dimanche 2 juin 2013

Repas du Seigneur et pains multipliés




Genèse 14, 18-20 ; Psaume 110 ; 1 Corinthiens 11, 23-26 ; Luc 9, 11-17

Luc 9, 10-17
10 Les apôtres, étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. Il les prit avec lui, et se retira à l’écart, du côté d’une ville appelée Bethsaïda.
11 Les foules, l’ayant su, le suivirent. Jésus les accueillit, et il leur parlait du royaume de Dieu ; il guérit aussi ceux qui avaient besoin d’être guéris.
12 Comme le jour commençait à baisser, les douze s’approchèrent, et lui dirent : Renvoie la foule, afin qu’elle aille dans les villages et dans les campagnes des environs, pour se loger et pour trouver des vivres ; car nous sommes ici dans un lieu désert.
13 Jésus leur dit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Mais ils répondirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, à moins que nous n’allions nous-mêmes acheter des vivres pour tout ce peuple.
14 Or, il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : Faites-les asseoir par rangées de cinquante.
15 Ils firent ainsi, ils les firent tous asseoir.
16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il les bénit. Puis, il les rompit, et les donna aux disciples, afin qu’ils les distribuassent à la foule.
17 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.

*

La multiplication des pains, signe de Jésus repris par chaque évangile, fait écho à la prière quotidienne du judaïsme et aux « dix-huit bénédictions » :

Notre pain quotidien, donne-le nous aujourd’hui. Tu nourris les vivants par amour, tu ressuscites les morts par grande miséricorde, tu soutiens ceux qui tombent, tu guéris les malades et délivres les captifs. Qui est comme toi, Maître des puissances ? (2ème bénédiction).
Bénis pour nous, Seigneur notre Dieu, cette année et toutes ses récoltes, pour le bien. Rassasie-nous de ta bonté. (9ème bénédiction).

Un pain de ce jour, ce jour comme jour du Royaume — pain de demain, de ce fait, mais un « demain » si urgent, qu’il en devient un « aujourd’hui » — selon le sens profond de « l’an prochain à Jérusalem » : on s’y saluera l’an prochain parce qu’on y accède dès à présent — « c’est aujourd’hui le jour du salut ».

Une parole qui vaut pour Israël comme rappel du désert et comme promesse que, comme alors, Dieu pourvoit dans tous nos déserts. Il reste douze paniers pour les douze tribus. Et ça vaut bientôt pour toutes les nations. Une deuxième multiplication des pains a lieu chez Matthieu et Marc — laissant sept paniers pour les soixante-dix nations selon le chiffre des nations dans la Torah. Mais où est cette multiplication des pains pour les nations chez Luc, pourrait-on demander ? On en trouve l’équivalent plus loin, au second volume de Luc, les Actes des Apôtres (ch. 6, 1-4) :

1 En ce temps-là, le nombre des disciples augmentant, les Hellénistes murmurèrent contre les Hébreux, parce que leurs veuves étaient négligées dans la distribution qui se faisait chaque jour.
2 Les douze convoquèrent la multitude des disciples, et dirent : Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables.
3 C’est pourquoi, frères, choisissez parmi vous sept hommes, de qui l’on rende un bon témoignage, qui soient pleins d’Esprit saint et de sagesse, et que nous chargerons de cet emploi.
4 Et nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole.

Les Hellénistes : ceux de la diaspora, ceux du milieu des nations — que la communauté des croyants est appelée à prendre en charge aussi. « Donnez-leur vous-même à manger » avait dit Jésus de la foule avant se présenter, en multipliant les pains, comme celui pourvoit.

Le pain de ce jour fait ainsi écho à la manne, donnée au jour le jour comme nourriture à la fois concrète et, en signe, spirituelle, du peuple en marche. Jésus se présente alors comme étant lui-même la manifestation du Dieu qui est prié dans les dix-huit bénédictions juives — dont il reprend et souligne les implications en termes de responsabilité humaine.

Et tout cela renvoie à lui, homme et signe de l’action de Dieu.

*

On a là le signe du Royaume présent en Jésus alors que déjà le jour baisse (v. 12), comme l’approche du Royaume semble s’éloigner au temps du désert (v. 12) ; comme au lendemain de l’Exode, il s’agit de recevoir le don de Dieu pour le temps de la traversée — après la traversée de la mer, ici apaisée par Jésus peu avant (Luc 8, 22-25) —, traversée du désert dans lequel on se trouve à présent en charge d’une foule qui a faim, de l’autre côté du Jourdain, où se situe Bethsaïda, « maison de la pêche ». En écho, Nombre 11, 5 et le regret des poissons de l’Égypte…

Les disciples inclus dans la mission en vue du Royaume (Lc 9, 1-6) et dans la manifestation du don de Dieu pour son peuple, sont dès lors aussi interrogés par ce geste auquel ils participent, et qui ne peut pas ne pas être perçu en écho, lorsqu’il est relaté dans les évangiles, comme renvoyant au repas du Seigneur.

Avec la question déjà récurrente : quelle signification en ce signe du Royaume dans un monde divisé, religieusement et socialement, jusqu’au sein de l’Église ?

Cf. 1 Corinthiens 11, 17-26 :
17 […] vos réunions, loin de vous faire progresser, vous font du mal.
18 Tout d'abord, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on, et je crois que c'est en partie vrai :
19 il faut même qu'il y ait des scissions parmi vous afin qu'on voie ceux d'entre vous qui résistent à cette épreuve.
20 Mais quand vous vous réunissez en commun, ce n'est pas le repas du Seigneur que vous prenez.
21 Car, au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre repas, en sorte que l'un a faim, tandis que l'autre est ivre.
22 N'avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou bien méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? Que vous dire ? Faut-il vous louer ? Non, sur ce point je ne vous loue pas.
23 En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. »
25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. »
26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

Nous voilà bien en chemin d’Exode en un temps de dépendance de Dieu pour le pain, un pain d’aujourd’hui auquel Dieu pourvoit, et qui est désormais, en signe, celui de demain… Un lendemain auquel Dieu pourvoit aussi, dans le ministère de ses disciples, de l’Église, comme antan par le ministère de Moïse, pour les douze tribus, dans les cinq livres de la Torah (selon Augustin) — il pourvoit à partir d’une quantité infime (5 pains, 2 poissons).

Avec une seule exigence : ne pas perdre de vue la visée qui demeure notre flambeau dans le désert : « vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. » Ce qui exige de viser l’unité — devenir un seul peuple uni, au-delà de nos « scissions » (1 Co 11, 18-19), par l’espérance du Royaume où tous sont uns et où les abîmes des disparités sociales de ce monde sont comblés — « ou bien méprisez-vous l'Église de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? ».

Où notre participation au repas de Seigneur prend tout son sens comme geste prophétique : d’où la sévérité de Paul : sans cette souffrance prophétique, quel sens cela a-t-il ?


RP,
Poitiers, 02.06.13


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