Ésaïe 66, 18-21 ; Psaume 117 ; Hébreux 12, 5-13 ; Luc 13, 22-30
Luc 13, 22-30
Voilà une parole terrible, donnée comme inaugurant le jour du Royaume de Dieu et de sa porte — étroite et — désormais fermée !
Parole donnée en « vous ». Adressée donc au lecteur de l’Évangile, à chacun de nous qui lisons, donc, en réponse à la question « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? »
Une parole annoncée comme devant entrer dans l’histoire. Quand ? Lors d’une des dates terribles dont est constellée l’histoire ? Et pourquoi pas une date apparemment anodine ? Les événements du Nouveau Testament ont alors totalement échappé à la « grande Histoire », aux « grands médias » — : la date de la porte fermée aurait tout d'une date anodine, comme une date qui signe pourtant la disparition des témoins de la parole de la grâce, par exemple. Nous sommes à quelques jours d'un nouvel anniversaire du massacre de la Saint Barthélémy, la nuit du 24 août 1572. Le protestantisme ne fut pas exterminé, même si c'était sans doute la visée de ses bourreaux — en tout cas pour la France. Ce qui renvoie à l'actualité la plus criante, où comme en Syrie, en Irak ou en Égypte, etc., les violences fanatiques débouchent sur la disparition — parmi tant d'autres persécutés — des chrétiens, fragiles témoins, de plus en plus rares, de la parole du Christ.
Le témoignage se poursuit ailleurs, pourra-t-on dire. Mais jusqu'à quand, quand les Églises se vident ? Et si la porte fermée, porte étroite devenue devenue trop étroite, c’était cela ? Cela peut s’illustrer par une autre date anodine : au hasard : 1321. Un symbole intéressant, lié à l’histoire d'un christianisme exterminé, le catharisme ; symbole intéressant pour lire notre texte. Je vous propose de nous y arrêter un instant.
Pour les cathares, l'accès au Paradis supposait que l'on soit « consolé » en recevant l’imposition des mains d'un « Parfait » — ou « Bon-Homme ». Ainsi, depuis la mort du dernier d'entre eux, Bélibaste, en 1321, pour l’Occitanie cathare en tout cas, la Jérusalem céleste serait hors de portée, sa porte fermée, l’exil dans l’enfer de ce monde est irrémédiable. Le châtiment infernal récurrent est désormais seul en marche.
Que dire dès lors ? Il est incontestable que tous ne sont pas passés par l’imposition des mains consolantes de l’un de ceux qui donnaient le signe, le sacrement du salut. Certaines âmes étaient donc destinées au châtiment infernal. Et en nombre : nous en sommes tous, depuis lors.
Le seul salut possible, la porte étroite pour le salut des âmes étant ici cette consolation octroyée par les Parfaits, les Bons-Hommes, lorsque leur tâche est accomplie, ils n'ont plus à rester dans un monde devenu enfer définitif, ils doivent donc en disparaître. Or ils ont disparu, avec leur dernier martyr. À la disparition du dernier d'entre eux, le destin de ce monde, déjà tragique en ce Moyen Âge des bûchers, n’est que plus tragique encore. Au-delà du dernier recours, seul l’enfer continue son avancée et ses ravages, nous susurre encore le souffle de Bélibaste. Et si ce symbole-là devait nous intéresser nous aussi ?
Et si les portes de Jérusalem s’étaient effectivement refermées avec ses mains, qui ne consoleront plus, avec le souffle qui le portait, murmurant jusqu'à nous que le silence se fait, que la nuit devient toujours plus épaisse, qui déjà engloutissait les survivants cathares d’alors, italiens et bosniaques ?
« Y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » demandait-on à Jésus — qui n’a pas répondu à cette question… « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. » Voilà sa réponse ! « Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes »…
D'autres dates ont suivi celle du bûcher de Bélibaste en 1321, d'autres dates d'exil et signes de l'absurde. Moments de tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux, et un XXIe siècle qui ne commence pas au mieux — quand les descendants spirituels des plus anciens témoins de l’Évangile, parlant encore la langue de Jésus, disparaissent du Proche Orient sous la persécution : quels témoins du Royaume après eux, qui pour dire la porte ouverte ?
