Matthieu 27, 1-54
Des ignorants en train de se moquer, des signes du monde éternel en train d'entrer dans l'histoire. Signes à la fois terrifiants et merveilleux : le voile du Temple se déchire, la terre tremble, des tombeaux s'ouvrent.
Et en premier lieu, « des ténèbres sur toute la terre » (Mt 27, 45).
Comme le dit le Psaume 2, en arrière-plan de la compréhension par les disciples de la condamnation à mort de Jésus, « tous se sont ligués contre le Messie » ; et, au jour de la crucifixion, sans vraiment s'en rendre compte. Les responsables de la Judée, censés être les représentants d'une nation farouchement opposée au paganisme romain, se montrent à présent fort proches des Romains !
Le conflit tourne autour de la crainte de ceux qui ont des positions élevées devant l'espérance que suscite Jésus, qui commence à être jugée trop dangereuse par rapport aux Romains. Et finalement, les chefs religieux parviendront à retourner une part importante du peuple contre celui qui est en fait porteur de quelque chose de bien plus grand que ses faibles espérances.
Quelques versets plus haut — Matthieu 26, 63-65 —,
Les chefs du temple ont ont invoqué ce motif pour livrer Jésus : le « blasphème » : il s'est identifié au Fils de l'Homme du livre de Daniel. Or le Fils de l'Homme est un être céleste, image éternelle de Dieu.
Les sadducéens, que sont les chefs du temple d’alors, ne croient probablement pas à ce « Fils de l'Homme », être céleste qui existe avant que le monde soit, auquel croient plusieurs en Israël d'alors. Et pourtant lorsque Jésus s'applique à lui-même une citation de Daniel sur le Fils de l'Homme, le grand prêtre crie au blasphème. Pour leurs manœuvres, les sadducéens comme les partisans du roi Hérode, proches des Romains, et adversaires privilégiés de Jésus, peuvent fort bien s'accommoder de la croyance, qui n'est sans doute pas la leur, au Fils de l'Homme céleste et éternel. Car voilà que cet être céleste devient concret, en Jésus Christ ; la chose peut devenir dangereuse, surtout si ce Jésus rassemble les espérances du peuple ; et d'autant plus que les Romains pourraient s'en inquiéter.
Mais le Fils de l'Homme est un personnage céleste ! Certains s'attendent même éventuellement à le voir descendre du ciel dans le Temple ; Jésus, dans le récit de la tentation au désert, a refusé la tentation de se présenter ainsi, de se présenter en héros triomphant (Mt 4, 5-7). Or ce Jésus en train de comparaître n'a vraiment pas l'apparence du héros céleste, image éternelle de Dieu : il est au contraire humilié, méprisé, apparemment impuissant. Sa prétention au titre divin de Fils de l'Homme peut bien sembler blasphématoire : ce prétendu Fils de l'Homme n'a pas fière allure !
Et le comportement du grand desservant, sa manœuvre pour retourner le peuple, va marcher.
Jésus se taira, n'admettant aucune concession : surtout pas aux Romains et à leurs partisans au pouvoir, mais pas non plus à ceux qui veulent renverser les Romains par les armes, nombreux sans doute parmi le peuple. Ici la crainte est celle qu'exprime le grand prêtre Caïphe, selon Jean : « s'il continue les Romains vont nous détruire ». On le leur livrera donc.
Et de cette façon s'explique l'attitude de Pilate. Pilate ne comprend pas : « qu'as-tu fait, que les tiens te livrent à moi ? » — « Moi je ne suis pas Judéen… vous avez votre Loi, etc. » Sous-entendu : « réglez donc cela entre vous ! »
Le problème que pose Jésus est renforcé par son silence devant ce Pilate perplexe : son Règne n'est pas de ce monde. Et ce n'est pas par la force, mais par l'Esprit de Dieu qu'il sera instauré. Pour l'heure, lorsque le Christ est exclu du monde, c'est le monde et celui qui le séduit, le diable, qui est jeté hors de sa lumière : « il y eut des ténèbres sur toute la terre ». Lorsque le monde de la vanité, de l'apparence et des pouvoirs passagers s'imagine réduire à l'impuissance celui dont il cloue les mains, il ignore tout de ce qui est en train de se passer : Dieu est en train de révéler qui est Jésus par cette crucifixion.
