dimanche 27 novembre 2011

Entre Evangile et douleurs du temps, veillez




Ésaïe 63, 16 à 64, 7 ; Psaume 80 ; 1 Corinthiens 1, 3-9

Marc 13, 33-37
33 Prenez garde, veillez et priez, car vous ne savez quand ce sera le moment.
34 Il en sera comme d’un homme qui part en voyage, laisse sa maison, donne pouvoir à ses serviteurs, à chacun sa tâche, et commande au portier de veiller.
35 Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin ;
36 craignez qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve endormis.
37 Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez.
*

« Quand sera le moment »… Quel moment ? On lit aisément ce texte de façon bien abstraite. On imagine volontiers une venue de Jésus hors de tout contexte… Quand on ne lit pas cette prophétie comme parlant de la mort naturelle de tout un chacun : la mort ne vient-elle pas à l’improviste ?

La prophétie reçue ainsi, plus question de lire les signes des temps, comme Jésus vient d’y inviter : « Comprenez cette comparaison empruntée au figuier : dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche. De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. » (Mc 13, 28-29)

Signes des temps. Que lire comme signes des temps ? Les versets qui précèdent indiquent l’annonce de l’Évangile du Royaume et la persécution dans le cadre de l’augmentation de la violence du temps. Point culminant : « Quand vous verrez l'Abominable Dévastateur installé là où il ne faut pas — que le lecteur comprenne ! —, alors, ceux qui seront en Judée, qu'ils fuient dans les montagnes »… (Mc 13, 14 sq.)

Dans l’immédiat, les disciples du Christ de la première génération ont lu cela en regard de la destruction et de la profanation du Temple en 70. Lecture des signes des temps au 1er siècle.

Mais les temps ont continué de se dérouler depuis, et chaque génération a dû apprendre à lire les signes des temps pour son époque. Avec des invariants : dans le cadre des violences du temps, annonce de l’Évangile et persécution. Ce qui a entraîné deux compréhensions du contexte de la venue du Christ en gloire, où le christianisme rejoint le Talmud considérant que « le Messie ne surgira qu'au milieu d’un monde "entièrement juste" ou "entièrement coupable" ». Deux compréhensions reçues dans le christianisme qui considèrent — l’une que l’annonce de l’Évangile finira par vaincre le mal et ouvrir la porte au Christ glorieux ; l’autre qu’au cœur de la persécution qui accompagne l’annonce du Royaume de Dieu aux nations, la venue du Christ en gloire est l’événement salvateur par lequel Dieu met terme à la violence devenue trop intense. « Le soir, au milieu de la nuit, au chant du coq, le matin » ? — « Craignez qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve endormis »

Lire les signes de temps… Ça concerne dans le texte, la géopolitique, ça peut concerner jusqu’à nos vies personnelles dans ce qu’elles ont de plus intime. La douleur indicible de l’Israël du premier siècle face aux nations peut renvoyer à celle de Job ou du Psalmiste en souffrance — et donc concerner depuis le mépris que l’on peut ressentir en de telles circonstances, jusqu’à des douleurs comme celles de la maladie ou de toute autre détresse. L’appel à la vigilance devant les signes des temps de la venue du Messie ouvre ici le temps de l’Avent : il est question de vivre dès aujourd’hui le Messie qui vient mettre terme à la douleur de l’histoire comme celui qui est déjà avec nous dans son humilité, dévoilée à Noël. Il est aussi celui qui est avec nous, qui nous a rejoint comme petit enfant semblable à nous.

Dans le texte de Marc, l’annonce de cette bonne nouvelle, qui nous concerne ainsi au plus près, est enserrée dans les violences du temps géopolitique — les nations se liguent — Psaume 2, 1-3 : « Les nations s'agitent, mais pourquoi ? Les peuples complotent, mais c'est pour rien ! Les rois de la terre se préparent au combat, les princes se concertent contre le Seigneur et contre le roi qu'il a consacré. "Rompons les liens qu'ils nous imposent, disent-ils, rejetons leur domination !" » Unanimité contre le Seigneur et ceux qui le suivent, haïs de tous, trahis jusque par leurs proches.

