Genèse 2.18-24 ; Psaume 128 ; Hébreux 2.9-11 ; Marc 10.2-16
Genèse 2, 18-24
Marc 10, 2-16
Dans les années 1930 et 1940, le célèbre résistant allemand au nazisme, le pasteur Dietrich Bonhoeffer — un des deux plus célèbres témoins protestants du XXe siècle, avec le pasteur Martin Luther King vingt ans plus tard, de l’engagement concret, jusqu’à leur mort, pour la foi du Christ — Dietrich Bonhoeffer dénonçait ce qu'il appelait « la grâce à bon marché », laquelle se caractérise par ce qu'elle nous épargne les implications coûteuses de l'Évangile.
La grâce à bon marché voudrait nous épargner l'effort sérieux en vue de l’abandon de soi, voudrait nous épargner le travail réel qui est d'entrer dans la grâce du Christ, bref, l’engagement qui est de recevoir la Parole vraie de la vie éternelle, Parole vraie de ce qu'elle confronte vraiment le règne de l'illusion et du mensonge, de ce qu’elle coûte, donc.
Eh bien, c’est la réponse que Jésus donne — à côté, apparemment, de la question qui lui est posée sur la répudiation. Engagement — ici l’un envers l’autre — comme Dieu s’engage envers nous. Engagement comme signe de ce Dieu qui s’engage envers nous : c'est un engagement dont lui seul est garant — au-delà de la faiblesse des hommes, notre « dureté » (littéralement « sclérose du cœur »), qui est ce qu’elle est, et que Jésus ne nie pas. Dieu s’engageant pour nous devient en Christ une seule chair avec nous, comme homme et femme deviennent ce qu’ils sont, une seule chair.
Soulignons que la question posée à Jésus est celle de la répudiation ; pas du divorce — de la répudiation que Moïse a permis d’organiser en divorce : et c’est bien ce dont a parlé Moïse. Mais ce n’est pas ce dont parle Jésus. Un peu comme quand on vient lui soumettre une question d’héritage — Luc 12, 13-14 : « Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. Jésus lui répondit : Ô homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? » Ici de même il ne répond pas à ce qui lui est demandé. « Pour cela, voyez la Loi, qui rend les choses humaines : "Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit ?" demande-t-il. Si Moïse vous a donné la procédure concernant ce que vous me demandez, moi je suis venu pour autre chose ».
Au-delà des questions d’organisation concrète du quotidien (non que Jésus dédaigne ces questions, mais pour cela il renvoie à Moïse — et sa réponse implique une interprétation des plus humaines de la loi de Moïse) — au-delà de ces questions, est celle de la grâce.
La grâce est grâce qui coûte — qui coûte tout mais qui est grâce, gratuité, don miraculeux de Dieu ; qui est gratuite et qui coûte cependant, qui coûte tout.
Telle sera, à bien y regarder, la réponse de Jésus à une question apparemment d’une autre nature, sur les dispositions de la Loi de Moïse concernant la répudiation.
La controverse dans laquelle on tente de faire entrer Jésus est connue — controverse entre les disciples de Hillel et ceux de Chammaï, deux figures rabbiniques célèbres représentant deux courants d’interprétation : plus souple d’un côté, mais pouvant, à force de sembler le faciliter, aller jusqu’à rapprocher le divorce d’un renvoi pur et simple — façon de retour à la répudiation — ; interprétation plus rigoureuse de l’autre. Il est clair que pour Jésus, Moïse a visé à humaniser la répudiation, en l’organisant comme divorce, donnant des droits à la partie répudiée. « Je hais la répudiation » disait Dieu par les prophètes (Malachie 2, 16). Les dispositions juridiques envisagées par Moïse visent à mettre de l’humanité face à la dureté du cœur humain, à donner des droits dans une situation qui pourrait être catastrophique pour la répudiée, pouvant sans cela être réduite à la plus sombre misère.
