1 Samuel 16, 1-13 ; Psaume 23 ; Éphésiens 5, 8-14 ; Jean 9
Jean 9 : v. 1-7, 13-17, 34-39
Les disciples voulaient savoir si c'était parce que lui avait péché ou parce si c’était parce que ses parents avaient péché que cet homme était né aveugle — que l'homme est né aveugle. Lui ? Mais il n'était pas né... avant de naître ! Oui mais, selon une légende juive, l'enfant connaît, avant de naître, tous les secrets de la Torah, tous les mystères du monde. À la naissance, un ange lui ferme la bouche pour qu'il oublie tout ce qu'il sait. Le petit sillon qu'on a sous le nez est la marque du doigt de l'ange. Alors, l'homme aurait-il péché avant de naître ?... Comment savoir après le passage du doigt de l’ange !? Alors ses parents ? La réponse de Jésus sera : là n'est pas la question.
Pas de raisons pour expliquer l'infirmité ou la maladie, pas même la raison morale : il n'y a pas à chercher d'explication dans le péché, collectif (ses parents) ou personnel.
Il n'est pas de raisons non plus qui expliqueront sa guérison : la manifestation des œuvres de Dieu qui est par le miracle n'explique pas plus la grâce que la souffrance de l'aveugle ne trouve d'explication dans une faute — ou autre.
Avec cet homme — avec l'homme —, on nage en pleines ténèbres !
L'aveugle-né du texte le sait bien : il est au bénéfice d'une guérison qui ne peut lui arracher qu'un joyeux « pourquoi moi ? » — équivalent de l'amer « pourquoi lui ? » de quelques mécontents présents ce jour-là — ; l'aveugle-né se contente de constater « j'étais aveugle, maintenant je vois ».
Ceux qui entendent lui extorquer quelque lumière, eux, ne sont pas aveugles, eux savent, eux voient, croient-ils ; ils ont la connaissance.
Et voilà que Jésus affirme que c'est leur capacité à voir, leur lumière, leur connaissance, qui les aveugle, alors que les ténèbres de l'aveugle, et de tous les aveuglés, fondent leur aptitude à voir.
Dès l'abord, Jésus le soulignait par la méthode choisie pour guérir l'aveugle : il commence par lui couvrir les yeux de boue. Pour le moins peu clair ! S'il avait voulu insister sur l'aveuglement, il ne s'y serait pas pris autrement : les yeux pleins de boue…
Puis il l'envoie se laver, au bassin de Siloé, de l'Envoyé (c’est-à-dire au miqvé de Siloé — équivalent, dans le judaïsme, de ce qu’on appellerait « baptistère »). Les bien-voyants, non plus que l'aveugle, semblent ne pas se tromper à la leçon, mais sont trop éclairés pour la saisir : ils remarquent le côté peu séant de l'affaire, et y achoppent. On voudrait des explications : normalement, cet homme est un pécheur (ils semblent avoir de bonnes raisons d'en savoir quelque chose – v. 34). On hésite quand même un peu, rapport au miracle (v. 16) : c'est là qu'on voudrait quelque explication.
Et Jésus ne s'embarrasse de rien de tout cela : pas d'explication, et surtout pas quant au choix de cet homme, dont la fidélité religieuse semble ne pas entraîner l'estime générale (la question des disciples — « qui a péché ? » indique que, dans leur esprit non plus, le soupçon n'est pas absent).
Que peut nous dire ce texte, à nous, aujourd'hui ? Quelle est notre lumière ? Quelle est notre « connaissance » ? Est-ce celle par laquelle nous connaissons les bonnes normes, celles qui nous permettent de décréter qui est pécheur et qui ne l'est pas, ce qui est bien et ce qui mal — surtout pour les autres — ? Est-ce la lumière du haut de laquelle nous nous réjouissons de la clarté et de la rationalité de notre foi, face aux ténèbres qui nous entourent ? Mais alors notre lumière n'est-elle pas ténèbres ? Notre aveuglement n'est-il pas d'autant plus patent que nous l'ignorons ?
L'aveugle n'est-il pas celui qui se leurre dans la prétention d'avoir accédé à une clarté telle que le mystère de Dieu serait devenu pour lui moins opaque ? Cet aveuglement n'est-il point péché, qui pousse à mépriser les capacités à voir de son prochain ?
C'est ainsi qu'il est équivalent de juger son frère et de juger la Loi de Dieu (Jacques 4, 11) : c'est être dans une lumière telle qu'on se place au dessus de tout, y compris de la grâce, qui est d'abord surprise, et étonnement, lieu absurde d'une incompréhension.
C'est là le jugement que porte Jésus dans le monde : que ceux qui voient deviennent aveugles, afin de voir, car il n'est pas de grâce dans nos sagesses, fût-ce notre sagesse religieuse : Dieu ne les a-t-il pas frappées de folie (1 Co 1, 20) ?