« Quant à vous, prenez garde à vous-mêmes ; on vous livrera aux tribunaux et vous serez battus dans les lieux de culte ; vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage. Car il faut d'abord que l'Évangile soit proclamé à toutes les nations. […]. » (Mc 13, 9-10)

Ces paroles données là à la première génération (elle « ne passera pas », dit Jésus dans la même prophétie — v. 30), ces paroles se sont accomplies… pour toutes les générations.

On a parlé de souffrance intime, de mépris… Vingt siècles après ce texte, au Pakistan : « Asia Bibi, 37 ans, est chrétienne et mère de plusieurs enfants. Un jour de juin 2009, alors qu'elle travaille aux champs en compagnie d'autres femmes, un incident survient. Selon les correspondants du Telegraph au Pakistan, on demande à Asia d'aller chercher de l'eau mais quand celle-ci s'exécute, les autres femmes refusent de toucher au liquide qu'elles estiment "impur". S'ensuit une conversation animée autour de la religion. Alors qu'Asia est pressée par ses collègues "de renoncer à sa foi chrétienne et d'embrasser l'islam", rapporte Christian Today, elle répond en disant que Jésus est mort sur la croix pour les péchés de l'humanité et demande à la femme musulmane ce que Mahomet a fait pour elle. Ce qui déplait fortement. Asia finit par être prise à partie par une foule agressive. Elle se réfugie alors auprès de la police qui, sous la pression de la foule, se retourne contre elle en l'arrêtant pour blasphème. Depuis, Asia est en détention, encourant la peine de mort. » Souffrance du temps. Un problème pour Asia — violences du temps : l’agenda politico-militaire mondial veut que son pays soit ménagé par les grandes puissances mondiales… Le « monde entièrement corrompu » signalé par le Talmud. « Le monde entier au pouvoir du mauvais » — 1 Jn 5, 19.

Les informations concernant Asia sont depuis peu contradictoires. Toujours en, prison, elle aurait peut-être été graciée (quoique le juge chargé de l’affaire lui refuse les circonstances atténuantes) — « grâce » éventuelle qui malgré tout confirme la violence d’un système où l’on juge que, sauf grâce arbitraire, user de la liberté religieuse peut valoir la peine de mort. Article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. » Mais l’agenda politico-militaire et les priorités économiques des grandes puissances étant ce qu’ils sont…

*

La violence passe alors — comme en tout temps — par toutes sortes d’insultes et de calomnies — Souffrance de Job… Car il faut bien se donner des motifs pour persécuter quelqu’un — qui ne fait, ici, qu’exercer le droit de dire sa foi, fût-ce de façon maladroite.

Rien de nouveau cependant : Jésus n’a-t-il pas été mis à mort sous l’accusation d’être une sorte de terroriste, de prêcher une belle foi pacifique tout en fomentant des actes criminels ? « Il est allé jusqu’à menacer de détruire le Temple » ! rapportent les faux-témoins.

Quand toutes les nations se liguent, il leur faut bien des prétextes, et des « bons ». Chrétiens criminels, « incendiaires de Rome » sous Néron : ça vaut bien les tribunaux des nations et les prises à partie dans les lieux de culte ! (Mc 13, 9)… Sauf que les accusations sont fausses…

*

Quinze siècle après Néron, en octobre 1534 en France, suite à « l’affaire des placards » — des écrits contre la messe affichés en divers lieux… « Les luthériens », comme on appelle les partisans de la Réforme, sont accusés — tous dans le même sac. Suite à ce beau prétexte, les persécutions se déchaînent. Et « de percer les langues au fer chaud, d’arracher les joues par des crochets, de couper les poings, de brûler vif. Etc. Excellent moyen, commente l’historien qui rapporte cela, de prouver la supériorité de la "religion chrestienne" sur les autres, et d’instruire efficacement badauds et belles dames, friands de ce spectacle de choix, sur le sort qui les attendait s’ils avaient la velléité de quitter le giron de l’Eglise. »

