Actes 10.34-43 ; Psaume: 118.1-20 ; 1 Corinthiens 5.6-8 ; Matthieu 28.1-10
Matthieu 28, 1-10
« Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit ; venez voir l’endroit où il gisait » (Matthieu 28, 6). Voilà un constat auquel l’ange mène les femmes figées de crainte : « Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité » — voilà un constat qui bouleverse le monde depuis plus de 2000 ans. Voilà un constat qui met définitivement en question nos certitudes sur nous-mêmes, sur la vie, sur la mort. Car si la vie qui déferle du tombeau vide dévoile que la mort n’est pas ce que l’on croyait, elle dévoile aussi que la vie n’est peut-être pas non plus ce que l’on croyait.
C’est ainsi que le Nouveau Testament parlera de deux morts, et de deux résurrections. Une première mort, spirituelle — qui fonde la question, plus sérieuse qu’on ne croit : y a-t-il une vie avant la mort ? — Une première mort, spirituelle, dont on est appelé dès aujourd’hui à ressusciter — par une première résurrection.
La seconde mort, bien visible celle-là, celle qui nous réduit au statut de cadavre, perd alors son aiguillon, sa réalité menaçante, pour quiconque est passé par cette première résurrection, résurrection spirituelle qui jaillit dès aujourd’hui d’une rencontre avec le Christ vivant. Dès lors, comme le cadavre du Christ n’est pas au tombeau, la vie de disciple du Christ n’est pas non plus au tombeau.
Allez donc en Galilée, dira l’ange : en Galilée, c’est-à-dire chez vous où il vous précède — où vous retrouverez l’enseignement qu’il vous a donné, sa parole. Allez parmi les humains dire ce que — peut-être confusément — vous savez désormais.
Peut-être confusément, mais au tombeau vide vous avez reçu la vie nouvelle qui vous fait savoir que cette façon commune de confondre notre être avec telle ou telle idée de nous-même, et au fond avec notre histoire temporelle, n’est plus à l’ordre du jour.
On menaçait les premiers chrétiens de brûler leur corps pour empêcher leur résurrection. Leur être, notre être, serait-il dans ce qui est consumable par le feu en nous ? Si oui, dans quelle partie précisément de ce que l’on menaçait de brûler, alors ? Puisque la réflexion, sinon la compassion — pensez à celle de Jésus à l’égard des blessés de la vie dont il prenait soin —, la réflexion avait déjà enseigné que quelqu’un qui a perdu un membre n’a rien perdu de son humanité.
Quelle partie précisément de notre être devait-on donc redouter de voir brûler ? Quelle partie échapperait à la puissance divine de résurrection ? Quelle partie serait tellement plus constitutive de notre être que telle autre ? Notre cerveau ? — c’est tout de même le siège de notre pensée, dit-on de nos jours. Pour les anciens, c’était plutôt le cœur, devenu depuis une simple pompe.
On sait pourtant que les premiers chrétiens avaient appris à ne pas redouter de telles menaces… Était-ce en rapport avec ce que l’on peut admettre que notre pensée ne se confond pas avec les organes — comme le cerveau — par lesquels elle s’exerce ? Aurait-on alors trouvé le siège de nos êtres inaccessible au feu : notre pensée ?…
Admettons donc alors que notre pensée ne s’exerce qu’à l’occasion des cellules de notre cerveau et qu’en dernier ressort, elle puisse en être séparée. Nous savons que c’est une idée classique. Notre être serait alors dans notre pensée, même indépendamment du cerveau qui en est l’occasion en cette vie. C’est un des fondements de l’idée de l’immortalité de l’âme.
« Je pense donc je suis » a dit un penseur célèbre. Cela dit, on remarque aussi que cette pensée, notre pensée, s’exerce toujours en regard de ce qui passe… Ce « je » qui pense aujourd’hui, est-il le même que celui d’hier ? Le vieillard d’aujourd’hui est-il l’enfant d’hier ? Notre mémoire, plutôt que notre pensée, ferait donc le lien, l’unité de nos êtres ?…
Cela dit, s’il y a continuité, par notre mémoire, — indubitablement : c’est elle qui fait que je me perçois comme le même que l’an dernier, ou qu’en mon enfance —, il faut bien admettre que les expériences que j’ai vécues, ne serait-ce qu’en un an, ont totalement modifié jusqu’à ma mémoire de moi-même : et que notre mémoire soit trompeuse est aussi un fait — admis.
Alors revenons à nos martyrs brûlés. Ont-ils plus perdu de leur être que ceux qui sont morts âgés et de leur belle mort ? Non évidemment. Nous savons en outre que tout notre être est renouvelé en un an. Nous ne sommes plus, physiquement, ce que nous étions. Ce qui constitue notre être est dans la mémoire et la pensée, certes…, mais celle de Dieu, la mémoire et la pensée de Dieu — seul éternel, et — j’allais dire — en dehors de nous, ou plus profond que nos profondeurs propres.
