dimanche 12 août 2012

Descendu du ciel




1 Rois 19, 1-8 ; Psaume 34 ; Éphésiens 4, 30-5:2 ; Jean 6, 41-51

1 Rois 19, 4-8
4 Quant à Élie, il alla dans le désert, à une journée de marche ; il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : Cela suffit ! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères.
5 Il se coucha et s’endormit sous un genêt. Soudain, un messager le toucha et lui dit : Lève-toi, mange !
6 Il regarda : il y avait à côté de lui une galette cuite sur des pierres chaudes et une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha.
7 Le messager du SEIGNEUR vint une seconde fois, le toucha et dit : Lève-toi, mange, car le chemin serait trop long pour toi.
8 Il se leva, mangea et but ; avec la force que lui donna cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb.

Jean 6, 41-51
41 Dès lors, les Juifs se mirent à murmurer à son sujet parce qu’il avait dit : "Je suis le pain qui descend du ciel."
42 Et ils ajoutaient : "N’est-ce pas Jésus, le fils de Joseph ? Ne connaissons-nous pas son père et sa mère ? Comment peut-il déclarer maintenant : Je suis descendu du ciel ?"
43 Jésus reprit la parole et leur dit : "Cessez de murmurer entre vous !
44 Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi je le ressusciterai au dernier jour.
45 Dans les Prophètes il est écrit : Tous seront instruits par Dieu. Quiconque a entendu ce qui vient du Père et reçoit son enseignement vient à moi.
46 C’est que nul n’a vu le Père, si ce n’est celui qui vient de Dieu. Lui, il a vu le Père.
47 En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle.
48 Je suis le pain de vie.
49 Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts.
50 Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mangera ne mourra pas.
51 "Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité. Et le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie."

*

On a vu la semaine dernière les foules qui recherchaient ce Jésus nous dévoilant la nostalgie d'éternité qui nous hante. Qui nous hante — à l'image du peuple de l'Exode regrettant les viandes grasses de son esclavage égyptien, — nous aussi trop humainement. Toujours en risque de nous faire manquer notre véritable faim et la réelle présence de Dieu.

Jésus, devant les motivations intéressées des assiduités des foules se voyant enfin nourries, indiquait la vraie faim qui se cache derrière ces regrets amers, la faim d'éternité, la faim de la vérité, du pain descendu du ciel qui nourrit pour la vie éternelle : "celui qui vient à moi n'aura jamais faim" (Jn 6:35).

Une question se pose alors, qui perce à présent dans les murmures de ses auditeurs : en quoi cet homme-là, concret, que nous voyons, que nous côtoyons, présent dans le temps, peut-il être porteur d'une parole d'éternité, peut-il être même parole d'éternité ? "Celui-ci n'est-il pas le fils de Joseph, lui dont nous connaissons le père et la mère ? Comment donc dit-il : Je suis descendu du ciel ?" (v.41).


Le fils d'un villageois

On se trouve face à celui qui est connu comme le fils d'un homme et d'une femme du village.

La question des interlocuteurs de Jésus est une question toujours actuelle, aussi sérieuse et légitime, malgré la tentation qui peut nous venir de penser qu'elle n'est point nôtre, à l'occasion de ce que le texte dit : "les Juifs murmuraient à son sujet". L'histoire a produit l'habitude de lire juifs comme en opposition à chrétiens. Ce faisant, on passe totalement à côté de l'interpellation que l'Évangile porte ici.

L'Évangéliste lui-même est juif, comme Jésus est juif. La religion chrétienne, elle, n'est encore qu'en voie de constitution. Le terme juif désigne la religion du peuple de Dieu, et porte vraisemblablement pour l'Évangéliste à peu près le sens qu'aurait pour nous le terme chrétien.