En 1545, ce sont les vaudois du Luberon qui font les frais de cette violence persécutrice dirigée ici par le baron d’Oppède : les villages vaudois sont pillés, les hommes massacrés ou envoyés aux galères, les femmes violées avant d’être tuées. Certains sont vendus en esclavage. Les terres sont confisquées. Les violences débordent, les villages alentour les subissent aussi. Le chef de la résistance vaudoise a son fief à Cabrières d’Avignon... Bon prétexte pour lequel le village sera détruit, comme 23 autres villages vaudois du Luberon, massacrés par l’armée du baron, tuant 3000 personnes en cinq jours et envoyant aux galères 670 hommes.

Etc., etc. Ça se poursuit jusqu’à la fameuse St-Barthélémy, 1572. Le pape Grégoire XIII, pour dire officiellement sa joie de voir éliminer les hérétiques, commande alors à Giorgio Vasari une fresque célébrant le massacre parisien, qu'il fait placer en face de celle célébrant la bataille de Lépante où les Habsbourg battaient les Turcs en 1571. Les deux fresques ornent toujours la salle Regia du Vatican.

Telle est l’ambiance en France dans les temps où, en 1553, le conseil de la ville de Genève condamne un Servet déjà brûlé en effigie par l’Inquisition, — comme un conseil précédent de la même Genève avait chassé Calvin moins de 20 ans avant. Et qu’entend-on dans la clameur médiatique des « nations liguées », la « communauté » dite « internationale » d’alors et sa « cour pénale » ? Clameur qui vient jusqu’à nos jours, à force d’être répétée docilement du bouche à oreille par les gens simples — « sancta simplicitas » disait Jean Hus de l’humble personne en train d’apporter un fagot à son bûcher. Qu’entend-on ? Que Calvin, pas même citoyen de Genève, est pourtant un des grands coupables de toute la violence d’alors — lui et ceux qui ont l’outrecuidance de ne pas condamner son enseignement ! Que si l’on veut parler des massacres de Paris, des vaudois, etc., il faut au moins mettre en balance cela avec ce qui, concernant Calvin et Servet, n’est d’ailleurs même pas clarifié, mais que tout le monde croit à force de le répéter !… Renvoyant ainsi tranquillement dos à dos — par un si bon prétexte — martyrs et bourreaux…

Le renvoi dos à dos des victimes et des bourreaux, voilà alors un signe des plus criants d’un « monde entièrement corrompu » — signalé par le Talmud. Signe des temps des plus aigus. « Si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect », avertit aussi le Talmud. « Toutes les nations liguées ». Quand on en est là, quand le jugement est unanime, sans recours, quand tout est renversé, l’Abomination installée où on ne le croirait pas, alors veillez : quand plus rien ne vous est possible, le Dieu libérateur est à la porte. Car au-delà de la menace sur le peuple sans force, c’est en vue de la libération qu’il est question de veiller.

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On peut prolonger la façon de faire et la liste des calomnies concernant d’autres situations, d’autres persécutions, ou d’autres afflictions, jusqu’à nos jours.

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » aurait dit un célèbre ministre de la propagande de l’Allemagne du XXe siècle. Ça vaut pour les persécutés et affligés actuels. Jusqu’à des calomnies mondialement médiatisées, rabâchées par ceux qui les acceptent sans preuves, et qui débouchent jusque sur des actes de guerre (« vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres » — Mc 13, 7) — et déjà sur le silence entourant les persécutés, suite aux fausses accusations — « toute sorte de mal » — qui les transforme eux-mêmes en quasi-persécuteurs ou en alliés de supposés persécuteurs !

