Psaume 17 ; Daniel 3 ; 2 Thessaloniciens 2, 16 à 3, 5 ; Luc 20, 27-38
Daniel 3
Le texte de Daniel que nous avons lu est très moderne. Il l’a d’ailleurs toujours été : il y est question d’un pouvoir totalitaire qui se fait adorer et persécute ceux qui ne se plient pas à ses désirs et ordres, en l’occurrence les disciples du Dieu qui ne se confond avec aucun pouvoir. Et on peut constater à travers l’Histoire que la persécution est toujours le fait d’un pouvoir totalitaire ou de ce qui cherche à le devenir, et que du coup, elle a la plupart du temps visé les disciples du Dieu que nul n’a jamais vu, dont la foi anti-idolâtre a toujours gêné les pouvoirs totalitaires, par nature idolâtres.
Mais, me direz-vous peut-être, les pouvoirs totalitaires se sont souvent réclamés d’un Dieu unique — et cela jusqu’à aujourd’hui.
On sait certes que le dernier pouvoir totalitaire persécuteur du XXe siècle européen était athée : le pouvoir soviétique et avec lui les autres pouvoirs se réclamant du communisme. Leurs principales victimes étaient les croyants. Et sur le plan de son athéisme, ce pouvoir-là n’avait pas grand chose à envier à l’autre totalitarisme du XXe siècle, le pire de l’histoire, le totalitarisme fasciste et nazi. Mais qu’en est-il aujourd’hui, où la persécution est très souvent le fait de pouvoirs se réclamant de l’islam, tenants d’un Dieu unique, donc ? Ou de même, les temps de chrétienté du Moyen Age et de ses suites, où le pouvoir qui persécutait à qui mieux mieux les croyants au Dieu unique, juifs, hérétiques et protestants, était catholique, croyant au Dieu unique. Apparemment, ce que je viens de dire est brouillé par les faits.
Dieu unique ou idole unique ?
Mais attendez : croyants au Dieu unique, ou à une idole unique, ces pouvoirs persécuteurs-là ? Le pouvoir catholique médiéval, au moment où il était clairement persécuteur, voyait son chef auto-proclamé « vicaire du Christ » sur terre, après avoir adopté le titre de l’ancien empereur romain divinisé : « souverain pontife ». À y regarder de près, ce pouvoir-là adorait-il le Dieu que l’on ne peut pas représenter, ou se prenait-il lui-même pour la représentation de Dieu ?
De même aujourd’hui, la figure sinistre qui, au nom de l’islam, apparaît de temps en temps, et de préférence en période électorale, à coup de bombes ou de déclarations lénifiantes et menaçantes à la fois, sur les écrans de télévision du monde entier. Ne se prend-il pas pour Dieu — quand il s’auto-octroie — comme ces derniers jours contre une Église d’Irak — le pouvoir sur la vie et la mort, et quand il vient jouer les sages et calmes donneurs de conseils célestes auprès de ceux qu’il a endeuillés et ensanglantés ?!
Le Dieu que nul ne peut nommer et que nul n’a jamais vu ? Nous voilà plutôt avec l’adorateur d’une idole unique à son image, oui ! — et rien d’autre — un Dieu dont on se fait la voix, et que l’on représente, un Dieu pour l’on se prend donc, comme Nabuchodonosor (Neboukadnetsar), qui ne proposait lui aussi, qu’une seule idole… À son image, forcément, comme tous les prétendus « défenseurs de Dieu » — en fait d’eux-mêmes, forcément !
Totalitarisme, idole et persécution
On peut donc en revenir au texte de Daniel. Un lien étroit s’y noue là entre totalitarisme, idole et persécution. Nabuchodonosor est maître du monde, croit-il. Il est fondé à le penser, remarquez. Il a soumis toutes les puissances de la terre. Il a même fichu par terre, à Jérusalem, le Temple du Dieu unique. De quoi impressionner ses témoins, les juifs, comme dans les époques ultérieures et jusqu’à nos jours, les chrétiens avec eux, qui lisent à leur tour ce texte.