La lumière qui éclaire l'aveugle que Dieu guérit n'est pas cette sorte de faisceau que nous pourrions braquer froidement sur nos prochains, de façon à mieux asseoir nos certitudes, ainsi toujours plus imperméables à la grâce. La lumière de Dieu est celle qui éblouit, aveugle celui qui ainsi, confesse sa cécité. C'est cette lumière que porte Jésus, sagesse mystérieuse et cachée, que le monde ne reçoit pas, scandale et folie.
Qui prétend être éclairé par Dieu et n'en est pas aveuglé, aveuglé au point d'en perdre toute capacité de se sentir en supériorité par rapport à quiconque, fût-ce en supériorité religieuse — celui que la lumière de Dieu n'aveugle pas à ce point !... Est-ce bien la lumière de Dieu qu'une lumière si faible ?
Tel est le jugement : « que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Voulons-nous expliquer la souffrance de tel ou tel par le péché collectif de ses parents, ou de son peuple ? Voulons-nous l’expliquer par des rêveries sur ses fautes imaginaires dans une vie antécédente ? Ceux qui souffrent sont-ils quelque part plus fautifs que les autres ? Penser cela est ce que Jésus appelle être aveugle à la grâce totalement gratuite. Et manquer la vocation pour la gloire de Dieu, qui est de lutter contre ce qui humilie et fait souffrir. Cela est arrivé « pour que la gloire de Dieu soit ainsi manifestée en lui » !
Bienheureux ceux dont la relation avec Dieu est d’être éblouis par sa promesse, partant en aveugles vers sa lumière inaccessible. Ceux dont la promesse de Dieu a couvert les yeux de boue, les plaçant sur le chemin de Siloé, le chemin de l'Envoyé de lumière.
Jean 9 : v. 1-7, 13-17, 34-39
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question : "Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ?"
3 Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui !
4 Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé : la nuit vient où personne ne peut travailler ;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde."
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle ;
7 et il lui dit : "Va te laver à la piscine de Siloé" — ce qui signifie Envoyé. L’aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.
[…]
13 On conduisit chez les Pharisiens celui qui avait été aveugle.
14 Or c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit : "Il m’a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois."
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient : "Cet individu n’observe pas le sabbat, il n’est donc pas de Dieu." Mais d’autres disaient : "Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d’opérer de tels signes ?" Et c’était la division entre eux.
17 Alors, ils s’adressèrent à nouveau à l’aveugle : "Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ?" Il répondit : "C’est un prophète."
[…]
34 Ils ripostèrent : "Tu n’es que péché depuis ta naissance et tu viens nous faire la leçon !"; et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé. Il vint alors le trouver et lui dit : "Crois-tu, toi, au Fils de l’homme ?"
36 Et lui de répondre : "Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ?"
37 Jésus lui dit : "Eh bien ! Tu l’as vu, c’est celui qui te parle."
38 L’homme dit : "Je crois, Seigneur" et il se prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors : "C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles."
*
Les disciples voulaient savoir si c'était parce que lui avait péché ou parce si c’était parce que ses parents avaient péché que cet homme était né aveugle — que l'homme est né aveugle. Lui ? Mais il n'était pas né... avant de naître ! Oui mais, selon une légende juive, l'enfant connaît, avant de naître, tous les secrets de la Torah, tous les mystères du monde. À la naissance, un ange lui ferme la bouche pour qu'il oublie tout ce qu'il sait. Le petit sillon qu'on a sous le nez est la marque du doigt de l'ange. Alors, l'homme aurait-il péché avant de naître ?... Comment savoir après le passage du doigt de l’ange !? Alors ses parents ? La réponse de Jésus sera : là n'est pas la question.
Pas de raisons pour expliquer l'infirmité ou la maladie, pas même la raison morale : il n'y a pas à chercher d'explication dans le péché, collectif (ses parents) ou personnel.
Il n'est pas de raisons non plus qui expliqueront sa guérison : la manifestation des œuvres de Dieu qui est par le miracle n'explique pas plus la grâce que la souffrance de l'aveugle ne trouve d'explication dans une faute — ou autre.
Avec cet homme — avec l'homme —, on nage en pleines ténèbres !
L'aveugle-né du texte le sait bien : il est au bénéfice d'une guérison qui ne peut lui arracher qu'un joyeux « pourquoi moi ? » — équivalent de l'amer « pourquoi lui ? » de quelques mécontents présents ce jour-là — ; l'aveugle-né se contente de constater « j'étais aveugle, maintenant je vois ».
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Ceux qui entendent lui extorquer quelque lumière, eux, ne sont pas aveugles, eux savent, eux voient, croient-ils ; ils ont la connaissance.