Mais c’est une réponse à un tout autre plan que Jésus donne, dépassant la question humaine et concrète qu’on lui pose (retournant même, devant ses disciples, l'argument des plus rigoureux des commentateurs de Moïse qui ne toléraient de divorce qu'en cas d'adultère : celui qui prend l'initiative de la répudiation est dans la même situation !). On lui parle répudiation, il répond alliance : « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Ce qui renvoie à l’Alliance que Dieu scelle avec les êtres humains, dite à travers une alliance très concrète entre un homme et une femme.
Alliance. C’est le thème qui est au cœur de l’histoire biblique, qui nous présente l'amour de Dieu pour son peuple comme similaire à celui d'un homme et d'une femme. Du coup, un amour humain, qui fonde une Alliance — le mariage —, est appelé à dire en signe ce qu'est cette autre Alliance, l’Alliance que Dieu a scellée avec nous. Comme Dieu tout Autre. De même que rien n'est plus autre, plus étranger qu’un homme et une femme. Au point qu'homme et femme semblent n'être pas faits pour vivre ensemble — même s'ils ne peuvent se passer l'un de l'autre ! Trop différents ! Comme Dieu et homme ! Là s'origine le mariage ; scellement entre deux êtres radicalement étrangers, deux côtés, se sentant incomplets sans l'autre, vis-à-vis d’une même chair scindée, avant de devenir la seule chair dont ils sont issus.
Dans cette perspective, on ne se marie pas parce qu’on se ressemble, mais précisément parce qu’on est deux êtres scindés, et en ce sens radicalement différents avant de se retrouver comme chair unique ; sans quoi il n’y aurait même pas besoin d’un tel lien, nécessaire entre des différences insurmontables ; et ainsi, sachant cela, on mesure un peu combien l’engagement coûte.
Radicalement étrangers, venant de deux mondes radicalement étrangers, serait-on voisins de palier. D’où la rupture de chacun d’avec ce qu’il fut. Et cela, c’est difficile. Difficile comme un accouchement l’est pour une mère. Difficile, voire impossible ! Et pourtant, c’est par là que le monde se crée. Le monde n’est fécond que de ses différences.
C’est comme l’union, l’Alliance entre Dieu et les hommes, finalement scellée en Jésus Christ Dieu et homme, fils de Dieu venu en chair. Apparemment l’alliance de la carpe et du lapin ! Impossible ! Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu.
Ainsi, Dieu s’est uni à l’humanité, sorte de mariage — une Alliance — pour une seule chair, de sorte que désormais, l’homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni. On est au cœur de la parole chair donnée en Jésus. Et ça c’est le salut, pourvu que nous y entrions, car il n’est point question ici, on l’a compris, de grâce à bon marché.
Voilà une Alliance qui coûte tout aux deux parties. Un abandon. Qui a tout coûté à Dieu, en Jésus devenu vrai homme, jusqu’aux épreuves des hommes, jusqu’à une mort d’homme — Héb 2, 9, texte de l’Épître du jour : « celui qui a été abaissé quelque peu par rapport aux anges, Jésus, se trouve, à cause de la mort qu’il a soufferte, couronné de gloire et d’honneur. Ainsi, par la grâce de Dieu, c’est pour tout homme qu’il a goûté la mort. » Cela a tout coûté à Dieu… et nous coûtera tout : celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui l’abandonne la trouve pour l’éternité.
Alors perce la récolte de la fécondité du monde : « Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit: "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas… » (Marc 10, 13-14)
Il s’agit bien d’accueillir le Royaume, qui naît — comme l’enfant — de la fécondité de l’impossible : « le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux », nés de l’impossible qui coûte tout, qui a tout coûté à Dieu.
Genèse 2, 18-24
18 Le SEIGNEUR Dieu dit : "Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je veux lui faire un soutien qui lui soit accordé."
[…]
21 Le SEIGNEUR Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’un de ses côtés et referma les chairs à sa place.
22 Le SEIGNEUR Dieu transforma le côté qu’il avait pris à l’homme en une femme qu’il lui amena.
23 L’homme s’écria : "Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise."
24 Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.
