1 Samuel 3, 3-19 ; Psaume 40 ; 1 Corinthiens 6, 13-20 ; Jean 1, 35-42
Jean 1, 35-42
« Venez et vous verrez. » — « Vous verrez »… quoi ? De la souffrance — « l’agneau de Dieu » (v. 36) — ? de la souffrance avant la gloire. Et, avant la gloire : … du visible ! — un homme qui marche (v. 36) — qui marche à la Croix : « voici l’agneau de Dieu »… « L’agneau de Dieu ». Ou la victime sacrificielle ! — à laquelle renvoie l’évocation de l’agneau à travers plusieurs épisodes bibliques. Parmi lesquels :
- Isaac, le fils d'Abraham, dont Abraham avait cru tout d’abord que Dieu en exigeait la mort en sacrifice. Geste qu’Abraham était prêt à accomplir : c’était un acte demandé par les religions d'alors, organes de relation avec Dieu. Cela dit, quand Isaac pose à son père la question « mais où est donc l'agneau pour l'holocauste ? », Abraham répond : « C'est Dieu qui pourvoira à l'agneau pour l'holocauste ». Et au moment où il s’apprête à offrir son fils, Dieu arrête son geste, comme on sait : « ne porte pas la main sur l'enfant ! » Tandis qu’est apparu un animal pour le sacrifice. Depuis ce jour-là, en Israël, on sait que Dieu ne veut pas voir couler le sang des hommes.
- Puis l’agneau évoque, bien sûr, le rite de la Pâque, qui chaque année, rappelle au peuple que Dieu l'a libéré. La nuit de la sortie d'Égypte, on sait que Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l'agneau égorgé : désormais, chaque année, cela vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l'agneau signe votre libération.
- L’agneau évoque aussi Moïse d’une autre façon. Les commentaires juifs de l'Exode comparent Moïse à un agneau : ils imaginent une balance : sur l'un des deux plateaux, toutes les forces de l'Égypte rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses chevaux, ses cavaliers. Sur l'autre plateau, Moïse représenté sous la forme d'un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, ce sont la faiblesse et l'innocence qui l'ont emporté…
- Et aussi, le mot « agneau » fait penser, bien sûr, au serviteur de Dieu du Livre d’Ésaïe, comparé à un agneau : « Brutalisé, il s'humilie ; il n'ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l'abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n'ouvre pas la bouche » (Es 53, 7). Le serviteur du livre d’Ésaïe subit donc la persécution et la mort (le prophète parle d'abattoir) — mais il est ensuite exalté : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l'extrême » (Es 53, 13).
Ésaïe 53 : Un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur du livre d’Ésaïe subir la violence persécutrice ? Le texte l’ignore ! Aucun acte d’accusation, aucun procès verbal. La cause, le prétexte de la mise à mort du Serviteur, n’ont manifestement aucune importance pour le prophète ! Apparaît ainsi comme en filigrane que quel qu’il soit, le prétexte est sans importance : c’est un prétexte, précisément ! « Nous » sommes tous concernés. « Nous » face à « lui » : lui est la victime d’une violence qu’il porte pour autrui, pour nous. De même qui est-il ? Qui est le Serviteur souffrant ? On a longuement débattu pour savoir de qui il s’agit, parlant de ce Serviteur. Voilà dès lors un texte apparemment difficilement compréhensible : sauf à le prendre comme parole — poétique — de dévoilement d’autre chose. Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas, ce qui est dévoilé là est un phénomène humain, trop humain, universellement humain — dévoilé et dénoncé dans toute sa réalité dans un condensé du trajet biblique « depuis Caïn et Abel jusqu’à Zacharie » (Matthieu 23, 35)…
On connaît la lecture que René Girard (cf. Le bouc émissaire, Des choses cachées depuis la fondation du monde, etc.) a faite du phénomène universel du sacrifice, et la particularité de sa reprise dans la tradition biblique : toute querelle est le dévoilement d’un désir mimétique, d’une imitation les uns des autres dans la convoitise de ce qui est jugé désirable : tous désirent la même chose et cela finit invariablement en conflit. Entre temps, l’objet de la querelle initiale a été oublié, tandis que les rivalités se sont propagées. Le conflit s’est généralisé en « guerre de tous contre tous » — que Girard appelle « crise mimétique ». Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme fait référence à l'animal expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon la Bible — Lév. 16).
