Jérémie 31, 7-8 ; Paume 126 ; Hébreux 5, 1-6 ; Marc 10, 46-52
Marc 10, 46-52
Texte du jour en ce dimanche de la Réformation… Confiance… « Ta foi t’a sauvé ». On ne peut pas mieux dire. Nous voilà au cœur du message de l’Évangile tel que proclamé par Martin Luther et qui a bouleversé et fait renaître l’Europe du XVIe siècle.
Cela en réponse à une formulation claire du problème : « que veux-tu que je te fasse ? » a demandé Jésus à l’aveugle. Mais… que je voie ! Lumière que l’on espère, et reçoit enfin…
Seize siècle plus tard… Un témoin, Gérard Roussel, proche de Lefèvre d’Étaples et réfugié en 1525 à Strasbourg avec lui, rapporte ce qu’il y voit. Le culte du dimanche :
« [Près de la table de la Cène] le ministre […] lit quelques prières tirées des Écritures et […] tout le monde chante un psaume. […] Le ministre ayant encore prié, il monte en chaire, et lit d’abord de façon à être compris de tous, l’Écriture qu’il veut expliquer… Le sermon fini, le ministre revient à la table. Tout le monde chante le symbole. Après quoi il est expliqué au peuple pour quel usage le Christ nous a donné la Cène… (…) Le ministre prend la Cène en dernier et achève le reste [approche luthérienne selon toute apparence]. Après quoi chacun se retire dans sa maison, pour revenir au grand temple, après dîner, environ à midi, et entendre le sermon que le pasteur adresse au peuple. »
Faim de la parole de vie et soif de lumière. La Réforme a produit ces effets en l’espace de quelques mois — comme la lumière qui jaillit dans des ténèbres reconnues pour telles —, bouleversant tant Strasbourg ici comme tout le continent, des bouleversements au cœur religieux du XVIe siècle.
Cela s’étend largement — jusqu’ici, à Poitiers, où Calvin, qui ne cache pas sa proximité d’avec la réforme strasbourgeoise, a peut-être prêché. Ce serait dans l’actuel collège Henri IV. Il ne serait en effet pas surprenant que, comme le rapporte la tradition, Calvin ait prêché à Poitiers comme il l’a fait en de nombreux endroits.
La parole a germé à temps — et à contretemps, comme à Genève, d’où on l’a chassé… puis rappelé, après qu’il ait été à Strasbourg et y ait, à ses dires, beaucoup reçu de la Réforme qui y a lieu de la façon que l’on vient d’entendre.
La Réforme est née de la parole de Dieu. L’Église en tout temps naît de la parole de Dieu, parole prêchée et confirmée par les sacrements. C’est ce qu’on vient d’entendre de l’Église de Strasbourg au XVIe siècle, une parole prêchée que les fidèles veulent réentendre l’après-midi. Et pourtant le matin la prédication a déjà duré une heure en moyenne ! Manifestement on a faim, non seulement de pain, mais de toute parole de Dieu.
Le sentiment est prégnant que de là naît la vie, de là jaillit la lumière, dont on sent avoir été privé, comme pour l’aveugle de Jéricho — Bar-Timée — au nom mélangé d’araméen — Bar, « fils de » — et du nom grec de son père, Timée : fils de Timée, de celui qui est digne d’honneur…
Cette histoire de Bar-Timée en ce jour de fête de la Réformation m’a fait penser à la devise des vaudois, tirée du prologue de l’évangile de Jean : lux lucet un tenebris : « la lumière luit dans les ténèbres » (Jean 1, 5) — les vaudois en ayant porté le flambeau à travers le Moyen Âge jusqu’à ce que cette lumière jaillisse en plein jour de la parole de Dieu : « Jésus dit à Bar-Timée : Va, ta foi t’a sauvé ». Parole de la Réforme que la parole de la foi, trouvée dans la Bible par Luther comme Évangile de la libération ; parole de la foi seule qui jaillit comme lumière du cœur des Écritures, comme prédication — proclamation — de la parole de Dieu.
C’est cette parole de leur liberté, parole de lumière qui vient de jaillir — dans un mouvement de réforme enfant de celui qui a veillé durant des siècles pour maintenir dans l’honneur la lumière qui luit dans les ténèbres —, parole que les Strasbourgeois ne se lassent pas d’entendre, au culte, puis après le repas. Cinq siècles après, nous savons-nous encore affamés et aveugles ? Ou serait-ce à dire qu’on a perdu le sens de la soif de lumière, le sens de la source de la lumière qui fait crier l’aveugle Bar-Timée ?…
Autres temps, autre capacité d’attention sans doute — mais même aveuglement pourtant, même faim, même soif. On est avec Bar-Timée à l’époque de la parole annoncée de témoin en témoin, au XVIe siècle on est à celle de la diffusion de la Bible par écrit grâce à l’imprimerie, chose inquiétante pour plusieurs, comme Socrate s'inquiétait en son temps des ravages de l'écriture sur la mémoire des peuples... et comme aujourd’hui on peut s’inquiéter de l’effet la diffusion de l’image et du numérique sur la capacité d’attention.
