dimanche 6 avril 2014

"Cette maladie n’est pas pour la mort"




Jean 11, 1-29
1 Il y avait un homme malade ; c’était Lazare de Béthanie, le village de Marie et de sa sœur Marthe.
2 Il s’agit de cette même Marie qui avait oint le Seigneur d’une huile parfumée et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux; c’était son frère Lazare qui était malade.
3 Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : "Seigneur, ton ami est malade."
4 Dès qu’il l’apprit, Jésus dit : "Cette maladie n’est pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié."
5 […] Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare.
6 Cependant, alors qu’il savait Lazare malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. […]
17 À son arrivée, Jésus trouva Lazare [mort]. […]
21 Marthe dit à Jésus : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera."
23 Jésus lui dit : "Ton frère ressuscitera."
24 — "Je sais, répondit-elle, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour."
25 Jésus lui dit : "Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra, quand bien même il serait mort ;
26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour toujours. Crois-tu cela ?"
27 — "Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde."
28 Là-dessus, elle partit appeler sa sœur Marie et lui dit tout bas : "Le Maître est là et il t’appelle."
29 A ces mots, Marie se leva immédiatement et alla vers lui.

*

« Cette maladie n’est pas pour la mort », a affirmé Jésus ; et pourtant, Lazare meurt. Jésus arrive après son enterrement. Jésus s’est-il trompé ? C’est ce qu’ont pu penser certains de ses disciples et de ceux qui l’accompagnent.

« La maladie à la mort ». Cette expression tirée ce texte de Jean 11, est devenue le titre d'un livre, plus connu sous un autre titre : « le traité du désespoir », de l'écrivain danois Søren Kierkegaard. Il l'explique dans ce livre : la maladie à la mort, la maladie pour la mort, la maladie qui mène à la mort est le désespoir.

C'est contre cela, contre la désespérance, même face à la mort, que Jésus vient de dire : cette maladie n'est pas maladie à la mort, cette maladie n'est pas pour la mort. Lui est celui qui a vaincu la dernière puissance du désespoir, la mort. Et lui est toujours présent, même dans l'absence, dans le sentiment de l'absence, cette autre porte du désespoir.

Et tandis que Lazare agonise, Jésus reste deux jours de plus là où il se trouvait, comme pour un vendredi et un samedi saint, pour arriver à Béthanie comme pour un dimanche de Pâques. Jésus sait déjà, suggère peut-être le texte, que Lazare est déjà mort, au moment où les envoyés de Marthe de Marie le trouvent : on peut lire plus loin que Lazare est mort depuis quatre jours...

Les circonstances, les hasards du temps et de l'espace font qu'il y a parfois des trop tard, même pour Jésus. Mais pour lui, source de toute vie, de toute espérance de tout renouveau toujours possible, même les « trop tard » ne sont plus « maladie à la mort ».

Jésus arrive donc quand Lazare est déjà mort et mis au tombeau, depuis quatre jours. « Il sent déjà », diront ses sœurs ! Mais même cela n'est pas « maladie à la mort », pour celui qui a vaincu la mort et toute désespérance. C'est ce que les sœurs de Lazare ne savent pas encore quand Jésus arrive à Béthanie ; alors que pointent des reproches ! — qui portent sur le temps, marqué par l'absence, par l'absence de Jésus depuis ces quatre longs jours, et même avant : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort », a dit Marthe...

La présence de Dieu est plus puissante que la mort. Mais ce temps, notre temps, est marqué par son absence : « le maître s'est absenté » (Matthieu 24, 14 sq.). Notre histoire est alors la poursuite de l'absent, l’espérance de sa présence.

Marthe ne le sait pas encore, mais à travers ses reproches — « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » —, c'est une vraie prière, au Dieu qui a vaincu même mort et désespoir, qu'elle a conçue sans le savoir. Elle croit sans doute parler du temps quand elle dit : « maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera », mais la folie d'un tel propos parle en réalité d'un Dieu qui peut tout, même contre les évidences de la raison la plus froide, ces évidences que tout refuse quand on a mal, jusqu'à l'évidence de la mort.

Et Jésus répond à présent à la prière de Marthe, cette prière dont elle ne sait même pas ce qu'elle est — dont elle ne sait pas la portée. Jésus répond en se dévoilant : « Moi, Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra quand bien même il serait mort ». Et là on sait, on sait pourquoi cette maladie n'est pas à la mort, pourquoi cette maladie, dont Lazare est mort, n'est pas la porte du désespoir : il y a ici, parmi nous, celui qui a vaincu jusqu'au dernier désespoir, celui qui vient de prononcer ces mots plus puissants que tout.