Voilà donc une enveloppe temporelle, les organes de notre pensée et de notre mémoire inclus, dont nous nous dépouillons — pour ceux qui échappent au martyre —, déjà au jour le jour de son vieillissement ; une enveloppe, qui s’use de toute façon, qui se dégrade de jour en jour ; jusqu’au moment où il faudra la quitter comme un vêtement qui a fait son temps — selon cette image proposée de Paul.
Voilà ce que dit l’Ange aux femmes dans toute la clarté du dimanche de Pâques : il n’est pas ici. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, le corps, de toute façon, n’est pas là. Ce corps, cette enveloppe, qu’il a dépouillé à la croix.
Il a dépouillé le corps temporel, provisoire, douloureux, et il s’est relevé d’entre les morts. Et pour que cela soit bien clair, le tombeau est vide : l’Ange en roule la pierre pour que nous n’y restions pas. Il vous précède en Galilée. La mission commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous êtes envoyés, pas autour d’un tombeau.
Ce qui rend surprenant que l’on ait développé le culte du tombeau vide. L’Ange a bien dit aux embaumeuses : il n’est pas ici. Allez chez vous, allez au bout du monde, dans la Cité terrestre, il vous y précède. Parce que ce qui vaut pour lui, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous. Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour de façon cachée. C’est cet autre niveau qu’il nous faut rechercher, pour y fonder notre vie et notre comportement dans le provisoire.
Car cela ne rend pas nos corps temporels insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée. Et le lieu de la solidarité. Le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.
Lorsqu’au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : « le corps n’était pas là » ; le signe est accompagné de cette parole, il prend sens de cette parole, comme le pain et le vin prennent sens des paroles qui les accompagnent — il vous précède en Galilée, sur vos routes humaines.
Vivre de la résurrection du Christ éternel, pour marcher sur les routes du provisoire.
Que Dieu nous donne aujourd’hui de percevoir la présence du Ressuscité, et d’en concevoir le bonheur qu’ont connu les femmes puis les Apôtres. Et puis d’aller vers nos Galilée où nous précède le Ressuscité. Notre mort a été engloutie dans sa vie.
Matthieu 28, 1-10
1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.
3 Il avait l’aspect de l’éclair et son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : "Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié.
6 Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit; venez voir l’endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses disciples : Il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit."
8 Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : "Je vous salue." Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit : "Soyez sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront."
*
« Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit ; venez voir l’endroit où il gisait » (Matthieu 28, 6). Voilà un constat auquel l’ange mène les femmes figées de crainte : « Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité » — voilà un constat qui bouleverse le monde depuis plus de 2000 ans. Voilà un constat qui met définitivement en question nos certitudes sur nous-mêmes, sur la vie, sur la mort. Car si la vie qui déferle du tombeau vide dévoile que la mort n’est pas ce que l’on croyait, elle dévoile aussi que la vie n’est peut-être pas non plus ce que l’on croyait.
C’est ainsi que le Nouveau Testament parlera de deux morts, et de deux résurrections. Une première mort, spirituelle — qui fonde la question, plus sérieuse qu’on ne croit : y a-t-il une vie avant la mort ? — Une première mort, spirituelle, dont on est appelé dès aujourd’hui à ressusciter — par une première résurrection.
La seconde mort, bien visible celle-là, celle qui nous réduit au statut de cadavre, perd alors son aiguillon, sa réalité menaçante, pour quiconque est passé par cette première résurrection, résurrection spirituelle qui jaillit dès aujourd’hui d’une rencontre avec le Christ vivant. Dès lors, comme le cadavre du Christ n’est pas au tombeau, la vie de disciple du Christ n’est pas non plus au tombeau.
Allez donc en Galilée, dira l’ange : en Galilée, c’est-à-dire chez vous où il vous précède — où vous retrouverez l’enseignement qu’il vous a donné, sa parole. Allez parmi les humains dire ce que — peut-être confusément — vous savez désormais.
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Peut-être confusément, mais au tombeau vide vous avez reçu la vie nouvelle qui vous fait savoir que cette façon commune de confondre notre être avec telle ou telle idée de nous-même, et au fond avec notre histoire temporelle, n’est plus à l’ordre du jour.
On menaçait les premiers chrétiens de brûler leur corps pour empêcher leur résurrection. Leur être, notre être, serait-il dans ce qui est consumable par le feu en nous ? Si oui, dans quelle partie précisément de ce que l’on menaçait de brûler, alors ? Puisque la réflexion, sinon la compassion — pensez à celle de Jésus à l’égard des blessés de la vie dont il prenait soin —, la réflexion avait déjà enseigné que quelqu’un qui a perdu un membre n’a rien perdu de son humanité.
Quelle partie précisément de notre être devait-on donc redouter de voir brûler ? Quelle partie échapperait à la puissance divine de résurrection ? Quelle partie serait tellement plus constitutive de notre être que telle autre ? Notre cerveau ? — c’est tout de même le siège de notre pensée, dit-on de nos jours. Pour les anciens, c’était plutôt le cœur, devenu depuis une simple pompe.
