Exode 12, 1-14 ; Psaume 116 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jean 13, 1-15 ; Marc 14, 1-72
Marc 14, 32-42
Jésus, « ayant fait quelques pas en avant, se jeta contre terre, et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloignât de lui. Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » (v. 35 & 36)
La coupe sera amère. Jusqu’à la mort, avec le sentiment d’abandon le plus terrible, marqué déjà dans la trahison de Juda (« voici, celui qui me livre s’approche »), puis dans le reniement de Pierre… abandon criant dans la calomnie et les fausses accusations qui nous contraignent à ne jamais croire ce qu’on nous dit sur quiconque, surtout si cela est unanime. Cela est déjà une vérité du talmud, que le sanhédrin lui-même a ignoré au jour du procès de Jésus : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect. »
C’est tout cela que Jésus va affronter jusqu’à la mort ! Alors il prie. Mais a-t-il été exaucé ?
« Prier », le mot français vient du latin « precarius », qui désigne non seulement la prière, mais aussi, et avant tout, ce qui est précaire, passager, étranger.
La situation de précarité est celle de la prière : c’est celle de Jésus au Gethsémani.
La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, en situation d’emprunt, étrangers, « passagers et errants sur la Terre ».
Une réalité qui nous concerne tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on — par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum — ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. Jésus nous y a rejoints.
Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution : le disciple n’est pas plus grand que son maître. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit-il : « vous n'êtes pas de ce monde » ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde »… comme je n’en suis pas et en serais donc expulsé ! avait-il précisé en substance.
Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ? Expulsé jusqu’à la croix…
Là c'est Jésus qui console tout rejeté en lui rappelant : « tu n'es pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ». Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.
Face au silence céleste — celui que confrontera Jésus —, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ? Car derrière la trahison, les calomnies, le procès joué d’avance, il y a le diable, sous le pouvoir duquel gît le monde entier (1 Jean 5, 19).
L’auteur ultime du mal qui assaille Jésus serait donc le diable ? Croire cela serait aller un peu vite en besogne : Dieu serait-il impuissant face au diable ?
Déjà le livre de Job nous a interdit un tel raccourci : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21). C’est de la même façon que Jésus, au cœur la menace et de la pesanteur diaboliques, s’adresse à son Père seul… Déjà celui que le monde, dominé par le diable, croit expulser, a pris la voie de la victoire. Déjà c’est en fait le Prince de ce monde qui est en passe d’être expulsé là où il croyait expulser Jésus. Et nous y avons tous pris part. Il est seul.
À la suite de Jésus, il ne nous reste qu'à nous rendre au constat qui est déjà celui du livre de Job, constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel Job n’a perçu qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25). C’est là l’exaucement de Job — face à ses amis qui l’accusent, qui se mettent en accusateurs, en satan, puisque c'est aussi le sens du mot !
Eh bien, c’est là de même, mais avec une portée insoupçonnée, l’exaucement de la prière de Jésus — qui ne lui épargne pas la coupe qu’il doit boire, pas plus qu’il n’avait épargné Job — : l’exaucement est celui du rédempteur que prophétise le Livre de Job, celui qui se lève au dernier jour, vivant et triomphant de la mort, laissant son tombeau vide.
Jésus apparemment non exaucé ? Mais il est en fait lui-même l’exaucement de toute prière, de sa propre prière : cet exaucement est la Croix, il est caché dans la Croix — avant d’être dévoilé dans sa résurrection.
Marc 14, 32-42
32 Ils allèrent ensuite dans un lieu appelé Gethsémané, et Jésus dit à ses disciples : Asseyez-vous ici, pendant que je prierai.
33 Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à éprouver de la frayeur et des angoisses.
34 Il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort ; restez ici, et veillez.
35 Puis, ayant fait quelques pas en avant, il se jeta contre terre, et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloignât de lui.
36 Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.
37 Et il vint vers les disciples, qu’il trouva endormis, et il dit à Pierre : Simon, tu dors ! Tu n’as pu veiller une heure !
38 Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation ; l’esprit est bien disposé, mais la chair est faible.
39 Il s’éloigna de nouveau, et fit la même prière.
40 Il revint, et les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. Ils ne surent que lui répondre.
41 Il revint pour la troisième fois, et leur dit : Dormez maintenant, et reposez-vous ! C’est assez ! L’heure est venue ; voici, le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs.
42 Levez-vous, allons ; voici, celui qui me livre s’approche.
*
Jésus, « ayant fait quelques pas en avant, se jeta contre terre, et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloignât de lui. Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » (v. 35 & 36)
La coupe sera amère. Jusqu’à la mort, avec le sentiment d’abandon le plus terrible, marqué déjà dans la trahison de Juda (« voici, celui qui me livre s’approche »), puis dans le reniement de Pierre… abandon criant dans la calomnie et les fausses accusations qui nous contraignent à ne jamais croire ce qu’on nous dit sur quiconque, surtout si cela est unanime. Cela est déjà une vérité du talmud, que le sanhédrin lui-même a ignoré au jour du procès de Jésus : « si tout le monde est trop vite d'accord pour condamner un prévenu, alors mieux vaut le libérer, car tout jugement unanime est suspect. »
C’est tout cela que Jésus va affronter jusqu’à la mort ! Alors il prie. Mais a-t-il été exaucé ?
