Ésaïe 50, 5-9 ; Psaume 116 ; Jacques 2, 14-18 ; Marc 8, 27-35
27 Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples : "Qui suis-je, au dire des hommes ?"
28 Ils lui dirent : "Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres, l'un des prophètes."
29 Et lui leur demandait : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" Prenant la parole, Pierre lui répond : "Tu es le Christ."
30 Et il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne.
31 Puis il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.
32 Il tenait ouvertement ce langage. Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander.
33 Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre ; il lui dit : "Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes."
34 Puis il fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive.
35 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera.
C'est une des premières confessions de foi que ce « tu es le Christ » relevé dans trois évangiles — et dans la 1ère épître de Pierre : la pierre (pas mentionnée par Marc), y lit-on, c’est le Christ. Et l' « apostolicité » (pour reprendre avec une confession de foi plus développée, le credo, le terme d' « Église apostolique ») — l' « apostolicité », c'est-à-dire la fidélité à l'enseignement selon lequel l'Église est fondée par les Apôtres — l' « apostolicité » de l'Église, donc, est sa fidélité au message des Apôtres avec en son cœur, cette pierre d'angle de l'Église : le Christ, et la confession qui la fonde — « tu es le Christ ». La pierre, le roc qu'est le Christ, selon 1 Pierre (ch. 2, v. 4-8), n'est pas Pierre — dont les évangiles soulignent qu’il reconnaît être loin d’être un roc ! A fortiori, en aucun cas n’est légitimée l’annexion de la succession de Pierre par le seul fait de résider dans une ville où il est peut-être mort, si c'est le cas !
Et si c'est le cas, s'il y est mort, c'est, justement, comme un esclave, à l'image de son maître crucifié : il n'a pas régné, ni comme un empereur, ni même comme un roi ou un chef quelconque, ni a fortiori comme chef militaire, ni à plus forte raison encore comme le plus absolutiste et donc le plus disqualifié des monarques se réclamant du plus humble — dans ce qu’on a appelé la chrétienté.
Pierre, à qui s’adresse Jésus dans ce texte (à lui évidemment et pas à de supposés « successeurs ») ; Pierre, venant de confesser le Messie, voudrait cependant pour son maître qu’au moins il ne connaisse pas une mort de scélérat !
Allez ! Peut-être même espère-t-il même pour lui un règne de roi ! — il vient de dire qu’il est le Christ, le Messie, le roi, donc. Lui qui voudrait donc pour son maître au moins autre chose qu’une mort ignoble, et pourquoi pas ce qui lui revient, le règne des rois — plutôt que cette mort —, lui, Pierre, se fait tout de même pour cela traiter de satan !
Cela parce que Pierre — lui-même — a donc dérapé ! On n’en est pourtant pas encore aux exorbitances qui se réclameront de lui !
Et Jésus d'en appeler à la croix par laquelle seule on peut le suivre ! Et jamais par la force militaire — par laquelle, entre autres, Pierre voudrait le défendre. Il n'y a pas de christianisme politico-militaire.
Il convient de le rappeler au jour où, oxymore, une religion politique, l'islam politique, commet les horreurs dont nous inonde l'actualité — entre l'Afghanistan, les 20 ans du 11/09/2001 et le procès des terroristes du 13/11/2015.
C'est bien d'une confession de foi qu'il s'agit, ici la foi de Pierre, foi en ce qui ne se voit pas, et donc humilité, pas projet de domination du monde !, quelle que soit par ailleurs la foi ou la conception du monde que l'on fait sienne. Lorsque Lénine professe ce qu'il appelle le matérialisme philosophique, donc athée, basé sur sa conviction que, je le cite, « la matière est l'unique réalité objective existant en dehors de notre conscience », il en déduit une conception philosophique, voire théologique, du fondement du monde, philosophique et donc discutable, comme toutes nos conceptions du monde, ce que ses successeurs oublieront en considérant les non-athées comme irrationnels, voire dérangés psychiquement : là les successeurs de Lénine feront preuve d'une cruelle limitation intellectuelle (ne pas pouvoir concevoir que d'autres puissent voir le monde autrement), outrepassant l'humilité requise. Lorsque les fanatiques de l'islam considèrent que leur façon de concevoir le divin doit s'imposer à tous, ils font la même chose, en pire (les femmes afghanes n’ont pas gagné au change !). On est vingt ans après le 11 septembre où des fanatiques débordant de haine ont porté sans le savoir un coup fatal… à l'islam.
La chrétienté croyant s'appuyer sur Pierre a mal échappé à cette tentation, en ignorant que c'est d'une confession de foi qu'il s'agit dans les mots de Pierre, et donc d'humilité. Jésus, nous dit le texte, « fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive" » (Mc 8, 34). Humilité. Et comme Simon de Cyrène aidait Jésus à porter sa croix (Mc 15, 21), il nous appartient de prendre notre part de celle à qui elle est aujourd'hui si durement imposée à nombre des témoins de la justice de Dieu qui n'est pas celle des hommes, des hommes prétendraient-ils en imposer au monde au nom de Dieu d'affreuses caricatures. Le Royaume de Dieu n'est pas de ce monde.
Pour l’heure, « il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne » (v. 30). De quoi s'agit-il ? Pierre vient de reconnaître en lui le Messie — le « Christ » selon le mot grec choisi ici et qui indique l’universalité de la position messianique de Jésus. « Il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne » (v. 30). Jésus a-t-il peur pour lui-même, redoute-t-il les menaces que feraient peser sur lui la diffusion d'une telle nouvelle ? Il n'en est rien : Jésus est à la veille de sa dernière montée à Jérusalem et le verset suivant, suite auquel il rabroue Pierre, convainc qu'il en sait l'issue. Il l'annonce à ses disciples : il sera mis à mort, et n'a pas l'intention d'y échapper ; et il invitera les disciples à sa suite.
Alors pourquoi ce secret sur ce que vient confesser Pierre ? — qu’il est le Christ. C'est qu'il est des mots, comme celui-là, qui sont chargés de préjugés et de passion. Des mots qui, ce faisant, déforment dans les bouches coupables de méchanceté, ou simplement d'inconscience, ce qu'ils étaient chargés de signifier.
« Tu es le Christ », dit Pierre. À dessein sans doute — pour bien marquer que la fonction messianique est plus large que ce que voudraient certains — on a donc le terme en grec, « Christ », traduction étrangère de l’hébreu ou araméen « Messie ».
Jésus est bien le Messie d'un Royaume universel. Voilà aussi pourquoi il refuse de voir publier sa messianité. Il a suffisamment de difficultés comme ça avec les quiproquos incessants ; inutile d'en rajouter — en l’occurrence avec les Romains. Et on sait que ce sera bien le motif de sa crucifixion : concurrence avec César — car les crucifieurs « n’ont de roi que César » ! — qui se verra bientôt doté du pouvoir militaire d’étendre la foi. Par l’épée ! Comme si c’était possible !
Quant à Jésus, nulle crainte dans sa prudence. Il le sait : sa fidélité au message universel de l'amour de Dieu lui vaudra la mort, et la fera risquer à quiconque lui sera fidèle. Jésus invite alors les siens, son peuple, même au cœur des quolibets, à n'avoir pas honte de ses paroles, celles de l'amour de Dieu pour tous les hommes et femmes. Nulle crainte dans son refus de cette publicité-là. Encore une fois, ce n’est pas qu’il cherche en évitant ce quiproquo à éviter sa crucifixion — mais que l’on ne se méprenne pas sur la nature de son règne !
Ce que d’aucuns considéreront — prétexte pour sa mort — comme concurrence avec César, est insoutenable ! C’est comparer un limaçon fût-il empereur de l’univers — le fût-il même infailliblement — à celui dont le nom est au-dessus de tout nom (même s’il ne paie pas de mine aux yeux de l’empereur prétendu de l’Univers, César, de ses sbires et autres dispensateurs de courbettes — même si c’est lui qui se présente comme « un ver et non un homme »).
C’est ce genre de comparaison qui ne sont pas à la mesure qu’il s’agit de fuir. C’est la confusion qui pourrait naître de la diffusion du terme « Christ » que Jésus veut éviter. Bref, si « Christ » ne veut dire, comme on risque de l’entendre, que concurrent de César — eh bien, traiter Jésus de Christ, en ce seul petit sens, relève de la diffamation !
Il est le Christ, roi de l’Univers en un sens d’une toute autre ampleur, qui réduit les palais de César au rang d’une tanière. Cela dit, il est « Christ », comme, selon sa foi, le confesse Pierre, roi de l’Univers. Oui. En un sens qui est que le Nom imprononçable se dévoile ici en son porte-parole comme étant effectivement insaisissable au point que le règne de son représentant ne peut qu’être tu à son tour.
Il en résulte que le Christ n’est la propriété d’aucun peuple, d’aucune Église. Il est le Fils de Dieu, le sauveur de l’univers — et c’est pourquoi, « qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. » C’est de la sorte qu’il nous appelle à venir à lui — qui que nous soyons, et comme nous sommes — aujourd’hui, maintenant !…
R.P., Poitiers, 12.09.21
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