dimanche 29 juin 2014

"Qui aime père ou mère plus que moi n’est pas digne de moi"




2 Rois 4, 8-11 & 14-16a ; Psaume 34 ; Romains 6, 3-11 ; Matthieu 10, 37-42

Matthieu 10, 37-42
37  "Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.
38  Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
39  Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l’assurera.
40  "Qui vous accueille m’accueille moi-même, et qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé.
41  Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.
42  Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense."

*

« Celui qui aime père et mère, ou fils et fille plus que moi n’est pas digne de moi. » De quoi s'agit-il ? De fonder de vraies relations. Et les refondant. Selon Jésus, il n'est de vraies relations humaines qu'au travers de ruptures !... Dans nos relations avec autrui, en premier lieu nos proches, et même avec nous-même. La rupture, en d’autres termes la Croix, est le fondement d'une vie de nouveauté devant le Christ.

*

C'est qu'il n'est d'être qui soit en vérité que sous le regard de Dieu seul. Et cela suppose, tôt ou tard, le brisement de tout autre regard qui serait censé être constituant, à commencer bien sûr par le regard des parents, cela pour les enfants ; mais aussi pour les parents le regard des enfants ; celui des conjoints et en général des proches, et même de soi-même, l’opinion que l’on a de soi. Il s'agit de renoncer à tout cela.

Devenir enfant de Dieu, c'est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin de toute dépendance d'avec tout regard qui n’est pas celui de Dieu. Sans cela, point de libération évangélique, point d'être digne du Christ.

*

On ne connaîtra de relation saine avec nos enfants, mais aussi nos parents et nos proches en général, que pour les avoir perdus comme enfants, parents, etc., et les avoir retrouvés tels qu’ils sont devant Dieu qui nous les a confiés pour que nous les lui rendions, de sorte qu’au travers de cette rupture, nous puissions avoir de nouvelles relations, vraies, avec eux.

Rupture. Car c’est dans la douleur que cela advient, comme dans la douleur d'un enfantement la Création advient, comme l'écrit Paul aux Romains (ch. 8). Sur la douleur du Christ, le monde nouveau se bâtit. Et il appartient au disciple de le faire advenir avec le Christ, c'est-à-dire de prendre sa croix ; sous peine de n'être pas digne de lui, d'être en obstacle au devenir ; et de rester figé dans un repli sur soi toujours plus mortifère.

*

Il s'agit, quant à ces ruptures, non seulement de les accepter, mais de les assumer et même de les promouvoir. Les assumer, les promouvoir, en abandonnant et en rejetant le regard de nos parents qui nous a fait advenir comme enfants de la chair, pour y recevoir en lieu et place le regard que Dieu nous adresse dans le Christ pour nous faire advenir à la liberté des enfants de Dieu.

Promouvoir ces ruptures aussi en se refusant à maintenir ses propres enfants — y compris enfants « spirituels », c’est-à-dire toute personne sur laquelle nous pourrions avoir de l'influence —, refusant de les maintenir en situation de dépendance, y compris et surtout de dépendance psychologique — sous peine de voir se reproduire à l'infini des caricatures de nos tortuosités ; c'est une leçon importante du « sacrifice » d'Abraham.

Hélas, ces ruptures indispensables, œuvres douloureuses de la grâce, se voient opposer les plus farouches de nos refus. D'où la vigueur du propos de Jésus ; dans un texte parallèle, Luc 14, 26, plus vigoureusement encore, il est question pour Jésus de haïr père et mère, fils et filles, frères et sœurs, et même sa propre vie.

C’est là finalement le prix du pardon ! Mais pourquoi le pardon, me direz-vous ? Eh bien c’est que la relation avec les proches, à commencer par la relation parents-enfants, focalise ce qui blesse. L’intensité du lien rend ici les ruptures indispensables, celle de la naissance, puis celles de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, puis du milieu de la vie. Et cette intensité fait la profondeur des blessures qui s’y vivent. D’où la haine latente, qui doit être reconnue (« celui qui ne hait pas »... dit Jésus en Luc), sous peine de rester purulente — c’est là le lieu le plus intense aussi du pardon. C’est le passage sans lequel il n’est pas de pardon.

Le pardon est né avant la fondation du monde, là où le Christ est crucifié (Apoc 13, 8). Il est né avant la fondation du monde, puisque le monde ne peut pas exister, ne peut pas venir à l’être sans pardon. « Qui ne se charge pas de sa croix… » (v. 38). Et le pardon est né là où le Christ est crucifié, au moment où il prie en faveur de ses bourreaux : « Père, pardonne leur car il ne savent pas ce qu’ils font ! » Voilà un homme, le Fils de Dieu, le meilleur homme que la terre ait porté, un homme qui en plus ne se fait pas d’illusions sur l’âme de ses semblables, sur la laideur des motivations de ses ennemis. Eux le bafouent, lui crachent dessus et le mettent à mort, toujours dans les moqueries. Ils le clouent pour cette mise à mort honteuse, exhibé nu à une foule hurlante. Ils lui font subir ce châtiment en faisant mine de penser qu’il le mérite bien. Une honte difficile à imaginer, et à même de fournir une haine légitime... Et voilà finalement une parole de pardon, sans amertume. Eh bien, c’est que le Christ ne s’est pas illusionné sur ses ennemis. Il sait à quel point ils sont haïssables. Aucune relation illusoire ne subsiste avec eux. Mais dès lors la relation peut devenir libre, sans arrière-pensée. Une vraie rupture ayant eu lieu, le pardon est possible.

C’est parce que ce genre de rupture pleine, réelle, qui ne laisse aucune illusion, n’a lieu que rarement que le pardon vrai est extrêmement rare. Il reste encore de l’attachement, le besoin de se venger, donc de prouver, face à telle ou telle action blessante dont on reste marqué. Tant qu’il reste de l’illusion sur soi-même, point de pardon réel. Et cela commence entre proches, et avant tout entre parents et enfants. Tant que reste une blessure, un besoin de prouver encore.

Là il manque encore cette rupture totale, cette haine reconnue (« celui qui ne hait pas »), qui permet de pardonner enfin, et de vivre côte à côte dans la liberté.

On est loin des pardons illusoires qui cachent mal des blessures pas reconnues, la haine qu’elles appellent n’ayant pas été pleinement assumée. Aimer le crucifié plus que tout, entrer dans sa douleur et donc son pardon, y perdre sa vie. C’est le prix de la grâce. Il n'est pas facile de se résoudre à advenir sous le poids de la grâce, ou de se résoudre à laisser advenir ceux que Dieu nous a confiés, en premier lieu nos parents ou nos enfants, à lui passer le relais pour qu'il creuse leur liberté. C'est là un acte de la foi, qui est œuvre miraculeuse de la grâce. Se résoudre à assumer et promouvoir ces brisements est une façon de recevoir sa propre mort, de se charger de sa croix (v. 38) ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté : « celui qui aura gardé sa vie la perdra, et celui qui aura perdu sa vie à cause de moi la retrouvera » (v. 39).

Mourir en premier lieu à ce sur quoi on voudrait continuer de faire dépendre notre vie, et avant tout le regard de nos parents, nos proches, nos ennemis ; et en second lieu, mourir à notre volonté de nous attacher à tout prix ceux que Dieu nous a confiés pour que nous les lui abandonnions, pour que nous les lui rendions en les reconnaissant siens.

*

Alors, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir, un monde de relations humaines basées sur un dialogue reconnaissant que l'autre, fût-il notre enfant, notre père ou notre mère, n’est ni une reproduction de nous-mêmes, ni l’anti-image qu’il nous faudrait fuir ; qu’il est lui aussi un être à l'image de Dieu manifestée en Christ : « qui vous reçoit me reçoit, qui me reçoit reçoit celui qui m'a envoyé » (v. 40).

Car c'est bien ce qu'il en est de l'accueil de ses disciples que réclame Jésus. Il est question ici de l'accueil du prochain tel qu'il nous est donné sous le regard de Dieu, tel que le regard de Dieu porté dans le Christ le fait advenir comme être à l'image de Dieu, nous en dévoile la valeur infinie. Un prochain radicalement autre, fondé dans l’image de Dieu, c'est-à-dire irréductible à nos projections, à nos schémas. Voilà qui ouvre à savoir reconnaître un prophète ou un juste, jusque parmi les plus petits, pour un salaire de juste. Mais cette découverte de ce prochain, riche en Dieu face à nous-mêmes, à commencer par ces prochains que sont nos enfants et nos parents, ne se fera qu'à travers la réception de la rupture que la Croix opère entre eux et nous, qu'à travers ce que nous les abandonnerons à Dieu. Et, pour cela, que nous nous y abandonnerons nous-mêmes.


RP, Poitiers, 29/06/14


dimanche 22 juin 2014

La foule nourrie et la sainte Cène




Deutéronome 8, 1-16 ; Psaume 147 ; 1 Corinthiens 10, 16-17 ; Jean 6, 51-58

Jean 6
5 Ayant levé les yeux, et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ?
7 Philippe lui répondit : Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu.
8 Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit:
9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ?
10 Jésus dit : Faites-les asseoir. Il y avait dans ce lieu beaucoup d’herbe. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.
11 Jésus prit les pains, rendit grâces, et les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des poissons, autant qu’ils en voulurent.
12 Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde.
13 Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restèrent des cinq pains d’orge, après que tous eurent mangé.
14 Ces gens, ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde.

23 Le lendemain, [...]
24 les gens de la foule, ayant vu que ni Jésus ni ses disciples n’étaient là, [...] allèrent [...] à la recherche de Jésus.
25 Et l’ayant trouvé au delà de la mer, ils lui dirent : Rabbi, quand es-tu venu ici ?
26 Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.

35 Jésus leur dit : Je suis le pain de vie. [...]
49 Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts.
50 C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point.

53 [...] En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes.
54 Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. [...]
57 Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi.
58 C’est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n’en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement.

*

Qui est Philippe ?

Philippe est un disciple de Jésus, qui dans l'évangile de Jean pose beaucoup de questions...
Ici Jésus le devance : « Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ? » lui demande-t-il. Il sait que Philippe va forcément être embarrassé : « Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu » ! Bref c'est impossible — sauf à croire totalement en Jésus.

Combien valent 200 deniers aujourd’hui ? Et à l’époque ?

Aujourd'hui ça ferait 650 à 700 euros, à l’époque c'était environ un an de salaire de base. On est bien dans l'impossible ! Comment trouver une telle somme ? C'est ainsi que Jésus éprouve Philippe, éprouve la foi de Philippe.

On ne précise pas que les pains et les poissons ont été multipliés.

En effet : on a pris l’habitude d'appeler cela « multiplication des pains » mais le texte ne le dit pas ainsi. On sait juste que Jésus nourrit la foule avec cinq pains et deux poissons et qu'il en reste douze paniers !

Que signifie au-delà de la mer ?

Il s’agit de la mer de Galilée, que Jésus et les douze ont traversée après avoir nourri la foule de l'autre côté. Mais cette précision a aussi une portée symbolique : la mer représente l'agitation de ce monde. « Au-delà de la mer », c'est le signe de l'apaisement, du repos où Jésus se retrouve avec Dieu. Et voilà que la foule l'assaille jusque là. A la prière d’apaisement de Jésus répond une prière pressante et agitée, celles des foules demandant à être rassasiées.

Alors ce n'était pas un repas normal ?

On peut le dire, oui. Parce que dans un repas « normal », il s'agit de nourrir le corps. C'est ce que cherche la foule, précisément ; Jésus le sait :  « vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. »

Or, ce n'est pas ça le sens profond du miracle. « La chair ne sert de rien » dira Jésus ensuite, au v. 63. Le sens profond du signe que donne Jésus ici est que notre vie a sa source dans la Parole de Dieu. Et ce même évangile de Jean commence en disant que Jésus est la Parole de Dieu devenue chair. La chair, c'est-à-dire la vie dans le temps où Jésus va mourir. C'est pourquoi il dit : « la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Bref, ce n'est pas d'être rassasié qu'il s'agit ici, mais de se relier à la source de ce que nous sommes. C'est ce que nous faisons lors de la sainte Cène.

Pourquoi la sainte Cène n’est pas un repas normal ? Pourquoi si on mange du pain et on boit du vin à la maison ce n’est pas une Cène ?

