Cultes suspendus jusqu'à nouvel ordre suite aux directives des pouvoirs publics.
Prédication prévue pour le 15 mars 2020 ci-dessous - liturgie et prédication en PDF ici
Prédication en audio — sans fond musical ici ;
avec musique de fond (Klaus Schulze - The Future) ici
Exode 17, 3-7 ; Psaume 95 ; Romains 5, 1-8 ; Jean 4, 5-42
Jean 4, 5-42
« Je la conduirai au désert et je la séduirai, je parlerai à son cœur », lit-on au livre du prophète Osée (2, 16). Désert, lieu d'abstinence, de carême, de jeûne, de manque, particulièrement criant en cette période de pandémie, avec la détresse et le deuil l'accompagnant en tant de lieux du monde. La misère aussi, conséquences économiques. Tout cela qui vient s'ajouter aux détresses de la guerre et de l'exil en tant de lieux. Mais « au désert je la séduirai, je parlerai à son cœur »…
Le Dieu qui parle ici est au-delà de tout nom, il est, au-delà de toute représentation, le Dieu universel, et révélé concrètement, en l’occurrence d'abord à un peuple et par un peuple — « le salut vient des Judéens ». Le cœur mystérieux de notre libération vient dans la foi en ce Dieu-là, qui est au-delà de tout Dieu (Ps 95, 3), au point que si on s'en donne une conception, ce n'est pas encore lui — « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité ».
Un paradoxe qui passe par ce que le Dieu au-delà de tout Dieu, au delà de toute conception de la divinité, le libérateur au-delà de toutes nos limites, est révélé dans une histoire particulière, celle d'un peuple particulier, avec toutes ses limites. Le Dieu dont nous sommes témoins malgré nous est bien celui qui nous est donné, qui se donne malgré tout dans une histoire particulière. Jésus a fait siennes toutes nos limites, comme il a fait sienne notre mortalité. Il a fait siens nos deuils : il a pleuré la mort de Lazare. Il a fait sienne notre humanité au sens le plus précis.
Comme nous, il est devenu un individu, cet individu, appartenant à ce moment de l’histoire — né sous César Auguste, crucifié sous Ponce Pilate — ; appartenant à ce peuple, le peuple juif, peuple de l’Alliance et donc peuple premier de Dieu. Cela aussi Jésus le fait sien jusqu’au bout !
Car c'est dans cette histoire particulière, par cette histoire particulière, voire parfois malgré elle s'il le faut, que le Dieu de l’universel se dévoile. Cet épisode, celui de la Samaritaine et de son peuple à elle, nous dit la profondeur de l'Incarnation du Fils de Dieu, une réalité qui n'a rien d'abstrait. Juif, le Fils de Dieu s'inscrit dans cette histoire-là, en élevant celles et ceux à qui il s'adresse au statut d'enfants d’Abraham, d'affranchis du Dieu d'Israël selon la promesse des prophètes. Par delà les idoles figurées ici par les maris de la Samaritaine (cf. 2 Rois 17, 29-41) — et « celui-là n'est pas ton mari », lui dit Jésus — par delà les idoles et les captivités qu'elles génèrent, est libéré quiconque en appelle à celui qui est au-delà de toute captivité et de toute identité qui rend captif.
C’est comme cela que le Dieu qui est au-dessus de tout Dieu nous sauve. Celui qui est la parole éternelle, qui a fondé le monde et connaît tous les méandres de nos vies a emprunté un chemin, celui de l’Alliance qui va d’Abraham au Royaume à venir. Le salut vient des Judéens, du cœur de la foi juive, reprise d'Ésaïe, ch. 2 v. 3 : « Car de Sion sortira la loi, Et de Jérusalem la parole de l’Éternel », mais cette parole, celle du salut, provient de l'éternité, que Jésus, parole devenue chair (Jean 1, 14) vient ainsi inscrire dans le temps éternel comme Ressuscité. C'est cette parole semée par les prophètes (cf. Michée 6, 15) que ses disciples moissonnent à présent (Jn 4, 37-38), dans une rencontre d'amour entre un peuple, les Samaritains (cf. Michée 1, 6 sq.), et le Dieu venu en Jésus, dépassant l'attente d'amour de la Samaritaine découvrant dans le Dieu dévoilé en Jésus ce qu'elle n'a pas pu trouver dans ses maris successifs, comme autant d'idoles samaritaines. La source de vie qu'elle découvre en Jésus, mieux que l'eau d'un puits, jaillit en vie éternelle.