La nuit s'est épaissie. En faut-il plus pour craindre que les portes ne se referment progressivement, ne se soient déjà souvent refermées, et déjà bien avant 1321 ? Une porte fermée : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste. » Captivité babylonienne définitive. Pour les cathares, le cœur du pouvoir, la Babylone en question est évidemment la capitale du pouvoir d’alors, la Rome papale persécutrice. Il est intéressant de remarquer que c'est encore ce que dira quelques siècles plus tard Martin Luther, peu suspect de sympathie pour le catharisme.
Depuis, sont apparues d’autres Babylone ! D'autres lieux et dates symboliques — en nouveaux échos de la Babylone biblique et de la Rome impériale persécutrices.
Mais déjà pour Luther, plus de Parfaits à y opposer. Un pasteur n'a rien d'un Parfait !… Pour Luther comme pour nous, la captivité est définitive, elle dure autant que dure ce monde. Luther ouvre alors un recours individuel, le contact personnel avec Dieu, par la foi seule, puisque plus rien ne subsiste en matière d'intermédiaires. Pas même de purgatoire dans l'autre monde : la douleur est ici. Le purgatoire récurrent qu'était ce monde pour les cathares, dont tout le monde constatait que seul il subsistait, expliquerait alors le succès foudroyant de la Réforme : comme recours individuel à la miséricorde gratuite du Christ, par la foi seule, pour accomplir quand même ce que dans notre temps et dans notre histoire — faite de trahisons, nos trahisons, même du message dont nous nous réclamons —, nous n’avons pu, nous n’aurons pu construire.
« Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »
Voilà Dieu qui seul peut faire ce que ne n’avons pas su faire. Voilà un salut à une tout autre mesure, et qui laisse pourtant le goût de sable de tous nos échecs et de nos injustices, pour laisser place au seul roc de la promesse : « il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. » La promesse de Dieu, par la foi seule : telle est ainsi la porte étroite où il nous faut passer, par laquelle seule le salut est possible. La foi seule. Cette porte qui s'ouvre aujourd'hui. Car c'est aujourd'hui le jour du salut…
Luc 13, 22-30
22 Il passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.
23 Quelqu’un lui dit : "Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ?" Il leur dit alors :
24 "Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.
25 "Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes,
26 "alors vous vous mettrez à dire : Nous avons mangé et bu devant toi, et c’est sur nos places que tu as enseigné ;
27 et il vous dira : Je ne sais d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste.
28 "Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors.
29 Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
30 "Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers."
*
Voilà une parole terrible, donnée comme inaugurant le jour du Royaume de Dieu et de sa porte — étroite et — désormais fermée !
Parole donnée en « vous ». Adressée donc au lecteur de l’Évangile, à chacun de nous qui lisons, donc, en réponse à la question « Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? »
Une parole annoncée comme devant entrer dans l’histoire. Quand ? Lors d’une des dates terribles dont est constellée l’histoire ? Et pourquoi pas une date apparemment anodine ? Les événements du Nouveau Testament ont alors totalement échappé à la « grande Histoire », aux « grands médias » — : la date de la porte fermée aurait tout d'une date anodine, comme une date qui signe pourtant la disparition des témoins de la parole de la grâce, par exemple. Nous sommes à quelques jours d'un nouvel anniversaire du massacre de la Saint Barthélémy, la nuit du 24 août 1572. Le protestantisme ne fut pas exterminé, même si c'était sans doute la visée de ses bourreaux — en tout cas pour la France. Ce qui renvoie à l'actualité la plus criante, où comme en Syrie, en Irak ou en Égypte, etc., les violences fanatiques débouchent sur la disparition — parmi tant d'autres persécutés — des chrétiens, fragiles témoins, de plus en plus rares, de la parole du Christ.
Le témoignage se poursuit ailleurs, pourra-t-on dire. Mais jusqu'à quand, quand les Églises se vident ? Et si la porte fermée, porte étroite devenue devenue trop étroite, c’était cela ? Cela peut s’illustrer par une autre date anodine : au hasard : 1321. Un symbole intéressant, lié à l’histoire d'un christianisme exterminé, le catharisme ; symbole intéressant pour lire notre texte. Je vous propose de nous y arrêter un instant.
Pour les cathares, l'accès au Paradis supposait que l'on soit « consolé » en recevant l’imposition des mains d'un « Parfait » — ou « Bon-Homme ». Ainsi, depuis la mort du dernier d'entre eux, Bélibaste, en 1321, pour l’Occitanie cathare en tout cas, la Jérusalem céleste serait hors de portée, sa porte fermée, l’exil dans l’enfer de ce monde est irrémédiable. Le châtiment infernal récurrent est désormais seul en marche.
