dimanche 21 juin 2015

La tempête apaisée




Job 38, 1 & 8-11 ; Psaume 107 ; 2 Corinthiens 5, 14-17 ; Marc 4, 35-41

Marc 4, 35-41
35  Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit : « Passons sur l'autre rive. »
36  Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque où il se trouvait, et il y avait d'autres barques avec lui.
37  Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jetaient sur la barque, au point que déjà la barque se remplissait.
38  Et lui, à l'arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent et lui disent : « Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? »
39  Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence ! Tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
40  Jésus leur dit : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n'avez pas encore de foi. »
41  Ils furent saisis d'une grande crainte, et ils se disaient entre eux : « Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

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Jésus et les disciples sont en train de traverser pour aller du côté est de la mer de Galilée, vers un territoire païen. C'est un départ en mission, en quelque sorte.

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On sait que l'Église a souvent perçu l'épisode de la tempête apaisée comme signifiant sa propre situation : l’Église, barque du Christ sur les flots agités de ce monde.

On peut noter qu'il y a plusieurs barques. Chaque Église se perçoit volontiers elle-même comme étant la barque sur laquelle est Jésus... L'Église primitive, en ses diverses barques, prenait le large, s'embarquant, fragile, face à un Empire romain qui ne lui épargnait aucune violence, aucune persécution. Elle était évidemment fondée à trouver une consolation dans ce texte, dans le récit de ce miracle de Jésus.

Les choses étant ce qu'elles sont, l'Église a continué, en d'autres périodes, à faire sienne cette lecture du miracle. L'Église s'est rarement avouée en situation tempérée. Il est vrai que l'inconfort, la menace, la douleur, ne connaissent pas de baromètre objectif. Telle personne subira comme une véritable catastrophe un revers que telle autre jugera insignifiant. Cette subjectivité à l'épreuve est fonction de l'éducation, des influences diverses, de la culture, etc. Cela doit nous conduire à l'humilité. Nos peurs nous sont propres.

Mes peurs sont les miennes, nos peurs à chacun sont les nôtres. Ne sachant pas ce qu'endure autrui, nous sommes naturellement tentés de penser que nos épreuves à nous, quand nous en subissons, nos tempêtes, sont les plus menaçantes, assez pour nous laisser au port...

Notre Église traverse pour sa part régulièrement des périodes, peut-être pas toujours de tempête, mais de difficultés. Avec parfois une certaine propension à s'imaginer être la seule dans cette situation. Cela peut aller jusqu'à s'accompagner d'une baisse des effectifs, qui correspond à une tendance générale, face aux tempêtes ou aux épreuves, au repli cellulaire et individuel, affectif et financier. Épreuve donc, un jour, — tempête peut-être, demain. Malgré cela, il faut aussi le remarquer, aux yeux du reste du monde, l'Église en Occident et en Europe, et l'Europe en général, apparaissent comme étant dans une situation de confort extraordinaire. Combien de pays où l’on est persécuté — avec des bourreaux à l'abri du regard des médias ?

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Jésus vient de multiplier les pains. Autre exemple d'inconfort plus significatif que le nôtre — c’est désormais connu —, la faim, avec la misère de nombreux pays du Sud, ou la persécution et la guerre. Tout cela conduit aux grands exodes qui se dessinent, et parlant de barque, on ne peut pas ne pas penser à celles, surchargées, qui s’échouent en Méditerranée.

On peut aussi penser à la crise écologique — sans doute primordiale, avec les exils écologiques en marche, outre ceux dus aux persécutions ou à la faim. Si la destruction de la planète et de ses ressources continue à ce rythme, certains avertissent que dans quelques années le basculement pourrait être irréparable.

Voilà que nous avons largement dépassé les difficultés propres de notre Église. Avec pourtant un constat : nous sommes décidément tous dans la même mer... Où Dieu semble dormir, à l'image de Jésus, ce qui nous dit ce silence de Dieu, mais aussi la confiance qui est celle de Jésus.

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On ne sait jamais quelle sera la tempête que l’on devra affronter, comme les tempêtes sont toujours des surprises dans la mer de Galilée. Cela ramène à notre texte, pour y constater que c'est la mer, précisément, que Jésus apaise, la mer qui est la même pour tous ; il ne propose pas de ramener la barque au bord. Il apaise la tempête en lui donnant un ordre.

La mer, dans l'Antiquité, et donc à l'époque de notre récit, a toute une signification, une signification ambiguë. La mer a certes une dimension positive : par exemple les pêcheurs que sont les Apôtres en tirent leur nourriture. Mais la mer a alors surtout une signification négative, qui s'exprime dans cette tempête. Toujours menaçante, la mer signifie tout ce qui brave la Création. Seul Dieu peut la dompter et en fixer les limites. La mer a même une dimension de symbolique diabolique. C'est ainsi que, toujours symboliquement, l'Apocalypse annonce le jour où la mer ne sera plus.

La mer ramène alors symboliquement à la menace qui pèse aujourd’hui sur la survie de la planète. Menaçante, la mer n'échappe cependant pas au pouvoir de Dieu, au point-même que son Esprit n'est pas étranger à ses agitations. Rappelez-vous la Genèse, le récit de la Création : l'Esprit de Dieu planait à la surface des eaux. Notre texte, lui, parle du vent que Jésus apaise. Souffle de Dieu ou vent créé, esprit angélique ou démoniaque, esprit bon ou mauvais, souffle et vent. L'Esprit de Dieu souffle où il veut, dit Jésus, montrant aux disciples l’action de Dieu, celui qui fixe ses limites à la mer, celui qui donne l'esprit ou le retient, celui qui donne ses ordres à la mer et aux anges, esprits, souffles et vents.

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Jésus apaise la mer, en se faisant obéir du vent et de la mer qui sont les mêmes pour tous. En montrant la puissance divine à ses disciples, Jésus leur montre aussi que si lui a pouvoir sur la tempête, pour tous, il leur serait mal venu, à eux, de limiter leur foi en son pouvoir aux frontières de l'Église, ou de leur terre d’origine. Comme Église, c'est jusqu'aux fin-fonds de l'Empire romain, mer hostile, qu'il envoie leur barque.

Voilà qui nous ramène à une tempête qui traverse le temps, jusqu’à nous à l’autre bout de vingt siècles, notre tempête elle aussi plus vaste que notre seule barque. La tempête, qui agite les flots pour tous, s'apaise aussi pour tous, montre Jésus en réduisant à l'obéissance la mer et le vent. Jésus, lui, est dans la barque, au milieu des flots agités, agités pour tout le monde. Et il calme la tempête, pour tous. Pour nous comme pour les Apôtres envoyés dans la vaste Cité humaine, la Cité romaine en leur temps, vers les païens dans cette traversée de la mer. Nous y sommes envoyés aussi. Je vous envoie dans le monde, dit Jésus.

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Dans la situation qui est la nôtre, le miracle de Jésus est un appel :
- à lui faire confiance : il a pouvoir sur toutes les tempêtes ;
- et, sachant qu'il n'apaise la tempête que pour tout le monde et que notre barque ne peut connaître de paix que quand la tempête est apaisée pour tous, à aller courageusement dans le monde, pour notre humble part, à notre humble place, y vivre de façon responsable, concrète et réaliste, dans la solidarité, et dans un esprit de prière vraiment universelle.

Il ne nous est finalement demandé pas grand chose d'autre que la vigilance et la fidélité dans les petites choses. Avec la confiance. Avec cette promesse : prenez courage, à Dieu obéissent même le vent et la mer de toutes nos crises.


RP, Poitiers, 21.06.15


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