De la sorte Jésus conduit cette femme à le confesser en ses termes à elle, comme il nous y conduit tous. On ne sera libéré des idoles qui nous tiennent captifs qu'en les dénonçant pour ce qu'il en est : des idoles, dont seul le Dieu qui est au-delà de tout nom, de toute figure que l'on s'en fait peut rompre le mensonge. Dieu d'éternité dont la parole sort de Jérusalem, du cœur de la Judée et des paroles des prophètes d'Israël. C'est ce Dieu qui s'est dit en Jésus. C'est le Dieu au-delà de toute figure, de toute idole ; lui est esprit et vérité, qui nous advient comme source vraie, jaillissant en vie éternelle, adoré en esprit et vérité.
Cela est apparu dans ce récit à travers une dimension pour le moins étonnante de la relation entre Dieu et nous : la dimension de la séduction !… qui est au cœur de la rencontre de Jésus et de la femme samaritaine, selon une lecture qu’il est difficile d’éviter si l'on tient compte des circonstances, pour le moins étranges, de cette conversation. Comme les disciples n'ont pas manqué de le remarquer (v. 27) — et on le verra, avec une gêne qui ne les quittera pas de tout le repas qui suivra l’épisode —, il est pour le moins incongru — à l'époque —, qu'un homme et une femme seuls tiennent conversation ensemble.
On a souvent remarqué ce côté bizarre de l'affaire, mais en en tirant peu ou pas de conséquences quant au sens de cette rencontre. Jésus ne ferait qu'érafler les conventions. Mais, quand ce ne serait que cela, ça ne changerait rien au fait : il n'est pas indifférent, et pas sans ambiguïté, d'érafler ces conventions-là. D'autant moins indifférent que, loin de se détourner, la femme se prête au jeu !
Jeu dont elle sait le sens antique, et qui correspond à ce qui a tout d’une autre convention : dans la Bible, un dialogue au bord d'un puits a tout d'une entrée en matière à visée matrimoniale (cf. Gn 24, 14, à propos de Rébecca, la future épouse d'Isaac ; cf. Ex 2, 15-20, la rencontre de Moïse et de sa future femme,…).
Tel est le décor de notre texte, Dieu s'y montrant comme dans un rapport… de séduction, avec la Samaritaine, et à travers elle,… avec nous ! Car, il est peut-être question d'autre chose que d'un simple échange de bons services du genre : « je te demande de l'eau de puits pour t'offrir de l'eau vive de l’Évangile en échange ». Le dialogue qui nous est rapporté ici pourrait bien aller plus loin.
Dès l'abord, donc, on est dans l'étrange : Jésus s'adresse à une femme, seule (v. 7-8). Jésus a peut-être soif, mais il n'est pas complètement naïf : il s'agit d'une femme, seule ! Et à cela, les disciples achopperont (v. 27).
La Samaritaine n'est pas naïve non plus. Et voilà qu'elle lui répond ! Elle pourrait, ou devrait, l'ignorer. Mais non, elle lui parle de leur appartenance ethno-religieuse différente (v. 9) puisque, comme le texte le rappelle, il n'est pas habituel qu'il y ait des relations entre Juifs et Samaritains, en ce sens que ce genre-là de contact homme-femme ne débouche pas sur un mariage… La Samaritaine le sait ; mais elle a choisi de poursuivre le dialogue. Autrement dit, ce qui apparaît comme l'audace de Jésus, loin de l'effrayer, semble ne pas lui déplaire. L'ambiance est à l'ambiguïté.
Et Jésus qui naturellement a perçu, dès l'abord, cette dimension, cette ouverture de cette femme à sa personne, poursuit, lui aussi sur la voie de l'ambiguïté. Il lui promet de l'eau vive (v. 10), parole à double sens, on l'a de tout temps remarqué, désignant l'Esprit. Double sens… voire triple, si l'on tient compte de ce qui ne peut pas ne pas entrer d'une façon ou d'une autre dans la compréhension de la Samaritaine, compte tenu de l'ambiance. Ça ne peut sonner aux oreilles de cette femme habituée à des relations instables avec les hommes que comme une possible promesse… de bonheur enfin fidèle. Et la Samaritaine de poursuivre, référant aux grands ancêtres Jacob et alii, et à leurs troupeaux. Ces grands ancêtres qui justement, rencontraient leur femme autour de ce puits.