Mais la même vérité demeure, celle qui a rendu la vue à l’aveugle, et qui aujourd’hui ouvre toujours les yeux qui se savent aveugles : la parole de Dieu est parole de vie, elle seule peut vivifier l’Église.
En cette première année de fête de la Réformation dans le cadre de l’Église unie, résonne tout à nouveau cette certitude intime qui est celle de Bar-Timée quant à la source de la vie nouvelle, source du recouvrement de la vue, la foi seule qui naît de la présence de Jésus : « ta foi t’a sauvé ». Si cinq siècles nous ont divisés, division commençant par un échec à s’accorder sur la compréhension de la Cène, un point a toujours été le point commun entre Églises luthériennes et réformées : « là où la parole de Dieu est droitement prêchée et reçue, et où les sacrements sont administrés selon l’institution du Christ, là est l’Église ». C’est à cette conviction commune qu’il s’agit de venir tout à nouveau — ensemble.
Pour que cette conviction se concrétise pour le salut du monde, il reste à chacun de nous de se savoir aveugle, comme Bar-Timée, et de crier vers celui qui passe : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi », même si comme Bar-Timée, on veut nous faire taire. Du cœur de nos ténèbres, du cœur de notre nuit, ne savons-nous pas qu’il est la source de la lumière ?
Ne connaissons-nous pas, comme lui, notre problème ? « Que veux-tu que je te fasse ? » lui demande Jésus — nous demande Jésus. « Mon maître, lui répondit l’aveugle, que je recouvre la vue. Et Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé. » Confiance !
« Que je retrouve la vue » — que telle soit notre prière, à laquelle Jésus a répondu : « Ta foi t’a sauvé. »
Ils appellent l’aveugle, en lui disant — en nous disant : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle » — pour faire résonner tout à nouveau en toi la parole de la vie : « ta foi t’a sauvé ».
Marc 10, 46-52
46 Ils arrivèrent à Jéricho. Et, lorsque Jésus en sortit, avec ses disciples et une assez grande foule, le fils de Timée, Bar-Timée, mendiant aveugle, était assis au bord du chemin.
47 Il entendit que c’était Jésus de Nazareth, et il se mit à crier ; Fils de David, Jésus aie pitié de moi !
48 Plusieurs le reprenaient, pour le faire taire ; mais il criait beaucoup plus fort ; Fils de David, aie pitié de moi !
49 Jésus s’arrêta, et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l’aveugle, en lui disant : Prends courage, lève-toi, il t’appelle.
50 L’aveugle jeta son manteau, et, se levant d’un bond, vint vers Jésus.
51 Jésus, prenant la parole, lui dit : Que veux-tu que je te fasse ? Rabbouni, lui répondit l’aveugle, que je retrouve la vue.
52 Et Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé.
(10-53) Aussitôt il recouvra la vue, et suivit Jésus dans le chemin.
*
Texte du jour en ce dimanche de la Réformation… Confiance… « Ta foi t’a sauvé ». On ne peut pas mieux dire. Nous voilà au cœur du message de l’Évangile tel que proclamé par Martin Luther et qui a bouleversé et fait renaître l’Europe du XVIe siècle.
Cela en réponse à une formulation claire du problème : « que veux-tu que je te fasse ? » a demandé Jésus à l’aveugle. Mais… que je voie ! Lumière que l’on espère, et reçoit enfin…
Seize siècle plus tard… Un témoin, Gérard Roussel, proche de Lefèvre d’Étaples et réfugié en 1525 à Strasbourg avec lui, rapporte ce qu’il y voit. Le culte du dimanche :
« [Près de la table de la Cène] le ministre […] lit quelques prières tirées des Écritures et […] tout le monde chante un psaume. […] Le ministre ayant encore prié, il monte en chaire, et lit d’abord de façon à être compris de tous, l’Écriture qu’il veut expliquer… Le sermon fini, le ministre revient à la table. Tout le monde chante le symbole. Après quoi il est expliqué au peuple pour quel usage le Christ nous a donné la Cène… (…) Le ministre prend la Cène en dernier et achève le reste [approche luthérienne selon toute apparence]. Après quoi chacun se retire dans sa maison, pour revenir au grand temple, après dîner, environ à midi, et entendre le sermon que le pasteur adresse au peuple. »
Faim de la parole de vie et soif de lumière. La Réforme a produit ces effets en l’espace de quelques mois — comme la lumière qui jaillit dans des ténèbres reconnues pour telles —, bouleversant tant Strasbourg ici comme tout le continent, des bouleversements au cœur religieux du XVIe siècle.
Cela s’étend largement — jusqu’ici, à Poitiers, où Calvin, qui ne cache pas sa proximité d’avec la réforme strasbourgeoise, a peut-être prêché. Ce serait dans l’actuel collège Henri IV. Il ne serait en effet pas surprenant que, comme le rapporte la tradition, Calvin ait prêché à Poitiers comme il l’a fait en de nombreux endroits.