Lorsque la lumière du monde est élevée de la terre, la terre entre dans les ténèbres (Mt 27, 45). Alors Dieu fait éclater la Vérité. Mieux peut-être que Pilate au procès, le centurion entrevoit cela et en conçoit de la crainte : « Il était vraiment le Fils de Dieu » (27, 54). Au milieu des moqueries, Dieu se révèle. C'est là, là seulement qu'il ne peut qu'être. Là est son parti : la justice, la pureté, fût-elle voilée dans les sarcasmes : là est la puissance de Dieu.
Il est celui qui est qui était et qui vient, celui-là même qui a versé son sang, et voici que, Fils de l'Homme contemplé par Daniel, il vient sur les nuées (Apocalypse 1, 5-8). Car son sang versé, c’est-à-dire sa mort, est, par sa résurrection, la source de notre salut, de notre accès à l’éternité, selon le vrai sens de ce que, selon Matthieu, a dit le peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » (27, 25). Malgré l’affreux contresens de la lecture historique de cette prière du peuple, il n’y a rien d’autre que salut et bénédiction de Dieu sous le sang versé pour que nous ayons la vie. Bénédiction et non pas malédiction !
Il nous est ainsi montré étrangement, infiniment proche, jusqu’à la mort, lui qui est ce Fils de l'Homme dans les cieux, demeurant avec Dieu avant la fondation du monde.
[…] 37 Au-dessus de sa tête, ils avaient placé le motif de sa condamnation, ainsi libellé : « Celui-ci est Jésus, le roi des Judéens. »
38 Deux bandits sont alors crucifiés avec lui, l’un à droite, l’autre à gauche.
39 Les passants l’insultaient, hochant la tête
40 et disant : « Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix ! »
41 De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient :
42 « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui !
43 Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : “Je suis Fils de Dieu !” »
44 Même les bandits crucifiés avec lui l’injuriaient de la même manière.
45 A partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures.
46 Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lema sabaqthani », c’est-à-dire « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
47 Certains de ceux qui étaient là disaient, en l’entendant : « Le voilà qui appelle Élie ! »
48 Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre ; et, la fixant au bout d’un roseau, il lui présenta à boire.
49 Les autres dirent : « Attends ! Voyons si Élie va venir le sauver. »
50 Mais Jésus, criant de nouveau d’une voix forte, rendit l’esprit.
51 Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ;
52 les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent :
53 sortis des tombeaux, après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et apparurent à un grand nombre de gens.
54 A la vue du tremblement de terre et de ce qui arrivait, le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu. »
*
Des ignorants en train de se moquer, des signes du monde éternel en train d'entrer dans l'histoire. Signes à la fois terrifiants et merveilleux : le voile du Temple se déchire, la terre tremble, des tombeaux s'ouvrent.
Et en premier lieu, « des ténèbres sur toute la terre » (Mt 27, 45).
Comme le dit le Psaume 2, en arrière-plan de la compréhension par les disciples de la condamnation à mort de Jésus, « tous se sont ligués contre le Messie » ; et, au jour de la crucifixion, sans vraiment s'en rendre compte. Les responsables de la Judée, censés être les représentants d'une nation farouchement opposée au paganisme romain, se montrent à présent fort proches des Romains !
Le conflit tourne autour de la crainte de ceux qui ont des positions élevées devant l'espérance que suscite Jésus, qui commence à être jugée trop dangereuse par rapport aux Romains. Et finalement, les chefs religieux parviendront à retourner une part importante du peuple contre celui qui est en fait porteur de quelque chose de bien plus grand que ses faibles espérances.
Quelques versets plus haut — Matthieu 26, 63-65 —,
63 [...] le souverain sacrificateur, prenant la parole, lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu.
64 Jésus lui répondit : Tu l’as dit. De plus, je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel.
65 Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, disant : Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous venez d’entendre son blasphème.
Les chefs du temple ont ont invoqué ce motif pour livrer Jésus : le « blasphème » : il s'est identifié au Fils de l'Homme du livre de Daniel. Or le Fils de l'Homme est un être céleste, image éternelle de Dieu.