Et là, Jésus, comme s'il voulait assurer ses arrières (v. 16) : « va chercher ton mari et reviens ». Et la femme de commettre une… petite omission (v. 17) : « je n'ai pas de mari ». En d'autres termes : « je suis toute à toi ».
À ce point, Jésus la reprend (v. 17-18) : « tu as eu cinq maris… et celui que tu as là n'est pas ton mari »… Pour déboucher sur le point culminant du dialogue (v. 21-24) : « ici, c'est Dieu qui te séduit, c'est Dieu que tu séduis : il n'y a plus que relation vraie, entre Dieu et son aimé, intime, en esprit et vérité, au-delà de tout rite ou cérémonie. La brèche qui s'opère entre nous est la brèche de la séduction entre Dieu et toi, entre toi et Dieu. »
Et on découvre là le troisième niveau. C'est celui auquel le vit Jésus.
Dans son aptitude à saisir les discours dédoublés, ébréchés par la séduction, la Samaritaine accède à ce plan, et glisse alors sa question sur le Messie (v. 25). Jésus dévoile alors qu'en lui se révèle le Dieu séduit et le Dieu qui séduit ; qu'il est un réel désir de Dieu pour son aimé, qu'à un plan sublimé, il y a ici réelle séduction réciproque. Une histoire de séduction avec ses différents niveaux. Ici le niveau habituel et son extension céleste !
Ce qui n’en trouble pas moins fortement les disciples (v. 27-34), durant tous les versets qui suivent. Ils ont, bien sûr, saisi l'ambiguïté ; et à demi-mot, laissent paraître le malaise causé par une question qu'ils n'ont pas osé poser à Jésus : « que faisais-tu avec cette femme ? »
Alors, Jésus, laissant les pensées qui le retiennent et qui — sans doute au grand dam des disciples — lui font oublier son repas (v. 31), Jésus en vient à cette question que les disciples ne posent pas (v. 32) : « J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas ». Ce qui, naturellement, les renvoie à ce à quoi ils pensent (v. 33) : « quelqu'un lui aura apporté à manger », retour discret de la lancinante question : qu'a-t-il pu se passer entre Jésus et cette femme en leur absence ?
Et Jésus répond à leur trouble (v. 34 sq) : « ma nourriture est de faire la volonté de Dieu ». Volonté troublante comme un dialogue au bord d'un puits avec une femme de Samarie : elle conduit chez ces suspects Samaritains, et elle y conduira les disciples (v. 38), à travers une histoire de séduction entre Dieu et un peuple qui s'est dite dans un dialogue de séduction se sublimant entre un homme et une femme.
Déjà la moisson est prête, s'ouvrant dans une relation de séduction divine. Qu'en est-il de la relation de séduction entre Dieu et nous ? Si Dieu nous a séduits, qu'est-ce que son regard a saisi, opéré en nous ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un Dieu qui nous a séduit, qui se révèle comme Dieu séduit, qui dit au prophète Osée : « je la conduirai au désert et je la séduirai, je parlerai à son cœur ». Car c'est « lui qui nous a aimés le premier » ! (1 Jn 4, 19)
Jean 4, 5-42
5 C’est ainsi qu’il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph,
6 là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C’était environ la sixième heure.
7 Arrive une femme de Samarie pour puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
8 Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.
9 Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit : « Comment ? Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une femme, une Samaritaine ? » Les Juifs, en effet, n'ont pas de relations avec les Samaritains.
10 Jésus lui répondit : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive. »
11 La femme lui dit : « Seigneur, tu n’as pas même un seau et le puits est profond ; d’où la tiens-tu donc, cette eau vive ?
12 Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné le puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fils et ses bêtes ? »
13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif ;
14 mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. »
15 La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi cette eau pour que je n’aie plus soif et que je n’aie plus à venir puiser ici. »
16 Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari et reviens ici. »
17 La femme lui répondit : « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu dis bien : “Je n’ai pas de mari” ;
18 tu en as eu cinq et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit vrai. »
19 – « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. »
21 Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Judéens.