Marc 10, 2-16
2 Des Pharisiens s’avancèrent et, pour l'éprouver, ils lui demandaient s’il est permis à un homme de répudier sa femme.
3 Il leur répondit : "Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit ?"
4 Ils dirent : "Moïse a permis d’écrire un certificat de répudiation et de renvoyer sa femme."
5 Jésus leur dit : "C’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il a écrit pour vous ce commandement.
6 Mais au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle ;
7 c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme,
8 et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
9 Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni."
10 A la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur ce sujet.
11 Il leur dit : "Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ;
12 et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère."
13 Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent.
14 En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit : "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux.
15 En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas."
16 Et il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
*
Dans les années 1930 et 1940, le célèbre résistant allemand au nazisme, le pasteur Dietrich Bonhoeffer — un des deux plus célèbres témoins protestants du XXe siècle, avec le pasteur Martin Luther King vingt ans plus tard, de l’engagement concret, jusqu’à leur mort, pour la foi du Christ — Dietrich Bonhoeffer dénonçait ce qu'il appelait « la grâce à bon marché », laquelle se caractérise par ce qu'elle nous épargne les implications coûteuses de l'Évangile.
La grâce à bon marché voudrait nous épargner l'effort sérieux en vue de l’abandon de soi, voudrait nous épargner le travail réel qui est d'entrer dans la grâce du Christ, bref, l’engagement qui est de recevoir la Parole vraie de la vie éternelle, Parole vraie de ce qu'elle confronte vraiment le règne de l'illusion et du mensonge, de ce qu’elle coûte, donc.
Eh bien, c’est la réponse que Jésus donne — à côté, apparemment, de la question qui lui est posée sur la répudiation. Engagement — ici l’un envers l’autre — comme Dieu s’engage envers nous. Engagement comme signe de ce Dieu qui s’engage envers nous : c'est un engagement dont lui seul est garant — au-delà de la faiblesse des hommes, notre « dureté » (littéralement « sclérose du cœur »), qui est ce qu’elle est, et que Jésus ne nie pas. Dieu s’engageant pour nous devient en Christ une seule chair avec nous, comme homme et femme deviennent ce qu’ils sont, une seule chair.
Soulignons que la question posée à Jésus est celle de la répudiation ; pas du divorce — de la répudiation que Moïse a permis d’organiser en divorce : et c’est bien ce dont a parlé Moïse. Mais ce n’est pas ce dont parle Jésus. Un peu comme quand on vient lui soumettre une question d’héritage — Luc 12, 13-14 : « Quelqu’un dit à Jésus, du milieu de la foule : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. Jésus lui répondit : Ô homme, qui m’a établi pour être votre juge, ou pour faire vos partages ? » Ici de même il ne répond pas à ce qui lui est demandé. « Pour cela, voyez la Loi, qui rend les choses humaines : "Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit ?" demande-t-il. Si Moïse vous a donné la procédure concernant ce que vous me demandez, moi je suis venu pour autre chose ».
Au-delà des questions d’organisation concrète du quotidien (non que Jésus dédaigne ces questions, mais pour cela il renvoie à Moïse — et sa réponse implique une interprétation des plus humaines de la loi de Moïse) — au-delà de ces questions, est celle de la grâce.
La grâce est grâce qui coûte — qui coûte tout mais qui est grâce, gratuité, don miraculeux de Dieu ; qui est gratuite et qui coûte cependant, qui coûte tout.
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Telle sera, à bien y regarder, la réponse de Jésus à une question apparemment d’une autre nature, sur les dispositions de la Loi de Moïse concernant la répudiation.
La controverse dans laquelle on tente de faire entrer Jésus est connue — controverse entre les disciples de Hillel et ceux de Chammaï, deux figures rabbiniques célèbres représentant deux courants d’interprétation : plus souple d’un côté, mais pouvant, à force de sembler le faciliter, aller jusqu’à rapprocher le divorce d’un renvoi pur et simple — façon de retour à la répudiation — ; interprétation plus rigoureuse de l’autre. Il est clair que pour Jésus, Moïse a visé à humaniser la répudiation, en l’organisant comme divorce, donnant des droits à la partie répudiée. « Je hais la répudiation » disait Dieu par les prophètes (Malachie 2, 16). Les dispositions juridiques envisagées par Moïse visent à mettre de l’humanité face à la dureté du cœur humain, à donner des droits dans une situation qui pourrait être catastrophique pour la répudiée, pouvant sans cela être réduite à la plus sombre misère.
