dimanche 15 mai 2011

"Je suis venu pour qu'ils aient la vie en abondance"




Actes 2, 29-41 ; Psaume 23 ; 1 Pierre 2, 20b-25 ; Jean 10, 1-10

Jean 10, 1-10
1  "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2  Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3  Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4  Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.
5  Jamais elles ne suivront un étranger; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers."
6  Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.
7  Jésus reprit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8  Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9  Je suis la porte: si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10  Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance.

*

"Jésus leur dit cette parabole mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait", nous rapporte le verset 6. Si l’on se déprend de l’habitude de croire toujours comprendre sans effort ce que dit Jésus, et si on lit attentivement la parabole (littéralement la comparaison) en question, on comprend que les auditeurs de Jésus n'aient rien compris. Considérons attentivement ce qui nous est dit : il est question pour celui qui nous est présenté comme le berger, d'entrer dans la bergerie, littéralement la cour, la cour où sont les moutons donc, et les appelant par leur nom, de les faire sortir, à l'appui du portier, puis, passant devant elles, de les emmener, au son de la voix.

Vous connaissez l'histoire du joueur de flûte de Hammeln : la ville de Hammeln est infestée de rats. Impossible de s'en débarrasser. Le maire de la ville fait appel à un fifre qui a promis de faire sortir les rats de la ville en les enchantant au son de sa flûte, cela contre un salaire correct, mais pas excessif, compte tenu du fléau. Marché conclu, notre fifre s'exécute. Il joue sa mélodie, et voilà les rats qui sortent de leurs caves, de leurs greniers, de leurs égouts, et qui se mettent à suivre le joueur de flûte qui les conduit au fleuve où ils se noient. Mission accomplie, notre fifre retourne voir le maire pour obtenir son salaire. Mais, étant débarrassé des rats, compte tenu de la situation financière difficile de la municipalité, le maire invite le fifre à patienter. Il le paiera... quant il pourra, s'il peut, un jour. Alors le fifre comprenant qu'on veut le rouler, sent frémir dans ses narines les effluves de la vengeance. Et le voilà qui ne fait pas un pli : il prend son pipeau, lance en l'air une étrange mélodie, et voilà que les enfants de la ville sortent de leurs classes, de leurs salles de jeu, de leurs crèches, et partent après lui, comme si la flûte parlait d'une voix qu'ils connaissaient. Et le fifre se dirige vers le fleuve...

La fameuse comparaison proposée par Jésus a pu sonner aux oreilles de ses auditeurs comme quelque chose de semblable à notre légende. Une histoire d'hypnotisation des brebis synagogales, hypnotisation qui emporte jusqu'au portier lui-même.

Car, soyons attentifs, il s'agit bien de faire sortir les brebis de la bergerie. Non seulement il y a de quoi faire écarquiller les yeux aux bergers attitrés de la bergerie en question, qui écoutent ce que dit Jésus, mais il y a de quoi leur faire dire "il est fou" (v.20). Ou sinon, il ne leur reste qu'à ne pas comprendre ce qui leur est dit.

Imaginons qu'ici-même quelqu'un qui se présente comme un pasteur, un berger, un bon berger même, et se propose de faire sortir les brebis de la bergerie dans laquelle on a pris tant de peine à les faire entrer ; tout cela sous prétexte qu'elles connaissent sa voix - c'est-à-dire sans doute à nos yeux, parce qu'elles sont fascinées par ses enchantements de fifre.

Et n’oublions pas que le titre de pasteur désigne dans la Bible beaucoup plus qu’un ecclésiastique : c’est le titre royal par excellence. Ce qui nous permet d’aller un pas plus loin. Le pasteur est le roi, les pasteurs ecclésiastiques en sont les adjoints, des pasteurs de l’attente du jour de l’intronisation du pasteur-Messie, le roi attendu par les contemporains de Jésus. Jésus, de la sorte se présente donc selon une perspective royale, et remet directement en cause la façon dont s’est exercée jusqu’alors la tâche royale. Bref, si on le prend pour le fifre de Hammeln, il remet en cause, non seulement le maire, mais jusqu’au chef de l’État.

Il y a au moins de quoi ne pas comprendre. Mettons-nous donc à la place de ceux qui alors sont en charge pastorale adjointe, comme tout ecclésiastique, avant d'en venir à comprendre ce que dit Jésus.


Qu'est-ce que sortir de la bergerie ?

Alors Jésus poursuit : c'est par lui qu'il faut passer, il est la porte (v.7-9). C'est par lui qu'il faut entrer, mais pour sortir. Si on entre pour ne pas sortir, c'est qu'on est mal entré. On a eu affaire aux voleurs. Pas très clair ?...

Remarquez, au v.10, que le voleur, lui, ne ferait sortir personne ; il se contente de saccager. Le bon berger fait sortir les brebis (v.9) : "si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira et trouvera les pâturages"... "Il aura la vie en abondance" (v.10). Voilà qui pour les auditeurs n'est sans doute guère plus clair. Ou plutôt de plus en plus clair. C'est bien ce qu'on avait voulu ne pas comprendre. En voilà un qui se prétend le maître de nos brebis et qui prétend les faire sortir de l'enclos où l’on s'est donné tant de mal à les faire entrer.

On comprend de mieux en mieux pourquoi les responsables religieux d’alors ont de la peine à comprendre. Sans doute se frottent-ils les yeux. Mais, quant à nous que comprenons-nous ?