À son échelle, Asia Bibi est de ces calomniées : elle a porté atteinte à un ordre légal — soutenu par les puissances de la « communauté » dite « internationale » qui cautionne (tout en le déplorant hypocritement !) cet ordre légal qui prévoit qu’on ne dit pas ce qu’elle a dit, sous peine de mort. Subversive, elle renverse tout ce qui est sacré, elle « blasphème » — est condamnée pour cela, comme son maître !… C’est là qu’il s’agit de veiller…

La voilà sans force, calomniée, même par d’autres chrétiens du reste du monde à l’instar souvent de la plupart des médias — qui se plient aux intérêts économiques des puissances qui ménagent, voire appuient, les persécuteurs des Asia Bibi (heureusement pas tous les journaux, ou pas toujours : la presse écrite a relayé ce cas-là, le cas d’Asia Bibi, ce qui lui aura peut-être valu sa « grâce »). Trop souvent, pourtant, en voilà qui jugent que, quand même, cette façon de faire du prosélytisme (autre mot terrible)… est pour le moins maladroite, irrespectueuse, violente au fond… C’est ça, violente ! Au fond la violence, c’est elle qui en est coupable ! — au dire d’un certain mépris ; ou peut être aussi d’une certaine lâcheté… Cette faiblesse qui empêche d’appeler un chat un chat et qui fait renvoyer dos à dos la victime et le bourreau. C’est là qu’il s’agit de veiller. Le maître est proche.

Qui est condamné à mort pour sa foi ? Qui est dans la souffrance du deuil et de la maladie comme Job ? C’est la seule question qui vaut d’être posée. Chercher des poux dans la tête des persécutés ou des affligés, comme c’est si commun — cela se voit jusque dans les Églises ! — n’est jamais qu’une forme de lâcheté ! Ou au mieux une ignorance, qui abandonne les victimes à leur douleur ou à leurs bourreaux. Signe de ce que le maître est proche, tout proche, près de toi, « dans ta bouche et dans ton cœur » (Dt 30.14, Ro 10.8)...

« Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », ni ce qu’ils disent… Ils ne font que répéter, sans savoir par eux-mêmes, voire le bruit ambiant nommé aujourd’hui « information »…

*

Une attitude qui en attendant coûte tant à toutes les Asia Bibi qui se voient ainsi privées de la parole qui pourrait les sauver, elle ou, tout près, celles et ceux qui sont éprouvés. Cela devient alors aussi un signe qui colle à ce qu’a annoncé Jésus, lui-même abandonné de tous.

« Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Matthieu 5, 11-12)

Voilà donc un signe des temps dans lesquels Jésus nous appelle à veiller. « Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. » Même si « vous n’avez pas encore eu à résister jusqu’au sang en luttant contre le péché » (Hébreux 12, 4). Veillez en vue de la venue du maître de la maison, sachant que quand l’Évangile est annoncé et que tous sont ligués contre lui et ceux qui le suivent, en inventant, ou répétant, toutes sortes de calomnies, le Seigneur est à la porte — Psaume 2 :

1 Les nations s'agitent, mais pourquoi ?
Les peuples complotent, mais c'est pour rien !
2 Les rois de la terre se préparent au combat,
les princes se concertent contre le Seigneur et contre celui qu'il a consacré.
3 « Rompons les liens qu'ils nous imposent, disent-ils,
rejetons leur domination ! »
4 Mais le Seigneur rit,
celui qui siège au ciel se moque d'eux.
5 Puis il s'adresse à eux avec colère
et les terrifie par son indignation :
6 « A Sion, la montagne qui m'est consacrée, dit-il,
j'ai consacré le Messie que j'ai choisi. »
7 Je publierai le décret du Seigneur ;
il m'a déclaré : « Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui. »

RP
Antibes – culte "central"
1er dimanche de l’Avent
27.11.11


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