dimanche 6 mai 2012

Vrai cep




Actes 9, 26-31 ; Psaume 22 ; 1 Jean 3, 18-24 ; Jean, 15, 1-8

Jean 15, 1-8
1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.
2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.
3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.
4 Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.
5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.
7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.
8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

*

Lorsque Jésus parle de vigne et de vigneron, les disciples voient très bien à quoi il fait allusion. C'était une image classique par laquelle les prophètes désignaient la relation de Dieu avec son peuple. Cette relation de Dieu avec son peuple, avec toutes ses difficultés et tous ses aléas, était centrée, on le sait, sur le Temple de Jérusalem où l'on montait régulièrement en pèlerinage.

Au moment où l'Évangile situe cette conversation de Jésus et de ses disciples, on est en plein dans une de ces périodes de pèlerinage. Pèlerinage important, celui de Pessah, la Pâque, par lequel on commémore la sortie d'Égypte. Quant aux vignes, si cela tombe donc à peu près en la période qui précède la Pâque, on est vers le temps de la fin de la taille. La taille sur la fin, on brûle les sarments que l'on a coupés et qui ont séché, les premières pousses apparaissent. C'est là le décor qui entoure ce texte.

Entre la vigne et le Temple, le rapport est souligné en ce que sur les portes du Temple d'alors, le Temple d'Hérode, est sculpté un cep, justement, qui symbolise bien ce qu'il en est classiquement : Israël est la vigne, Dieu est le vigneron, leurs rapports se nouent au Temple.

Mais déjà en soi bien sûr, avant leur signification spirituelle autour du Temple, le vin et la vigne qui la portent sont dans la Bible, signes de bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible. Bonheur qui oublie parfois le revers de la médaille, le jour où l'on découvre que précisément on connaît le bonheur passé lorsqu'on l'a perdu : pèse en permanence la menace du jour où : « Tu planteras et tu soigneras des vignes, mais tu ne boiras pas de vin, tu ne feras même pas la vendange, car le ver aura tout mangé » (Deutéronome 28:39). Le ver, ou cet autre ver qu'est l'ennemi vainqueur, le jour de l'exil. Rappel de l'exil qui est allé des jours de l'invasion de Babylone aux jours d'Esther, signe encore douloureux de la venue d'une libération à venir.

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Quand le Temple, symbolisé par la vigne, est menacé, tout le bonheur promis, symbolisé lui aussi par la joie du vin, est menacé. Jésus l'a dit à plusieurs reprises. Les Romains sont dans la ville. Le peuple, et surtout les responsables, sont bien conscients de la menace. Et la menace est donc mise en parallèle avec les paraboles des anciens prophètes sur la vigne et le vigneron. Jésus réutilise ces anciennes paraboles pour dire cette menace nouvelle qui veut qu'encore, comme antan, le Temple est en passe d'être détruit. La destruction du Temple aura lieu quarante ans plus tard, en 70.

Alors, dans notre texte, un nouveau cep est déjà planté, selon la promesse qui annonce que le vrai Temple, finalement, c'est la présence de Dieu au milieu du peuple. Et voilà que Jésus se présente comme le cep. Déjà se dessine ce qui s'accomplira en 70. Au-delà du Temple qui sera alors détruit, déjà un nouveau Temple, éternel, est enraciné, bientôt dévoilé par le crucifié ressuscité : c'est au milieu de vous que Dieu demeure. Les sarments que l'on voit brûler au bord du chemin en cette fin de la période de la taille prennent des signes de prophétie. Le Temple fait de main d'homme aussi sera brûlé, par les Romains — malheur à ceux par qui le scandale arrive.

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Mais déjà ce qui porte du bon fruit est émondé, taillé. Le fruit sera bon, c'est sûr, parce que la sève du bon cep coule dans sarments déjà émondés. Se profile le Temple éternel, bientôt donné dans le signe du Christ ressuscité.

Sans compter les Romains, nous avons une explication, qui nous concerne tous, de la destruction du Temple : le temps a fait son œuvre. Avec la prochaine destruction du Temple par les Romains, c'est le vieux monde qui meurt ; il montre ainsi déjà qu'il est mortel, corruptible. Car le monde s'use, et cela affecte même le Temple.