23 Mais l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité. »
25 La femme lui dit : « Je sais qu’un Messie doit venir – celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses. »
26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
27 Sur quoi les disciples arrivèrent. Ils s’étonnaient que Jésus parlât avec une femme ; cependant personne ne lui dit « Que cherches-tu ? » ou « Pourquoi lui parles-tu ? »
28 La femme alors, abandonnant sa cruche, s’en fut à la ville et dit aux gens :
29 « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »
30 Ils sortirent de la ville et allèrent vers lui.
31 Entre-temps, les disciples le pressaient : « Rabbi, mange donc. »
32 Mais il leur dit : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. »
33 Sur quoi les disciples se dirent entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il donné à manger ? »
34 Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.
35 Ne dites-vous pas vous-mêmes : “Encore quatre mois et viendra la moisson” ? Mais moi je vous dis : levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson !
36 Déjà le moissonneur reçoit son salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, si bien que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble.
37 Car en ceci le proverbe est vrai, qui dit : “L’un sème, l’autre moissonne.”
38 Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucune peine ; d’autres ont peiné et vous avez pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine. »
39 Beaucoup de Samaritains de cette ville avaient cru en lui à cause de la parole de la femme qui attestait : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
40 Aussi, lorsqu’ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer parmi eux. Et il y demeura deux jours.
41 Bien plus nombreux encore furent ceux qui crurent à cause de sa parole à lui ;
42 et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. »
*
« Je la conduirai au désert et je la séduirai, je parlerai à son cœur », lit-on au livre du prophète Osée (2, 16). Désert, lieu d'abstinence, de carême, de jeûne, de manque, particulièrement criant en cette période de pandémie, avec la détresse et le deuil l'accompagnant en tant de lieux du monde. La misère aussi, conséquences économiques. Tout cela qui vient s'ajouter aux détresses de la guerre et de l'exil en tant de lieux. Mais « au désert je la séduirai, je parlerai à son cœur »…
Le Dieu qui parle ici est au-delà de tout nom, il est, au-delà de toute représentation, le Dieu universel, et révélé concrètement, en l’occurrence d'abord à un peuple et par un peuple — « le salut vient des Judéens ». Le cœur mystérieux de notre libération vient dans la foi en ce Dieu-là, qui est au-delà de tout Dieu (Ps 95, 3), au point que si on s'en donne une conception, ce n'est pas encore lui — « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité ».
Un paradoxe qui passe par ce que le Dieu au-delà de tout Dieu, au delà de toute conception de la divinité, le libérateur au-delà de toutes nos limites, est révélé dans une histoire particulière, celle d'un peuple particulier, avec toutes ses limites. Le Dieu dont nous sommes témoins malgré nous est bien celui qui nous est donné, qui se donne malgré tout dans une histoire particulière. Jésus a fait siennes toutes nos limites, comme il a fait sienne notre mortalité. Il a fait siens nos deuils : il a pleuré la mort de Lazare. Il a fait sienne notre humanité au sens le plus précis.
Comme nous, il est devenu un individu, cet individu, appartenant à ce moment de l’histoire — né sous César Auguste, crucifié sous Ponce Pilate — ; appartenant à ce peuple, le peuple juif, peuple de l’Alliance et donc peuple premier de Dieu. Cela aussi Jésus le fait sien jusqu’au bout !
Car c'est dans cette histoire particulière, par cette histoire particulière, voire parfois malgré elle s'il le faut, que le Dieu de l’universel se dévoile. Cet épisode, celui de la Samaritaine et de son peuple à elle, nous dit la profondeur de l'Incarnation du Fils de Dieu, une réalité qui n'a rien d'abstrait. Juif, le Fils de Dieu s'inscrit dans cette histoire-là, en élevant celles et ceux à qui il s'adresse au statut d'enfants d’Abraham, d'affranchis du Dieu d'Israël selon la promesse des prophètes. Par delà les idoles figurées ici par les maris de la Samaritaine (cf. 2 Rois 17, 29-41) — et « celui-là n'est pas ton mari », lui dit Jésus — par delà les idoles et les captivités qu'elles génèrent, est libéré quiconque en appelle à celui qui est au-delà de toute captivité et de toute identité qui rend captif.