La tentation est forte de s'imaginer que Jésus fait sortir les bons parmi les disciples des pharisiens pour constituer une autre bergerie, d'autant plus qu'il a une autre bergerie à aller visiter (v.16), pour en faire sortir, là aussi, les brebis qui lui appartiennent. Pour schématiser, Jésus viderait les mauvaises Églises pour en constituer une qui serait bonne ; façon de séparation anticipée du bon grain et de l'ivraie.

Mais voilà que ce n'est pas du tout ce que dit le texte. Ce n'est pas une opération de transvasement d'une cour dans une autre que Jésus se propose, ce n'est pas un vol ou un brigandage. C'est tout autre chose. Il ne fait pas sortir d'une cour pour aller dans une autre. Il fait sortir tout court, pour aller vers le grand air, les pâturages, la vie en abondance. On n'entre que pour sortir.

Ce qui rappelle par exemple Abraham dans la terre de ses pères, ou Lazare dans son tombeau. Ils n'entrent que pour sortir. On n'entre avec le Christ, dans son tombeau, dans le sein d'Abraham, que pour sortir vers la vie.

Jésus ne fait pas entrer les brebis, il les fait sortir, cela parce qu'il offre sa vie. Entrer dans sa mort pour sortir dans la vie. Sortir de notre provisoire pour entrer dans le Royaume qui dure toujours.


Exilés en terre étrangère

Il est aussi question dans la parabole, d'étrangers que les brebis ne connaissent pas. Voilà un autre parallèle avec Abraham qui va nous conduire au cœur de la situation des brebis face au bon berger. Si les brebis qui entendent la voix du Christ fuient la voix des étrangers, qui ne veulent pas les faire sortir, c'est qu'elles savent n'être pas de ce monde.

Car l'allusion ne fait plus de doute. Les voleurs en question, les étrangers, sont précisément ceux qui se croient de ce monde. Il s'agit des mauvais pasteurs qui veulent maintenir les brebis captives dans la bergerie, qui en d'autres termes veulent voler et détruire. Et ici, la bergerie prend figure de Babylone. Israël est en exil à Babylone. L'étranger est le lieu où l’on croit qu'on est de ce monde.

Mais lorsque Abraham a reçu l'appel à en sortir, la terre de ses pères est devenue étrangère pour lui, et il ne reconnaîtra plus la voix des Chaldéens, d'Ur et de Babylone.

Or ne l'oublions pas, l’Église est une institution qui concerne ce temps de l'exil. Est-ce à dire qu'il faille déserter les Églises ? Si l'on répond oui à cette question, une autre se pose immédiatement : pour aller où ? À Babylone de bon cœur, chanter gaiement au bord de ses fleuves amers ? Ou dans une autre Église ? Dans les deux cas, ce serait exactement faire ce que Jésus appelle "suivre les voleurs et les brigands".

En fait lorsque le peuple est en exil à Babylone, sur la terre étrangère - il y est pour de bon. La création d'une Synagogue, ou d'une Église, en est le signe même. Jérémie invite même à s'installer à Babylone, à s'y marier et à faire fructifier la ville. Nous sommes en ce monde. Mais qui entend la voix du bon berger, écho de sa vraie patrie, sait qu'il est à l'étranger.

C'est pourquoi, si on limite l'Église à un statut de bergerie définitive, sa fonction est complètement faussée : le Christ n'est pas de ce monde. C'est pourtant là, par l’Église que retentit la voix du bon berger - c'est la fonction essentielle de l'Église : faire retentir la Parole de Dieu - ; et c'est pourquoi le Christ est la porte par laquelle entrent ses brebis.

Mais sitôt dedans, ses brebis découvrent - à cause même de cette Parole qui y retentit - que ce qui leur est proposé est provisoire, on est encore, même dans l’Église, à Babylone... ce qui n'est pas une raison de d'anticiper le jour de l'Exode. Dieu a fixé une période de 70 ans pour l'exil à Babylone, 70 fois 7 ans pour l'exil spirituel dans la Babylone spirituelle selon le prophète Daniel, indiquent le temps des années spirituelles qui nous séparent de la venue de la grande foule dans la pleine liberté des enfants de Dieu (Ap 7).


Le temps de Babylone

Voilà un bon berger qui a de quoi faire éclater toutes les Babylone de tous nos exils, par l'écho de sa voix qui crée la nostalgie de Jérusalem. En attendant il faut bien pleurer au bord des fleuves de Babylone. Pleurer mais aussi y vivre. C'est Dieu qui nous y a placés, qui y a fixé nos limites. Nous sommes dans la chair pour vivre un Exode en forme de traversée du désert, guidés par le Christ, le bon berger qui nous précède, pour que nous vivions à son exemple le temps de nos Égypte et de nos Babylone.

C'est lui qui nous protège, qui donne sa vie pour nous. Ce n'est pas un mercenaire qui veille sur nous, mais un berger venu de la patrie où l'on n'est jamais étranger -, mieux, le Prince même de la Nouvelle Jérusalem. Point de crainte à avoir.

C'est alors que l'Église trouve cette autre fonction, qui n'est point celle de bergerie avec clôture, mais de chemin d'Exode, vers Dieu et avec les autres.

Repentez-vous (Ac 2:36-38), tournez-vous vers Dieu, entendez la voix du bon berger. C’est déjà l’Exode promis, l’Exode vers le Royaume dont le Christ est le berger.

R.P.
Antibes, 15.05.11


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