Et voilà que Jésus affirme que c'est leur capacité à voir, leur lumière, leur connaissance, qui les aveugle, alors que les ténèbres de l'aveugle, et de tous les aveuglés, fondent leur aptitude à voir.
Dès l'abord, Jésus le soulignait par la méthode choisie pour guérir l'aveugle : il commence par lui couvrir les yeux de boue. Pour le moins peu clair ! S'il avait voulu insister sur l'aveuglement, il ne s'y serait pas pris autrement : les yeux pleins de boue…
Puis il l'envoie se laver, au bassin de Siloé, de l'Envoyé (c’est-à-dire au miqvé de Siloé — équivalent, dans le judaïsme, de ce qu’on appellerait « baptistère »). Les bien-voyants, non plus que l'aveugle, semblent ne pas se tromper à la leçon, mais sont trop éclairés pour la saisir : ils remarquent le côté peu séant de l'affaire, et y achoppent. On voudrait des explications : normalement, cet homme est un pécheur (ils semblent avoir de bonnes raisons d'en savoir quelque chose – v. 34). On hésite quand même un peu, rapport au miracle (v. 16) : c'est là qu'on voudrait quelque explication.
Et Jésus ne s'embarrasse de rien de tout cela : pas d'explication, et surtout pas quant au choix de cet homme, dont la fidélité religieuse semble ne pas entraîner l'estime générale (la question des disciples — « qui a péché ? » indique que, dans leur esprit non plus, le soupçon n'est pas absent).
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Que peut nous dire ce texte, à nous, aujourd'hui ? Quelle est notre lumière ? Quelle est notre « connaissance » ? Est-ce celle par laquelle nous connaissons les bonnes normes, celles qui nous permettent de décréter qui est pécheur et qui ne l'est pas, ce qui est bien et ce qui mal — surtout pour les autres — ? Est-ce la lumière du haut de laquelle nous nous réjouissons de la clarté et de la rationalité de notre foi, face aux ténèbres qui nous entourent ? Mais alors notre lumière n'est-elle pas ténèbres ? Notre aveuglement n'est-il pas d'autant plus patent que nous l'ignorons ?
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L'aveugle n'est-il pas celui qui se leurre dans la prétention d'avoir accédé à une clarté telle que le mystère de Dieu serait devenu pour lui moins opaque ? Cet aveuglement n'est-il point péché, qui pousse à mépriser les capacités à voir de son prochain ?
C'est ainsi qu'il est équivalent de juger son frère et de juger la Loi de Dieu (Jacques 4, 11) : c'est être dans une lumière telle qu'on se place au dessus de tout, y compris de la grâce, qui est d'abord surprise, et étonnement, lieu absurde d'une incompréhension.
C'est là le jugement que porte Jésus dans le monde : que ceux qui voient deviennent aveugles, afin de voir, car il n'est pas de grâce dans nos sagesses, fût-ce notre sagesse religieuse : Dieu ne les a-t-il pas frappées de folie (1 Co 1, 20) ?
La lumière qui éclaire l'aveugle que Dieu guérit n'est pas cette sorte de faisceau que nous pourrions braquer froidement sur nos prochains, de façon à mieux asseoir nos certitudes, ainsi toujours plus imperméables à la grâce. La lumière de Dieu est celle qui éblouit, aveugle celui qui ainsi, confesse sa cécité. C'est cette lumière que porte Jésus, sagesse mystérieuse et cachée, que le monde ne reçoit pas, scandale et folie.
Qui prétend être éclairé par Dieu et n'en est pas aveuglé, aveuglé au point d'en perdre toute capacité de se sentir en supériorité par rapport à quiconque, fût-ce en supériorité religieuse — celui que la lumière de Dieu n'aveugle pas à ce point !... Est-ce bien la lumière de Dieu qu'une lumière si faible ?
Tel est le jugement : « que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Voulons-nous expliquer la souffrance de tel ou tel par le péché collectif de ses parents, ou de son peuple ? Voulons-nous l’expliquer par des rêveries sur ses fautes imaginaires dans une vie antécédente ? Ceux qui souffrent sont-ils quelque part plus fautifs que les autres ? Penser cela est ce que Jésus appelle être aveugle à la grâce totalement gratuite. Et manquer la vocation pour la gloire de Dieu, qui est de lutter contre ce qui humilie et fait souffrir. Cela est arrivé « pour que la gloire de Dieu soit ainsi manifestée en lui » !
Bienheureux ceux dont la relation avec Dieu est d’être éblouis par sa promesse, partant en aveugles vers sa lumière inaccessible. Ceux dont la promesse de Dieu a couvert les yeux de boue, les plaçant sur le chemin de Siloé, le chemin de l'Envoyé de lumière.
RP, Poitiers, 30/03/14
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