champ — et c’est le champ que l’on achète, c’est pour acheter le champ que l’on vend tout. Et mieux que cela, on y cache le trésor. Et si on ne procède pas ainsi, le trésor sera perdu.
Certes ce qui intéresse l’acheteur, c’est le trésor, et pas le champ, mais pour avoir le trésor, à la fin, au jugement, au jour du tri, il faut bien garder jusque là le champ. Certes c’est le trésor qui est intéressant, la parabole suivante, celle de la perle de grand prix le rappelle : c’est pour elle qu’on vend tout — mais Dieu n’anticipe pas ce jour, n’anticipe pas le tri.
Le Royaume de Dieu est comparable à un filet, dit la troisième parabole de ce jour. Jésus développe ici encore un peu plus la même idée que lorsque qu’il dit que le Royaume est un trésor caché dans un champ avant d’être ce qu’il est au fond, le trésor lui-même, mais caché. Le Royaume est donc semblable au filet qui ramasse tout. Le texte ne dit même pas toute sorte de poissons ; il dit : des choses de tout genre ! Je suis tenté de dire : des bons poissons, et aussi des rascasses, et même des vieux pneus et des boîtes de conserves ! Le tri, on le fait après.
Jusque là, on ne peut, et ne doit, que tout ramasser, même si ce qui nous intéresse, ce sont les bons poissons — comme l’acheteur du champ, qui ne produit peut-être que des ronces, est intéressé par le trésor. Mais c’est pour acheter le champ qu’il vend tous ses biens : « là où est ton trésor »…
Mais les « toutes sortes de choses » prises dans le filet y sont donc comme ensemble — et ensemble dans l’Église — et même à l’intérieur de soi, à l’intérieur de chacun de nous, jusqu’au jugement. C’est à cela que se rapporte l’injonction de Jésus : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». C’est aussi à cela que se rapporte sa promesse : « celui qui croit en moi ne vient pas en jugement »
Le trésor est bien un trésor caché — à l’Église et à soi. Et jusqu’en notre intimité, une séparation doit se faire, en nous — c’est le jour du jugement. Mais comme le précise Jésus ailleurs, ici, à l’intérieur de soi, le jugement peut, à notre mesure, s’anticiper : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ».
Le jugement étant aussi séparation, séparation d’avec le mal qu’il faudra donc lâcher / sous peine de voir le jugement être séparation d’avec celui qui ne veut pas lâcher le mal.
Pour illustrer cela, je citerai quelques lignes du livre de CS Lewis, Le grand divorce (entre le ciel et l’enfer) : on est à l’entrée du paradis, un homme se présente…
« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, puisque la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire? dit l'esprit flamboyant - c'était un ange, je le compris soudain.
- Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
- Oh! aïe! Attention. Vous me brûlez. Pas si près!
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut - eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer?
- Oh! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
- Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer:
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile. - Vous croyez? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.
- Certainement pas.
- Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. (Etc. CS Lewis, Le grand divorce, éd. Raphaël, 1998, p. 107 sq.). »
Bref, en résumé : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». Ôter chacun son lézard. C’est cela qu’il convient de faire dès aujourd’hui.
Mais nous, nous voudrions que les choses se règlent tout de suite autrement : le Royaume serait là, et nous en repeindrions volontiers tous les contours ; selon nos coups de cœur, les oranges seraient bleues, le ciel à poids jaunes et la mer sucrée. Car notre impatience relève au fond de ce genre de rêves.
Et quand les choses ne sont pas comme nous les rêvons, nous nous impatientons. Au mieux nous trépignons. Au pire, hier l’Inquisition, qui voulait séparer les rascasses, pneus, et autres hérétiques d’avec les bons poissons — on sait ce que cela à donné, on sait ce que cela continue de donner ; aujourd’hui, les fous sanglants et autres bombardements aveugles de guerres prétendues justes.
Tenter de faire venir le Royaume comme si nous avions en la matière plus de pouvoir que Dieu, c’est faire venir en lieu et place du Paradis espéré, un enfer. Le Paradis que nous préparent de tels témoins de Dieu ne fait pas envie !
Le cas est extrême, mais cela vaut sans doute de tous nos plans sur la comète paradisiaque. Dieu l’a envisagé autrement. Et c’est là qu’est le cœur de la question, celle du salut. Que nous disent au fond ces paraboles ? Que le salut « ne vient pas de façon à frapper les regards », qu’on ne le fait pas avancer à force de forcer les choses.
Ce qui nous conduit au cœur de l’Évangile de la foi, de la confiance seule. Le Royaume est de l’ordre de la semence à recevoir de la seule écoute de la Parole de Dieu — et caché jusqu’au Royaume dont l’instauration n’est pas de notre compétence — et c’est très bien ainsi. L’inutilité sanglante, des pleurs et de la violence le montrent.
Être de l’ordre de la semence, c’est la nature du trésor qui est au cœur du Royaume.