C’est comme cela que le Dieu qui est au-dessus de tout Dieu nous sauve. Celui qui est la parole éternelle, qui a fondé le monde et connaît tous les méandres de nos vies a emprunté un chemin, celui de l’Alliance qui va d’Abraham au Royaume à venir. Le salut vient des Judéens, du cœur de la foi juive, reprise d'Ésaïe, ch. 2 v. 3 : « Car de Sion sortira la loi, Et de Jérusalem la parole de l’Éternel », mais cette parole, celle du salut, provient de l'éternité, que Jésus, parole devenue chair (Jean 1, 14) vient ainsi inscrire dans le temps éternel comme Ressuscité. C'est cette parole semée par les prophètes (cf. Michée 6, 15) que ses disciples moissonnent à présent (Jn 4, 37-38), dans une rencontre d'amour entre un peuple, les Samaritains (cf. Michée 1, 6 sq.), et le Dieu venu en Jésus, dépassant l'attente d'amour de la Samaritaine découvrant dans le Dieu dévoilé en Jésus ce qu'elle n'a pas pu trouver dans ses maris successifs, comme autant d'idoles samaritaines. La source de vie qu'elle découvre en Jésus, mieux que l'eau d'un puits, jaillit en vie éternelle.
De la sorte Jésus conduit cette femme à le confesser en ses termes à elle, comme il nous y conduit tous. On ne sera libéré des idoles qui nous tiennent captifs qu'en les dénonçant pour ce qu'il en est : des idoles, dont seul le Dieu qui est au-delà de tout nom, de toute figure que l'on s'en fait peut rompre le mensonge. Dieu d'éternité dont la parole sort de Jérusalem, du cœur de la Judée et des paroles des prophètes d'Israël. C'est ce Dieu qui s'est dit en Jésus. C'est le Dieu au-delà de toute figure, de toute idole ; lui est esprit et vérité, qui nous advient comme source vraie, jaillissant en vie éternelle, adoré en esprit et vérité.
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Cela est apparu dans ce récit à travers une dimension pour le moins étonnante de la relation entre Dieu et nous : la dimension de la séduction !… qui est au cœur de la rencontre de Jésus et de la femme samaritaine, selon une lecture qu’il est difficile d’éviter si l'on tient compte des circonstances, pour le moins étranges, de cette conversation. Comme les disciples n'ont pas manqué de le remarquer (v. 27) — et on le verra, avec une gêne qui ne les quittera pas de tout le repas qui suivra l’épisode —, il est pour le moins incongru — à l'époque —, qu'un homme et une femme seuls tiennent conversation ensemble.
On a souvent remarqué ce côté bizarre de l'affaire, mais en en tirant peu ou pas de conséquences quant au sens de cette rencontre. Jésus ne ferait qu'érafler les conventions. Mais, quand ce ne serait que cela, ça ne changerait rien au fait : il n'est pas indifférent, et pas sans ambiguïté, d'érafler ces conventions-là. D'autant moins indifférent que, loin de se détourner, la femme se prête au jeu !
Jeu dont elle sait le sens antique, et qui correspond à ce qui a tout d’une autre convention : dans la Bible, un dialogue au bord d'un puits a tout d'une entrée en matière à visée matrimoniale (cf. Gn 24, 14, à propos de Rébecca, la future épouse d'Isaac ; cf. Ex 2, 15-20, la rencontre de Moïse et de sa future femme,…).
Tel est le décor de notre texte, Dieu s'y montrant comme dans un rapport… de séduction, avec la Samaritaine, et à travers elle,… avec nous ! Car, il est peut-être question d'autre chose que d'un simple échange de bons services du genre : « je te demande de l'eau de puits pour t'offrir de l'eau vive de l’Évangile en échange ». Le dialogue qui nous est rapporté ici pourrait bien aller plus loin.
Dès l'abord, donc, on est dans l'étrange : Jésus s'adresse à une femme, seule (v. 7-8). Jésus a peut-être soif, mais il n'est pas complètement naïf : il s'agit d'une femme, seule ! Et à cela, les disciples achopperont (v. 27).
La Samaritaine n'est pas naïve non plus. Et voilà qu'elle lui répond ! Elle pourrait, ou devrait, l'ignorer. Mais non, elle lui parle de leur appartenance ethno-religieuse différente (v. 9) puisque, comme le texte le rappelle, il n'est pas habituel qu'il y ait des relations entre Juifs et Samaritains, en ce sens que ce genre-là de contact homme-femme ne débouche pas sur un mariage… La Samaritaine le sait ; mais elle a choisi de poursuivre le dialogue. Autrement dit, ce qui apparaît comme l'audace de Jésus, loin de l'effrayer, semble ne pas lui déplaire. L'ambiance est à l'ambiguïté.