C’est ainsi, précisément, qu'au moment paroxystique de la crise de tous contre tous se produit éventuellement un « mécanisme salvateur » : le conflit généralisé se transforme en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si le report sur un « bouc émissaire » ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe. Pourquoi « mécanisme » ? C'est que sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même.
Plus les rivalités pour le même objet s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l'origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et il se pourra alors qu'un individu (ou une minorité — nous revoilà dans l'actualité !) polarise alors l'appétit de violence. Que cette polarisation s'amorce, et par un effet boule de neige elle s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).
Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime éteint le désir de violence qui pouvait animer chacun juste avant que celle-ci ne meure. Le groupe — « nous » (v. 2-6) — retrouve alors son calme via « le châtiment qui nous donne la paix » (Es 53, v. 5). Cela « nous » concerne (cf. le nombre de « nous » dans les versets 2 à 6). La victime apparaît alors comme fondement de la crise et comme auteur de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ».
La caractéristique de la lecture du phénomène dans la Bible est de révéler que la victime est innocente, ce qu’ignorent tous les mythes de l’humanité. C’est une différence essentielle entre Caïn et Abel et Romulus et Remus : Abel n’est pas mis en cause. On est au cœur du texte d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent.
Voilà en tout cela, à ce terme d’agneau, l’évocation d’images d’abord cruelles ! Mais comme pour Moïse face à Pharaon, comme pour le serviteur du livre d’Ésaie broyé par la persécution, c’est pour un triomphe de la faiblesse sur la force.
Notre texte suit le prologue de Jean, parlant de toute la Création : en Jésus, en la parole venue en Jésus — « était la vie et la vie était la lumière des hommes » (Jean 1, 4), lumière de la parole créatrice : « rien n’a été fait sans elle — tout a été fait par elle » (Jean 1, 3). « Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue » (Jean 1, 9-10)… Point connue.
Car que voit-on de la Création, sinon le « rien » qui a été fait sans la parole, la vanité, le chaos, auquel s’identifie la nature et sa souffrance ? — jusqu’à ce que l’agneau de Dieu assume sa souffrance et la mène, elle d’abord nature, au statut de Création accomplie dans la lumière de la parole éternelle. De la Croix à la gloire. Ce que la Création découvre en Jésus, par le regard de la foi des disciples : ainsi, « venez et vous verrez ».
Voilà que nous est présenté un monde en son achèvement ; dans le « vous verrez » adressé aux disciples… « J’estime en effet, écrit Paul, que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité, – non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » (Ro 8, 18-22).
Théodore Monod parle d’un crapaud croisé dans son enfance, et dont il se souvient, en notant : « la nature est emplie d'horreur, de souffrance et de sang. Jeune encore, lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire naturelle, j'ai rencontré en Normandie un malheureux crapaud, dont le visage, la face était partiellement détruite par la croissance d'une larve de diptère. Certaines pondent dans les fosses nasales des crapauds ; la larve, en se développant, détruit une partie de la tête de ce malheureux animal. […] Les parasites composent un monde incroyable. Il s'en trouve partout. Il n'est pas une espèce animale qui ne connaisse ses parasites externes ou internes. Ces derniers peuvent causer des ravages physiques considérables, provoquant des souffrances qui ne le sont pas moins. » Auparavant Monod a évoqué les fauves…
Bref, cela, c’est la nature. Qui relève d’un projet inabouti, voire d'un projet déchu. Ce qui s’ouvre depuis le Prologue de Jean et qui passe par l’appel des disciples, c’est la porte et l’espace d’un monde nouveau.
