dimanche 20 mai 2012

"Je ne suis plus dans le monde"




Actes 1, 15-26 ; Psaume 103 ; 1 Jean 4, 11-16 ; Jean 17, 11-19

1 Jean 4, 10-16
10 L’amour de Dieu consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.
11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
12 Personne n’a jamais vu Dieu ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.
13 Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit.
14 Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde.
15 Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Jean 17, 11-19
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous.
12 Lorsque j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture soit accomplie.
13 Et maintenant, je vais à toi, et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite.
14 Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
15 Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin.
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
17 Sanctifie-les par la vérité: ta parole est la vérité.
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.
19 Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.

*

« L’amour de Dieu consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire — c’est-à-dire pour couvrir — nos péchés. »« Pour nous, nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier » (v. 19). Comment cette 1ère Épître de Jean en arrive-t-elle à une telle affirmation ? — Dieu nous a aimés, au point que l’Épître pourra dire finalement carrément : « Dieu est amour » (1 Jean 4, 8 & 4, 16) / ou, selon une autre traduction, « Dieu est chérissement ».

Rien d’évident dans une telle assertion — « le Père nous a chéris » —, sachant ce qu’est le monde, le cauchemar du monde — dont nous confessons que Dieu en est tout de même le créateur ! —, sachant la haine de ce monde ennemi, que rappelle aussi l’Épître. Comment peut-on dire que Dieu nous aime, que Dieu est amour ?! Parole incroyable, ou, si on la prend au sérieux, une telle parole — le Père nous a aimés — pose ipso facto une mystérieuse souffrance en Dieu. Et effectivement ce qui fonde cette assertion, c’est qu’ « à ceci, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous » — « pour couvrir nos péchés ». La croix ! Amour égale, d’une façon ou d’une autre, souffrance.

Et en parallèle, non moins mystérieux, cette souffrance — exprimée à la croix —, cette souffrance dans cet amour fonde un détachement à l’égard du monde ; le détachement par la mort sur la croix — « je ne suis plus dans le monde » (Jean 17, 11), disait Jésus dans sa prière pour ses disciples à l’approche de sa mort.

C’est tout cela que pose notre confession que Jésus est le fils de Dieu, manifestant Dieu comme Dieu-amour, Dieu qui nous chérit. « Qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu » (1 Jean 4, 15).

*

Jésus dévoile, en son renoncement à sa vie, que Dieu qui l’envoie depuis l’éternité nous a aimés de sorte que nous sommes faits enfants de Dieu à son image — réellement, précise l’Épître…, même si cela ne se voit pas, tout comme, au regard de ce que sont les choses, il ne se voit pas que Dieu est amour. C’est de la même façon, donc, que nous sommes enfants de Dieu ; et que cela ne se voit pas, n’est pas encore clairement révélé — « nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ».

C’est une chose difficile à exprimer, qui correspond aussi au « pouvoir de devenir enfants de Dieu » du Prologue de cet Évangile de Jean, « pouvoir », c’est-à-dire « pas encore », « pas tout à fait ». Jusqu’au jour où « nous deviendrons semblables à lui », où ce que nous sommes réellement sera « clairement révélé » : enfants de Dieu, aimés du Père avant tous les siècles… En d’autres termes, c’est là une chose déjà vraie, mais pas encore pleinement réalisée, comme la chrysalide par rapport au papillon.

Ici, « enfants de Dieu » ne veut évidemment pas dire simplement créatures, mais parle de filiation intérieure, dans le don de la foi — recevant notre nom de son nom. Il s’agit de participation à la filiation du Ressuscité. Réalité déjà avérée, déjà donnée à la foi au Ressuscité ; mais qui n’extrait pas du monde pour autant. En d’autres termes, nous sommes déjà ressuscités, mais tant que persiste ce monde — et tout ce qui fait son cortège de douleurs et de malheurs, qui prospèrent par le péché —, cela ne se voit pas encore, cela n’est pas encore manifesté. Tant que nous sommes dans le monde.

*

Pour Jésus, il le dit, dans sa prière : « Désormais, je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous » (Jean 17, 11). « Désormais ». Mot important pour la suite de cette prière de Jésus pour les siens. Mot important pour comprendre ce fameux « ils ne sont pas du monde »

« Désormais ». — On est au moment du départ de Jésus, au moment de son Ascension. Car dans l’Évangile de Jean, la croix est Ascension, avec tout ce qu’est l’Ascension : « quand j’aurai été élevé de la terre, l’attirerai à moi tous les hommes — il parlait, précise le texte, de la mort dont il allait mourir » (Jean 12, 32-33) ; à savoir la croix. Glorification : « Père, l’heure est venue — l’heure de la croix — ! Glorifie ton Fils » (Jean 17, 1) ; glorification, et absence aussi, car l’Ascension, outre sa glorification, est le retrait de Jésus de la vue des disciples. « Désormais je ne suis plus dans le monde », dit ainsi Jésus.

Effectivement, il va mourir, c’est-à-dire entrer dans la gloire proclamée à la Résurrection et à l’Ascension ; c’est-à-dire aussi s’absenter, sortir du monde, de ce monde. C’est déjà vrai au moment où il parle ; il parle déjà depuis son absence imminente, inéluctable : « Désormais je ne suis plus dans le monde ». Malgré les apparitions du Ressuscité, qui cesseront au bout de 40 jours (Actes 1, 3), scellant alors définitivement son départ du monde.

Mais « tandis que moi je vais à toi »… « eux restent dans le monde ». Alors, demande-t-il au Père, « garde-les en ton nom », garde-les « pour qu’ils soient un comme nous » ; évite-leur la dispersion qui serait leur fin, leur confusion avec le monde pour lequel je les envoie en témoins ; le monde, pour le salut duquel je te demande de les maintenir, ce monde que tu as tant aimé que tu m’y as envoyé. Désormais, ma mission à moi est terminée. Je les envoie à leur tour, je leur passe le relais.

Mais, ce faisant, ils demeurent avec moi, qui, désormais, ne suis plus dans le monde. Voilà comment il faut comprendre le fameux « être dans le monde, mais n’être pas du monde ». Être avec Jésus, qui n’est pas de ce monde, comme cela nous est signifié dans sa mort et dans son Ascension. Mais y être comme envoyés par lui pour poursuivre sa mission, qui est de dire et de sanctifier le nom de Dieu, dans lequel est le salut du monde. Sans lequel le monde, comme la figure du fils de perdition, se perd et se disperse.

Ce n’est pas dans un monde facile que Jésus nous laisse, et demande au Père de ne pas nous en enlever, mais simplement de nous y garder du Mauvais.

En fait, à son départ, les choses se poursuivent comme quand il était là : « lorsque j’étais avec eux, je les gardais en ton nom que tu m’as donné ; je les ai protégés ». À présent, désormais, il nous garde dans le nom du Père, après son départ le Père continue de nous garder selon sa prière. On est bien au moment où il passe le relais : au Père pour qu’il nous garde, à nous pour que nous manifestions sa présence dans le monde.

« Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde ». Et nous n’y sommes pas seuls. Il nous passe le relais : « je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ». Le départ de Jésus prend alors pour nous une toute autre signification, celle de sa consécration — son départ est tout de même aussi sa mort, et on sait laquelle : « pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés par la vérité ».

RP
Antibes, 20.05.12


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