Un trésor inépuisable : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » — de ce trésor intérieur et extérieur : on en tire de façon inépuisable, toute sorte de choses : « du neuf et du vieux ».
On peut aussi donc rattacher ce « neuf et vieux » aux « toutes sortes de choses » prises au filet. Pour dire qu’il n’est vraiment pas de notre bénéfice de faire le tri avant l’heure : j’ai parlé des rascasses comme de mauvais poissons — mais attendez, et la bouillabaisse ! Voilà donc qu’on aurait eu tort de jeter la rascasse ! Les vieux pneus, donc — quoique ! Tel pêcheur bricoleur qui trouve ça dans son filet en ferait bien une balançoire pour ses enfants…
Qui sait si le Royaume de Dieu est sans balançoires faites avec des vieux pneus ? Il y a bien selon Ésaïe, des charrues faites avec des vieilles épées !
Les scribes instruits dont parle Jésus avaient lu Ésaïe : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux ».
Eh bien que chacun de nous désireux du Royaume de Dieu sache tout vendre pour acheter ce champ-là. Nous savons bien, Jésus nous l’a dit, quel précieux trésor y est caché : c’est le Royaume de Dieu — et il n’est pas ailleurs : il est là, dans l’action de grâces, les remerciements pour ce que Dieu va nous donner à y voir. À nous de l’y chercher, à nous de l’y cacher si nous l’avons vu — et de tout lui consacrer. Il n’y a pas d’autre bonheur.
44 "Le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète ce champ.
45 Le Royaume des cieux est encore comparable à un marchand qui cherchait des perles fines.
46 Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il avait et il l’a achetée.
47 "Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de poissons.
48 Quand il est plein, on le tire sur le rivage, puis on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et l’on rejette ce qui ne vaut rien.
49 Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges surviendront et sépareront les mauvais d’avec les justes,
50 et ils les jetteront dans la fournaise de feu ; là seront les pleurs et les grincements de dents.
51 "Avez-vous compris tout cela ?" — Oui, lui répondent-ils.
52 Et il leur dit : "Ainsi donc, tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux."
*
Voilà une série de brèves paraboles qui reprennent le thème de la série de paraboles précédentes, depuis celle du semeur jusqu’à celle de l’ivraie en passant par celles du grain de moutarde ou du levain. Un point commun, abordé sous plusieurs angles : le Royaume de Dieu, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est de l’ordre de la semence et a quelque chose de caché — jusqu’au jugement final.
Jusqu’au jugement final, qui n’est pas de notre compétence, le Royaume est caché. Et non seulement caché, mais mélangé avec un provisoire lourd et lassant — comme le bon grain et l’ivraie de la parabole qui précède.
Le champ, c’est le monde, vient de commenter Jésus. Et peut-être a-t-il pensé à ceux qui en viendraient à en déduire que cela ne concerne donc pas l’Église, de laquelle, du coup, il faudrait arracher l’ivraie. Jésus a comme répondu à l’avance à ce genre de remarques par les paraboles d’aujourd’hui, où les choses concernent bel et bien l’Église : en son sein aussi, le tri se fait au jour du jugement, qui n’est pas de notre compétence.
Voilà donc que le Royaume de Dieu est comme un trésor, mais que l’on cache dans un champ — et c’est le champ que l’on achète, c’est pour acheter le champ que l’on vend tout. Et mieux que cela, on y cache le trésor. Et si on ne procède pas ainsi, le trésor sera perdu.
Certes ce qui intéresse l’acheteur, c’est le trésor, et pas le champ, mais pour avoir le trésor, à la fin, au jugement, au jour du tri, il faut bien garder jusque là le champ. Certes c’est le trésor qui est intéressant, la parabole suivante, celle de la perle de grand prix le rappelle : c’est pour elle qu’on vend tout — mais Dieu n’anticipe pas ce jour, n’anticipe pas le tri.
Le Royaume de Dieu est comparable à un filet, dit la troisième parabole de ce jour. Jésus développe ici encore un peu plus la même idée que lorsque qu’il dit que le Royaume est un trésor caché dans un champ avant d’être ce qu’il est au fond, le trésor lui-même, mais caché. Le Royaume est donc semblable au filet qui ramasse tout. Le texte ne dit même pas toute sorte de poissons ; il dit : des choses de tout genre ! Je suis tenté de dire : des bons poissons, et aussi des rascasses, et même des vieux pneus et des boîtes de conserves ! Le tri, on le fait après.