La remarque de l'Évangéliste implique donc, non pas que les juifs ne comprennent pas ce qui est l'évidence des chrétiens — mais que la religion du Dieu de Jésus, le Dieu unique, qu'elle soit juive, ou aujourd'hui chrétienne — en général, ou protestante en particulier —, n'est pas la garantie d'une juste perception en un homme de chair, dont "on connaît les parents", humains comme nous, de "celui qui est descendu du ciel".

Là est la question légitime qu'il nous appartient de nous poser ; c'est une question classique de la théologie chrétienne : que veut dire Jésus ici parlant de sa relation avec Dieu, parlant la relation de l'humanité de la divinité en lui ? Sous ces termes, apparemment abstraits, se pose la question de notre rencontre concrète de Dieu — qui n'est autre que celle de notre salut, qui n'est autre que celle du rachat du monde. Dieu nous a-t-il atteints, nous atteint-il ?


L'enseignement mystérieux, l'attrait du Père

"Ce n'est pas que personne ait vu le Père" (v. 46), nous est-il dit, en écho au propos similaire du Prologue de l'Évangile, au chapitre 1 : "Personne n'a jamais vu Dieu" (Jn 1, 18). Et pourtant c'est le Père qui nous attire (v. 44). Au point que nul ne vient au Christ sans cet attrait.

Or la réception de cet enseignement, le fruit de cette attirance, est le signe et le temps de la venue du Royaume : "Tous seront instruits par Dieu" (v. 45) — Jésus cite ici Ésaïe (54, 9-13) :

"Il en sera comme aux jours de Noé : j'avais juré que les eaux ne se répandraient plus sur le terre ; je jure de même de ne plus m'indigner contre toi et de ne plus te menacer. Quand les montagnes s'ébranleraient, quand les collines chancelleraient, ma bienveillance pour toi ne sera pas ébranlée et mon alliance de paix ne chancellera pas, dit le Seigneur, qui a compassion de toi. Malheureuse, battue par la tempête, et que nul ne console ! Voici : je garnirai tes pierres de stuc, et je te donnerai des fondements de saphir ; je ferai tes créneaux de rubis, tes portes d'escarboucles et toute ton enceinte de pierres précieuses. Tous tes fils seront disciples du Seigneur"...

Tel est le texte, l'anneau de l'alliance, où est enchâssée cette citation de Jésus : "tous tes fils seront disciples du Seigneur"... "ils seront tous instruits par Dieu".

Il se présente donc comme le scellement de l'alliance promise par les prophètes. Il est celui en qui Dieu se dévoile, "celui qui vient de Dieu, qui a vu le Père" (v. 46), ou en d'autres termes "celui qui est dans le sein du Père, et seul le fait connaître" (Jn 1, 18). Ici, dans le fils de l’épouse d'un voisin, l'éternité se manifeste, Dieu rencontre l'humanité.


L'humanité renouvelée

"Ne murmurez pas entre vous", répond Jésus (v. 43) à l'interrogation de ses auditeurs faisant écho aux murmures des pères au désert. La difficulté est bien la même : l'aveuglement à la présence de Dieu. Qu'est ce qui nous manque dans nos déserts ? Qu'est ce qui nous rend amers dans nos déserts ? Saurons-nous y voir ce à quoi Dieu veut nous voir renoncer ?

Chacune de nos rouspétances est signe d'un arrêt sur image, d'un arrêt sur idole — arrêt au niveau de la chair. Une tentative de dénonciation de l'impuissance de Dieu correspondant en fait à un simple dévoilement de notre aveuglement à l'attirance du Père — et partant, un aveuglement à la présence de l'être céleste, du Fils de l'Homme qui vient dans la chair humiliée de l'homme de Nazareth.

Lui, passager sur terre et humilié, lui tel qu'il s'est manifesté dans sa transfiguration ou dans la gloire du dimanche de Pâques, puis sur la route d'Emmaüs, est la résurrection. Quiconque, par l'attrait caché du Père, par la soif du Père, vient à lui, il le ressuscitera au dernier jour (v. 44).