Le passage de la nature à la Création nouvelle. Depuis la marche de l’homme que présente le Baptiste, vers la Croix : « fixant son regard sur Jésus qui marchait, Jean dit : "Voici l'agneau de Dieu." » — début de l’accomplissement du Prologue, Prologue qui précède ce passage. « En lui, Jésus, parole éternelle, était la vie et la vie était la lumière des hommes ».
Et lorsque les disciples, sur cette simple parole de Jean : « Voici l'agneau de Dieu », « s'étaient mis à le suivre, et qu’il leur dit : "Que cherchez-vous ?" — tandis qu’ils répondent : "Rabbi, où demeures-tu ?" », Jésus leur dit alors : « Venez et vous verrez ». Puis le texte : « ils virent où il demeurait ». Écho au v. 18 : « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui demeure dans le sein du Père, lui seul l’a fait connaître ».
C’est là ce que nous sommes appelés à contempler et à vivre aujourd’hui : « venez et vous verrez » — un appel qui nous est adressé aussi. Puis : « ils virent où il demeurait ». Telle est la promesse qui nous est donnée tout à nouveau, et qui accomplit l’appel : « venez et vous verrez » !
Jean 1, 35-42
35 Le lendemain, Jean se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples.
36 Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : "Voici l'agneau de Dieu."
37 Les deux disciples, l'entendant parler ainsi, suivirent Jésus.
38 Jésus se retourna et, voyant qu'ils s'étaient mis à le suivre, il leur dit : "Que cherchez-vous ?" Ils répondirent : "Rabbi — ce qui signifie Maître —,où demeures-tu ?"
39 Il leur dit : "Venez et vous verrez." Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c'était environ la dixième heure.
40 André, le frère de Simon-Pierre, était l'un de ces deux qui avaient écouté Jean et suivi Jésus.
41 Il va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : "Nous avons trouvé le Messie !" — ce qui signifie le Christ.
42 Il l'amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : "Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Céphas" — ce qui veut dire Pierre.
*
« Venez et vous verrez. » — « Vous verrez »… quoi ? De la souffrance — « l’agneau de Dieu » (v. 36) — ? de la souffrance avant la gloire. Et, avant la gloire : … du visible ! — un homme qui marche (v. 36) — qui marche à la Croix : « voici l’agneau de Dieu »… « L’agneau de Dieu ». Ou la victime sacrificielle ! — à laquelle renvoie l’évocation de l’agneau à travers plusieurs épisodes bibliques. Parmi lesquels :
- Isaac, le fils d'Abraham, dont Abraham avait cru tout d’abord que Dieu en exigeait la mort en sacrifice. Geste qu’Abraham était prêt à accomplir : c’était un acte demandé par les religions d'alors, organes de relation avec Dieu. Cela dit, quand Isaac pose à son père la question « mais où est donc l'agneau pour l'holocauste ? », Abraham répond : « C'est Dieu qui pourvoira à l'agneau pour l'holocauste ». Et au moment où il s’apprête à offrir son fils, Dieu arrête son geste, comme on sait : « ne porte pas la main sur l'enfant ! » Tandis qu’est apparu un animal pour le sacrifice. Depuis ce jour-là, en Israël, on sait que Dieu ne veut pas voir couler le sang des hommes.
- Puis l’agneau évoque, bien sûr, le rite de la Pâque, qui chaque année, rappelle au peuple que Dieu l'a libéré. La nuit de la sortie d'Égypte, on sait que Moïse avait fait pratiquer par le peuple le rite traditionnel de l'agneau égorgé : désormais, chaque année, cela vous rappellera que Dieu est passé parmi vous pour vous libérer. Le sang de l'agneau signe votre libération.
- L’agneau évoque aussi Moïse d’une autre façon. Les commentaires juifs de l'Exode comparent Moïse à un agneau : ils imaginent une balance : sur l'un des deux plateaux, toutes les forces de l'Égypte rassemblées : Pharaon, ses chars, ses armées, ses chevaux, ses cavaliers. Sur l'autre plateau, Moïse représenté sous la forme d'un petit agneau. Eh bien, face à la puissance des Pharaons, ce sont la faiblesse et l'innocence qui l'ont emporté…
- Et aussi, le mot « agneau » fait penser, bien sûr, au serviteur de Dieu du Livre d’Ésaïe, comparé à un agneau : « Brutalisé, il s'humilie ; il n'ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l'abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n'ouvre pas la bouche » (Es 53, 7). Le serviteur du livre d’Ésaïe subit donc la persécution et la mort (le prophète parle d'abattoir) — mais il est ensuite exalté : « Voici que mon serviteur triomphera, il sera haut placé, élevé, exalté à l'extrême » (Es 53, 13).