Parce que, à la différence de la sainte Cène, un repas à la maison est pour nourrir le corps. Bien qu'au début, la Cène se faisait lors d'un repas d’Église. C'est pourquoi Paul fait ce reproche aux Corinthiens : « lorsque vous vous réunissez, ce n’est pas pour manger le repas du Seigneur ; car, quand on se met à table, chacun commence par prendre son propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. N’avez-vous pas des maisons pour y manger et boire ? » (1 Co 11, 20-23.) On en est ainsi venu à ne plus célébrer la Cène lors d'un repas « normal ».

Est-ce que ce texte est à l’origine du mot « sainte Cène » ?

Non, ce texte dit ce que signifie la sainte Cène. Mais le mot Cène n’y est pas. Le mot Cène désigne le repas du soir chez les Romains, la « cena ». Et le dernier repas de Jésus avec ses disciples, où il a institué la Cène, était un repas du soir, celui de la Pâque juive que Jésus a célébrée le jeudi saint avec ses disciples. D'autres Églises ont retenu un autre mot, par exemple le mot « eucharistie », qui veut dire « remerciement » : Jésus rompt le pain « après avoir rendu grâce » — ou remercié Dieu.

Pourquoi du pain ? Pourquoi du vin ? Pourquoi pas autre chose ?

Le pain et le vin sont dans la Pâque juive, dont l'élément central est un agneau sacrifié. Et les textes du Nouveau Testament voient en Jésus lui-même l'agneau, bientôt crucifié. Il reprend des gestes et des paroles du repas de la Pâque juive pour désigner le pain comme son corps et le vin comme son sang.

Pourquoi dit-on que le pain c’est le corps du Christ ? Pourquoi on « mange » le Christ ?

Quand le Christ Jésus parle de « le manger », il s'agit de recevoir la Parole de Dieu dont il est la présence « en chair » ; comme le pain nourrit le corps, la Parole de Dieu nourrit nos vies. C'est ce qui compte, non la chair, comme il le dit au v. 63 : « mes paroles sont esprit et vie ».

Mais cependant, quand la Parole de Dieu devient chair, on doit comprendre que cela concerne tout notre être et pas simplement notre esprit et ce que nous comprenons, comme dans la prédication. Nous sommes nourris dans tout ce que nous sommes, comme lorsqu'on mange du pain dans un repas « normal ». Mais là tout notre être est nourri d'un pain miraculeux, comme la manne.

La manne ? Qu'est-ce que c'est ?

La manne, c'est ce qui nourrissait le peuple dans le désert à la sortie d'Égypte. Le peuple trouvait cela chaque matin et ne sachant pas ce que c'était, on disait « man ou ? » en hébreu, c'est-à-dire : « qu'est-ce que c'est ? » C'est resté le nom de cette nourriture, que l'on a aussi appelée « pain du ciel ». Or le pain du ciel, rappelle Jésus, c'est la Parole de Dieu : « l'homme ne vit pas de pain seulement mais de toute parole de Dieu ». Et c'est pour ça que Jésus, Parole de Dieu devenue chair dit : « je suis le pain du ciel ».

Pourquoi on boit son sang ? Pourquoi dit-on que le vin est le sang du christ ?

Le sang c'est la vie. Pas plus qu'on ne mange le Christ, on ne boit son sang. Mais boire de ce vin, c'est recevoir l'assurance qu'on est uni à sa vie, que notre vie est comme irriguée de son sang. C'est ce qu'on appelle être en « communion avec lui », ce que le Nouveau Testament appelle aussi « former un seul corps avec lui ». Une union très forte donc, qui nous est donnée dans ces signes : être nourri de la Parole de Dieu et irrigué de sa vie.

C'est ce que dit Paul dans l’épître de ce jour (1 Corinthiens 10, 16-17) : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang de Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps de Christ ? Puisqu’il y a un seul pain... »

Je ne comprends pas cette dernière phrase : « Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps ; car nous participons tous à un même pain. »

C'est le signe de ce que Jésus enseigne en Jean ch. 6. Et ici Paul souligne, que non seulement nous sommes unis au Christ qui nous fait vivre de sa vie et irrigue nos vies de la sienne, mais aussi, nous sommes unis les uns aux autres parce qu'ensemble nous recevons nos vies de Dieu même, nous vivons de sa Parole donnée non seulement à nos intelligences, mais à nos êtres entiers.