« Prier », le mot français vient du latin « precarius », qui désigne non seulement la prière, mais aussi, et avant tout, ce qui est précaire, passager, étranger.
La situation de précarité est celle de la prière : c’est celle de Jésus au Gethsémani.
La précarité instaure dans notre quotidien cette réalité : nous sommes en ce monde en situation d'exilés, en situation d’emprunt, étrangers, « passagers et errants sur la Terre ».
Une réalité qui nous concerne tous, quelle que soit notre origine, notre religion, ou la nature de notre foi. C'est ainsi que « nous ne sommes pas de ce monde », qui que nous soyons : notre précarité, fût-on riche à foison, croirait-on — par peur peut-être de cette précarité, se mettre à l’abri par l’illusion de thésaurisation, quitte à priver autrui du minimum — ; notre précarité n’en est pas moins un fait, qui nous est rappelé à l’angle de chaque souffrance, autant de signaux clignotants qui nous alertent : nous allons tous mourir, peut-être dans la douleur. Jésus nous y a rejoints.
Ce qui peut se traduire par la précarité au sens propre, donc, voire par la douleur, voire encore par la persécution : le disciple n’est pas plus grand que son maître. Comme chrétiens, ayant entendu de Jésus cet enseignement, nous sommes censés le savoir, dit-il : « vous n'êtes pas de ce monde » ; et plus précisément concernant donc la persécution : « si le monde vous hait, c'est que vous n'êtes pas du monde »… comme je n’en suis pas et en serais donc expulsé ! avait-il précisé en substance.
Comme la souffrance subie est signe d’étrangeté au monde, ceux qui font souffrir, qui n'aiment pas, qui haïssent, qui relèguent autrui dans la précarité, le font parce qu'ils se croient du monde, qu’ils se croient non-précaires ! Quel est en effet le motif commun pour persécuter, ou mépriser quelqu'un ? Tout simplement penser qu'il n'est pas à sa place avec nous, pas à sa place chez nous — chez nous, c'est-à-dire, finalement, où, sinon en ce monde ? Expulsé jusqu’à la croix…
Là c'est Jésus qui console tout rejeté en lui rappelant : « tu n'es pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde. Si tu étais du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ». Mais voilà, en attendant l'entrée concrète, vécue, dans cette consolation que procure Jésus, subsiste la douleur. Car avant d'en arriver là, à cette consolation, il est tout un cheminement, — c'est le cheminement de la prière… Le chemin du précaire.
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Face au silence céleste — celui que confrontera Jésus —, on sera alors peut-être tenté de dire : ces maux qui nous tombent dessus, incompréhensibles, l'auteur n'en est-il pas le diable ? Car derrière la trahison, les calomnies, le procès joué d’avance, il y a le diable, sous le pouvoir duquel gît le monde entier (1 Jean 5, 19).
L’auteur ultime du mal qui assaille Jésus serait donc le diable ? Croire cela serait aller un peu vite en besogne : Dieu serait-il impuissant face au diable ?
Déjà le livre de Job nous a interdit un tel raccourci : le diable, dès le départ de l'épreuve (Job 1), a obtenu l'autorisation, on pourrait dire l'investiture divine pour accomplir sa tâche de subalterne. Job ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui affirme : « la main de Dieu m'a frappé » (Job 19, 21). C’est de la même façon que Jésus, au cœur la menace et de la pesanteur diaboliques, s’adresse à son Père seul… Déjà celui que le monde, dominé par le diable, croit expulser, a pris la voie de la victoire. Déjà c’est en fait le Prince de ce monde qui est en passe d’être expulsé là où il croyait expulser Jésus. Et nous y avons tous pris part. Il est seul.
À la suite de Jésus, il ne nous reste qu'à nous rendre au constat qui est déjà celui du livre de Job, constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel Job n’a perçu qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25). C’est là l’exaucement de Job — face à ses amis qui l’accusent, qui se mettent en accusateurs, en satan, puisque c'est aussi le sens du mot !
Eh bien, c’est là de même, mais avec une portée insoupçonnée, l’exaucement de la prière de Jésus — qui ne lui épargne pas la coupe qu’il doit boire, pas plus qu’il n’avait épargné Job — : l’exaucement est celui du rédempteur que prophétise le Livre de Job, celui qui se lève au dernier jour, vivant et triomphant de la mort, laissant son tombeau vide.
Jésus apparemment non exaucé ? Mais il est en fait lui-même l’exaucement de toute prière, de sa propre prière : cet exaucement est la Croix, il est caché dans la Croix — avant d’être dévoilé dans sa résurrection.
RP, Poitiers, Jeudi saint, 2.04.15
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