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Ézéchiel 18, 21-32 ; Psaume 30 ; 2 Corinthiens 8, 7-15 ; Marc 5, 21-43
Marc 5, 21-43
Ce texte intercale un récit à un autre pour une raison bien précise. La clé de cela est dans la précision "douze ans" : la femme est atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. La jeune fille a atteint ses douze ans. C'est l'âge où dans la tradition biblique un enfant atteint la maturité, la responsabilité, par la bar-mitsva, pour un garçon comme Jésus revendiquant à douze ans son autonomie devant Dieu face à ses parents ; l'équivalent pour une fille comme dans notre récit. Or cela est une véritable mort pour les parents, ici pour le père Jaïros, appelé à être une sorte de Jephté laissant sa fille à Dieu seul — la perdant en la consacrant, mais pour qu’elle vive ; équivalent d'Abraham élevant Isaac au mont Moriya.
Le fait que Jésus croise cette femme qui perd son sang depuis douze ans, l'âge de la jeune fille, n'est pas dû au hasard. C'est pour Jésus, en chemin vers la fillette, un signe de ce qui va se passer. Cela dans le cadre de la solidarité des êtres humains. La femme devient comme la mère, au sens large, de la fillette — à savoir pour un enfantement à la vie de résurrection. Car il s’agit de rien moins que d’une résurrection !
L'accession de la fillette de sa vie d’enfant devant Jaïros à sa vie de femme devant Dieu suppose ce signe : la guérison de la femme ; le double miracle sera pour une guérison des deux femmes de la servitude de la biologie pour accéder à la vie de l’Esprit ; et pour la fillette, libération de sa dépendance de son père, Jaïros, chef de communauté religieuse, de plus. La jeune fille revit, droite devant Dieu, exorcisée de toute peur.
Connaissez-vous le conte La belle au bois dormant ?
Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n'avoir point d'enfants, si fâchés qu'on ne saurait dire. Enfin pourtant la reine devint enceinte, et accoucha d'une fille : on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu'on pût trouver dans le pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'était la coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.
La fée, les fées, comme un monde spirituel et mystérieux ; un monde ambigu que ce monde où la fillette n'est pas entrée, monde dangereux, qui attend le déploiement de la vie de l’Esprit dans la proclamation de la résurrection du Christ.
Après les cérémonies du baptême, la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un étui d'or massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une tour et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents.
Voilà une fée blessée, qui ne se remet pas d'un cycle de la vie qui va bientôt l'en exclure. Elle vieillit. La naissance de la fillette en est le signe. Sa féminité est blessée. Sa féminité en saigne continuellement : on ne se guérit pas de l'irrémédiable, le temps qui blesse, se ruinerait-on auprès des médecins et souffrirait-on beaucoup de leur fait, comme le dit le texte l’évangile quant à la femme. — Exclue, impure, comme une mauvaise fée, une sorcière, son contact souille ce qu’elle touche. Mais, chose miraculeuse, le contact de Jésus, plus fort, purifie ce qu’il touche ! Jésus la guérira au prix de sa renonciation à sa blessure anonyme, renonciation qui renverse sa transgression, quant à l’impureté, en acte de foi. Elle l'a touché, il l'a su, sa guérison publiée la sort de l'anonymat de sa blessure. Mais on n'en est pas encore là.
Une des jeunes fées qui se trouva auprès d'elle l'entendit grommeler, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu'on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection. Le rang de la vieille fée étant venu, elle dit en branlant la tête, encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.
Préfiguration de la croix — au temps de la venue du sang, ici sang comme celui de la femme qui perd son sang — ou de la blessure d'un fuseau —, l'enfant meurt, ou plutôt, dit Jésus, elle dort.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles : "Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n'en mourra pas : il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un roi viendra la réveiller."
"Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? — dit Jésus. L'enfant n'est pas morte, elle dort." L’enfant de la chair s’en va, l’enfant de Dieu qu'elle est va s'éveiller.
"Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon bien-aimé qui frappe", dit le Cantique des Cantiques (ch.5, v.2) — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."
Le roi — disons Jaïros —, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à tous de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.
Que ne ferait pas un père, ou une mère, pour conserver enfant son enfant.
Mais il arriva que la jeune princesse courant un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon, où une bonne vieille était seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avait point entendu parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau.
— "Que faites-vous là, ma bonne femme ?" dit la princesse.
— "Je file, ma belle enfant" lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
— "Ha ! que cela est joli" reprit la princesse, "comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant."
Elle n'eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d'ailleurs l'arrêt des fées l'ordonnait ainsi, elle s'en perça la main, et tomba évanouie.
Alors le roi se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu'il fallait que cela arrivât, puisque les fées l'avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d'or et d'argent.
La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en fut avertie. La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. Le roi lui alla présenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait; mais comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux château.