Pourquoi on se met en rond ?

Justement pour dire cela : nous sommes unis les uns aux autres par le Christ qui nous irrigue de sa propre vie en participant avec nous au même repas auquel il nous invite lui-même. Cela est signifié par ce que quelqu'un porte cette invitation de Jésus : c'est pour cela que tout le monde ne peut pas présider la sainte Cène.

Tout le monde ne peut pas présider la Cène ? Qui peut le faire ?

On ne s'invite pas soi-même, on est invité. L’Église dit cela en réservant la présidence de la Cène à certains : les pasteurs, c'est leur tâche, selon les Réformateurs : prêcher et administrer les sacrements ; et à côté d'eux, l’Église peut ouvrir à des non-pasteurs de les assister ou même de les remplacer, par ce qu'on appelle une « délégation pastorale » — ce qui permet aussi de comprendre que les pasteurs n'ont pas un pouvoir magique. Simplement, le fait qu'ils sont chargés de présider la Cène veut dire que l'on ne s'invite pas soi-même. On reçoit l’invitation comme on reçoit le pain et le vin : c'est pour cela qu'il est préférable que le pain et le vin nous soient donnés par un/e autre, plutôt que de les prendre soi-même.

À partir de quand a-t-on commencé à communier ?

Dès le premier jeudi saint, la sainte Cène est mise en place, et va devenir un moment important du culte chrétien, enracinée dans l'enseignement de Jésus que nous avons lu en Jean, et plus avant, dans la Pâque juive. S'il l'on a parfois opté pour une participation restreinte en fonction des réserves de Paul aux Corinthiens soulignant, on l' a vu, qu'il ne s'agit pas d'un repas ordinaire, la participation de la foule en Jean et de tout le peuple lors de la Pâque de la sortie d'Égypte a conduit plusieurs courants dans l'Église à considérer que la Cène était ouverte à une large participation, y compris des enfants. Dès les origines, la Cène témoigne de ce que la vie précède ce qu'on en comprend... « Je te remercie, Père de ce que ces choses cachées aux sages et aux intelligents, tu les as révélées aux tout petits ».


RP, avec Mélissande et Zoé, Poitiers, 22/06/14


dimanche 8 juin 2014

Pentecôte – le don de la liberté



(photo ici)

Psaume 104 ; Actes 2, 1-11 ; 1 Corinthiens 12, 3b-7 & 12-13 ; Jean 20, 19-23

Actes 2, 1-8
1 Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.
2 Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis.
3 Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.
5 Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.
6 Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.
7 Étonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?

Jean 20, 19-23
19 Le soir de ce même jour [dimanche de Pâques] qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous."
20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.
21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie."
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint ;
23 ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis."

*

Notre texte nous ramène au soir du dimanche de Pâques, cinquante jour avant la fête de Shavouoth, Pentecôte. Les disciples sont enfermés : « Par crainte des Judéens, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées ». Puis ils vont passer de la crainte (des Judéens, de la part de ces Galiléens : pas des juifs ! — qu’ils sont eux-mêmes !) à la libération : « Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : "La paix soit avec vous." »

C’est suite à cela qu’ils vont passer de la crainte à la libération ; c’est-à-dire : à la mission : « Jésus leur dit : "La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie." » — Recevez l’Esprit Saint : et déliez ceux qui sont liés — cf. Mt 16, 19. Jésus souffla sur eux comme pour un envol. Souffle de l’Esprit…

« La paix soit avec vous » — cette parole annonce le comment du don de cette paix : par l’Esprit saint. Esprit remis à Jésus. Cet Esprit qui vient du Père seul, le Père l’envoie par Jésus à qui il a été remis. Ici s’ouvre la porte de la liberté à laquelle nous sommes invités à notre tour. Et cette liberté est une question de pardon. Je ne me rallie pas à une certaine traduction qui veut que Jésus disent aux Apôtres : « ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Comme si les Apôtres avaient pour mission de retenir captifs de leurs péchés certains de ceux à qui ils sont envoyés ! Les Apôtres sont envoyés pour communiquer la libération que Jésus vient de leur octroyer dans le don de l’Esprit saint. La communiquer abondamment. Pas la mégoter.