La parole a germé à temps — et à contretemps, comme à Genève, d’où on l’a chassé… puis rappelé, après qu’il ait été à Strasbourg et y ait, à ses dires, beaucoup reçu de la Réforme qui y a lieu de la façon que l’on vient d’entendre.
La Réforme est née de la parole de Dieu. L’Église en tout temps naît de la parole de Dieu, parole prêchée et confirmée par les sacrements. C’est ce qu’on vient d’entendre de l’Église de Strasbourg au XVIe siècle, une parole prêchée que les fidèles veulent réentendre l’après-midi. Et pourtant le matin la prédication a déjà duré une heure en moyenne ! Manifestement on a faim, non seulement de pain, mais de toute parole de Dieu.
Le sentiment est prégnant que de là naît la vie, de là jaillit la lumière, dont on sent avoir été privé, comme pour l’aveugle de Jéricho — Bar-Timée — au nom mélangé d’araméen — Bar, « fils de » — et du nom grec de son père, Timée : fils de Timée, de celui qui est digne d’honneur…
Cette histoire de Bar-Timée en ce jour de fête de la Réformation m’a fait penser à la devise des vaudois, tirée du prologue de l’évangile de Jean : lux lucet un tenebris : « la lumière luit dans les ténèbres » (Jean 1, 5) — les vaudois en ayant porté le flambeau à travers le Moyen Âge jusqu’à ce que cette lumière jaillisse en plein jour de la parole de Dieu : « Jésus dit à Bar-Timée : Va, ta foi t’a sauvé ». Parole de la Réforme que la parole de la foi, trouvée dans la Bible par Luther comme Évangile de la libération ; parole de la foi seule qui jaillit comme lumière du cœur des Écritures, comme prédication — proclamation — de la parole de Dieu.
C’est cette parole de leur liberté, parole de lumière qui vient de jaillir — dans un mouvement de réforme enfant de celui qui a veillé durant des siècles pour maintenir dans l’honneur la lumière qui luit dans les ténèbres —, parole que les Strasbourgeois ne se lassent pas d’entendre, au culte, puis après le repas. Cinq siècles après, nous savons-nous encore affamés et aveugles ? Ou serait-ce à dire qu’on a perdu le sens de la soif de lumière, le sens de la source de la lumière qui fait crier l’aveugle Bar-Timée ?…
Autres temps, autre capacité d’attention sans doute — mais même aveuglement pourtant, même faim, même soif. On est avec Bar-Timée à l’époque de la parole annoncée de témoin en témoin, au XVIe siècle on est à celle de la diffusion de la Bible par écrit grâce à l’imprimerie, chose inquiétante pour plusieurs, comme Socrate s'inquiétait en son temps des ravages de l'écriture sur la mémoire des peuples... et comme aujourd’hui on peut s’inquiéter de l’effet la diffusion de l’image et du numérique sur la capacité d’attention.
Mais la même vérité demeure, celle qui a rendu la vue à l’aveugle, et qui aujourd’hui ouvre toujours les yeux qui se savent aveugles : la parole de Dieu est parole de vie, elle seule peut vivifier l’Église.
En cette première année de fête de la Réformation dans le cadre de l’Église unie, résonne tout à nouveau cette certitude intime qui est celle de Bar-Timée quant à la source de la vie nouvelle, source du recouvrement de la vue, la foi seule qui naît de la présence de Jésus : « ta foi t’a sauvé ». Si cinq siècles nous ont divisés, division commençant par un échec à s’accorder sur la compréhension de la Cène, un point a toujours été le point commun entre Églises luthériennes et réformées : « là où la parole de Dieu est droitement prêchée et reçue, et où les sacrements sont administrés selon l’institution du Christ, là est l’Église ». C’est à cette conviction commune qu’il s’agit de venir tout à nouveau — ensemble.
Pour que cette conviction se concrétise pour le salut du monde, il reste à chacun de nous de se savoir aveugle, comme Bar-Timée, et de crier vers celui qui passe : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi », même si comme Bar-Timée, on veut nous faire taire. Du cœur de nos ténèbres, du cœur de notre nuit, ne savons-nous pas qu’il est la source de la lumière ?
Ne connaissons-nous pas, comme lui, notre problème ? « Que veux-tu que je te fasse ? » lui demande Jésus — nous demande Jésus. « Mon maître, lui répondit l’aveugle, que je recouvre la vue. Et Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé. » Confiance !
« Que je retrouve la vue » — que telle soit notre prière, à laquelle Jésus a répondu : « Ta foi t’a sauvé. »
Ils appellent l’aveugle, en lui disant — en nous disant : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle » — pour faire résonner tout à nouveau en toi la parole de la vie : « ta foi t’a sauvé ».
RP,
Poitiers, dimanche de la Réformation, 28.10.12
Poitiers, dimanche de la Réformation, 28.10.12
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