(Jérémie 11.18-20 ; Psaume 54 ; Jacques 3.16-4.3 ; Marc 9.30-37)
Genèse 1, 1-4
La terre était informe et vide, littéralement tohu-bohu. Dieu est infini, il est présent partout. Ce qui fait qu'il n'y a en principe pas de place pour le monde. Alors Dieu s'est contracté, a créé en lui un espace, comme une femme en qui une place se crée pour laisser place à ce qui deviendra son enfant. Par des contractions, dans la douleur. Contraction : vous avez reconnu l’enseignement du judaïsme, tsimtsoum – le mot hébreu pour contraction.
Dieu, s’est retiré pour nous laisser une place (ce que redit le v. 2 du ch. 2 de la Genèse). Du coup nous pouvons advenir, le monde peut exister, mais – c'est à ce prix – Dieu n'est pas là où est le monde. D’où le désordre de ce monde – la menace de la nature, son dérèglement, sont dans ce tohu-bohu, et jusqu’à la violence qui y prend place. Parole de foi, bien sûr : là où la source du bon est en retrait, là est le mal. Il a fallu que Dieu se retire, avec tous les risques que cela suppose, pour que le monde soit. Le monde peut devenir lui-même, mais c'est au prix du manque de Dieu, et donc au prix du défaut de plénitude de protection. Telle est notre situation vis-à-vis de Dieu. Nous pouvons devenir nous-mêmes, puisqu'il s'est retiré, mais c'est au prix de son manque, avec tout le tragique que cela suppose.
Ainsi se distinguent la nature et la Création : la nature est le monde en devenir, en soif d’être, mais en défaut d'achèvement. Car la nature en souffrance est portée par la promesse qui est dans les formules « c’était bon, c’était très bon », qui apparaissent dans le récit de la Création.
C'est ainsi que le débat existe de savoir si la Création, le premier jour de la Création, est au v. 2 de Genèse 1, où au verset 3 : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut... Jour 1. » Où le v. 2, le tohu-bohu, est alors le substrat posé par Dieu, les premiers éléments de la nature en projet de Création.
Jusqu’à la plénitude du projet, la question se pose : est-ce que cela valait le coup, pour un monde aussi douloureux ? Toujours est-il que nous sommes là, et qu'il nous appartient de faire avec… pour le mieux si possible. Responsabilité de contribuer à la paix, à la justice sociale, aujourd'hui dans l’urgence écologique.
Alors Dieu, toutefois, a prévu une autre présence de lui-même, cachée, souffrante, nous accompagnant dans notre exil loin de lui, comme le souci et la prière des parents accompagne l'exil de l'enfant qui a voulu devenir sans eux. Élie Wiesel à Auschwitz, à la question : « où est Dieu ? » répondait, voyant un adolescent pendu par ses bourreaux : il est là, qui pend. Où est Dieu ? Question qui occupe la réflexion des philosophes après Auschwitz (cf. Hans Jonas). Remarquons, avec le préfacier du livre d’Élie Wiesel, François Mauriac, que c'est ce type de présence qui nous est octroyée en Jésus-Christ. Une présence qui ne fait pas défaut mais qui n'empiète pas non plus : retrait, contraction. Au cœur de notre exil, il est là.
Mais en deçà de cela, esquisse du thème de la rédemption, ou de la réparation du monde, Tikkun ‘Olam en hébreu, perce peut-être quelque chose d’important concernant la question du risque de la Création, et notre part dans cette histoire-là, à commencer en notre temps, et sans doute en tous temps, par notre responsabilité écologique.
Cela en regard de tout devenir. Illustration : remontons avant notre naissance. Avant le passage à l’être. Le désir d’être qui débouche sur les contractions de la mère. Françoise Dolto nous enseigne que l’enfant est le produit de trois volontés. Celle de la mère et du père, certes, mais aussi la sienne propre. Il ne viendrait pas à l’être sans son désir propre de devenir !
Par analogie, il est possible de dire que la nature est advenue parce qu’elle l’a bien voulu ; nous, partie prenante de la nature, avons bien voulu cette contraction divine. Avant même d’être. Prière de la nature non encore advenue comme Création, qui a été émise et exaucée par le Dieu créateur, qui dans l’éternité a pensé la Création antécédemment à son devenir comme nature. La question face au mal et au chaos est de savoir si, comme nature, on a bien fait de vouloir être. Quoiqu’il en soit, c’est fait : le monde, l’univers, – la nature est là.
Nous voilà donc entre exil dans un chaos en devenir, et espérance de l’avènement de la Création réparée (Ro 8, 18-24a : « J’estime, dit Paul, que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu : livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. »).
En attendant, du cœur de la détresse et du chaos, on se demande si on a bien fait de prononcer cette prière devenue gémissement : « ne te hâte pas de prononcer une parole devant Dieu » dit l’Ecclésiaste. Peut-être Dieu transformera-t-il par un exaucement inattendu une prière maladroite ?
L’humain, comme partie de la nature, est pénétré du mal, et pourtant son rôle est de cultiver et garder « le jardin » (Gn 2, 15). Voilà une nature, d’abord tohu-bohu, que l’humain est appelé à relire comme Création, voulue comme telle par le Dieu bon, dans ce jardin qu'est appelée à devenir notre toute petite planète. Appelée à devenir l'espace et le laboratoire d'une Création nouvelle et éternelle.
Et voilà que l’homme, contre sa vocation, accentue le chaos, détruisant ce qui lui est confié, jusqu'au « temps de la destruction de ceux qui détruisent la terre » (selon l’Apocalypse – ch. 11, v. 18) ! Le défi de la nécessaire écologie est alors de retrouver la vocation humaine trahie.
Au-delà de la responsabilité commune de toutes et tous, croyants ou pas, pour stopper les dégâts avant qu’il ne soit trop tard, une place modeste des croyants dans l’écologie, au cœur de cette nature chaotique, et menacée, est alors de la porter devant Dieu. Relire la nature, dans la prière, comme promesse. Acte de foi en cette promesse. Cela concerne aussi notre relecture de la nature comme Création — postulant Créateur, reçu dans la foi comme le Dieu bon…
La détresse de la nature en attente de sa délivrance et de son accession à son statut de Création nouvelle nous conduit alors à l'humilité : nous avons tous et toutes failli par nos comportements. C’est un combat commun auquel nous sommes alors toutes et tous appelés, combat qui n’a rien de spécifique aux croyants, simplement appelés par leur vocation à élever à Dieu dans la prière, la nature et le monde confiés à l’humain, dans la plus grande humilité (ce retrait de nous-même), dont l’absence produit tant de divisions quand l’unité relève de l’urgence pour un combat à une toute autre mesure.
Marc 9, 33-35
Genèse 1, 1-4
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.Genèse 2, 2
2 La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
3 Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.
2 Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite.
*
La terre était informe et vide, littéralement tohu-bohu. Dieu est infini, il est présent partout. Ce qui fait qu'il n'y a en principe pas de place pour le monde. Alors Dieu s'est contracté, a créé en lui un espace, comme une femme en qui une place se crée pour laisser place à ce qui deviendra son enfant. Par des contractions, dans la douleur. Contraction : vous avez reconnu l’enseignement du judaïsme, tsimtsoum – le mot hébreu pour contraction.
Dieu, s’est retiré pour nous laisser une place (ce que redit le v. 2 du ch. 2 de la Genèse). Du coup nous pouvons advenir, le monde peut exister, mais – c'est à ce prix – Dieu n'est pas là où est le monde. D’où le désordre de ce monde – la menace de la nature, son dérèglement, sont dans ce tohu-bohu, et jusqu’à la violence qui y prend place. Parole de foi, bien sûr : là où la source du bon est en retrait, là est le mal. Il a fallu que Dieu se retire, avec tous les risques que cela suppose, pour que le monde soit. Le monde peut devenir lui-même, mais c'est au prix du manque de Dieu, et donc au prix du défaut de plénitude de protection. Telle est notre situation vis-à-vis de Dieu. Nous pouvons devenir nous-mêmes, puisqu'il s'est retiré, mais c'est au prix de son manque, avec tout le tragique que cela suppose.
Ainsi se distinguent la nature et la Création : la nature est le monde en devenir, en soif d’être, mais en défaut d'achèvement. Car la nature en souffrance est portée par la promesse qui est dans les formules « c’était bon, c’était très bon », qui apparaissent dans le récit de la Création.
C'est ainsi que le débat existe de savoir si la Création, le premier jour de la Création, est au v. 2 de Genèse 1, où au verset 3 : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut... Jour 1. » Où le v. 2, le tohu-bohu, est alors le substrat posé par Dieu, les premiers éléments de la nature en projet de Création.
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Jusqu’à la plénitude du projet, la question se pose : est-ce que cela valait le coup, pour un monde aussi douloureux ? Toujours est-il que nous sommes là, et qu'il nous appartient de faire avec… pour le mieux si possible. Responsabilité de contribuer à la paix, à la justice sociale, aujourd'hui dans l’urgence écologique.