Mais c’est une réponse à un tout autre plan que Jésus donne, dépassant la question humaine et concrète qu’on lui pose (retournant même, devant ses disciples, l'argument des plus rigoureux des commentateurs de Moïse qui ne toléraient de divorce qu'en cas d'adultère : celui qui prend l'initiative de la répudiation est dans la même situation !). On lui parle répudiation, il répond alliance : « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Ce qui renvoie à l’Alliance que Dieu scelle avec les êtres humains, dite à travers une alliance très concrète entre un homme et une femme.
Alliance. C’est le thème qui est au cœur de l’histoire biblique, qui nous présente l'amour de Dieu pour son peuple comme similaire à celui d'un homme et d'une femme. Du coup, un amour humain, qui fonde une Alliance — le mariage —, est appelé à dire en signe ce qu'est cette autre Alliance, l’Alliance que Dieu a scellée avec nous. Comme Dieu tout Autre. De même que rien n'est plus autre, plus étranger qu’un homme et une femme. Au point qu'homme et femme semblent n'être pas faits pour vivre ensemble — même s'ils ne peuvent se passer l'un de l'autre ! Trop différents ! Comme Dieu et homme ! Là s'origine le mariage ; scellement entre deux êtres radicalement étrangers, deux côtés, se sentant incomplets sans l'autre, vis-à-vis d’une même chair scindée, avant de devenir la seule chair dont ils sont issus.
Dans cette perspective, on ne se marie pas parce qu’on se ressemble, mais précisément parce qu’on est deux êtres scindés, et en ce sens radicalement différents avant de se retrouver comme chair unique ; sans quoi il n’y aurait même pas besoin d’un tel lien, nécessaire entre des différences insurmontables ; et ainsi, sachant cela, on mesure un peu combien l’engagement coûte.
Radicalement étrangers, venant de deux mondes radicalement étrangers, serait-on voisins de palier. D’où la rupture de chacun d’avec ce qu’il fut. Et cela, c’est difficile. Difficile comme un accouchement l’est pour une mère. Difficile, voire impossible ! Et pourtant, c’est par là que le monde se crée. Le monde n’est fécond que de ses différences.
*
C’est comme l’union, l’Alliance entre Dieu et les hommes, finalement scellée en Jésus Christ Dieu et homme, fils de Dieu venu en chair. Apparemment l’alliance de la carpe et du lapin ! Impossible ! Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu.
Ainsi, Dieu s’est uni à l’humanité, sorte de mariage — une Alliance — pour une seule chair, de sorte que désormais, l’homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni. On est au cœur de la parole chair donnée en Jésus. Et ça c’est le salut, pourvu que nous y entrions, car il n’est point question ici, on l’a compris, de grâce à bon marché.
Voilà une Alliance qui coûte tout aux deux parties. Un abandon. Qui a tout coûté à Dieu, en Jésus devenu vrai homme, jusqu’aux épreuves des hommes, jusqu’à une mort d’homme — Héb 2, 9, texte de l’Épître du jour : « celui qui a été abaissé quelque peu par rapport aux anges, Jésus, se trouve, à cause de la mort qu’il a soufferte, couronné de gloire et d’honneur. Ainsi, par la grâce de Dieu, c’est pour tout homme qu’il a goûté la mort. » Cela a tout coûté à Dieu… et nous coûtera tout : celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui l’abandonne la trouve pour l’éternité.
Alors perce la récolte de la fécondité du monde : « Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit: "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas… » (Marc 10, 13-14)
Il s’agit bien d’accueillir le Royaume, qui naît — comme l’enfant — de la fécondité de l’impossible : « le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux », nés de l’impossible qui coûte tout, qui a tout coûté à Dieu.
RP, Poitiers, 4.10.15
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