Dès lors, pour quiconque entend ces paroles, pour Lazare et tous ceux qui se sont endormis, pour tous ceux qui errent aux portes du désespoir ; dès lors pour tous, par Jésus, vivant, pour tous en sa présence, en la présence du Fils de Dieu, le désespoir est vaincu dans la défaite de la mort. Cela vaut pour tous, pour ceux qui se sont endormis comme pour ceux qui restent. Cela vaut aussi pour Marthe qui, sans vraiment le comprendre, a demandé cela à Jésus, cela vaut pour Marthe, sa sœur Marie, et nous tous.

Pouvons-nous entendre cette parole ? « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi vivra, quand bien même il serait mort ; et celui qui vit et croit en moi ne mourra pas pour toujours. » Et Marthe croit ; par sa foi en lui, elle entre aujourd’hui toujours dans sa présence, présence de celui qui est la résurrection et la vie. Même le passage par la destruction du corps n’enlève rien à cela : Jésus est la résurrection et la vie. Ce pourquoi il a pu dire : « cette maladie n’est pas pour la mort » ! « Crois-tu cela ? » lui a-t-il demandé — « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde ».

À ce moment, Marthe sait : elle, et Lazare, sont passés de la mort à la vie par la foi en Jésus. « Là-dessus, poursuit le texte, elle partit appeler sa sœur Marie et lui dit tout bas : "Le Maître est là et il t’appelle" ». Que chacun de nous l’entende aujourd’hui, cette parole : « Le Maître est là et il t’appelle ».

*

Marie marque alors le pas nouveau : « À ces mots, Marie se leva immédiatement et alla vers lui » (v. 29). Puis elle profère à son tour la parole de sa sœur, mais d’une toute autre façon : « elle tomba à ses pieds et lui dit : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort." » (v. 32). Une attitude qui dit qu’on est déjà au-delà du simple reproche, qu’on est déjà dans l’espérance que tout est possible à celui vers lequel Marie s’est tournée. Aujourd'hui Jésus s'est fait présence vivifiante contre tous les désespoirs.

La mort qui a atteint Lazare et devant laquelle Jésus pleure — le plus court verset des Écritures (v.35) : « Jésus pleura » — Lazare est vraiment mort —, Jésus va en montrer qu'elle non plus, la mort, l'affreuse mort, n'est pas maladie à la mort.

Le texte poursuit — Jean 11, 38 sq. :
38 Alors, à nouveau, Jésus frémit intérieurement et il s’en fut au tombeau ; c’était une grotte dont une pierre recouvrait l’entrée.
39 Jésus dit alors : "Enlevez cette pierre." Marthe, la sœur du défunt, lui dit : "Seigneur, il doit déjà sentir… Il y a en effet quatre jours…"
40 Mais Jésus lui répondit : "Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?"
41 On ôta donc la pierre. Alors, Jésus leva les yeux et dit : "Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé.
42 Certes, je savais bien que tu m’exauces toujours, mais j’ai parlé à cause de cette foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé."
43 Ayant ainsi parlé, il cria d’une voix forte : "Lazare, sors !"
44 Et celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains attachés par des bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus dit aux gens : "Déliez-le et laissez-le aller !"

Jésus vient de poser le signe inouï qui annonce pour nous tous ce en quoi sa résurrection au dimanche de Pâques donne tout son sens à notre foi : « vous êtes ressuscités avec le Christ. [...] Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu », dira Paul (Colossiens 3, 1 & 4). « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8, 11).

Et voici à présent, pour Marthe et Marie et pour nous tous, le signe inouï : la résurrection de Lazare. Leur prière a porté son fruit, elles qui ont porté Lazare. Signe de ce que décidément, en effet, comme le disait Jésus, « cette maladie n’est pas pour la mort » — car la maladie à la mort est le désespoir ? Jésus vient de fonder l’espérance, d’ancrer la foi qui renverse tout désespoir au-delà même de la mort.

L’Évangile de la résurrection apparaît là comme étant de l’ordre du commandement accompli : « Lazare, sors ! » Tel est l’ordre, le commandement donné par Jésus, dans l’écoute et l’accomplissement duquel la libération du dimanche de Pâques devient une réalité effective dans nos vies dès aujourd’hui. « Sors de ta tombe, sors de ce qui te lie ! » ; et, dernier signe que rien ni personne ne saurait y faire obstacle — Jésus s’adresse à ceux qui sont présents : « Déliez-le, et laissez le aller ».

Lazare a entendu et a obéi : il est sorti de la mort. Comme Abraham obéissait au fameux commandement de sa liberté : « va ! », « Va vers où je t’indique », « va pour toi ». Et Abraham est allé.

L’Évangile de la résurrection et de la liberté libère vraiment, il fait vraiment entrer dès aujourd’hui dans la vie nouvelle celui, celle, qui entend la voix du Ressuscité et obéi à son ordre, son commandement : « sors de ta tombe, de ce qui te lie ! » Ta maladie n'est pas à la mort. Parole pour chacun de nous. Lève-toi à présent, « relève toi d’entre les morts, et Christ t'éclairera » (Éphésiens 5, 14-24).


RP, Poitiers, 06/04/14


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire