Ésaïe 45, 22-24 ; Psaume 145 ; 2 Thessaloniciens 1, 11 à 2, 2 ; Luc 19, 1-10
Luc 19, 1-10
Qui est donc ce Zachée ? C’est un homme en vue, une sorte de célébrité locale à Jéricho. Une célébrité de petite ville, qu’il y a acquise à force de coups à sa façon et autres démarches pas très reluisantes — pour être au poste qui est le sien ! Un de ces personnages en quête d’aisance — il faut bien vivre —, et puis d’un peu d’honneurs aussi, de standing et de choses qu’on honore, quitte à aller quérir tout cela chez les Romains… tant qu’ils sont au pouvoir.
En vue à Jéricho, Zachée l’est sans aucun doute, mais il est mal vu — et donc rejeté : un homme seul… Puisqu’il est le chef de ces fameux publicains, arrogants collecteurs d'impôts, au service de Rome. Son métier ? Au regard de ses compatriotes judéens : racket professionnel dans la collaboration avec l’ennemi, puisque les percepteurs collaborateurs des Romains se servaient sur la bête. S’il est rejeté, c’est légitimement, peut-on dire.
Voilà autant d’éléments qui peuvent expliquer pourquoi il veut voir Jésus qui passe… Rien d’autre, dirait-il peut-être, que voir une nouvelle célébrité : il en est une lui-même ! D’habitude, il est sans doute dans le comité d’accueil des représentants du pouvoir romain. Voir une nouvelle célébrité… Et qui sait, en arrière-pensée, puisque ce genre de personnage, Zachée, est à courte vue, il est sans doute prêt à tourner sa veste pour un poste…
Car Jésus, oui, commence aussi à avoir une certaine célébrité : celle d’être peut-être le nouveau pouvoir, celui qui remplacera les Romains. Dans Jéricho, la foule presse Jésus. Ne perdons pas de vue qu'on est à la veille de son entrée triomphale à Jérusalem. Ce Jésus a commencé à faire parler de lui. Il est peut-être temps pour Zachée de se ménager des entrées — et pourquoi pas, une future nouvelle tâche de percepteur, si des fois ce Jésus prenait le pouvoir ! D'où la curiosité, qui fait que ce petit homme se rend visible en montant sur un arbre, tout en s’y cachant. Un homme tiraillé, sans doute, que ce chercheur d’honneurs qui se cache à moitié.
Car d’un autre côté, ce Zachée chercheur d’avantages et de prestige de petite ville, ce Zachée, qui est petit, préfère sans doute aussi ne pas trop se faire remarquer, ni par une foule qui lui est hostile et qui aujourd’hui bafoue ainsi son arrogance dans sa petitesse, ni même par Jésus qu’elle acclame. Il monte donc sur ce sycomore, ce qui ne l'empêche pas de se faire remarquer, notamment par Jésus — qui va le prendre à son propre désir d’être honoré, en le faisant sortir de cet observatoire qui le cache et l’exhibe à la fois.
Jésus a vraisemblablement déjà eu l'occasion de le voir aux portes de la ville, et d'en entendre beaucoup de mal. D'où sans doute, dans son geste, se faire inviter par cet homme, une part de provocation, un certain sens du scandale : Jésus sait que son attitude ne passera pas inaperçue, fera jaser. Et puisque la grâce est scandale, c'est d'un geste de grâce que Jésus va faire un sujet de commérage.
Avant d'apparaître comme grâce, le geste de Jésus fait sans doute plutôt figure d'aubaine aux yeux de ses fervents zélateurs. D'aubaine choquante : tous murmurent : « il va loger chez un pécheur ! » Et quel pécheur ! Mais voilà que le plus choqué de tous, c'est Zachée lui-même. Il pouvait s'attendre à tout — s'il s'attendait à quelque chose, sait-on jamais : « mes qualités de financiers pourraient être récupérées discrètement par le nouveau pouvoir » — il pouvait s'attendre à tout, mais pas à ça, pas de cette manière !
Zachée a quand même l’allure type du mauvais riche dont Jésus vient de lancer une de ces séries de portraits à même de décourager n’importe quel prédicateur, n’importe quel témoin de ses paroles, tant ses critiques des riches sont violentes ! Surtout si ce prédicateur ou témoin de ses paroles est soucieux des finances de la communauté ou simplement soucieux de ne pas décourager ses auditeurs non-SDF. Mais Jésus, moins embarrassé apparemment par tous ces problèmes, a porté ces critiques violentes, et sans pincettes, contre ces façons dont Zachée donne un exemple criant !
La fidélité à sa parole a sans doute contraint ses disciples à les dire à leur tour, ces critiques violentes… Que le vent a portées jusqu’aux oreilles du chef des publicains de Jéricho, qui, donc, se cache dans son sycomore. Et voilà, point culminant de la série « critique des riches », son cas à lui, le cas Zachée ! Et le cas de Zachée, lui, est caricatural : une richesse mal acquise, telle celle de l’intendant infidèle décrit quelques pages avant, acquise à coups de courbettes devant les Romains ; et tout ça pour un bonheur égoïste, comme le riche méprisant Lazare.
Il est tout cela à la fois Zachée. Un de ces personnages réputés irrachetables tellement leurs vols semblent non remboursables ! Aujourd'hui, ils feraient partie de ces personnages publics qui brillent par leur prestance jusqu'à ce qu'ils soient poursuivis pour abus de bien sociaux, détournements de fonds, corruption, etc. Simplement à l'époque c'était légal. Les Romains mettaient les populations occupées à la tache de la collecte d'impôt en leur permettant de puiser dans la caisse le supplément qu'ils demanderaient. On comprend pourquoi on n'aimait pas beaucoup ces riches qu'étaient les collecteurs d'impôts. Zachée en est.
Oui, décidément Zachée est un petit homme, et pas que par la taille ; et s’il s’est mis au loin, sur son arbre, c’est aussi sans doute parce qu’il redoute Jésus, qu’il redoute qu’il ne le rejette, dans les ténèbres à grincements de dents de ses paraboles.
Et voilà que c’est par lui, qui sait se reconnaître — comment ne le ferait-il pas, c’est si explicite — dans les portraits des paraboles de Jésus ; c’est par lui, sur lui, précisément que va éclater la parole de la grâce !
Parmi tous les habitants de Jéricho dont sans doute aucun n'aurait accueilli Jésus autrement qu'avec joie et empressement — il n'avait que l'embarras du choix, — il se fait recevoir par un pécheur. Et pas par n'importe quel pécheur, pas le pécheur du coin, anonyme ; non, il s'agit bien du pécheur connu, public, le pécheur en chef.
Il n'y a pas plus d'ambiguïté sur ce point de la part de Jésus que lorsqu'il fraye avec les prostituées. Aucun doute sur leur moralité.
Et, comble de l’incongruité, ici il ne s'agit pas du chef de n'importe quelle sorte de pécheurs, mais du chef des collecteurs d'impôts, se coltinant des tâches de Romains — courbettes comprises —, ce à quoi il doit son arrogante richesse.
Or celui qui l'interpelle, Jésus, représente à peu près l'inverse : le chef d'un groupe messianique, avec vocation de libérer Israël de toutes ses oppressions, Romains compris — une libération qu'il est peut-être à la veille de mener à bien — du moins est-il perçu comme cela. Et au cœur d'un bain de foule, au milieu de ses partisans enthousiastes qui encadrent son proche triomphe, le voilà qui se fait inviter, par qui ?… par Zachée !
Ce qui se passe alors dans la tête du publicain restera difficile à percer. On comprend en tout cas qu'il n'en revienne pas. Mais on peut imaginer aussi des sentiments mêlés, une sorte de triomphe mesquin, empreint de ressentiment, sur une foule qui le méprise.
Il y aurait là de quoi nourrir les murmures qu'entraîne l'attitude de Jésus. Un personnage comme Zachée semblerait bien digne d'un procès d'intention : que va-t-il faire des largesses de Jésus ? Ne vont-elles pas l'encourager dans sa mesquinerie qui, en plus, fonde son arrogance à l’égard des miséreux ?
Eh bien ! Jésus passe outre : la grâce est gratuite — pas à bon marché, on va le voir, mais gratuite, — totalement gratuite : la grâce n'attend pas de bonne attitude, ni de bonne moralité, le choix de Zachée en fait foi ; elle n'attend pas non plus de bonne disposition intérieure.
C’est la grâce qui justifie, tout simplement. Justification par la grâce, par la foi seule. La justification est déclarative.
C'est toute la leçon qu'a retrouvée la Réforme. Être justifié ne signifie pas être rendu juste, mais être déclaré juste. La Réforme parlait ainsi de justification « forensique », « étrangère », « extérieure », de ce mot qui a donné en français « forain », c'est-à-dire, extérieur, étranger, quelqu'un qui est d'ailleurs.
De même, la justification selon la Bible, expliquaient les Réformateurs, nous est étrangère, elle nous vient d'ailleurs. Nous ne sommes pas justes en nous-mêmes. Dieu nous déclare juste, par la grâce, c'est-à-dire gratuitement.
Cette justice qui n'est pas nôtre, qui est celle du Christ seul, est donnée gratuitement à notre seule foi. Nous sommes donc déclarés justes, ce que nous ne sommes pas, et non pas rendus justes, ce qui serait désespérant, puisqu'il nous faudrait sans cesse mesurer notre justification à nos œuvres de justice pour savoir si nous sommes réellement justifiés. Non, nous sommes déclarés justes par la grâce de Dieu et nous recevons cela, cette grâce gratuite, par notre seule foi.
Jésus ne pose aucune condition, ne requiert rien de Zachée suite à quoi il daignerait s'asseoir à sa table. Il accepte Zachée, dans le signe de ce qu'il lui offre, son hospitalité, tel qu'il est, Zachée le pécheur le plus en vue de Jéricho.
Et Zachée perçoit la grâce, il se sait accepté et il accepte d'être accepté. Il est une part de lui-même qui sait entendre ce qu'il découvre probablement pour la première fois. Lui dont les bonnes consciences religieuses n'ont sans doute pas manqué de l'inviter à se repentir en des termes comme : « si tu changes de vie, Dieu saura te faire grâce… » Parole sympathique certes, mais façon subtile de prêcher le salut par les œuvres : « à condition que… »
Et voilà que Jésus ne pose aucune condition : « Je veux demeurer dans ta maison ». Zachée a entendu sa voix : « si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai et je souperai avec lui et lui avec moi ».
Le changement de comportement de Zachée, son repentir, ne précède pas la grâce, mais en est un fruit et comme le signe ; le signe d'une libération et en aucun cas une condition. Zachée se voit libéré d'un poids — disons de sa peur qui le mène par tel ou tel « on ne sait jamais » à accumuler, et à frayer avec l'ennemi romain. Sous le regard de la grâce, le péché, qui est un malheur, un pesant esclavage, lui apparaît comme tel, comme chaîne.
Le péché contre son devoir est ce qui le coupe de ses prochains et l'enferme dans son arrogante solitude. Devoir, car il ne fait que se rendre aux préceptes de la Loi — restitution au quadruple des biens volés :
Exode 22, 1 :
Lorsqu’un homme volera un bœuf ou un agneau, s’il l’égorge ou le vend, il restituera cinq bœufs pour le bœuf et quatre (pièces de) petit bétail pour l’agneau.
2 Samuel 12 :
1 L’Éternel envoya Nathan vers David. Nathan vint à lui et lui dit: Il y avait dans une même ville deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre.
2 Le riche avait du petit et du gros bétail en très grande quantité.
3 Le pauvre n’avait rien du tout sinon une petite brebis, qu’il avait achetée; il la nourrissait, et elle grandissait chez lui avec ses fils; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait sur son sein. Elle était pour lui comme une fille.
4 Un voyageur arriva chez l’homme riche; et le riche ménagea son petit ou son gros bétail, pour préparer (un repas) au voyageur arrivé chez lui: il prit la brebis du pauvre et l’apprêta pour l’homme arrivé chez lui.
5 La colère de David s’enflamma violemment contre cet homme, et il dit à Nathan: L’Éternel est vivant! l’homme qui a fait cela mérite la mort,
6 et il rendra au quadruple la brebis, pour avoir commis cette action et pour avoir agi sans ménagements.
Et cela fait Zachée en vient enfin à la pratique de la mitsva — le commandement — de la tsedaqa — c'est-à-dire le précepte de la justice — puisque c'est le nom hébreu pour ce que l'on a rendu par "aumône".
Dans la perspective hébraïque et biblique celui qui a des biens en a été doté par Dieu pour un ministère à l'égard d'autrui — il est intendant de Dieu à ce propos ; ce qui fait que l'aumône est perçue comme juste restitution. Zachée ne manque pas d'en venir à ce qui est l'enseignement de la Loi : le regard de la grâce que lui a porté Jésus l'a libéré, l'a sauvé. Jésus est venu chercher et sauver les fils d'Abraham ; chercher et sauver ce qui était perdu.
Hébreux 2, 16 « ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la descendance d’Abraham. » Galates 3, 7 : « ceux qui ont la foi sont enfants d’Abraham. »
Cela coûte tout à Zachée : il perd ce qu'il voulait sauver à force d'entourloupes, il perd tout parce que le regard de Jésus lui a fait saisir qu'il ne saurait rien sauver d'une manne qui pourrit. Cette perte du passager est signe qu’il a reçu ce qui ne passe pas.
Luc 19, 1-10
1 Entré dans Jéricho, Jésus traversait la ville.
2 Survint un homme appelé Zachée ; c’était un chef des collecteurs d’impôts et il était riche.
3 Il cherchait à voir qui était Jésus, et il ne pouvait y parvenir à cause de la foule, parce qu’il était de petite taille.
4 Il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là.
5 Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit : "Zachée, descends vite : il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison."
6 Vite Zachée descendit et l’accueillit tout joyeux.
7 Voyant cela, tous murmuraient ; ils disaient : "C’est chez un pécheur qu’il est allé loger."
8 Mais Zachée, s’avançant, dit au Seigneur : "Eh bien ! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple."
9 Alors Jésus dit à son propos : "Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham.
10 En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu."
*
Qui est donc ce Zachée ? C’est un homme en vue, une sorte de célébrité locale à Jéricho. Une célébrité de petite ville, qu’il y a acquise à force de coups à sa façon et autres démarches pas très reluisantes — pour être au poste qui est le sien ! Un de ces personnages en quête d’aisance — il faut bien vivre —, et puis d’un peu d’honneurs aussi, de standing et de choses qu’on honore, quitte à aller quérir tout cela chez les Romains… tant qu’ils sont au pouvoir.
En vue à Jéricho, Zachée l’est sans aucun doute, mais il est mal vu — et donc rejeté : un homme seul… Puisqu’il est le chef de ces fameux publicains, arrogants collecteurs d'impôts, au service de Rome. Son métier ? Au regard de ses compatriotes judéens : racket professionnel dans la collaboration avec l’ennemi, puisque les percepteurs collaborateurs des Romains se servaient sur la bête. S’il est rejeté, c’est légitimement, peut-on dire.