Voici ce qu'elle fit : elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi et la reine), gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers. Il crût dans un quart d'heure tout autour du parc une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d'épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n'y aurait pu passer : en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore n'était-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n'eût encore fait là un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu'elle dormirait, n'eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d'une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c'était que ces tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois fort épais. Un vieux paysan prit la parole, et lui dit :
— "Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire de mon père qu'il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde ; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un roi, à qui elle était réservée."
Le jeune prince résolut de voir sur-le-champ ce qu'il en était. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'eux-mêmes pour le laisser passer :
Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait. Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?
Il marche vers le château qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il continua donc son chemin.
Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu'il vit d'abord était capable de le glacer de crainte : c'était un silence affreux, l'image de la mort s'y présentait partout, et ce n'était que des corps étendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il traverse plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu : une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans — douze ans, en fait, on le sait.
Alors comme la fin de l'enchantement était venue, la princesse s'éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre : "Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre."
Ici, on quitte le conte où le prince épouse la princesse. On le quitte de la façon suivante : c’est dans un tout autre monde que celui qui était prévu par les fées que Jésus fait entrer la fillette. Jésus lui disant "Talitha qoum, jeune fille lève-toi", la fait se lever du sommeil de son enfance, de l’enfance spirituelle, à sa réalité d’enfant de Dieu, passant de la mort à l'ouverture vers la vie. Ce qu’on appelle un saut qualitatif, que même Jaïros n’avait pas prévu !
C'est à la liberté de l'Évangile à laquelle d'autres femmes ont accédé à Pâques, que Jésus nous donne, à nous tous, par ces femmes, d'accéder aujourd'hui. Il nous dépouille tous du sommeil de nos dépendances, comme la jeune fille ; de nos fausses espérances, comme celles, peut-être, de Jaïros avant ; de l'amertume de ce que nous aurions perdu, comme la femme qu'il guérit ; et nous dit à tous, dit à nos âmes ensommeillées dans l'oubli de leur Dieu, "jeune fille, lève-toi" : "Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon bien-aimé qui frappe !" — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."
Marc 5, 21-43
21 Quand Jésus eut regagné en barque l'autre rive, une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer.
22 Arrive l'un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros : voyant Jésus, il tombe à ses pieds
23 et le supplie avec insistance en disant : "Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu'elle soit sauvée et qu'elle vive."
24 Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait.
25 Une femme, qui souffrait d'hémorragies depuis douze ans
26 - elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré,
27 cette femme, donc, avait appris ce qu'on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
28 Elle se disait : "Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée."
29 À l'instant, sa perte de sang s'arrêta et elle ressentit en son corps qu'elle était guérie de son mal.
30 Aussitôt Jésus s'aperçut qu'une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : "Qui a touché mes vêtements ?"
31 Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?
32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela.
33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
34 Mais il lui dit : "Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal."
35 Il parlait encore quand arrivent, de chez le chef de la synagogue, des gens qui disent : "Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ?"
36 Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : "Sois sans crainte, crois seulement."
37 Et il ne laissa personne l'accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques.
38 Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l'agitation, des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
39 Il entre et leur dit : "Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, elle dort."
40 Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l'enfant et ceux qui l'avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l'enfant,
41 il prend la main de l'enfant et lui dit : "Talitha qoum", ce qui veut dire : "Fillette, je te le dis, réveille-toi !"
42 Aussitôt la fillette se leva et se mit à marcher, — car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tout bouleversés.
43 Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la fillette.
*
Ce texte intercale un récit à un autre pour une raison bien précise. La clé de cela est dans la précision "douze ans" : la femme est atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. La jeune fille a atteint ses douze ans. C'est l'âge où dans la tradition biblique un enfant atteint la maturité, la responsabilité, par la bar-mitsva, pour un garçon comme Jésus revendiquant à douze ans son autonomie devant Dieu face à ses parents ; l'équivalent pour une fille comme dans notre récit. Or cela est une véritable mort pour les parents, ici pour le père Jaïros, appelé à être une sorte de Jephté laissant sa fille à Dieu seul — la perdant en la consacrant, mais pour qu’elle vive ; équivalent d'Abraham élevant Isaac au mont Moriya.
Le fait que Jésus croise cette femme qui perd son sang depuis douze ans, l'âge de la jeune fille, n'est pas dû au hasard. C'est pour Jésus, en chemin vers la fillette, un signe de ce qui va se passer. Cela dans le cadre de la solidarité des êtres humains. La femme devient comme la mère, au sens large, de la fillette — à savoir pour un enfantement à la vie de résurrection. Car il s’agit de rien moins que d’une résurrection !
L'accession de la fillette de sa vie d’enfant devant Jaïros à sa vie de femme devant Dieu suppose ce signe : la guérison de la femme ; le double miracle sera pour une guérison des deux femmes de la servitude de la biologie pour accéder à la vie de l’Esprit ; et pour la fillette, libération de sa dépendance de son père, Jaïros, chef de communauté religieuse, de plus. La jeune fille revit, droite devant Dieu, exorcisée de toute peur.
Connaissez-vous le conte La belle au bois dormant ?
Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n'avoir point d'enfants, si fâchés qu'on ne saurait dire. Enfin pourtant la reine devint enceinte, et accoucha d'une fille : on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu'on pût trouver dans le pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'était la coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.
La fée, les fées, comme un monde spirituel et mystérieux ; un monde ambigu que ce monde où la fillette n'est pas entrée, monde dangereux, qui attend le déploiement de la vie de l’Esprit dans la proclamation de la résurrection du Christ.
Après les cérémonies du baptême, la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un étui d'or massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une tour et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents.
Voilà une fée blessée, qui ne se remet pas d'un cycle de la vie qui va bientôt l'en exclure. Elle vieillit. La naissance de la fillette en est le signe. Sa féminité est blessée. Sa féminité en saigne continuellement : on ne se guérit pas de l'irrémédiable, le temps qui blesse, se ruinerait-on auprès des médecins et souffrirait-on beaucoup de leur fait, comme le dit le texte l’évangile quant à la femme. — Exclue, impure, comme une mauvaise fée, une sorcière, son contact souille ce qu’elle touche. Mais, chose miraculeuse, le contact de Jésus, plus fort, purifie ce qu’il touche ! Jésus la guérira au prix de sa renonciation à sa blessure anonyme, renonciation qui renverse sa transgression, quant à l’impureté, en acte de foi. Elle l'a touché, il l'a su, sa guérison publiée la sort de l'anonymat de sa blessure. Mais on n'en est pas encore là.
Une des jeunes fées qui se trouva auprès d'elle l'entendit grommeler, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu'on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection. Le rang de la vieille fée étant venu, elle dit en branlant la tête, encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.
Préfiguration de la croix — au temps de la venue du sang, ici sang comme celui de la femme qui perd son sang — ou de la blessure d'un fuseau —, l'enfant meurt, ou plutôt, dit Jésus, elle dort.
Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles : "Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n'en mourra pas : il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un roi viendra la réveiller."
"Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? — dit Jésus. L'enfant n'est pas morte, elle dort." L’enfant de la chair s’en va, l’enfant de Dieu qu'elle est va s'éveiller.
"Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon bien-aimé qui frappe", dit le Cantique des Cantiques (ch.5, v.2) — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."
Le roi — disons Jaïros —, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à tous de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.
Que ne ferait pas un père, ou une mère, pour conserver enfant son enfant.
Mais il arriva que la jeune princesse courant un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon, où une bonne vieille était seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avait point entendu parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau.
— "Que faites-vous là, ma bonne femme ?" dit la princesse.
— "Je file, ma belle enfant" lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
— "Ha ! que cela est joli" reprit la princesse, "comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant."
Elle n'eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d'ailleurs l'arrêt des fées l'ordonnait ainsi, elle s'en perça la main, et tomba évanouie.
Alors le roi se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu'il fallait que cela arrivât, puisque les fées l'avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d'or et d'argent.
La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en fut avertie. La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. Le roi lui alla présenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait; mais comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux château.
Voici ce qu'elle fit : elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi et la reine), gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers. Il crût dans un quart d'heure tout autour du parc une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d'épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n'y aurait pu passer : en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore n'était-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n'eût encore fait là un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu'elle dormirait, n'eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d'une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c'était que ces tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois fort épais. Un vieux paysan prit la parole, et lui dit :
— "Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire de mon père qu'il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde ; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un roi, à qui elle était réservée."
Le jeune prince résolut de voir sur-le-champ ce qu'il en était. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'eux-mêmes pour le laisser passer :
Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait. Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?
Il marche vers le château qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il continua donc son chemin.
Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu'il vit d'abord était capable de le glacer de crainte : c'était un silence affreux, l'image de la mort s'y présentait partout, et ce n'était que des corps étendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il traverse plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu : une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans — douze ans, en fait, on le sait.
Alors comme la fin de l'enchantement était venue, la princesse s'éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre : "Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre."
Ici, on quitte le conte où le prince épouse la princesse. On le quitte de la façon suivante : c’est dans un tout autre monde que celui qui était prévu par les fées que Jésus fait entrer la fillette. Jésus lui disant "Talitha qoum, jeune fille lève-toi", la fait se lever du sommeil de son enfance, de l’enfance spirituelle, à sa réalité d’enfant de Dieu, passant de la mort à l'ouverture vers la vie. Ce qu’on appelle un saut qualitatif, que même Jaïros n’avait pas prévu !
C'est à la liberté de l'Évangile à laquelle d'autres femmes ont accédé à Pâques, que Jésus nous donne, à nous tous, par ces femmes, d'accéder aujourd'hui. Il nous dépouille tous du sommeil de nos dépendances, comme la jeune fille ; de nos fausses espérances, comme celles, peut-être, de Jaïros avant ; de l'amertume de ce que nous aurions perdu, comme la femme qu'il guérit ; et nous dit à tous, dit à nos âmes ensommeillées dans l'oubli de leur Dieu, "jeune fille, lève-toi" : "Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon bien-aimé qui frappe !" — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."
RP, Châtellerault / Exoudun, 28.06.15
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