Eh bien ! — en voilà quelques-uns, avec Chadrak, Méchak et Abed-Nego, qui décident de ne pas se laisser impressionner. Nabuchodonosor a bien abattu des murs — à la symbolique forte, certes, signifiant la présence de Dieu parmi les hommes. Oui, Nabuchodonosor a détruit le temple, mais Chadrak, Méchak et Abed-Nego le savent, il n’a pas abattu Dieu pour autant.
Nabuchodonosor a pouvoir sur tout ? Sur tout ce qui se soumet à son pouvoir peut-être, mais pas sur Dieu, qui lui a octroyé, pour des raisons que lui seul connaît, son trône provisoire. « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » (Jn 19, 11) — répondra de même Jésus au représentant de l’empereur romain. Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont eux aussi cette conviction.
Mais Nabuchodonosor se prend pour Dieu : pensez, il a un tel pouvoir : il peut mettre par terre jusqu’au Temple de Dieu, apparemment impunément. Alors il va faire reconnaître son pouvoir par tous : il va faire une image, gigantesque, en or — oh oui, décidément, il en a du pouvoir ! 30 mètres de haut son colosse : l’équivalent du Colosse de Rhodes, qui sera une des 7 merveilles du monde, comme le sont les jardins de Babylone que lui-même, Nabuchodonosor, a fait construire pour le plaisir de sa femme.
Oh oui, il en a du pouvoir ! — et que tout le monde la ferme ! Et pour cela, pour que personne ne puisse élever la voix, c’est un orchestre assourdissant qui donnera le signal du prosternement lors de l’inauguration de son idole. Le livre de Daniel en énumère à plaisir la liste des instruments, un plaisir dans l’ironie, non dissimulé. On se prosternera, décrète Nabuchodonosor, sous peine de persécution généralisée et de mort par le feu… Et voilà que Chadrak, Méchak et Abed-Nego ne se prosternent pas ?! Oh ! Ils n’ont même pas tenu à se faire remarquer — on les a dénoncés.
Quelle est l’idole ?
Ce qui nous permet de faire un pas supplémentaire pour savoir quelle est l’idole, quelle est l’idole, alors et en tout temps.
Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont été dénoncés par jalousie. On sait que parmi les déportés juifs, plusieurs, parmi lesquels ils sont, ont été remarqués pour leur sagesse. Et, mégalomane, mais pas encore tout à fait fou, Nabuchodonosor les a embauchés parmi ses conseillers. Et ils font de l’ombre à certains. « Quelques Chaldéens » nous dit le texte, c’est-à-dire l’entourage de sages, les conseillers du prince, qui vont lui signaler que « certains » — suivez mon regard : des juifs — ne se prosternent pas.
À ce point, résumons-nous : une idole ; d’or ; de la jalousie, compétition pour paraître devant le pouvoir. On a là les ingrédients qui conduisent à la persécution : l’idole devant qui on est obligé de se prosterner, l’idole du pouvoir total qu’elle représente. Le pouvoir devant qui l’on se plie, en en rajoutant dans les courbettes, sauf à s’y refuser consciemment. L’idole d’or, symbole on ne peut plus clair du pouvoir total : qui a l’or, peut tout en ce monde, jusqu’à dresser les hommes les uns contre les autres dans la course au paraître.
Sous cet angle, Jésus, avec la tradition juive, la nomme, l’idole : Mammon. Mammon et Nabuchodonosor qui le sert ont les moyens de faire plier quiconque : de gré — personne n’a forcé les Chaldéens à dénoncer Chadrak, Méchak et Abed-Nego, leur intérêt dans le désir de paraître devant le pouvoir a suffi — ; de gré, ou de force : la mort par le feu si ça ne vous plaît pas. L’idole : le pouvoir, l’or, qui poussent à la compétition en vue du paraître ! Eh bien, il faut bien le dire : rien de nouveau sous le soleil. On en est encore là.