Voilà autant d’éléments qui peuvent expliquer pourquoi il veut voir Jésus qui passe… Rien d’autre, dirait-il peut-être, que voir une nouvelle célébrité : il en est une lui-même ! D’habitude, il est sans doute dans le comité d’accueil des représentants du pouvoir romain. Voir une nouvelle célébrité… Et qui sait, en arrière-pensée, puisque ce genre de personnage, Zachée, est à courte vue, il est sans doute prêt à tourner sa veste pour un poste…
Car Jésus, oui, commence aussi à avoir une certaine célébrité : celle d’être peut-être le nouveau pouvoir, celui qui remplacera les Romains. Dans Jéricho, la foule presse Jésus. Ne perdons pas de vue qu'on est à la veille de son entrée triomphale à Jérusalem. Ce Jésus a commencé à faire parler de lui. Il est peut-être temps pour Zachée de se ménager des entrées — et pourquoi pas, une future nouvelle tâche de percepteur, si des fois ce Jésus prenait le pouvoir ! D'où la curiosité, qui fait que ce petit homme se rend visible en montant sur un arbre, tout en s’y cachant. Un homme tiraillé, sans doute, que ce chercheur d’honneurs qui se cache à moitié.
Car d’un autre côté, ce Zachée chercheur d’avantages et de prestige de petite ville, ce Zachée, qui est petit, préfère sans doute aussi ne pas trop se faire remarquer, ni par une foule qui lui est hostile et qui aujourd’hui bafoue ainsi son arrogance dans sa petitesse, ni même par Jésus qu’elle acclame. Il monte donc sur ce sycomore, ce qui ne l'empêche pas de se faire remarquer, notamment par Jésus — qui va le prendre à son propre désir d’être honoré, en le faisant sortir de cet observatoire qui le cache et l’exhibe à la fois.
Jésus a vraisemblablement déjà eu l'occasion de le voir aux portes de la ville, et d'en entendre beaucoup de mal. D'où sans doute, dans son geste, se faire inviter par cet homme, une part de provocation, un certain sens du scandale : Jésus sait que son attitude ne passera pas inaperçue, fera jaser. Et puisque la grâce est scandale, c'est d'un geste de grâce que Jésus va faire un sujet de commérage.
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Avant d'apparaître comme grâce, le geste de Jésus fait sans doute plutôt figure d'aubaine aux yeux de ses fervents zélateurs. D'aubaine choquante : tous murmurent : « il va loger chez un pécheur ! » Et quel pécheur ! Mais voilà que le plus choqué de tous, c'est Zachée lui-même. Il pouvait s'attendre à tout — s'il s'attendait à quelque chose, sait-on jamais : « mes qualités de financiers pourraient être récupérées discrètement par le nouveau pouvoir » — il pouvait s'attendre à tout, mais pas à ça, pas de cette manière !
Zachée a quand même l’allure type du mauvais riche dont Jésus vient de lancer une de ces séries de portraits à même de décourager n’importe quel prédicateur, n’importe quel témoin de ses paroles, tant ses critiques des riches sont violentes ! Surtout si ce prédicateur ou témoin de ses paroles est soucieux des finances de la communauté ou simplement soucieux de ne pas décourager ses auditeurs non-SDF. Mais Jésus, moins embarrassé apparemment par tous ces problèmes, a porté ces critiques violentes, et sans pincettes, contre ces façons dont Zachée donne un exemple criant !
La fidélité à sa parole a sans doute contraint ses disciples à les dire à leur tour, ces critiques violentes… Que le vent a portées jusqu’aux oreilles du chef des publicains de Jéricho, qui, donc, se cache dans son sycomore. Et voilà, point culminant de la série « critique des riches », son cas à lui, le cas Zachée ! Et le cas de Zachée, lui, est caricatural : une richesse mal acquise, telle celle de l’intendant infidèle décrit quelques pages avant, acquise à coups de courbettes devant les Romains ; et tout ça pour un bonheur égoïste, comme le riche méprisant Lazare.
Il est tout cela à la fois Zachée. Un de ces personnages réputés irrachetables tellement leurs vols semblent non remboursables ! Aujourd'hui, ils feraient partie de ces personnages publics qui brillent par leur prestance jusqu'à ce qu'ils soient poursuivis pour abus de bien sociaux, détournements de fonds, corruption, etc. Simplement à l'époque c'était légal. Les Romains mettaient les populations occupées à la tache de la collecte d'impôt en leur permettant de puiser dans la caisse le supplément qu'ils demanderaient. On comprend pourquoi on n'aimait pas beaucoup ces riches qu'étaient les collecteurs d'impôts. Zachée en est.