Il se trouve qu’une toute autre traduction de cette parole est possible : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Ce qui correspond à l’équivalent chez Matthieu, « délier ». Voilà donc qui donne tout autre chose : remettre les péchés et les soumettre. Deux faces de la libération. Remettre les péchés, c’est pardonner, soumettre les péchés, c’est permettre de les dominer.

Être libéré du fruit du péché. Et cela est en rapport étroit avec le pardon. Souvenez-vous de l’épisode de Caïn. Je lis, au livre de la Genèse, ch. 4, v. 6-8 : « Le Seigneur dit à Caïn : "Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le." Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère et le tua. »

Le péché est tapi à ta porte… Mais toi, domine-le. On a entendu la suite, Caïn ne l’a pas dominé. Caïn n’a pas reçu le pardon, la rémission de ses péchés. Il jalousait son frère. Il n’a pas reçu le pardon, l’élargissement de son cœur et la capacité de pardonner. Il n’a pas reçu la capacité de soumettre le péché et son fruit, à savoir ses péchés : le péché l’a vaincu, Caïn ne l’a pas dominé... N’ayant pas reconnu cette part sombre de lui-même.

Et voici le fruit de l’Esprit saint, dans la promesse de Jésus aux Apôtres : « ceux pour qui vous remettez les péchés, ils leur ont été remis. Ceux pour qui vous les soumettez, ils leur ont été soumis ». Cela inclut la reconnaissance de la part sombre qui est en nous.

Sans quoi, la puissance du péché, c’est la mort, affirme la Bible. Jésus a vaincu la mort. « Il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie. » Le Ressuscité qui a vaincu la mort a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché. Il ouvre même comme possible l’impossible commandement donné à Caïn : « domine sur le péché ». Impossible, Caïn n’ayant fait que projeter sur son frère la frustration qui l’habitait.

Face à cela, le don de l'Esprit saint est aussi pénétration de tout ce qui fait notre être, jusqu'en ses zones d'ombre — pénétrant jusqu'aux profondeurs de Dieu, l'Esprit sonde tout en nous en dit Paul (1 Co 2, 10). Une pénétration empreinte de miséricorde — j’allais dire maternelle. N’oublions pas que le mot Esprit en hébreu est un mot féminin, un aspect qui ne peut être ignoré. Mot neutre en grec, mais décliné au masculin, il porte la part féminine de son origine hébraïque. En cette riche complexité, voilà un terme, Esprit, qui dit et promet que sa présence en nous nous révèle entièrement à nous-même et ainsi nous libère.

La liberté étant que nos fautes nous sont pardonnées, l’Esprit saint nous les soumet en nous permettant de connaître ce qui est en nous. Jésus souffla sur eux. Les Apôtres libérés par l’Esprit deviennent, par leur liberté, libérateurs à leur tour. C’est la bonne nouvelle qui nous est à nouveau donnée en ce dimanche de Pentecôte. Jésus souffla sur eux : recevez l’Esprit saint. Percevons-nous son souffle aujourd’hui ? Dans ce souffle est la paix que donne Jésus : la paix soit avec vous. La paix de se savoir pardonné. Pleinement pardonné : vos péchés vous sont remis, l’Esprit saint vous les soumet. Allez dans cette liberté. Vous n’avez pas même à vous venger pour quelque obscur désir ou jalousie, comme Caïn qui a été par là dominé. Vous n’avez que la liberté de vous savoir pardonnés, de savoir par là octroyer le pardon à votre tour. Le péché vous est soumis par l’Esprit saint.

C’est pourquoi l’Esprit saint prie en nous : Abba, Notre Père, pour l’accomplissement de cette demande : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Non pas que le pardon que nous octroyons soit la condition de notre propre pardon ! Mais la liberté qui est dans le fait d’être pardonnés nous libère du poids d’avoir à ne pas pardonner. Nous voilà donc devant le Christ, en ce dimanche de Pentecôte, le Christ ressuscité présent au milieu de nous, soufflant sur nous l’Esprit : recevez l’Esprit saint.