La nouveauté n’est jamais que celle des tentacules diverses de la même pieuvre, assoiffée de brûler tout ce qu’elle ne peut soumettre, quitte pour ses serviteurs à s’y brûler soi-même comme s’y brûlaient les hommes qui avaient jeté Chadrak, Méchak et Abed-Nego dans la fournaise chauffée à blanc.
La vie devant Dieu seul — dans la fournaise avec le 4ème homme
Cette pieuvre, qui vise toujours à dominer le monde n’a, comme aux temps de Daniel contre Nabuchodonosor, qu’un ennemi en ce monde : le témoin fidèle de la vérité, cette parole du Dieu unique, qui ne combat pas le pouvoir spirituel des idoles avec les armes et leurs fracas, les armes physiques, qui n’ont aucun pouvoir contre les choses de l’esprit.
On comprend que la pieuvre veuille à tout prix détruire de tels témoins. On est face à une violence terrible et déterminée, qui se manifeste comme or, pouvoir, compétition et paraître.
Seul Dieu y met un terme. Seuls les témoins de la vérité et de sa parole lui mettent ici-bas des bâtons dans les roues en refusant de s’y soumettre. Refus qui demande de la vigilance ! — car la pieuvre a plusieurs visages, ou tentacules.
Il s’agit dans tous les cas pour refuser de se prosterner devant l’idole, d’être devant Dieu seul. Coram Deo sola fide vivere — vivre devant Dieu par la foi seule — selon la formule de la Réforme. Cela n’a l’air de rien, mais cette parole qui est celle de notre liberté, nous coûtera tout. Et à l’heure actuelle même, pour la majorité des témoins de Dieu et du Christ de la planète, cela coûte la persécution, comme pour Chadrak, Méchak et Abed-Nego.
Mais ceux-là triomphent, ils ne sont pas seuls ; étant devant Dieu seul, ils sont à l’image du 4ème homme, qui est avec eux dans la fournaise. « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » a averti Jésus, cela pour dire : « n’ayez donc point crainte : je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des siècles » — comme le 4ème homme.
Le 4ème homme. Celui selon l’image duquel nous avons été faits. Car c’est bien là le « selon l’image » de la création. C’est ici que se fait le partage entre une humanité défigurée par l’idole à laquelle elle se conforme et une humanité qui s’y refusant, est transfigurée par l’image de Dieu selon laquelle elle est faite, et qui est le 4ème homme. Le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, dévoilé au dimanche de Pâques dans le Christ ressuscité. Voilà une des choses que dit pour nous, comme signe, le baptême dans la mort du Christ, qui a traversé la fournaise de la mort, pour que nous participions, dès aujourd’hui, à sa résurrection — comme enfants de la résurrection.
Luc 20, 36-38 :
36 C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu’ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
Telle est la promesse qui au cœur de la décision de suivre le Christ, quoiqu’il en coûte.
Daniel 3
1 Le roi Neboukadnetsar fit une statue d’or, de trente mètres de haut et de trois mètres de large. Il la dressa dans la vallée de Doura, dans la province de Babylone.
2 Le roi Neboukadnetsar fit convoquer les satrapes, les intendants et les gouverneurs, les magistrats, les trésoriers, les juristes, les juges et toutes les autorités des provinces, pour qu’ils se rendent à l’inauguration de la statue qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar.
3 Alors les satrapes, les intendants et les gouverneurs, les magistrats, les trésoriers, les juristes, les juges et toutes les autorités de la province s’assemblèrent pour l’inauguration de la statue qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar. Ils se placèrent devant la statue qu’avait dressée Neboukadnetsar.
4 Le héraut cria avec force : Voici ce qu’on vous ordonne, peuples, nations, hommes de toutes langues !
5 Au moment où vous entendrez le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments de musique, vous vous prosternerez et vous adorerez la statue d’or qu’a dressée le roi Neboukadnetsar.
6 Quiconque ne se prosternera pas et n’adorera pas sera jeté à l’instant même au milieu d’une fournaise ardente.
7 C’est pourquoi, au moment où tous les peuples entendirent le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion et de toutes sortes d’instruments de musique, tous les peuples, les nations, les hommes de toutes langues se prosternèrent et adorèrent la statue d’or qu’avait dressée le roi Neboukadnetsar.