Oui, décidément Zachée est un petit homme, et pas que par la taille ; et s’il s’est mis au loin, sur son arbre, c’est aussi sans doute parce qu’il redoute Jésus, qu’il redoute qu’il ne le rejette, dans les ténèbres à grincements de dents de ses paraboles.
Et voilà que c’est par lui, qui sait se reconnaître — comment ne le ferait-il pas, c’est si explicite — dans les portraits des paraboles de Jésus ; c’est par lui, sur lui, précisément que va éclater la parole de la grâce !
Parmi tous les habitants de Jéricho dont sans doute aucun n'aurait accueilli Jésus autrement qu'avec joie et empressement — il n'avait que l'embarras du choix, — il se fait recevoir par un pécheur. Et pas par n'importe quel pécheur, pas le pécheur du coin, anonyme ; non, il s'agit bien du pécheur connu, public, le pécheur en chef.
Il n'y a pas plus d'ambiguïté sur ce point de la part de Jésus que lorsqu'il fraye avec les prostituées. Aucun doute sur leur moralité.
Et, comble de l’incongruité, ici il ne s'agit pas du chef de n'importe quelle sorte de pécheurs, mais du chef des collecteurs d'impôts, se coltinant des tâches de Romains — courbettes comprises —, ce à quoi il doit son arrogante richesse.
Or celui qui l'interpelle, Jésus, représente à peu près l'inverse : le chef d'un groupe messianique, avec vocation de libérer Israël de toutes ses oppressions, Romains compris — une libération qu'il est peut-être à la veille de mener à bien — du moins est-il perçu comme cela. Et au cœur d'un bain de foule, au milieu de ses partisans enthousiastes qui encadrent son proche triomphe, le voilà qui se fait inviter, par qui ?… par Zachée !
Ce qui se passe alors dans la tête du publicain restera difficile à percer. On comprend en tout cas qu'il n'en revienne pas. Mais on peut imaginer aussi des sentiments mêlés, une sorte de triomphe mesquin, empreint de ressentiment, sur une foule qui le méprise.
Il y aurait là de quoi nourrir les murmures qu'entraîne l'attitude de Jésus. Un personnage comme Zachée semblerait bien digne d'un procès d'intention : que va-t-il faire des largesses de Jésus ? Ne vont-elles pas l'encourager dans sa mesquinerie qui, en plus, fonde son arrogance à l’égard des miséreux ?
Eh bien ! Jésus passe outre : la grâce est gratuite — pas à bon marché, on va le voir, mais gratuite, — totalement gratuite : la grâce n'attend pas de bonne attitude, ni de bonne moralité, le choix de Zachée en fait foi ; elle n'attend pas non plus de bonne disposition intérieure.
C’est la grâce qui justifie, tout simplement. Justification par la grâce, par la foi seule. La justification est déclarative.
C'est toute la leçon qu'a retrouvée la Réforme. Être justifié ne signifie pas être rendu juste, mais être déclaré juste. La Réforme parlait ainsi de justification « forensique », « étrangère », « extérieure », de ce mot qui a donné en français « forain », c'est-à-dire, extérieur, étranger, quelqu'un qui est d'ailleurs.
De même, la justification selon la Bible, expliquaient les Réformateurs, nous est étrangère, elle nous vient d'ailleurs. Nous ne sommes pas justes en nous-mêmes. Dieu nous déclare juste, par la grâce, c'est-à-dire gratuitement.
Cette justice qui n'est pas nôtre, qui est celle du Christ seul, est donnée gratuitement à notre seule foi. Nous sommes donc déclarés justes, ce que nous ne sommes pas, et non pas rendus justes, ce qui serait désespérant, puisqu'il nous faudrait sans cesse mesurer notre justification à nos œuvres de justice pour savoir si nous sommes réellement justifiés. Non, nous sommes déclarés justes par la grâce de Dieu et nous recevons cela, cette grâce gratuite, par notre seule foi.
