jeudi 1 avril 2010

Jeudi saint - Le signe de la cruche



Picasso - Nature morte avec crâne, poireaux et pichet - 1945

Luc 22, 1-13

1 La fête des Pains sans levain, celle qu'on appelle la Pâque, approchait.
2 Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le supprimer ; car ils avaient peur du peuple.
3 Alors Satan entra en Judas, celui qu'on appelle Iscariote et qui était du nombre des Douze.
4 Celui-ci alla s'entendre avec les grands prêtres et les chefs des gardes sur la manière de le leur livrer.
5 Ils se réjouirent et convinrent de lui donner de l'argent.
6 Il accepta et se mit à chercher une occasion pour le leur livrer à l'insu de la foule.
7 Le jour des Pains sans levain, où l'on devait sacrifier la Pâque, arriva.
8 Jésus envoya Pierre et Jean, en disant : Allez nous préparer la Pâque, pour que nous la mangions.
9 Ils lui dirent : Où veux-tu que nous la préparions ?
10 Il leur répondit : Quand vous serez entrés dans la ville, un homme portant une cruche d'eau viendra à votre rencontre ; suivez-le dans la maison où il entrera,
11 et vous direz au maître de maison : Le maître te dit : « Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? »
12 Il vous montrera une grande chambre à l'étage, aménagée : c'est là que vous ferez les préparatifs.
13 Ils partirent, trouvèrent les choses comme il leur avait dit et préparèrent la Pâque.

*

Une cruche portée par un homme, comme signe pour la préparation de la Pâque. Bien sûr on est dans la nécessité de la discrétion. Jeudi saint, l’heure de la trahison approche.

Les autorités ont déjà soudoyé Judas pour qu’il leur livre Jésus discrètement. Pourquoi discrètement ? Parce Jésus jouit d’une popularité certaine. Discrètement, c’est-à-dire, on l’a lu, «à l’insu de la foule» (v. 6).

Judas a dès alors pris de le parti de l’ennemi, de l’accusation de son maître — en hébreu du satan, dès lors « entré en lui » (v. 3).

Tout est en place, de la part des autorités terrestres, comme au plan du combat céleste en train de se mener.

Un signe comme l’homme — ou l’on attend alors plutôt une femme — portant la cruche évoque les signaux d’un groupe résistant et menacé ; cela pour le plan de la discrétion vis-à-vis des autorités terrestres.

C’est aussi un signe de la portée des signes prophétiques, au plan de la dimension spirituelle et céleste. Comme le signe de l’ânon et de son pourvoi mystérieux, aux Rameaux, fait écho à la prophétie de Zacharie concernant le Messie et son triomphe dans l’humilité.

Un signe du même ordre pour préparer la Pâque, prend sens pour les disciples dont le récit retiendra ce détail. Un homme portant une cruche.

Dans la Bible hébraïque, on trouve trois moments où il est question d’une cruche comme signe…

En premier lieu, en Genèse 24 :
Éliézer, serviteur d’Abraham, est en mission : aller trouver la future épouse d’Isaac, fils de son maître. Arrivé, il s’adresse à Dieu :
13 Voici, je me tiens près de la source d’eau, et les filles des gens de la ville vont sortir pour puiser de l’eau.
14 Que la jeune fille à laquelle je dirai : Penche ta cruche, je te prie, pour que je boive, et qui répondra : Bois, et je donnerai aussi à boire à tes chameaux, soit celle que tu as destinée à ton serviteur Isaac ! Et par là je connaîtrai que tu uses de bonté envers mon seigneur [Abraham].

Puis en 1 Samuel 26 :
David trouve le roi Saül qui le pourchasse à sa merci, endormi dans une grotte. Invité à attenter à ses jours, David s’y refuse :
11 Loin de moi, par l'Éternel ! de porter la main sur l'oint de l'Éternel ! Prends seulement la lance qui est à son chevet, avec la cruche d'eau, et allons-nous-en — dit-il à son aide de camp.
12 David prit donc la lance et la cruche d’eau qui étaient au chevet de Saül ; et ils s’en allèrent. Personne ne les vit ni ne s’aperçut de rien, et personne ne se réveilla, car ils dormaient tous d’un profond sommeil dans lequel l’Éternel les avait plongés.