8 À cette occasion, et dans le même temps, quelques Chaldéens s’approchèrent et accusèrent les Juifs.
9 Ils prirent la parole et dirent au roi Neboukadnetsar : Ô roi, vis à jamais !
10 Ô roi, tu as donné un ordre d’après lequel tout homme qui entendrait le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments devrait se prosterner et adorer la statue d’or,
11 et d’après lequel quiconque ne se prosternerait pas et n’adorerait pas serait jeté au milieu d’une fournaise ardente.
12 Or, il y a des Juifs à qui tu as remis l’administration de la province de Babylone, Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Ces hommes ne tiennent aucun compte de ton ordre, ô roi ; ils ne servent pas tes dieux et ils n’adorent pas la statue d’or que tu as dressée.
13 Alors Neboukadnetsar, irrité et furieux, donna l’ordre d’amener Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Et ces hommes furent amenés devant le roi.
14 Neboukadnetsar prit la parole et leur dit : Est-ce de propos délibéré, Chadrak, Méchak et Abed-Nego, que vous ne servez pas mes dieux, et que vous n’adorez pas la statue d’or que j’ai dressée ?
15 Maintenant tenez-vous prêts, vous allez entendre de nouveau jouer et au moment où vous entendrez le son du cor, de la flûte, de la cithare, de la sambuque, du psaltérion, de la cornemuse et de toutes sortes d’instruments, vous vous prosternerez et vous adorerez la statue que j’ai faite. Si vous ne l’adorez pas, vous serez jetés à l’instant même au milieu d’une fournaise ardente. Et quel est le dieu qui vous délivrera de ma main ?
16 Chadrak, Méchak et Abed-Nego répliquèrent au roi Neboukadnetsar : Nous n’avons pas besoin de te répondre là-dessus.
17 Si cela doit être, notre Dieu que nous servons peut nous délivrer : il nous délivrera de la fournaise ardente et de ta main, ô roi.
18 Sinon, sache ô roi, que nous ne servirons pas tes dieux et que nous n’adorerons pas la statue d’or que tu as dressée.
19 Alors Neboukadnetsar fut rempli de fureur, et l’aspect de son visage changea devant Chadrak, Méchak et Abed-Nego. Il reprit la parole et ordonna de chauffer la fournaise sept fois plus qu’il n’était habituel de la chauffer.
20 Puis il commanda à quelques-uns des plus vigoureux soldats de son armée de lier Chadrak, Méchak et Abed-Nego, et de les jeter dans la fournaise ardente.
21 Ces hommes furent liés, revêtus de leurs habits, de leurs tuniques, de leurs manteaux et de leurs autres vêtements, et jetés au milieu de la fournaise ardente.
22 À cause de l’ordre du roi qui était sévère, et parce que la fournaise était extraordinairement chauffée, la flamme tua les hommes qui y avaient jeté Chadrak, Méchak et Abed-Nego.
23 Et ces trois hommes, Chadrak, Méchak et Abed-Nego tombèrent liés au milieu de la fournaise ardente.
24 Alors le roi Neboukadnetsar fut effrayé et se leva précipitamment. Il prit la parole et dit à ses conseillers : N’avons-nous pas jeté au milieu du feu trois hommes liés ? Ils répondirent au roi : Certainement, ô roi !
25 Il reprit et dit : Eh bien ! je vois quatre hommes sans liens, qui marchent au milieu du feu et qui n’ont pas de mal ; et l’aspect du quatrième ressemble à celui d’un fils des dieux.
26 Puis Neboukadnetsar s’approcha de l’entrée de la fournaise ardente, prit la parole et dit : Chadrak, Méchak et Abed-Nego, serviteurs du Dieu Très-Haut, sortez et venez ! Et Chadrak, Méchak et Abed-Nego sortirent du milieu du feu.
