lundi 14 janvier 2013

Parfum versé




Luc 7, 36-50
36 Un Pharisien l’invita à manger avec lui; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table.
37 Survint une femme de la ville qui était pécheresse; elle avait appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien. Apportant un flacon de parfum en albâtre
38 et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum.
39 Voyant cela, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même: "Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est: une pécheresse."
40 Jésus prit la parole et lui dit: "Simon, j’ai quelque chose à te dire." -"Parle, Maître, dit-il.
41 - "Un créancier avait deux débiteurs; l’un lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante.
42 Comme ils n’avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce de leur dette à tous les deux. Lequel des deux l’aimera le plus?"
43 Simon répondit: "Je pense que c’est celui auquel il a fait grâce de la plus grande dette." Jésus lui dit: "Tu as bien jugé."
44 Et se tournant vers la femme, il dit à Simon: "Tu vois cette femme? Je suis entré dans ta maison: tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux.
45 Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers.
46 Tu n’as pas répandu d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.
47 Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour."
48 Il dit à la femme: "Tes péchés ont été pardonnés."
49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes: "Qui est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés?"
50 Jésus dit à la femme: "Ta foi t’a sauvée. Va en paix."

*

Que nous dit ce geste de la femme essuyant les pieds de Jésus avec ses cheveux, à travers les paroles que Jésus adresse à elle d’une part, à son hôte pharisien de l’autre ?

Tout d’abord, on peut remarquer que l’hôte pharisien est choqué, et du geste, et du fait que Jésus laisse faire. On peut le comprendre, on le serait à moins !

Remarquons aussi qu’il n’a pas exprimé son trouble. Jésus comprend ce trouble sans qu’il ne soit exprimé : il n’a évidemment aucune difficulté à imaginer que l’homme soit choqué.

Tout de même : une femme connue en ville pour avoir les mœurs légères et qui se met à mouiller de ses larmes et à sécher de ses cheveux les pieds de Jésus ! En les couvrant de parfum… le tout accompagné de baisers !

On s’attendrait au moins à ce que Jésus la repousse, fût-ce délicatement. Mais non, il laisse faire. Et devine donc l’effet produit sur son hôte, les remous intérieurs que cela provoque.

Et Jésus subtilement, y apporte réponse par sa petite parabole, expliquant que la dette de la femme, ou plutôt la conscience de dette de la femme est plus aiguë, à savoir la conviction d’être dans le péché, est chez elle plus intense. Il est vrai qu’elle a matière, peut-on penser avec l’hôte de Jésus.

La dette qui lui est remise est donc plus grande — quant à la conscience qu’elle en a. Elle manifeste donc une reconnaissance à proportion de la dette remise, ou de sa conscience d’être en dette. Bref, on est plus reconnaissant envers quelqu’un qui efface une dette qu’on a envers lui si elle atteint plusieurs milliers d’euros, qu’envers quelqu’un à qui l’on doit quelques centimes…

Eh bien, explique alors Jésus, c’est exactement la situation de la femme. Son geste, maladroit peut-être, correspondant à sa (rudimentaire) culture n’en est pas moins un grand geste que Jésus reçoit comme tel : un geste — maladroit peut-être — de reconnaissance immense (signifié par le prix exorbitant du parfum).

Elle aime intensément parce qu’il lui a été beaucoup pardonné — comme traduit justement la TOB. Méfions-nous de la mauvaise traduction assez courante : on lui pardonne parce qu’elle aime… Non ! Son amour relève de la reconnaissance : elle aime parce qu’elle sait le prix du pardon la concernant.

Preuve qu’il faut bien l’entendre ainsi : Jésus choque à nouveau — ou au moins interroge — tout le cercle des convives. Qui est-il pour pardonner les péchés ?

C’est la question qui était posée deux chapitres plus haut à Jésus qui venait de proclamer son pardon au paralytique : « Quel est cet homme qui dit des blasphèmes ? Qui peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? » (Luc 5, 21) Et après le miracle que Jésus leur donne en signe de son pouvoir de pardonner les péchés, tous de s’étonner : « Nous avons vu aujourd’hui des choses extraordinaires » disaient les témoins (Luc 5, 26).

Eh bien c’est la même chose que Jésus donne à voir aujourd’hui. Et à présent, Jésus franchit un pas de plus dans ce sens, en recevant le geste de reconnaissance de la femme — fût-il indécent aux yeux de tous. Jésus en reconnaît la valeur. En ses gestes à elle, avec toute sa maladresse, elle a exprimé sa louange. L’accueil que fait Jésus au geste de reconnaissance de la femme est ce pas supplémentaire franchi dans sa leçon sur la grâce : il accepte quiconque avec ses gestes et ses façons — sembleraient-ils surprenants : et ô combien, pour le geste cette femme ! Et signe de ce que cela vaut pour quiconque : elle n’est pas nommée — elle en devient ainsi figure de l’Église.

« Jésus dit à la femme : "Ta foi t’a sauvée. Va en paix." » (v. 50). « le Fils de l’homme a sur la terre autorité pour pardonner les péchés » (Luc 5, 24). Il nous le dit à nouveau, à chacun de nous, à quiconque lui donne sa confiance — parlant à chacun de nous, parlant à l’Église : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix. »


RP,
CP Poitiers, 14.01.13


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