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Ésaïe 53 : Un homme est mis en cause, persécuté, exécuté… Quel délit présumé ? Qu’est-ce qui a mené à la situation qui voit le Serviteur du livre d’Ésaïe subir la violence persécutrice ? Le texte l’ignore ! Aucun acte d’accusation, aucun procès verbal. La cause, le prétexte de la mise à mort du Serviteur, n’ont manifestement aucune importance pour le prophète ! Apparaît ainsi comme en filigrane que quel qu’il soit, le prétexte est sans importance : c’est un prétexte, précisément ! « Nous » sommes tous concernés. « Nous » face à « lui » : lui est la victime d’une violence qu’il porte pour autrui, pour nous. De même qui est-il ? Qui est le Serviteur souffrant ? On a longuement débattu pour savoir de qui il s’agit, parlant de ce Serviteur. Voilà dès lors un texte apparemment difficilement compréhensible : sauf à le prendre comme parole — poétique — de dévoilement d’autre chose. Au-delà de l’enracinement historique, que le texte ne donne pas, ce qui est dévoilé là est un phénomène humain, trop humain, universellement humain — dévoilé et dénoncé dans toute sa réalité dans un condensé du trajet biblique « depuis Caïn et Abel jusqu’à Zacharie » (Matthieu 23, 35)…
On connaît la lecture que René Girard (cf. Le bouc émissaire, Des choses cachées depuis la fondation du monde, etc.) a faite du phénomène universel du sacrifice, et la particularité de sa reprise dans la tradition biblique : toute querelle est le dévoilement d’un désir mimétique, d’une imitation les uns des autres dans la convoitise de ce qui est jugé désirable : tous désirent la même chose et cela finit invariablement en conflit. Entre temps, l’objet de la querelle initiale a été oublié, tandis que les rivalités se sont propagées. Le conflit s’est généralisé en « guerre de tous contre tous » — que Girard appelle « crise mimétique ». Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir ? Ici, les hommes ont trouvé « l'idée » d'un « bouc émissaire » (le terme fait référence à l'animal expulsé au désert chargé symboliquement des péchés du peuple selon la Bible — Lév. 16).
C’est ainsi, précisément, qu'au moment paroxystique de la crise de tous contre tous se produit éventuellement un « mécanisme salvateur » : le conflit généralisé se transforme en un tous contre un (ou une minorité), qui n'a d'ailleurs même pas de rapport avec le problème de départ ! Si le report sur un « bouc émissaire » ne se déclenche pas, c'est la destruction du groupe. Pourquoi « mécanisme » ? C'est que sa mise en marche ne dépend de personne mais découle du phénomène lui-même.
Plus les rivalités pour le même objet s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier ce qui en fut l'origine, plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade de fascination haineuse la sélection d’antagonistes va se faire de plus en plus instable, changeante, et il se pourra alors qu'un individu (ou une minorité — nous revoilà dans l'actualité !) polarise alors l'appétit de violence. Que cette polarisation s'amorce, et par un effet boule de neige elle s'emballe : la communauté tout entière (unanime !) se trouve alors rassemblée contre un individu unique (ou une minorité).
Ainsi la violence à son paroxysme aura alors tendance à se focaliser sur une victime et l’unanimité à se faire contre elle. L’élimination de la victime éteint le désir de violence qui pouvait animer chacun juste avant que celle-ci ne meure. Le groupe — « nous » (v. 2-6) — retrouve alors son calme via « le châtiment qui nous donne la paix » (Es 53, v. 5). Cela « nous » concerne (cf. le nombre de « nous » dans les versets 2 à 6). La victime apparaît alors comme fondement de la crise et comme auteur de la paix retrouvée — par une sorte de « plus jamais ça ».