27 Les satrapes, les intendants, les gouverneurs et les conseillers du roi s’assemblèrent ; ils virent que le feu n’avait eu aucun pouvoir sur le corps de ces hommes, que les cheveux de leur tête n’avaient pas été brûlés, que leurs habits n’étaient pas endommagés, et que l’odeur du feu ne les avait pas atteints.
28 Neboukadnetsar prit la parole et dit : Béni soit le Dieu de Chadrak, de Méchak et d’Abed-Nego, lui qui a envoyé son ange et délivré ses serviteurs. Ils ont eu confiance en lui. Ils ont violé l’ordre du roi et livré leurs corps plutôt que de servir et d’adorer tout autre dieu que leur Dieu !
29 Voici maintenant l’ordre que je donne : Tout homme, à quelque peuple, nation ou langue qu’il appartienne, qui parlera inconsidérément contre le Dieu de Chadrak, de Méchak et d’Abed-Nego sera mis en pièces, et sa maison sera réduite en un tas d’immondices, parce qu’il n’y a aucun autre Dieu qui puisse délivrer comme lui.
30 Après cela, le roi fit prospérer Chadrak, Méchak et Abed-Nego dans la province de Babylone.
*
Le texte de Daniel que nous avons lu est très moderne. Il l’a d’ailleurs toujours été : il y est question d’un pouvoir totalitaire qui se fait adorer et persécute ceux qui ne se plient pas à ses désirs et ordres, en l’occurrence les disciples du Dieu qui ne se confond avec aucun pouvoir. Et on peut constater à travers l’Histoire que la persécution est toujours le fait d’un pouvoir totalitaire ou de ce qui cherche à le devenir, et que du coup, elle a la plupart du temps visé les disciples du Dieu que nul n’a jamais vu, dont la foi anti-idolâtre a toujours gêné les pouvoirs totalitaires, par nature idolâtres.
Mais, me direz-vous peut-être, les pouvoirs totalitaires se sont souvent réclamés d’un Dieu unique — et cela jusqu’à aujourd’hui.
On sait certes que le dernier pouvoir totalitaire persécuteur du XXe siècle européen était athée : le pouvoir soviétique et avec lui les autres pouvoirs se réclamant du communisme. Leurs principales victimes étaient les croyants. Et sur le plan de son athéisme, ce pouvoir-là n’avait pas grand chose à envier à l’autre totalitarisme du XXe siècle, le pire de l’histoire, le totalitarisme fasciste et nazi. Mais qu’en est-il aujourd’hui, où la persécution est très souvent le fait de pouvoirs se réclamant de l’islam, tenants d’un Dieu unique, donc ? Ou de même, les temps de chrétienté du Moyen Age et de ses suites, où le pouvoir qui persécutait à qui mieux mieux les croyants au Dieu unique, juifs, hérétiques et protestants, était catholique, croyant au Dieu unique. Apparemment, ce que je viens de dire est brouillé par les faits.
Dieu unique ou idole unique ?
Mais attendez : croyants au Dieu unique, ou à une idole unique, ces pouvoirs persécuteurs-là ? Le pouvoir catholique médiéval, au moment où il était clairement persécuteur, voyait son chef auto-proclamé « vicaire du Christ » sur terre, après avoir adopté le titre de l’ancien empereur romain divinisé : « souverain pontife ». À y regarder de près, ce pouvoir-là adorait-il le Dieu que l’on ne peut pas représenter, ou se prenait-il lui-même pour la représentation de Dieu ?
De même aujourd’hui, la figure sinistre qui, au nom de l’islam, apparaît de temps en temps, et de préférence en période électorale, à coup de bombes ou de déclarations lénifiantes et menaçantes à la fois, sur les écrans de télévision du monde entier. Ne se prend-il pas pour Dieu — quand il s’auto-octroie — comme ces derniers jours contre une Église d’Irak — le pouvoir sur la vie et la mort, et quand il vient jouer les sages et calmes donneurs de conseils célestes auprès de ceux qu’il a endeuillés et ensanglantés ?!