Le vieux monde s'use, le nouveau, le monde de la résurrection, se prépare, dans la chair du Christ, à la veille d'une Pâque qui le verra mourir pour ressusciter. C'est de cette vie là, vie de résurrection, qu'il faut vivre. C'est en ce cep-là qu'il faut demeurer pour porter le fruit de vie que Dieu attend de sa vigne.

Le vieux monde, symbolisé par un Temple fait de mains d'hommes et destructible, le vieux monde se meurt, atteint par le ver — ce ver qu'est le péché. C'est à la racine même, le Temple, que ce vieux monde s'avère mortel, qu'il s'avère vicié.

Et au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine une nostalgie plus fondamentale, marquée par la destruction du Temple, la nostalgie qui est aussi celle de Dieu, celle des Psaumes, celle du temps où les temples étaient pleins, où l'on chantait à pleins poumons (cf. Ps 42).

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C'est alors un encouragement que Jésus adresse à ses disciples, en prévision des temps difficiles qu'ils vont traverser, en butte tant à la menace romaine qu'à l'incompréhension. Car le vieux monde perdure manifestement, et ce jusqu’à aujourd’hui, avec ses difficultés, ses douleurs, ses deuils, sa violence, son injustice, le péché. Le temps qui n'a pas fini de l'user, continue de nous blesser. La détresse perdure, et à l'époque, pour les disciples, est en passe de s'intensifier ; par la menace romaine sur le Temple. C'est un temps terrible.

Mais Jésus les appelle ici, et nous appelle, à voir jusque dans la plus intense des détresses, lorsque tout s'écroule, il nous appelle à voir le signe de ce que quelque chose de neuf et de glorieux est en passe de se mettre en place.

Dieu plante un nouveau cep, le vrai cep éternel, qui ne s'use pas, le Temple spirituel et vivant.

C'est alors en son sens le plus profond que le cep, devient le signe de la rencontre entre Dieu et son peuple. La rencontre est donnée pour la foi des disciples en celui, Jésus, qui s'est appelé lui-même le Cep. Déjà s'écoule le vin nouveau promis. Ce vin qu'il nous a donné comme signe de son sang qui nous fait vivre comme la sève coule du cep dans les sarments, de sorte que nous portions nous-mêmes, que nous soyons nous-mêmes, ce fruit qui réjouit Dieu dans l'Éternité.

À cause même de cette parole, sachez que vous êtes déjà émondés pour porter un fruit incorruptible, un fruit éternel, le fruit de l'amour de Dieu.

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Les v. 9-17 donnent alors cette explication : qu’est-ce que la sève qui coule du cep, dévoilé par Jésus, dans les sarments que nous sommes par la foi en la promesse : c’est l'amour de Dieu :

9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour.
10 Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour.
11 "Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite.
12 Voici mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.
13 Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime.
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître.
16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure: si bien que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera.
17 Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres.


Qu’est ce que le fruit que produisent les sarments attachés au cep : ce sont les actes qui en découlent. C’est-à-dire des actes de gratuité. « Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples », dit Jésus dans le verset précédent. Et puis ici : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » Bref la joie du père, ce qui le glorifie, est notre joie. L’Ecclésiaste (11, 1) le dit en ces termes : « Jette ton pain à la surface des eaux, car à la longue tu le retrouveras. »

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« Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit Jésus. L’amour de Jésus pour les siens est celui de Dieu à son égard. Il se fonde là, comme en cascade, comme la sève, don de Dieu, coule du cep dans les sarments et leur fait porter du fruit. Dieu, Jésus, nous, autrui.

Nous sommes choisis pour aller, aller vers, aller hors de — comme Jésus est allé hors de, aller, ce qui est déjà porter du fruit. C'est tout le mouvement de l'envoi de Jésus par le Père qui se poursuit dans l'Église. Cela s'appelle, en terme classique, la mission. L'Église est faite pour cela.

« Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres ». Tout un programme, dans un mouvement qui se commande et qui ainsi, fécondité, porte ce fruit qui fait pousser le monde vers le Royaume, immanquablement.


R.P.
Antibes 6.05.12


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