Les sadducéens, que sont les chefs du temple d’alors, ne croient probablement pas à ce « Fils de l'Homme », être céleste qui existe avant que le monde soit, auquel croient plusieurs en Israël d'alors. Et pourtant lorsque Jésus s'applique à lui-même une citation de Daniel sur le Fils de l'Homme, le grand prêtre crie au blasphème. Pour leurs manœuvres, les sadducéens comme les partisans du roi Hérode, proches des Romains, et adversaires privilégiés de Jésus, peuvent fort bien s'accommoder de la croyance, qui n'est sans doute pas la leur, au Fils de l'Homme céleste et éternel. Car voilà que cet être céleste devient concret, en Jésus Christ ; la chose peut devenir dangereuse, surtout si ce Jésus rassemble les espérances du peuple ; et d'autant plus que les Romains pourraient s'en inquiéter.
Mais le Fils de l'Homme est un personnage céleste ! Certains s'attendent même éventuellement à le voir descendre du ciel dans le Temple ; Jésus, dans le récit de la tentation au désert, a refusé la tentation de se présenter ainsi, de se présenter en héros triomphant (Mt 4, 5-7). Or ce Jésus en train de comparaître n'a vraiment pas l'apparence du héros céleste, image éternelle de Dieu : il est au contraire humilié, méprisé, apparemment impuissant. Sa prétention au titre divin de Fils de l'Homme peut bien sembler blasphématoire : ce prétendu Fils de l'Homme n'a pas fière allure !
Et le comportement du grand desservant, sa manœuvre pour retourner le peuple, va marcher.
Jésus se taira, n'admettant aucune concession : surtout pas aux Romains et à leurs partisans au pouvoir, mais pas non plus à ceux qui veulent renverser les Romains par les armes, nombreux sans doute parmi le peuple. Ici la crainte est celle qu'exprime le grand prêtre Caïphe, selon Jean : « s'il continue les Romains vont nous détruire ». On le leur livrera donc.
*
Et de cette façon s'explique l'attitude de Pilate. Pilate ne comprend pas : « qu'as-tu fait, que les tiens te livrent à moi ? » — « Moi je ne suis pas Judéen… vous avez votre Loi, etc. » Sous-entendu : « réglez donc cela entre vous ! »
Le problème que pose Jésus est renforcé par son silence devant ce Pilate perplexe : son Règne n'est pas de ce monde. Et ce n'est pas par la force, mais par l'Esprit de Dieu qu'il sera instauré. Pour l'heure, lorsque le Christ est exclu du monde, c'est le monde et celui qui le séduit, le diable, qui est jeté hors de sa lumière : « il y eut des ténèbres sur toute la terre ». Lorsque le monde de la vanité, de l'apparence et des pouvoirs passagers s'imagine réduire à l'impuissance celui dont il cloue les mains, il ignore tout de ce qui est en train de se passer : Dieu est en train de révéler qui est Jésus par cette crucifixion.
Lorsque la lumière du monde est élevée de la terre, la terre entre dans les ténèbres (Mt 27, 45). Alors Dieu fait éclater la Vérité. Mieux peut-être que Pilate au procès, le centurion entrevoit cela et en conçoit de la crainte : « Il était vraiment le Fils de Dieu » (27, 54). Au milieu des moqueries, Dieu se révèle. C'est là, là seulement qu'il ne peut qu'être. Là est son parti : la justice, la pureté, fût-elle voilée dans les sarcasmes : là est la puissance de Dieu.
*
Il est celui qui est qui était et qui vient, celui-là même qui a versé son sang, et voici que, Fils de l'Homme contemplé par Daniel, il vient sur les nuées (Apocalypse 1, 5-8). Car son sang versé, c’est-à-dire sa mort, est, par sa résurrection, la source de notre salut, de notre accès à l’éternité, selon le vrai sens de ce que, selon Matthieu, a dit le peuple : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants ! » (27, 25). Malgré l’affreux contresens de la lecture historique de cette prière du peuple, il n’y a rien d’autre que salut et bénédiction de Dieu sous le sang versé pour que nous ayons la vie. Bénédiction et non pas malédiction !
Il nous est ainsi montré étrangement, infiniment proche, jusqu’à la mort, lui qui est ce Fils de l'Homme dans les cieux, demeurant avec Dieu avant la fondation du monde.
RP, Poitiers, Vendredi saint, 14.04.17
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