Le Dieu que nul ne peut nommer et que nul n’a jamais vu ? Nous voilà plutôt avec l’adorateur d’une idole unique à son image, oui ! — et rien d’autre — un Dieu dont on se fait la voix, et que l’on représente, un Dieu pour l’on se prend donc, comme Nabuchodonosor (Neboukadnetsar), qui ne proposait lui aussi, qu’une seule idole… À son image, forcément, comme tous les prétendus « défenseurs de Dieu » — en fait d’eux-mêmes, forcément !
Totalitarisme, idole et persécution
On peut donc en revenir au texte de Daniel. Un lien étroit s’y noue là entre totalitarisme, idole et persécution. Nabuchodonosor est maître du monde, croit-il. Il est fondé à le penser, remarquez. Il a soumis toutes les puissances de la terre. Il a même fichu par terre, à Jérusalem, le Temple du Dieu unique. De quoi impressionner ses témoins, les juifs, comme dans les époques ultérieures et jusqu’à nos jours, les chrétiens avec eux, qui lisent à leur tour ce texte.
Eh bien ! — en voilà quelques-uns, avec Chadrak, Méchak et Abed-Nego, qui décident de ne pas se laisser impressionner. Nabuchodonosor a bien abattu des murs — à la symbolique forte, certes, signifiant la présence de Dieu parmi les hommes. Oui, Nabuchodonosor a détruit le temple, mais Chadrak, Méchak et Abed-Nego le savent, il n’a pas abattu Dieu pour autant.
Nabuchodonosor a pouvoir sur tout ? Sur tout ce qui se soumet à son pouvoir peut-être, mais pas sur Dieu, qui lui a octroyé, pour des raisons que lui seul connaît, son trône provisoire. « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut » (Jn 19, 11) — répondra de même Jésus au représentant de l’empereur romain. Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont eux aussi cette conviction.
Mais Nabuchodonosor se prend pour Dieu : pensez, il a un tel pouvoir : il peut mettre par terre jusqu’au Temple de Dieu, apparemment impunément. Alors il va faire reconnaître son pouvoir par tous : il va faire une image, gigantesque, en or — oh oui, décidément, il en a du pouvoir ! 30 mètres de haut son colosse : l’équivalent du Colosse de Rhodes, qui sera une des 7 merveilles du monde, comme le sont les jardins de Babylone que lui-même, Nabuchodonosor, a fait construire pour le plaisir de sa femme.
Oh oui, il en a du pouvoir ! — et que tout le monde la ferme ! Et pour cela, pour que personne ne puisse élever la voix, c’est un orchestre assourdissant qui donnera le signal du prosternement lors de l’inauguration de son idole. Le livre de Daniel en énumère à plaisir la liste des instruments, un plaisir dans l’ironie, non dissimulé. On se prosternera, décrète Nabuchodonosor, sous peine de persécution généralisée et de mort par le feu… Et voilà que Chadrak, Méchak et Abed-Nego ne se prosternent pas ?! Oh ! Ils n’ont même pas tenu à se faire remarquer — on les a dénoncés.
Quelle est l’idole ?
Ce qui nous permet de faire un pas supplémentaire pour savoir quelle est l’idole, quelle est l’idole, alors et en tout temps.
Chadrak, Méchak et Abed-Nego ont été dénoncés par jalousie. On sait que parmi les déportés juifs, plusieurs, parmi lesquels ils sont, ont été remarqués pour leur sagesse. Et, mégalomane, mais pas encore tout à fait fou, Nabuchodonosor les a embauchés parmi ses conseillers. Et ils font de l’ombre à certains. « Quelques Chaldéens » nous dit le texte, c’est-à-dire l’entourage de sages, les conseillers du prince, qui vont lui signaler que « certains » — suivez mon regard : des juifs — ne se prosternent pas.