La caractéristique de la lecture du phénomène dans la Bible est de révéler que la victime est innocente, ce qu’ignorent tous les mythes de l’humanité. C’est une différence essentielle entre Caïn et Abel et Romulus et Remus : Abel n’est pas mis en cause. On est au cœur du texte d’Ésaïe 53 : le persécuté est innocent.
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Voilà en tout cela, à ce terme d’agneau, l’évocation d’images d’abord cruelles ! Mais comme pour Moïse face à Pharaon, comme pour le serviteur du livre d’Ésaie broyé par la persécution, c’est pour un triomphe de la faiblesse sur la force.
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Notre texte suit le prologue de Jean, parlant de toute la Création : en Jésus, en la parole venue en Jésus — « était la vie et la vie était la lumière des hommes » (Jean 1, 4), lumière de la parole créatrice : « rien n’a été fait sans elle — tout a été fait par elle » (Jean 1, 3). « Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue » (Jean 1, 9-10)… Point connue.
Car que voit-on de la Création, sinon le « rien » qui a été fait sans la parole, la vanité, le chaos, auquel s’identifie la nature et sa souffrance ? — jusqu’à ce que l’agneau de Dieu assume sa souffrance et la mène, elle d’abord nature, au statut de Création accomplie dans la lumière de la parole éternelle. De la Croix à la gloire. Ce que la Création découvre en Jésus, par le regard de la foi des disciples : ainsi, « venez et vous verrez ».
Voilà que nous est présenté un monde en son achèvement ; dans le « vous verrez » adressé aux disciples… « J’estime en effet, écrit Paul, que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité, – non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » (Ro 8, 18-22).
Théodore Monod parle d’un crapaud croisé dans son enfance, et dont il se souvient, en notant : « la nature est emplie d'horreur, de souffrance et de sang. Jeune encore, lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire naturelle, j'ai rencontré en Normandie un malheureux crapaud, dont le visage, la face était partiellement détruite par la croissance d'une larve de diptère. Certaines pondent dans les fosses nasales des crapauds ; la larve, en se développant, détruit une partie de la tête de ce malheureux animal. […] Les parasites composent un monde incroyable. Il s'en trouve partout. Il n'est pas une espèce animale qui ne connaisse ses parasites externes ou internes. Ces derniers peuvent causer des ravages physiques considérables, provoquant des souffrances qui ne le sont pas moins. » Auparavant Monod a évoqué les fauves…
Bref, cela, c’est la nature. Qui relève d’un projet inabouti, voire d'un projet déchu. Ce qui s’ouvre depuis le Prologue de Jean et qui passe par l’appel des disciples, c’est la porte et l’espace d’un monde nouveau.
Le passage de la nature à la Création nouvelle. Depuis la marche de l’homme que présente le Baptiste, vers la Croix : « fixant son regard sur Jésus qui marchait, Jean dit : "Voici l'agneau de Dieu." » — début de l’accomplissement du Prologue, Prologue qui précède ce passage. « En lui, Jésus, parole éternelle, était la vie et la vie était la lumière des hommes ».
Et lorsque les disciples, sur cette simple parole de Jean : « Voici l'agneau de Dieu », « s'étaient mis à le suivre, et qu’il leur dit : "Que cherchez-vous ?" — tandis qu’ils répondent : "Rabbi, où demeures-tu ?" », Jésus leur dit alors : « Venez et vous verrez ». Puis le texte : « ils virent où il demeurait ». Écho au v. 18 : « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui demeure dans le sein du Père, lui seul l’a fait connaître ».
C’est là ce que nous sommes appelés à contempler et à vivre aujourd’hui : « venez et vous verrez » — un appel qui nous est adressé aussi. Puis : « ils virent où il demeurait ». Telle est la promesse qui nous est donnée tout à nouveau, et qui accomplit l’appel : « venez et vous verrez » !
RP, Poitiers, 18/01/15
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