Jusque là, on ne peut, et ne doit, que tout ramasser, même si ce qui nous intéresse, ce sont les bons poissons — comme l’acheteur du champ, qui ne produit peut-être que des ronces, est intéressé par le trésor. Mais c’est pour acheter le champ qu’il vend tous ses biens : « là où est ton trésor »…
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Mais les « toutes sortes de choses » prises dans le filet y sont donc comme ensemble — et ensemble dans l’Église — et même à l’intérieur de soi, à l’intérieur de chacun de nous, jusqu’au jugement. C’est à cela que se rapporte l’injonction de Jésus : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». C’est aussi à cela que se rapporte sa promesse : « celui qui croit en moi ne vient pas en jugement »
Le trésor est bien un trésor caché — à l’Église et à soi. Et jusqu’en notre intimité, une séparation doit se faire, en nous — c’est le jour du jugement. Mais comme le précise Jésus ailleurs, ici, à l’intérieur de soi, le jugement peut, à notre mesure, s’anticiper : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ».
Le jugement étant aussi séparation, séparation d’avec le mal qu’il faudra donc lâcher / sous peine de voir le jugement être séparation d’avec celui qui ne veut pas lâcher le mal.
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Pour illustrer cela, je citerai quelques lignes du livre de CS Lewis, Le grand divorce (entre le ciel et l’enfer) : on est à l’entrée du paradis, un homme se présente…
« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, puisque la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire? dit l'esprit flamboyant - c'était un ange, je le compris soudain.
- Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
- Oh! aïe! Attention. Vous me brûlez. Pas si près!
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut - eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer?
- Oh! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
- Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer:
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile. - Vous croyez? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.
- Certainement pas.
- Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. (Etc. CS Lewis, Le grand divorce, éd. Raphaël, 1998, p. 107 sq.). »
Bref, en résumé : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». Ôter chacun son lézard. C’est cela qu’il convient de faire dès aujourd’hui.
*
Mais nous, nous voudrions que les choses se règlent tout de suite autrement : le Royaume serait là, et nous en repeindrions volontiers tous les contours ; selon nos coups de cœur, les oranges seraient bleues, le ciel à poids jaunes et la mer sucrée. Car notre impatience relève au fond de ce genre de rêves.
Et quand les choses ne sont pas comme nous les rêvons, nous nous impatientons. Au mieux nous trépignons. Au pire, hier l’Inquisition, qui voulait séparer les rascasses, pneus, et autres hérétiques d’avec les bons poissons — on sait ce que cela à donné, on sait ce que cela continue de donner ; aujourd’hui, les fous sanglants et autres bombardements aveugles de guerres prétendues justes.
Tenter de faire venir le Royaume comme si nous avions en la matière plus de pouvoir que Dieu, c’est faire venir en lieu et place du Paradis espéré, un enfer. Le Paradis que nous préparent de tels témoins de Dieu ne fait pas envie !
Le cas est extrême, mais cela vaut sans doute de tous nos plans sur la comète paradisiaque. Dieu l’a envisagé autrement. Et c’est là qu’est le cœur de la question, celle du salut. Que nous disent au fond ces paraboles ? Que le salut « ne vient pas de façon à frapper les regards », qu’on ne le fait pas avancer à force de forcer les choses.
Ce qui nous conduit au cœur de l’Évangile de la foi, de la confiance seule. Le Royaume est de l’ordre de la semence à recevoir de la seule écoute de la Parole de Dieu — et caché jusqu’au Royaume dont l’instauration n’est pas de notre compétence — et c’est très bien ainsi. L’inutilité sanglante, des pleurs et de la violence le montrent.
Être de l’ordre de la semence, c’est la nature du trésor qui est au cœur du Royaume.
*
Un trésor inépuisable : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » — de ce trésor intérieur et extérieur : on en tire de façon inépuisable, toute sorte de choses : « du neuf et du vieux ».
On peut aussi donc rattacher ce « neuf et vieux » aux « toutes sortes de choses » prises au filet. Pour dire qu’il n’est vraiment pas de notre bénéfice de faire le tri avant l’heure : j’ai parlé des rascasses comme de mauvais poissons — mais attendez, et la bouillabaisse ! Voilà donc qu’on aurait eu tort de jeter la rascasse ! Les vieux pneus, donc — quoique ! Tel pêcheur bricoleur qui trouve ça dans son filet en ferait bien une balançoire pour ses enfants…
Qui sait si le Royaume de Dieu est sans balançoires faites avec des vieux pneus ? Il y a bien selon Ésaïe, des charrues faites avec des vieilles épées !
Les scribes instruits dont parle Jésus avaient lu Ésaïe : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux ».
Eh bien que chacun de nous désireux du Royaume de Dieu sache tout vendre pour acheter ce champ-là. Nous savons bien, Jésus nous l’a dit, quel précieux trésor y est caché : c’est le Royaume de Dieu — et il n’est pas ailleurs : il est là, dans l’action de grâces, les remerciements pour ce que Dieu va nous donner à y voir. À nous de l’y chercher, à nous de l’y cacher si nous l’avons vu — et de tout lui consacrer. Il n’y a pas d’autre bonheur.
R.P.
Antibes, 24.07.11
Antibes, 24.07.11
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