dimanche 24 avril 2016

"Commandement nouveau"




Actes 14. 21-27 ; Psaume 145 ; Apocalypse 21. 1-5 ; Jean 13. 31-35

Jean 13, 31-35
31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ;
32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera.
33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j’ai dit aux autorités judéennes : “Là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi maintenant je le dis.
34 « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

*

« Et maintenant, ce que je te demande, (ma) Dame, — non comme te prescrivant un commandement nouveau, mais celui que nous avons eu dès le commencement, — c'est que nous nous aimions les uns les autres », lit-on dans la seconde épître de Jean (2 Jean 1, 5).

Et dans la première (1 Jean 2, 7-8) : « (7) Bien-aimés, ce n'est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien que vous avez eu dès le commencement ; ce commandement ancien, c'est la parole que vous avez entendue. (8) Toutefois, c'est un commandement nouveau que je vous écris […]. »

Et au premier verset de cette épître (1 Jean 1, 1-3) : « (1) Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, — (2) car la vie a été manifestée, et nous l’avons vue et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, — (3) ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi […]. »

Écho au Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-3) — le même mot pour « commencement », qui est celui qui traduit en grec le commencement de la Genèse : « (1) Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. (2) Elle était au commencement avec Dieu. (3) Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. »

Un commencement qui renvoie donc à l'éternité et qui advient, toujours nouveau, dans le temps — en son cœur avec cet autre commencement qu'est l'Incarnation de la Parole devenue chair.

Si la parole : « ce que vous avez entendu dès le commencement » renvoie à la nouveauté éternelle de la rencontre du Christ, c'est bien d'éternité qu'il est question, c'est bien éternellement que le commencement est nouveau, comme le commandement du Lévitique auquel il est ici fait écho parle d'éternité — « tu aimeras ton prochain comme toi-même » étant l’expression dans le temps de celle du Deutéronome « tu aimeras le Seigneur ton Dieu », Dieu d'éternité.

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Il en est comme de l'usage par l’Épître aux Hébreux de la notion de culte nouveau : le terme nouveau concernant alliance et culte renvoie à des textes comme ceux du prophète Jérémie (ch. 33 — cité par l’Épître aux Hébreux) parlant de renouvellement intérieur de la même et unique alliance — éternelle, fondée en éternité. Un renouvellement qui est toujours nouveauté éternelle. Il en est de même pour le commandement nouveau.

De même que le cantique nouveau de l'Apocalypse (14:3) — qui est le plus ancien des cantiques, annoncé au livre des Psaumes, cantique éternel chanté dans la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, éternelle donc, par ceux qui portent un nom nouveau qui est leur nom éternel, etc.

« Ce commandement ancien, c'est la parole que vous avez entendue. Toutefois, c'est un commandement nouveau que je vous écris » (1 Jean 2, 7-8), « celui que nous avons eu dès le commencement, — c'est que nous nous aimions les uns les autres » (2 Jean 1, 5).

Un commandement éternellement nouveau, donné dès un commencement éternel qui vient dans le temps en Jésus, en ce nouveau commencement éternel qui est sa résurrection, annoncé dès Noël et qui advient sur la croix où Jésus est élevé à la gloire qui est la sienne avant que le monde soit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ; Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera » (Jean 13, 31-32).

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Ses ennemis, au moment où ils planteront les clous dans ses mains et ses pieds, croiront le ficher définitivement au bois. Ils croient ne commettre qu’une crucifixion de plus. Ils sont en fait devenus les instruments de Dieu qui élève son Fils à la gloire, qui glorifie celui qui porte son Nom : « mon Nom, je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Ses ennemis, eux, ne savent pas ce qu’ils font, comme ils se savent pas qui il est — et Jésus leur pardonne. Et lorsqu'il est crucifié, lui qui est élevé de la terre sur la croix est ipso facto élevé de la terre dans un autre sens : il est glorifié — dans un vocabulaire qui évoque la transfiguration des autres évangiles, Matthieu, Marc, Luc.

Et bientôt tout le monde va le voir. Sur cette croix, lui, le Juste, le Juste par excellence, est élevé de la terre. Élevé au sens le plus fort du terme, élevé au point que tout homme, jusqu’aux extrémités du monde, va le voir. Élevé, en fait, dans la gloire qui est la sienne auprès de Dieu avant même que le monde soit. Dans la gloire qui est dès le commencement, où se fonde le commandement nouveau — « celui que nous avons eu dès le commencement », nouveau comme l'éternité, toujours nouvelle, bien que plus ancienne que le monde !

*

« Là où je vais, vous ne pouvez venir » — parole qui précède immédiatement le don renouvelé du commandement. Là où Jésus va c'est à la mort comme conséquence d'un amour dont il vient de donner le signe en lavant les pieds de ses disciples.

Et là, vous ne pouvez venir, précise-t-il alors. L'amour dont je vous ai donné le signe et l'exemple est hors de portée. On n'aime pas jusqu'à la mort. À preuve, ce qui est encore loin d'être la mort, on ne donne pas tous ses biens. On ne donne que de son superflu. Par exemple, on ne remédie pas aux écarts de revenus faramineux de notre société. Celui qui a infiniment plus estime l'avoir mérité face à celui qui n'a rien. Faut-il un autre signe de ce qu'on n'aime pas comme Jésus a aimé ? « Là où je vais, vous ne pouvez venir »

Alors Jésus a ouvert une voie pour nous venions quand même — un peu, à notre mesure —, celle de l'empathie. Se mettre à la place d'autrui dans une humble mesure, ne pas en vouloir à celui, celle, que Jésus a aimé — « pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Luc 23, 34). C'est ce que le romancier Albert Cohen a appelé « tendresse de pitié » — comme une ouverture à la bonté. D'autant que la vie est brève et que comme toi, dit-il, ton prochain est voué à la mort.

Et puis, « si tu sais que l'autre [, écrit-il,] ne peut être que ce qu'il est, comment lui en vouloir, comment ne pas lui pardonner ? […] Tu considéreras alors cet innocent avec une tendresse de pitié, et tu n'y auras nul mérite » (Albert Cohen, Carnets 1978, p. 174).

Cette façon humble de suivre Jésus de loin, comme ceux des disciples présents à la croix, est la voie de ce qui a été appelé l'Imitatio Dei, l’imitation de Dieu, qui a compassion de toi, qui fait pleuvoir sur tous et briller son soleil sur tous, sans aucun mérite.

Alors on s'approche du lieu de la gloire que Jésus reçoit du Père, qui n'est autre que son élévation à la croix. Cette crucifixion qui semble n'être que le lieu de l'ignominie et qui est en fait le lieu de sa glorification — même racine en grec, sembler et être glorifié ! Pour nous quelque chose qui semble nous rapprocher de celui qui nous a aimés jusqu’à la mort. Il n'y a pas d'autre gloire que la sienne, élevé à la croix, et qui nous dit encore : « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres ». Ce n'est pas un fardeau accablant que ce commandement nouveau, plus ancien que la création du monde : c'est juste apprendre que dans la brièveté de la vie, faite de tant de misères, il n'y a pas de place ni de temps pour ne pas s'ouvrir à la bonté.


RP, Châtellerault, 24/04/16


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