Que dire dès lors ? Il est incontestable que tous ne sont pas passés par l’imposition des mains consolantes de l’un de ceux qui donnaient le signe, le sacrement du salut. Certaines âmes étaient donc destinées au châtiment infernal. Et en nombre : nous en sommes tous, depuis lors.
Le seul salut possible, la porte étroite pour le salut des âmes étant ici cette consolation octroyée par les Parfaits, les Bons-Hommes, lorsque leur tâche est accomplie, ils n'ont plus à rester dans un monde devenu enfer définitif, ils doivent donc en disparaître. Or ils ont disparu, avec leur dernier martyr. À la disparition du dernier d'entre eux, le destin de ce monde, déjà tragique en ce Moyen Âge des bûchers, n’est que plus tragique encore. Au-delà du dernier recours, seul l’enfer continue son avancée et ses ravages, nous susurre encore le souffle de Bélibaste. Et si ce symbole-là devait nous intéresser nous aussi ?
Et si les portes de Jérusalem s’étaient effectivement refermées avec ses mains, qui ne consoleront plus, avec le souffle qui le portait, murmurant jusqu'à nous que le silence se fait, que la nuit devient toujours plus épaisse, qui déjà engloutissait les survivants cathares d’alors, italiens et bosniaques ?
« Y a-t-il que peu de gens qui seront sauvés ? » demandait-on à Jésus — qui n’a pas répondu à cette question… « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. » Voilà sa réponse ! « Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : Seigneur, ouvre-nous, et qu’il vous répondra : Vous, je ne sais d’où vous êtes »…
D'autres dates ont suivi celle du bûcher de Bélibaste en 1321, d'autres dates d'exil et signes de l'absurde. Moments de tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux, et un XXIe siècle qui ne commence pas au mieux — quand les descendants spirituels des plus anciens témoins de l’Évangile, parlant encore la langue de Jésus, disparaissent du Proche Orient sous la persécution : quels témoins du Royaume après eux, qui pour dire la porte ouverte ?
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La nuit s'est épaissie. En faut-il plus pour craindre que les portes ne se referment progressivement, ne se soient déjà souvent refermées, et déjà bien avant 1321 ? Une porte fermée : « Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites ce qui est injuste. » Captivité babylonienne définitive. Pour les cathares, le cœur du pouvoir, la Babylone en question est évidemment la capitale du pouvoir d’alors, la Rome papale persécutrice. Il est intéressant de remarquer que c'est encore ce que dira quelques siècles plus tard Martin Luther, peu suspect de sympathie pour le catharisme.
Depuis, sont apparues d’autres Babylone ! D'autres lieux et dates symboliques — en nouveaux échos de la Babylone biblique et de la Rome impériale persécutrices.
Mais déjà pour Luther, plus de Parfaits à y opposer. Un pasteur n'a rien d'un Parfait !… Pour Luther comme pour nous, la captivité est définitive, elle dure autant que dure ce monde. Luther ouvre alors un recours individuel, le contact personnel avec Dieu, par la foi seule, puisque plus rien ne subsiste en matière d'intermédiaires. Pas même de purgatoire dans l'autre monde : la douleur est ici. Le purgatoire récurrent qu'était ce monde pour les cathares, dont tout le monde constatait que seul il subsistait, expliquerait alors le succès foudroyant de la Réforme : comme recours individuel à la miséricorde gratuite du Christ, par la foi seule, pour accomplir quand même ce que dans notre temps et dans notre histoire — faite de trahisons, nos trahisons, même du message dont nous nous réclamons —, nous n’avons pu, nous n’aurons pu construire.
« Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »
Voilà Dieu qui seul peut faire ce que ne n’avons pas su faire. Voilà un salut à une tout autre mesure, et qui laisse pourtant le goût de sable de tous nos échecs et de nos injustices, pour laisser place au seul roc de la promesse : « il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu. » La promesse de Dieu, par la foi seule : telle est ainsi la porte étroite où il nous faut passer, par laquelle seule le salut est possible. La foi seule. Cette porte qui s'ouvre aujourd'hui. Car c'est aujourd'hui le jour du salut…
RP, Poitiers, 21/08/16
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