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Jésus ne pose aucune condition, ne requiert rien de Zachée suite à quoi il daignerait s'asseoir à sa table. Il accepte Zachée, dans le signe de ce qu'il lui offre, son hospitalité, tel qu'il est, Zachée le pécheur le plus en vue de Jéricho.
Et Zachée perçoit la grâce, il se sait accepté et il accepte d'être accepté. Il est une part de lui-même qui sait entendre ce qu'il découvre probablement pour la première fois. Lui dont les bonnes consciences religieuses n'ont sans doute pas manqué de l'inviter à se repentir en des termes comme : « si tu changes de vie, Dieu saura te faire grâce… » Parole sympathique certes, mais façon subtile de prêcher le salut par les œuvres : « à condition que… »
Et voilà que Jésus ne pose aucune condition : « Je veux demeurer dans ta maison ». Zachée a entendu sa voix : « si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai et je souperai avec lui et lui avec moi ».
Le changement de comportement de Zachée, son repentir, ne précède pas la grâce, mais en est un fruit et comme le signe ; le signe d'une libération et en aucun cas une condition. Zachée se voit libéré d'un poids — disons de sa peur qui le mène par tel ou tel « on ne sait jamais » à accumuler, et à frayer avec l'ennemi romain. Sous le regard de la grâce, le péché, qui est un malheur, un pesant esclavage, lui apparaît comme tel, comme chaîne.
Le péché contre son devoir est ce qui le coupe de ses prochains et l'enferme dans son arrogante solitude. Devoir, car il ne fait que se rendre aux préceptes de la Loi — restitution au quadruple des biens volés :
Exode 22, 1 :
Lorsqu’un homme volera un bœuf ou un agneau, s’il l’égorge ou le vend, il restituera cinq bœufs pour le bœuf et quatre (pièces de) petit bétail pour l’agneau.
2 Samuel 12 :
1 L’Éternel envoya Nathan vers David. Nathan vint à lui et lui dit: Il y avait dans une même ville deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre.
2 Le riche avait du petit et du gros bétail en très grande quantité.
3 Le pauvre n’avait rien du tout sinon une petite brebis, qu’il avait achetée; il la nourrissait, et elle grandissait chez lui avec ses fils; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait sur son sein. Elle était pour lui comme une fille.
4 Un voyageur arriva chez l’homme riche; et le riche ménagea son petit ou son gros bétail, pour préparer (un repas) au voyageur arrivé chez lui: il prit la brebis du pauvre et l’apprêta pour l’homme arrivé chez lui.
5 La colère de David s’enflamma violemment contre cet homme, et il dit à Nathan: L’Éternel est vivant! l’homme qui a fait cela mérite la mort,
6 et il rendra au quadruple la brebis, pour avoir commis cette action et pour avoir agi sans ménagements.
Et cela fait Zachée en vient enfin à la pratique de la mitsva — le commandement — de la tsedaqa — c'est-à-dire le précepte de la justice — puisque c'est le nom hébreu pour ce que l'on a rendu par "aumône".
Dans la perspective hébraïque et biblique celui qui a des biens en a été doté par Dieu pour un ministère à l'égard d'autrui — il est intendant de Dieu à ce propos ; ce qui fait que l'aumône est perçue comme juste restitution. Zachée ne manque pas d'en venir à ce qui est l'enseignement de la Loi : le regard de la grâce que lui a porté Jésus l'a libéré, l'a sauvé. Jésus est venu chercher et sauver les fils d'Abraham ; chercher et sauver ce qui était perdu.
Hébreux 2, 16 « ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la descendance d’Abraham. » Galates 3, 7 : « ceux qui ont la foi sont enfants d’Abraham. »
Cela coûte tout à Zachée : il perd ce qu'il voulait sauver à force d'entourloupes, il perd tout parce que le regard de Jésus lui a fait saisir qu'il ne saurait rien sauver d'une manne qui pourrit. Cette perte du passager est signe qu’il a reçu ce qui ne passe pas.
R.P. Châtellerault, 3.11.19
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