On sait pourtant que les premiers chrétiens avaient appris à ne pas redouter de telles menaces… Était-ce en rapport avec ce que l’on peut admettre que notre pensée ne se confond pas avec les organes — comme le cerveau — par lesquels elle s’exerce ? Aurait-on alors trouvé le siège de nos êtres inaccessible au feu : notre pensée ?…
Admettons donc alors que notre pensée ne s’exerce qu’à l’occasion des cellules de notre cerveau et qu’en dernier ressort, elle puisse en être séparée. Nous savons que c’est une idée classique. Notre être serait alors dans notre pensée, même indépendamment du cerveau qui en est l’occasion en cette vie. C’est un des fondements de l’idée de l’immortalité de l’âme.
« Je pense donc je suis » a dit un penseur célèbre. Cela dit, on remarque aussi que cette pensée, notre pensée, s’exerce toujours en regard de ce qui passe… Ce « je » qui pense aujourd’hui, est-il le même que celui d’hier ? Le vieillard d’aujourd’hui est-il l’enfant d’hier ? Notre mémoire, plutôt que notre pensée, ferait donc le lien, l’unité de nos êtres ?…
Cela dit, s’il y a continuité, par notre mémoire, — indubitablement : c’est elle qui fait que je me perçois comme le même que l’an dernier, ou qu’en mon enfance —, il faut bien admettre que les expériences que j’ai vécues, ne serait-ce qu’en un an, ont totalement modifié jusqu’à ma mémoire de moi-même : et que notre mémoire soit trompeuse est aussi un fait — admis.
Alors revenons à nos martyrs brûlés. Ont-ils plus perdu de leur être que ceux qui sont morts âgés et de leur belle mort ? Non évidemment. Nous savons en outre que tout notre être est renouvelé en un an. Nous ne sommes plus, physiquement, ce que nous étions. Ce qui constitue notre être est dans la mémoire et la pensée, certes…, mais celle de Dieu, la mémoire et la pensée de Dieu — seul éternel, et — j’allais dire — en dehors de nous, ou plus profond que nos profondeurs propres.
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Voilà donc une enveloppe temporelle, les organes de notre pensée et de notre mémoire inclus, dont nous nous dépouillons — pour ceux qui échappent au martyre —, déjà au jour le jour de son vieillissement ; une enveloppe, qui s’use de toute façon, qui se dégrade de jour en jour ; jusqu’au moment où il faudra la quitter comme un vêtement qui a fait son temps — selon cette image proposée de Paul.
Voilà ce que dit l’Ange aux femmes dans toute la clarté du dimanche de Pâques : il n’est pas ici. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, le corps, de toute façon, n’est pas là. Ce corps, cette enveloppe, qu’il a dépouillé à la croix.
Il a dépouillé le corps temporel, provisoire, douloureux, et il s’est relevé d’entre les morts. Et pour que cela soit bien clair, le tombeau est vide : l’Ange en roule la pierre pour que nous n’y restions pas. Il vous précède en Galilée. La mission commence où demeurent les vôtres, les êtres humains, elle est où vous êtes envoyés, pas autour d’un tombeau.
Ce qui rend surprenant que l’on ait développé le culte du tombeau vide. L’Ange a bien dit aux embaumeuses : il n’est pas ici. Allez chez vous, allez au bout du monde, dans la Cité terrestre, il vous y précède. Parce que ce qui vaut pour lui, et c’est là que son relèvement d’entre les morts est aussi un dévoilement, une révélation ; ce qui vaut pour lui, vaut, en lui, aussi pour nous. Il est un autre niveau de réalité, celui qui apparaît dans la résurrection. Or nous en sommes aussi, à notre tour de façon cachée. C’est cet autre niveau qu’il nous faut rechercher, pour y fonder notre vie et notre comportement dans le provisoire.
Car cela ne rend pas nos corps temporels insignifiants. Ils sont la manifestation visible de ce que nous sommes de façon cachée. Et le lieu de la solidarité. Le corps que le Christ s’est vu tisser dans le sein de la Vierge Marie manifeste dans notre temps ce qu’il est définitivement devant Dieu, et qui nous apparaît dans sa résurrection.
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Lorsqu’au matin de Pâques, les femmes ont reçu ce signe : « le corps n’était pas là » ; le signe est accompagné de cette parole, il prend sens de cette parole, comme le pain et le vin prennent sens des paroles qui les accompagnent — il vous précède en Galilée, sur vos routes humaines.
Vivre de la résurrection du Christ éternel, pour marcher sur les routes du provisoire.
Que Dieu nous donne aujourd’hui de percevoir la présence du Ressuscité, et d’en concevoir le bonheur qu’ont connu les femmes puis les Apôtres. Et puis d’aller vers nos Galilée où nous précède le Ressuscité. Notre mort a été engloutie dans sa vie.
RP, Poitiers, Pâques 16/04/17
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