dimanche 3 janvier 2016

"Lève-toi, brille, car ta lumière paraît"




Ésaïe 60, 1-6 ; Psaume 72 ; Éphésiens 3, 2-6 ; Matthieu 2, 1-12

Ésaïe 60, 1-5
1 Lève-toi, brille, car ta lumière paraît,
Et la gloire du Seigneur se lève sur toi.
2 Car voici que les ténèbres couvrent la terre
Et l'obscurité les peuples ;
Mais sur toi le Seigneur se lève,
Sur toi sa gloire apparaît.
3 Des nations marcheront à ta lumière
Et des rois à la clarté de ton aurore.
4 Porte tes yeux alentour et regarde :
Tous ils se rassemblent,
Ils viennent vers toi ;
Tes fils arrivent de loin,
Et tes filles sont portées sur les bras.
5 A cette vue tu seras radieuse,
Ton cœur bondira et se dilatera,
Quand les richesses seront détournées de la mer vers toi,
Quand les ressources des nations viendront vers toi.
6 Tu seras couverte d'une foule de chameaux,
Ainsi que de dromadaires de Madian et d'Épha ;
Ils viendront tous de Saba ;
Ils porteront de l'or et de l'encens
Et annonceront les louanges du Seigneur.

*

« Lève-toi, brille, car ta lumière paraît, et la gloire du Seigneur se lève sur toi. Car voici que les ténèbres couvrent la terre et l'obscurité les peuples ; mais sur toi le Seigneur se lève, sur toi sa gloire apparaît. »

La lumière de Jérusalem ne vient pas d'elle-même, mais de celui qui sur elle resplendit. Sa gloire, sa beauté, n'a pas sa source en elle, et c'est ce qui en fait le symbole du salut pour tous les peuples, faisant accourir vers elle les rois de toute la terre, à la suite des Mages venu vers l'enfant Jésus, et qui seront ainsi par la suite élevés au statut royal que les traditions leur ont donné — puisque Jésus dans son humilité symbolise ce que dit le livre d'Ésaïe parlant d'une gloire toute d'humilité : une gloire que Jérusalem n'a pas par elle-même, mais par celui qui rayonne sur elle.

Le teint solaire et rayonnant de Jérusalem lui est donné par son Seigneur, par le regard de lumière de son Seigneur sur elle.

*

C'est là précisément ce que le Cantique des Cantiques dit de la Sulamite, qui peut ainsi nous fournir comme une clé de lecture… via une petite digression pour revenir à Ésaïe...

« Je suis noire et belle… ». Ainsi s’ouvre le Cantique des Cantiques (chapitre 1, verset 5). « Je suis noire et belle… », selon la traduction correcte — et la seule possible — de ce verset rendu depuis des siècles de façon malencontreuse — pour ne pas dire malveillante — par : « Mais belle » ! Il n’y a pas de « mais » en hébreu. Il n’y a pas de « mais » non plus dans la version grecque des Septante. Mais une remarquable illustration de ce que la lumière qui brille sur Jérusalem comme sur la Sulamite vient de la source de toute lumière. La première version célèbre où apparaît le « mais » est la Vulgate.

Remarquable illustration aussi et tout d'abord, avec l’habitude de ce « mais » inséré dans le Cantique, de la mise en garde de Jésus contre le travers d’attenter au « iota » dans les Écritures ! Ici, on en mesure les conséquences ! La couleur noire serait-elle en opposition à la beauté ?!

La noirceur de la Sulamite du Cantique est en réalité comme un symbole de beauté, précisément, en tant que la beauté se reçoit d’ailleurs, d’un regard extérieur, de Dieu ultimement : la couleur noire, on le sait, est captatrice de lumière, de la lumière qui en contraste dévoile la beauté.

Beauté donc dans toute son intensité, mais qui n’a pas sa source en elle : le noir indique alors un vis-à-vis, signe d’altérité irréductible — qui est entre la beauté et sa source éternelle.

Aux origines, c’est ce vis-à-vis que signale la beauté de la Sulamite, le vis-à-vis de la Bien-Aimée et de son Aimé, Dieu finalement.

« Je suis noire et belle… ». C’est le soleil, rayonnement du regard de mon Bien-Aimé, et de mon éternel Bien-Aimé sur ma beauté, qui m’a donné ma couleur (Cantique ch. 1, v. 6), signe du désir de mieux capter sa lumière, source de toute beauté.

D'où, en regard du contraste du noir et de la lumière, on a considéré aussi la beauté comme en contraste : signe du péché — qui est de se croire source de sa propre beauté —, puis en conséquence de cette propension — ici pour Jérusalem — à se croire source de sa propre beauté, de sa propre gloire, de l'exil dans l'obscurité et de la souffrance du peuple…

Le « mais », qui n'est pas dans le texte, devient alors nuance d'humilité : je suis rayonnante de la lumière du soleil qui donne son éclat à mon teint, comme par une brûlure, « mais », c'est à-dire « mais précisément », c'est du soleil de mon Dieu que je tient ma beauté, ma gloire. Lui est ma lumière, qui resplendit sur moi et qui me fait rayonnante. Départ sans doute du glissement vers le « mais » (qui n’est donc pas dans le texte)…

Puis, on le sait, l’habitude d'ajouter ce « mais » s’est perpétuée dans les traductions, jusqu'à — concernant le français — la traduction de Chouraqui, puis la Nouvelle TOB, qui ont emboîté le pas à Léopold Sédar Senghor, pour donner les premières traductions françaises à ma connaissance à avoir repris l’original : « Je suis noire et belle… »

Cela dit, la dimension symbolique est importante et annoncée dans ce rapport soleil / noirceur : une dépendance réciproque des deux figures du Cantique qui restent toujours à distance d'une troisième jamais nommée — et Dieu n'est jamais nommé dans le Cantique.

L'ultime apparaît comme en creux dans cette permanente non rencontre des deux figures du Cantique à la recherche de l'ultime d'eux-mêmes l'un par l'autre (avec l'injonction à la fiancée : va vers toi — 2, 13). L'absence est décisive dans le Cantique. Lorsqu'il semble que l’union va advenir, l'absence se pose (cf. ch. 2 à 3, 1-2 ; ch. 5, 6 ; ch. 6 à 7, 1 sq.).

*

Où l'on retrouve le texte du livre du prophète Ésaïe comme parlant du regard de Dieu sur Jérusalem, de ce que sa gloire, sa beauté, vient de la lumière qu'elle ne détient pas, mais qui se révèle par le rayonnement de la lumière divine.

Alors sa lumière fait venir toutes les nations à la recherche de la source de sa splendeur, à commencer par… les Mages, selon Matthieu, qui se rendent… à Jérusalem, la rayonnante, comme la Sulamite du Cantique, pour découvrir, dans l'humilité de l'enfant, la source de son rayonnement et de sa gloire : sous l'humilité, la source infinie de sa lumière et de son rayonnement, qui l'invite à se relever. C'est, sous l'humilité où nous sommes appelés à chercher la source de toute lumière, un appel qui est alors lancé à chacun de nous : « Lève-toi, brille, car ta lumière paraît, et la gloire du Seigneur se lève sur toi. Car voici que les ténèbres couvrent la terre et l'obscurité les peuples ; mais sur toi le Seigneur se lève, sur toi sa gloire apparaît. »


RP, Poitiers, 3.1.16


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