Et en 1 Rois 17
Le prophète Élie, celui qui est annoncé comme signe de l’accomplissement de temps :
8 […] la parole de l’Éternel lui fut adressée en ces mots:
9 Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j'y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir.
10 Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l’appela, et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d’eau dans un vase, afin que je boive.
11 Et elle alla en chercher. Il l'appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main.
12 Et elle répondit : l’Éternel, ton Dieu, est vivant ! je n’ai rien de cuit, je n’ai qu’une poignée de farine dans un pot et un peu d’huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons.
[…]
16 La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l’huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que l’Éternel avait prononcée par Élie.
17 Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration.
18 Cette femme dit alors à Élie : Qu'y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ?
19 Il lui répondit : Donne-moi ton fils. Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit.
20 Puis il invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ?
21 Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui !
22 L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie.

Dans le premier et le troisième récits, Rébecca et la veuve de Sarepta, il s’agit de femmes.

Le premier moment, celui de la Genèse, nous présente la cruche comme signe du don, de la générosité, servant non seulement l’envoyé d’Abraham, mais jusqu’à ses chameaux. Ce sera donc, elle, Rébecca, la future épouse d’Isaac, celle par qui l’Alliance se déploiera.

Ici, on a la cruche qui dessine l’Alliance, dont les paroles vont être prononcées dans l’évangile un moment plus tard, au moment du partage du pain et du vin du repas de la Pâque.

Le troisième moment, celui du 1er livre des Rois, avec Élie et le veuve de Sarepta — image du peuple exilé, en deuil de son Dieu — annonce la résurrection, la fin du dernier exil, dont la parole va se répandre par l’Esprit depuis la chambre haute des disciples, mentionnée ici en Luc 22 : « un homme portant une cruche d'eau viendra à votre rencontre ; suivez-le dans la maison où il entrera, […] Il vous montrera une grande chambre à l'étage » (v. 10-12).

« Élie prit le fils de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. Puis il invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j'ai été reçu comme un hôte ? Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit: Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui ! L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie » (1 R 17, 19-22).

De la chambre haute à la résurrection…

Deux signes chaque fois : la cruche et l’Alliance, puis la cruche et la chambre haute, mentionnée dans l’évangile, évoquant deux autres apparitions d’une cruche comme signe.

Entre ces deux moments, le deuxième texte évoqué, à présent. Là, c’est un homme qui apparaît avec une cruche. Dans ce récit, la cruche est un signe de la vie épargnée, comme en écho lointain de la première Pâque, où était épargnée la vie des premiers-nés de l’Exode. Ici la vie de Saül est épargnée par David, comme les nôtres lors de la Pâque qui se prépare.

Ière référence, Genèse 24 et Rébecca, l’Alliance qui se poursuit par Rébecca, l’Alliance mentionnée juste après dans notre texte, avec l’institution de la sainte Cène.

2ème référence, David épargnant Saül, comme nos vies sont épargnées à la Pâque.

3ème référence : c’est la mort qui est vaincue, traversée jusqu’à la résurrection, trois jours après, comme Élie dans la chambre haute s’allonge trois fois sur le fils de la veuve.

Un autre signe accompagne chaque fois celui de la cruche : l’Alliance pour le premier texte, la chambre haute pour le troisième ; et pour le deuxième texte, celui de la Pâque qui nous épargne la mort, l’autre signe est la lance.

Mais alors, où est la lance dans l’évangile ? On a la cruche et le signe de l’Alliance, la cruche et la chambre haute…

La lance, signe de ce que nos vies sont épargnées comme celle de Saül par David, n’apparaît pas chez Luc, ni dans ce récit, ni plus loin. La mort, la lance, n’a pas frappé Saül, elle ne nous frappe pas. La mort est vaincue. Elle est vaincue d’avoir frappé le Juste, celui que préfigure David épargnant Saül. La mort frappe Jésus, mais son instrument n’est pas la lance qui a épargné Saül, c’est la croix.

Reste toutefois une question. Concernant la lance à laquelle plusieurs pensent sans doute, la lance que l’on retrouve chez Jean au vendredi saint, perçant le côté de celui, déjà mort, dont jaillit le sang de l’Alliance, par lequel Dieu épargne nos vies… Tandis que, chez Jean aussi, on trouve une cruche proche de celle de Rébecca, avec la Samaritaine ; Jean 4, 28 « Ayant laissé sa cruche, elle s’en alla en ville, et dit aux gens : ne serait-ce point le Christ ? »

La réponse à cette question : « ne serait-ce point le Christ ? » sera celle du centenier, qui « voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu, et dit : certainement, cet homme était juste. » (Luc 23, 47). Il était le Juste. Alors laissant le signe de la lance, il faut s’en aller et dire : il est vraiment le Christ, le vainqueur de la mort.

RP
Antibes, Jeudi saint 01.04.10


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