dimanche 17 juillet 2011

La mauvaise herbe




Ésaïe 44, 6-8 ; Psaume 86 ; Romains 8, 26-27

Matthieu 13, 24-43
24 Il leur proposa une autre parabole : "Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
25 Pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu ; par-dessus, il a semé de la mauvaise herbe en plein milieu du blé et il s’en est allé.
26 Quand l’herbe eut poussé et produit l’épi, alors apparut aussi la mauvaise herbe.
27 Les serviteurs du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de la mauvaise herbe ?
28 Il leur dit : C’est un ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui disent : Alors, veux-tu que nous allions la ramasser ? —
29 Non, dit-il, de peur qu’en ramassant la mauvaise herbe vous ne déraciniez le blé avec elle.
30 Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier.
31 Il leur proposa une autre parabole : "Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu’un homme prend et sème dans son champ.
32 C’est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches."
33 Il leur dit une autre parabole ; "Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève."
34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles,
35 afin que s’accomplisse ce qui avait été dit par le prophète : J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je proclamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.
36 Alors, laissant les foules, il vint à la maison, et ses disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : "Explique-nous la parabole de la mauvaise herbe dans le champ."
37 Il leur répondit : "Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ;
38 le champ, c’est le monde; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; la mauvaise herbe, ce sont les sujets du Malin ;
39 l’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.
40 De même que l’on ramasse la mauvaise herbe pour la brûler au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde :
41 le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour les mettre hors de son Royaume, toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité,
42 et ils les jetteront dans la fournaise de feu ; là seront les pleurs et les grincements de dents.
43 Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende qui a des oreilles !
*

« Le Fils de l’homme enverra ses anges ; ils ramasseront, pour les mettre hors de son Royaume, toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité. »

Cela c’est au jour de jugement.

Cela nous dit en passant quelque chose de ce qu’est la mauvaise herbe en question — l’ivraie selon les anciennes traductions — : c’est tout le mal qui se fait depuis la fondation du monde.

Ce n’est pas rien ! C’est un mal et des douleurs dont il est légitime que l’on veuille les arracher du monde, et avec, ceux qui les commettent.

Or il n’est pas opportun de les arracher du monde tant que ce qu’il en est n’est pas dévoilé ! Car il est bien question de « choses cachées depuis la fondation du monde », selon la citation que fait Jésus du Psaume 78.

Ce qui est caché depuis la fondation du monde c’est ici la racine du mal — de ce mal énorme — qui s’y commet.

Cette parabole de la mauvaise herbe est expliquée après que soient données deux autres paraboles, comme, juste avant, la parabole du semeur n’est pas expliquée immédiatement.

Évidemment, ici comme là, ce qui est entre la parabole et son explication a un rapport avec l’explication.

Ici, il est question du Royaume qui se dévoile comme une graine qui éclot et croît jusqu’à sa maturité ; le Royaume qui est comme le levain qui fait lever toute la pâte.

Avec cette citation du propos prophétique du psalmiste : dévoilement de « choses cachées depuis la fondation du monde ».

L’éclosion et la croissance du Royaume est de l’ordre du dévoilement.

Et en l’occurrence du dévoilement du mal, dévoilement qui seul permet son éradication.

Le mal relève du mystère, d’un mystère incommensurable, le « mystère d’iniquité » dans les mots de Paul, cette iniquité qui est vouée à être arrachée…

Le mal relève du mystère, nommé ici : semé par le diable. Un désordre imprévu, source du mal, s’est immiscé dans la création de Dieu, caché depuis sa fondation et voué à être dévoilé. Or où est-ce que le mal, où est-ce que le diable, a été dévoilé ?

À la croix ! Car que s’est-il passé à la croix concernant ce mystère d’iniquité ? Son initiateur a été jeté dehors ! Jean 12, 31-33 : « Maintenant c’est le jugement de ce monde; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. Il disait cela pour indiquer de quelle mort il devait mourir. »

À la croix, le semeur de l’ivraie est dévoilé et jeté dehors ! Est-ce à dire qu’il est temps pour les disciples de procéder à l’arrachage de cette mauvaise herbe ? La réponse de Jésus est clairement : non !

« S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » annonce Jésus à ses disciples dans la suite de son affirmation de ce que le diable est jeté dehors lors de sa crucifixion.

C’est que loin de devoir procéder par avance à l’arrachage de la mauvaise herbe, du mal et de ceux qui le commettent, à commencer par les persécuteurs, — le dévoilement de la racine du mal, interdit précisément tout arrachage prématuré, avant le jugement final !