À ce point, résumons-nous : une idole ; d’or ; de la jalousie, compétition pour paraître devant le pouvoir. On a là les ingrédients qui conduisent à la persécution : l’idole devant qui on est obligé de se prosterner, l’idole du pouvoir total qu’elle représente. Le pouvoir devant qui l’on se plie, en en rajoutant dans les courbettes, sauf à s’y refuser consciemment. L’idole d’or, symbole on ne peut plus clair du pouvoir total : qui a l’or, peut tout en ce monde, jusqu’à dresser les hommes les uns contre les autres dans la course au paraître.
Sous cet angle, Jésus, avec la tradition juive, la nomme, l’idole : Mammon. Mammon et Nabuchodonosor qui le sert ont les moyens de faire plier quiconque : de gré — personne n’a forcé les Chaldéens à dénoncer Chadrak, Méchak et Abed-Nego, leur intérêt dans le désir de paraître devant le pouvoir a suffi — ; de gré, ou de force : la mort par le feu si ça ne vous plaît pas. L’idole : le pouvoir, l’or, qui poussent à la compétition en vue du paraître ! Eh bien, il faut bien le dire : rien de nouveau sous le soleil. On en est encore là.
La nouveauté n’est jamais que celle des tentacules diverses de la même pieuvre, assoiffée de brûler tout ce qu’elle ne peut soumettre, quitte pour ses serviteurs à s’y brûler soi-même comme s’y brûlaient les hommes qui avaient jeté Chadrak, Méchak et Abed-Nego dans la fournaise chauffée à blanc.
La vie devant Dieu seul — dans la fournaise avec le 4ème homme
Cette pieuvre, qui vise toujours à dominer le monde n’a, comme aux temps de Daniel contre Nabuchodonosor, qu’un ennemi en ce monde : le témoin fidèle de la vérité, cette parole du Dieu unique, qui ne combat pas le pouvoir spirituel des idoles avec les armes et leurs fracas, les armes physiques, qui n’ont aucun pouvoir contre les choses de l’esprit.
On comprend que la pieuvre veuille à tout prix détruire de tels témoins. On est face à une violence terrible et déterminée, qui se manifeste comme or, pouvoir, compétition et paraître.
Seul Dieu y met un terme. Seuls les témoins de la vérité et de sa parole lui mettent ici-bas des bâtons dans les roues en refusant de s’y soumettre. Refus qui demande de la vigilance ! — car la pieuvre a plusieurs visages, ou tentacules.
Il s’agit dans tous les cas pour refuser de se prosterner devant l’idole, d’être devant Dieu seul. Coram Deo sola fide vivere — vivre devant Dieu par la foi seule — selon la formule de la Réforme. Cela n’a l’air de rien, mais cette parole qui est celle de notre liberté, nous coûtera tout. Et à l’heure actuelle même, pour la majorité des témoins de Dieu et du Christ de la planète, cela coûte la persécution, comme pour Chadrak, Méchak et Abed-Nego.
Mais ceux-là triomphent, ils ne sont pas seuls ; étant devant Dieu seul, ils sont à l’image du 4ème homme, qui est avec eux dans la fournaise. « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » a averti Jésus, cela pour dire : « n’ayez donc point crainte : je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des siècles » — comme le 4ème homme.
Le 4ème homme. Celui selon l’image duquel nous avons été faits. Car c’est bien là le « selon l’image » de la création. C’est ici que se fait le partage entre une humanité défigurée par l’idole à laquelle elle se conforme et une humanité qui s’y refusant, est transfigurée par l’image de Dieu selon laquelle elle est faite, et qui est le 4ème homme. Le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, dévoilé au dimanche de Pâques dans le Christ ressuscité. Voilà une des choses que dit pour nous, comme signe, le baptême dans la mort du Christ, qui a traversé la fournaise de la mort, pour que nous participions, dès aujourd’hui, à sa résurrection — comme enfants de la résurrection.
Luc 20, 36-38 :
36 C’est qu’ils ne peuvent plus mourir, car ils sont pareils aux anges: ils sont fils de Dieu puisqu’ils sont fils de la résurrection.
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l’a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
Telle est la promesse qui au cœur de la décision de suivre le Christ, quoiqu’il en coûte.
R.P.
Antibes 7.11.10
Antibes 7.11.10
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