*

Jésus accomplit alors sa promesse (« il est préférable pour vous que je m’en aille, car alors vous recevrez l’Esprit saint qui m’anime »). Il accomplit sa promesse à travers ce geste : il souffle sur ses disciples en signe de ce qu’il leur donne l’Esprit saint, l’Esprit de Dieu son Père. Son geste est un signe, qui utilise le double sens du mot : souffle et esprit. L’Esprit qui est comme le vent, que l’on ne « voit », que l’on ne « sent » qu’à ses effets — ou plutôt dont ne voit, ne sent, que les effets.

Comme pour une nouvelle création — Genèse 2, 7 : « Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’être humain devint vivant. »

« Tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la surface du sol, » dit le Psaume de ce jour, Ps 104 (v. 30). Dieu donne la vie à l’être humain en « insufflant dans ses narines le souffle de vie » — c’est-à-dire l’Esprit de vie. Jésus reprend le geste de la Genèse à son compte, mettant en place une nouvelle création : il donne tout à nouveau l’Esprit de Dieu.

De même qu’il a vécu lui-même dans la vérité de l’Esprit qui l’a animé, la nouvelle création, la création menée à son accomplissement comme monde de la résurrection, est animée de la vie de l’Esprit. Cela commence par notre envoi, notre mission — Jean 20, 21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » C’est par nous que le projet de la création est appelé à être accompli. Jésus nous passe le relais en nous donnant l’Esprit du Père qui l’a animé : « comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».


RP, Poitiers, Pentecôte, 8/06/14


dimanche 1 juin 2014

Le départ du Christ




Actes 1, 1-11 ; Psaume 47 ; Éphésiens 1, 17-23 ; Matthieu 28, 16-20
Actes 1, 12-14 ; 1 Pierre 4, 13-16 ; Jean 17, 1-11

Jean 17, 1-11
1 Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit: "Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Je prie pour eux; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés: ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j’ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un.

*

Dans cette glorification du Christ annoncée par l’Évangile de Jean, le départ du Christ qui est sa mort, sa crucifixion, se superpose à son Ascension. Apparaissent deux plans : au premier plan la croix et la mort, à l’arrière plan, comme par transparence, l’Ascension.

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ est « enlevé » (Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt la venue en gloire.

L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence — il ne faut pas imaginer cette élévation comme un déplacement physique vers le haut qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « géographique » : Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement physique durerait indéfiniment ! Et d'autre part, Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout ! Et de plus le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses. L'Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

*

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi à présent, comme le Père, absent, caché.

Cette « absence » a plusieurs sens. Elle est d'abord signe de son règne, de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui. Le culte biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, et celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l'Exode (25, 40). Moïse devait établir le Tabernacle terrestre sur le modèle du Tabernacle céleste qui lui était présenté et dans lequel, selon l'Épître aux Hébreux, officie le Christ. C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort, et, après ce premier retour qu'est sa résurrection, signifié à nouveau dans l'Ascension. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée.

*

Mais derrière l'expression de son règne, une autre signification transparaît en ce que nous sommes mystérieusement appelés à suivre le Christ dans le Tabernacle céleste. Nous aussi nous devons croître à son image, et entrer dans l'unité du Père et du Fils (Jean 17, 11).

C'est en ce sens que le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus... Qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. Et on lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Le mal dont Jésus subira les assauts : le départ du Christ, avant l'Ascension, est d'abord sa crucifixion. Parti, mais dès lors, nous laissant la place, il nous permet de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

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Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire en ces temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume. C'est en quelque sorte l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour s'approche de son entrée dans le repos de Dieu. En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour de nous-mêmes, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l'habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l'image qu'a forgée de nous notre histoire, à travers nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de leur plaire, de les séduire ; que nous nous retirions aussi de notre volonté de nous différencier d'eux. L’Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté qui rend possible de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer ni haïr en réaction.

Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de plaire, ou nos volontés de nous démarquer.

C'est là seulement que se complète notre création à l'image de Dieu. C'est là seulement qu'est notre entrée avec le Christ dans le Tabernacle éternel où nous sommes consacrés à officier dans le repos de Dieu. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.

Que ce jour soit pour nous vraie occasion d'une prière de retrait en Dieu — de sorte que l'Esprit de Dieu lui-même soit le souffle qui nous fasse accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu.


RP, Poitiers Ascension 28/05/14 - St-Sauvant 01/06/14