Que dévoile en effet la croix lorsqu’elle dévoile la racine immémoriale du mal, le diable ? Que le mal est, avant tout, une volonté immémoriale d’arracher, d’expulser ce que l’on désigne comme le mal.

Le mal, dès l’origine, est persécuteur. Le diable est meurtrier dès le commencement ; dès le premier meurtre, le meurtre d’Abel, il est là. Et menteur et père du mensonge, dès le premier meurtre, il enfouit ce meurtre sous le mensonge : suis-je le gardien de mon frère ? demande Caïn.

Car, ne nous leurrons pas, le meurtrier ment, et prétend avoir accompli une œuvre — sinon juste — tout au moins explicable… De là à prétendre arracher la mauvaise herbe, le pas a toujours été franchi dans l’histoire, avant et après le Christ.

On n’ a jamais persécuté ou mis à mort quiconque sans bonne cause, ou prétendu telle !… En fait du mensonge !

« Vous voulez accomplir les désirs du diable, dira Jésus à ses persécuteurs. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’est pas en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, ses paroles viennent de lui-même car il est menteur et le père du mensonge » (Jean 8, 44). Le mensonge est bien lié au meurtre et à la persécution, à la volonté d’expulser — et c’est là l’œuvre du diable.

Eh bien la croix est précisément le dévoilement de ce mensonge, de ce mensonge meurtrier. Ici, l’ « ivraie » qu’on a voulu arracher est le seul juste ! C’est de la sorte que le diable a été dévoilé : le Christ crucifié a publiquement livré les puissances en spectacle, dira Paul.

On voit ce qu’il en est de vouloir arracher la mauvaise herbe. Prétendre arracher la mauvaise herbe fait tout simplement entrer dans un cycle de violence persécutrice, dont les pouvoirs aux mains du diable planteur d’ivraie tentent de bien se garder :

Le représentant de César, Pilate, qui n’est pas sans raison dans le credo, se lave les mains et renvoie dos à dos les persécutés de l’Empire : le Christ et Israël — ce qui débouchera dans l’Empire romain devenu chrétien, puis dans sa descendance, sur une persécution d’Israël par ceux qui se réclament du Christ, se voulant arracheurs d’ivraie à leur tour !

On voit le piège que, pourtant, Jésus a dévoilé ! Et contre lequel il a pourtant mis en garde : la mauvaise herbe n’est pas où on la désigne. Elle relève du mystère d’iniquité, caché depuis la fondation du monde.

La croix nous dévoile à quel point elle ne pourra être arrachée qu’à la fin des temps.

L’ivraie est le mal persécuteur, « les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité », tous ceux qui servent la persécution. On ne la voit qu’à ses effets, comme la mauvaise herbe du même nom, que l’on ne reconnaît pas dans un premier temps.

Elle est dévoilée seulement par la croix, comme le fruit meurtrier du menteur et père du mensonge. Elle n’a été dévoilée que là, par celui à qui Dieu a remis le jugement, le Christ, et ne pourra être arrachée que lorsqu’il exercera ce jugement, c’est à dire cette extraction du mal qui grève le monde et qui est d’abord et avant tout la violence persécutrice et meurtrière.

Tel est donc ce mystère caché depuis la fondation du monde. Il a été dévoilé à la croix :

« C’est une sagesse […] qui n’est pas de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont être réduits à l’impuissance ; nous prêchons, écrit Paul, la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu avait prédestinée avant les siècles, pour notre gloire ; aucun des princes de ce siècle ne l’a connue, car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. Mais c’est, comme il est écrit : Ce que l’œil n’a pas vu, Ce que l’oreille n’a pas entendu, Et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, Tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Dieu nous l’a révélé par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. » (1 Corinthiens 2, 6-10).

« Ainsi, avait dit Ésaïe, parle l’Éternel, le roi d’Israël, Celui qui le rachète, L’Éternel des armées : Je suis le premier et je suis le dernier, En dehors de moi il n’y a point de Dieu. Qui peut se prononcer comme moi ? Qu’il l’annonce et me l’expose ! Depuis que j’ai fondé le peuple d’éternité, Qu’ils annoncent donc les événements, Et aussi ce qui doit arriver ! N’ayez pas peur et ne tremblez pas ; Ne te l’ai-je pas depuis toujours fait entendre et annoncé ? Vous êtes mes témoins : Y a-t-il un autre Dieu en dehors de moi ? Il n’y a point d’autre rocher, Je n’en connais pas. » (Ésaïe 44, 6-8).

R.P.
Vence, 17.07.11


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