dimanche 18 octobre 2015

La demande des Zébédée




Ésaïe 53, 10-12 ; Psaume 33 ; Hébreux 4, 14-16 ; Marc 10, 35-45

Marc 10, 35-45
35 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : "Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander."
36 Il leur dit : "Que voulez-vous que je fasse pour vous ?"
37 Ils lui dirent : "Accorde-nous de siéger dans ta gloire l’un à ta droite et l’autre à ta gauche."
38 Jésus leur dit : "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ?"
39 Ils lui dirent : "Nous le pouvons." Jésus leur dit : "La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés.
40 Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder: ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé."
41 Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
42 Jésus les appela et leur dit : "Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination.
43 Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur.
44 Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous.
45 Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude."

*

Au temps de notre épisode, on approche de l’entrée à Jérusalem, et donc du triomphe des Rameaux. Contre un roi, Hérode, rendu impopulaire par les excès et la licence que lui permet, croit-il, le pouvoir — des extravagances du luxe à la licence sexuelle que dénonçait Jean le Baptiste en rappelant que la loi commune vaut aussi pour les puissants — ; contre cela Jésus semble de plus en plus proche d’accéder au trône.

D'où la question des frères Zébédée : les frères Zébédée cherchent naturellement des porte-feuilles ministériels, selon le népotisme commun dans les cercles du pouvoir d’alors. Comme membres de l'entourage du futur dirigeant, ils sont en proie à « la fièvre des sondages » ; et s’inquiètent de savoir qui parmi eux est le plus grand, c'est-à-dire à qui seront distribués les meilleurs postes. De jour en jour, la fièvre monte.

Le texte d'aujourd'hui nous montre que la réponse de Jésus quelques chapitres auparavant ne les a pas apaisés : contrairement à ce qu’il en est dans ce monde, dans le Royaume de Dieu le premier est le dernier, leur avait-il dit après avoir placé un enfant au milieu d'eux. Et revoilà quelques épisodes plus loin, suite à une annonce renouvelée et précisée par Jésus de sa mort et de sa résurrection, à Jérusalem, la même interrogation par deux disciples, mais précisée, elle-aussi ; explicite cette fois.

Deux parmi les disciples, décidément persévérants, les fils de Zébédée, posent la question directement : « donne-nous d'être assis l'un à ta droite, l'autre à ta gauche dans ta gloire » (Mc 10, 37) : Premier ministre et ministre des finances.

D’emblée la demande des frères Zébédée provoque l'indignation des dix autres disciples : indignation qui peut-être n’a pas d’autre sens que la demande des Zébédée, d’ailleurs. Signifie-t-elle en effet autre chose que : « et nous alors ? » Décidément, on apprend difficilement. Évidemment les disciples n'ont sans doute pas clairement compris, ici comme dans l'épisode précédent, que Jésus vient de leur parler de lui en mentionnant le Fils de l'Homme. Et ils n'ont pas reçu ses annonces de sa propre crucifixion, présentée comme la coupe et le baptême qu'il doit boire, de façon littérale.

Mais Jésus vient ainsi de leur donner une réponse, apparemment obscure, il est vrai. Elle concerne sa prochaine persécution. Pourront-ils la partager ? Plutôt que le triomphe, c’est le rejet qui les attend. Ils le partageront, il est vrai, chacun à sa façon, comme tous les disciples. Mais ce qu'ils demandent, ils l'ignorent, leur répète Jésus. On va y revenir, pour saisir mieux de quoi il s'agit en fait dans les « positions » à droite et à gauche de Jésus.

Comme tout au long de l'évangile, les disciples ont de la peine à comprendre et à accepter que Jésus va mourir, et mourir ainsi, crucifié — selon le châtiment que pratiquent les Romains — par des Romains que eux s’attendaient sans doute à voir renversés. Il leur semble tellement invraisemblable que Dieu veuille que celui en qui ils voient le Messie meure ainsi qu'ils n'arrivent pas à l'entendre même quand Jésus le leur répète de façon explicite. C'est qu'ils attendent un règne, l’élévation de Jésus dans la gloire divine, pas une vie humiliée, « brisée par la souffrance » ; pas une vie donnée en rançon pour beaucoup, pour reprendre les termes des prophètes (comme ici Ésaïe) que Jésus s’applique.