Et Jésus qui naturellement a perçu, dès l'abord, cette dimension, cette ouverture de cette femme à sa personne, poursuit, lui aussi sur la voie de l'ambiguïté. Il lui promet de l'eau vive (v. 10), parole à double sens, on l'a de tout temps remarqué, désignant l'Esprit. Double sens… voire triple, si l'on tient compte de ce qui ne peut pas ne pas entrer d'une façon ou d'une autre dans la compréhension de la Samaritaine, compte tenu de l'ambiance. Ça ne peut sonner aux oreilles de cette femme habituée à des relations instables avec les hommes que comme une possible promesse… de bonheur enfin fidèle. Et la Samaritaine de poursuivre, référant aux grands ancêtres Jacob et alii, et à leurs troupeaux. Ces grands ancêtres qui justement, rencontraient leur femme autour de ce puits.
Et là, Jésus, comme s'il voulait assurer ses arrières (v. 16) : « va chercher ton mari et reviens ». Et la femme de commettre une… petite omission (v. 17) : « je n'ai pas de mari ». En d'autres termes : « je suis toute à toi ».
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À ce point, Jésus la reprend (v. 17-18) : « tu as eu cinq maris… et celui que tu as là n'est pas ton mari »… Pour déboucher sur le point culminant du dialogue (v. 21-24) : « ici, c'est Dieu qui te séduit, c'est Dieu que tu séduis : il n'y a plus que relation vraie, entre Dieu et son aimé, intime, en esprit et vérité, au-delà de tout rite ou cérémonie. La brèche qui s'opère entre nous est la brèche de la séduction entre Dieu et toi, entre toi et Dieu. »
Et on découvre là le troisième niveau. C'est celui auquel le vit Jésus.
Dans son aptitude à saisir les discours dédoublés, ébréchés par la séduction, la Samaritaine accède à ce plan, et glisse alors sa question sur le Messie (v. 25). Jésus dévoile alors qu'en lui se révèle le Dieu séduit et le Dieu qui séduit ; qu'il est un réel désir de Dieu pour son aimé, qu'à un plan sublimé, il y a ici réelle séduction réciproque. Une histoire de séduction avec ses différents niveaux. Ici le niveau habituel et son extension céleste !
Ce qui n’en trouble pas moins fortement les disciples (v. 27-34), durant tous les versets qui suivent. Ils ont, bien sûr, saisi l'ambiguïté ; et à demi-mot, laissent paraître le malaise causé par une question qu'ils n'ont pas osé poser à Jésus : « que faisais-tu avec cette femme ? »
Alors, Jésus, laissant les pensées qui le retiennent et qui — sans doute au grand dam des disciples — lui font oublier son repas (v. 31), Jésus en vient à cette question que les disciples ne posent pas (v. 32) : « J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas ». Ce qui, naturellement, les renvoie à ce à quoi ils pensent (v. 33) : « quelqu'un lui aura apporté à manger », retour discret de la lancinante question : qu'a-t-il pu se passer entre Jésus et cette femme en leur absence ?
Et Jésus répond à leur trouble (v. 34 sq) : « ma nourriture est de faire la volonté de Dieu ». Volonté troublante comme un dialogue au bord d'un puits avec une femme de Samarie : elle conduit chez ces suspects Samaritains, et elle y conduira les disciples (v. 38), à travers une histoire de séduction entre Dieu et un peuple qui s'est dite dans un dialogue de séduction se sublimant entre un homme et une femme.
Déjà la moisson est prête, s'ouvrant dans une relation de séduction divine. Qu'en est-il de la relation de séduction entre Dieu et nous ? Si Dieu nous a séduits, qu'est-ce que son regard a saisi, opéré en nous ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un Dieu qui nous a séduit, qui se révèle comme Dieu séduit, qui dit au prophète Osée : « je la conduirai au désert et je la séduirai, je parlerai à son cœur ». Car c'est « lui qui nous a aimés le premier » ! (1 Jn 4, 19)
comme c'est chouette de t'entendre "malgré les circonstances"
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