Alors Dieu, toutefois, a prévu une autre présence de lui-même, cachée, souffrante, nous accompagnant dans notre exil loin de lui, comme le souci et la prière des parents accompagne l'exil de l'enfant qui a voulu devenir sans eux. Élie Wiesel à Auschwitz, à la question : « où est Dieu ? » répondait, voyant un adolescent pendu par ses bourreaux : il est là, qui pend. Où est Dieu ? Question qui occupe la réflexion des philosophes après Auschwitz (cf. Hans Jonas). Remarquons, avec le préfacier du livre d’Élie Wiesel, François Mauriac, que c'est ce type de présence qui nous est octroyée en Jésus-Christ. Une présence qui ne fait pas défaut mais qui n'empiète pas non plus : retrait, contraction. Au cœur de notre exil, il est là.
Mais en deçà de cela, esquisse du thème de la rédemption, ou de la réparation du monde, Tikkun ‘Olam en hébreu, perce peut-être quelque chose d’important concernant la question du risque de la Création, et notre part dans cette histoire-là, à commencer en notre temps, et sans doute en tous temps, par notre responsabilité écologique.
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Cela en regard de tout devenir. Illustration : remontons avant notre naissance. Avant le passage à l’être. Le désir d’être qui débouche sur les contractions de la mère. Françoise Dolto nous enseigne que l’enfant est le produit de trois volontés. Celle de la mère et du père, certes, mais aussi la sienne propre. Il ne viendrait pas à l’être sans son désir propre de devenir !
Par analogie, il est possible de dire que la nature est advenue parce qu’elle l’a bien voulu ; nous, partie prenante de la nature, avons bien voulu cette contraction divine. Avant même d’être. Prière de la nature non encore advenue comme Création, qui a été émise et exaucée par le Dieu créateur, qui dans l’éternité a pensé la Création antécédemment à son devenir comme nature. La question face au mal et au chaos est de savoir si, comme nature, on a bien fait de vouloir être. Quoiqu’il en soit, c’est fait : le monde, l’univers, – la nature est là.
Nous voilà donc entre exil dans un chaos en devenir, et espérance de l’avènement de la Création réparée (Ro 8, 18-24a : « J’estime, dit Paul, que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu : livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance pour notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance. »).
En attendant, du cœur de la détresse et du chaos, on se demande si on a bien fait de prononcer cette prière devenue gémissement : « ne te hâte pas de prononcer une parole devant Dieu » dit l’Ecclésiaste. Peut-être Dieu transformera-t-il par un exaucement inattendu une prière maladroite ?
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L’humain, comme partie de la nature, est pénétré du mal, et pourtant son rôle est de cultiver et garder « le jardin » (Gn 2, 15). Voilà une nature, d’abord tohu-bohu, que l’humain est appelé à relire comme Création, voulue comme telle par le Dieu bon, dans ce jardin qu'est appelée à devenir notre toute petite planète. Appelée à devenir l'espace et le laboratoire d'une Création nouvelle et éternelle.
Et voilà que l’homme, contre sa vocation, accentue le chaos, détruisant ce qui lui est confié, jusqu'au « temps de la destruction de ceux qui détruisent la terre » (selon l’Apocalypse – ch. 11, v. 18) ! Le défi de la nécessaire écologie est alors de retrouver la vocation humaine trahie.
Au-delà de la responsabilité commune de toutes et tous, croyants ou pas, pour stopper les dégâts avant qu’il ne soit trop tard, une place modeste des croyants dans l’écologie, au cœur de cette nature chaotique, et menacée, est alors de la porter devant Dieu. Relire la nature, dans la prière, comme promesse. Acte de foi en cette promesse. Cela concerne aussi notre relecture de la nature comme Création — postulant Créateur, reçu dans la foi comme le Dieu bon…
La détresse de la nature en attente de sa délivrance et de son accession à son statut de Création nouvelle nous conduit alors à l'humilité : nous avons tous et toutes failli par nos comportements. C’est un combat commun auquel nous sommes alors toutes et tous appelés, combat qui n’a rien de spécifique aux croyants, simplement appelés par leur vocation à élever à Dieu dans la prière, la nature et le monde confiés à l’humain, dans la plus grande humilité (ce retrait de nous-même), dont l’absence produit tant de divisions quand l’unité relève de l’urgence pour un combat à une toute autre mesure.
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Marc 9, 33-35
33 [...] Jésus leur demandait : “De quoi discutiez-vous en chemin ?”
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s’étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s’assit et il appela les Douze ; il leur dit : “Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.”
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