Évidemment donc, une fois encore les disciples n'ont pas compris ce que Jésus donnait en réponse aux frères Zébédée. Alors, il les éclaire à nouveau — un peu plus : le plus grand dans son Royaume est celui qui est serviteur de tous…


Mais que cela est lourd, sinon à saisir, du moins à vivre ! Et nous ? Quel poste revendiquons-nous dans les ministères de ce Royaume où il n'y a ni juif ni païen, ni homme ni femme, ni esclave ni libre ? Quel service attendons-nous de celui ou celle vers qui Dieu nous envoie pour servir ?

Mais voilà — en un monde où prime la compétition — voilà qu’une autre dimension est offerte par le Christ, mystérieuse et cachée — la source d’un vrai apaisement ! Laisser à Dieu le soin de savoir ce qui revient à chacun. Et puis, ce que nous sommes vraiment, Dieu le sait, Dieu qui nous envoie servir, simplement, tel que nous sommes.

En attendant le Royaume donc, être simplement serviteurs : le trône du Christ est sa croix, sa couronne est d'épines. La coupe qu'il doit boire est son supplice, son baptême est son engloutissement dans les eaux sombres de la mort.

Voilà certes qui semble peu enviable, quand on espère des postes similaires à ceux des royaumes de ce monde. Mais mon Royaume n’est pas de ce monde dira bientôt Jésus à Pilate. Et du cœur de cela, je vous donne ma paix. Vous recevrez ce que Dieu vous prépare, le meilleur pour vous.

Il est donc vrai que les disciples recevront bien la place qui leur est réservée dans le Royaume. Mais comme Dieu l'entendra — en fait à travers la souffrance partagée du Christ.

Concrètement il est aussi question des épreuves courantes de nos vies, mais transfigurées par lui ; ce qui n’est évidemment pas nécessairement dans un martyre personnel. Bien que, quant aux places à sa droite et à sa gauche, on saura bientôt ce qu’il en est : celles des brigands crucifiés de part et d’autre de Jésus (cf. Mc 15, 27).

Et puisque les postes à sa droite et à sa gauche sont ceux de ces hommes en rien exemplaires qui l'entourent sur la croix, il est encore ici question d’humilité ; pas question non plus dès lors pour les disciples d’entrer dans cette folie qui ferait de la mort une gloire désirable ; au prix des pleurs et de la souffrance d’autrui.

Quoiqu’il arrive, c’est Dieu qui décide, et pour nous aussi ; pour certains disciples, comme pour Jésus (il parle à quelques jours du moment tragique que l’on sait) ; pour lui, pour certains aussi de ceux qui ont lutté par la suite pour notre liberté d’aujourd’hui, il faudra certes mourir. Mais rien à arracher dans je ne sais quel orgueil. Servir simplement…

Calvin le dit en ces termes : « Cependant que j'avais toujours ce but de vivre en privé sans être connu, Dieu m'a tellement promené et fait tournoyer par divers changements, que toutefois il ne m'a jamais laissé de repos en lieu quelconque, jusqu'à ce que malgré mon naturel il m'a produit en lumière, et fait venir en jeu, comme on dit. »

Pour nous aussi il nous appartient simplement de servir, et c’est au fond cela qui est difficile s’agissant de suivre Jésus : servir, non être servis, quelle qu’en soit la façon. C’est bien sûr le programme pour lequel nous sommes appelés s’agissant de le suivre. Et nous en sommes bien incapables.

D’où cette consolation du passage de l’épître aux Hébreux dans les lectures de ce jour — Hé 4, 14-16 : « il a été éprouvé en tous points comme nous. »

« Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés quand nécessaire » : il a été à notre place.


R.P., Poitiers, 18.10.15


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