Mais avons-nous connu ce qu'il en est de cet attrait caché ? Avons-nous — comme Élie — connu dans nos déserts, la main mystérieuse de l'Ange du Seigneur cachée sous la peau de la main donnant du pain, et tendant une cruche ?

Sinon, nous rappelle Jésus : "vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts" (v. 49). "Mais celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif" (v. 35).

Tel est "le pain vivant descendu du ciel" (v. 50). Que l'on ne s'y trompe pas : le Ressuscité précède de toute l'éternité l'histoire dans laquelle il vient à nous. Au dimanche de Pâques, comme à la montagne de la transfiguration, c'est l'éternité du Fils qui se manifeste dans sa chair dès lors révélée comme elle est depuis toujours : la nourriture du monde, la vie du monde, la substance dont dépend chaque parcelle de la création, — notre vraie nourriture : "si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde" (v. 51). C'est ce qu'ont perçu déjà les anciens prophètes : c'est là celui dont le prophète Michée annonçait que son "origine remonte aux jours d'éternité" (Mi 5, 1), une éternité inaugurée dans l'histoire au jour de sa résurrection.

Le mystère est grand : dans sa résurrection, le Père fait accéder Jésus, dans sa chair crucifiée, à une éternité qui précède de toute son infinité le jour de Pâques de sa réalisation. Cette chair crucifiée se révèle alors chair céleste, pain éternel descendu du ciel, dont le monde reçoit la vie : c'est là ce qu'enseigne Jésus au lendemain de la multiplication des pains : "le pain que je donnerai c'est ma chair pour la vie du monde" (v. 51). On peut comprendre la perplexité des auditeurs !

Dieu Fils, la Parole éternelle, de la même nature que le Père, devient chair réduite au temps ; et la chair temporelle devient chair spirituelle, chair éternelle, précédant tous les temps, remplissant les siècles des siècles.

C'est là tout le mystère de notre salut : Dieu nous a atteints dans notre réalité la plus concrète, la plus quotidienne, s'est doté en Jésus d'une humanité, la nôtre, accédant à l'éternité. En Jésus cette humanité est celle de celui qui est réputé être le fils de Joseph. Ici Dieu nous enseigne le mystère de sa propre présence, toujours cachée.

Le judaïsme, pour lequel le Messie n'est pas encore venu, enseigne à cet effet que toute femme pourrait être sa mère, d'où le respect qui est dû à toute femme.

Jésus ne dit pas autre chose quand il enseigne comme aujourd'hui qu'il est la présence cachée de Dieu qui renouvelait Élie et les pères ; puisque comme ressuscité, il est partout, et en tous !

Il ne dit pas autre chose quand il enseigne dans l'Évangile de Matthieu qu'il est caché dans le plus petit de ses frères : celui qui a faim, celui qui est nu, celui qui est malade, ou prisonnier, celui qui est étranger… Saurons-nous le reconnaître ou l'incrédulité nous fera-t-elle juger impossible la présence de l’image de Dieu dans celui que nous avons l'habitude de moins estimer, isolé, prisonnier, étranger, etc. ?

Même aveuglement que celui des auditeurs de Jésus lors de la multiplication des pains. Comment Dieu peut-il se manifester comme le fils du Joseph de Nazareth ? Comment peut-il se manifester sa présence dans un voisin du village, dans celui qui a faim, dans le malade, dans le prisonnier, dans l'étranger ? Or, c'est justement là qu'il se manifeste, là où précisément nous ne l'attendons pas.

Rappelons-nous les pèlerins d'Emmaüs en présence d'un inconnu : c'était le Christ. Dieu a donné son Fils unique, dévoilé ainsi comme vraie nourriture, par laquelle son éternité, communiquée à notre seule foi, nous fait accéder à la vie réelle et éternelle : "le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde" (v. 51). ... "et je le ressusciterai au dernier jour" (v. 44).

Que Dieu nous donne de savoir le reconnaître là précisément où nous ne l'attendons pas.

RP
Poitiers, 12.08.12


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