dimanche 9 avril 2017

Quand Jésus entra dans Jérusalem...




Ésaïe 50.4-7 ; Psaume 22 ; Philippiens 2.6-11 ; Matthieu 21.1-11

Matthieu 21, 1-11
1 Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples
2 en leur disant : "Allez au village qui est devant vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon avec elle ; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez : Le Seigneur en a besoin, et il les laissera aller tout de suite."
4 Cela est arrivé pour que s’accomplisse ce qu’a dit le prophète :
5 Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d’une bête de somme.
6 Les disciples s’en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s’assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses vêtements sur la route ; certains coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui le suivaient, criaient : "Hosanna au Fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux !"
10 Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : "Qui est-ce ?" disait-on ;
11 et les foules répondaient ; "C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée."

*

Les foules attendent une délivrance — d'abord à l’égard de l’oppression romaine —, mais qui les laissera, elles l’ignorent, dans ce temps de ténèbres, le nôtre, où « le monde entier est au pouvoir du Malin » (1 Jean 5, 19) — car après Rome, il y en aura d'autres, autant de signes d'une oppression plus fondamentale. Tant que ce monde dure c’est de cette autre oppression, qui porte les oppressions du temps, qu’il s’agit d’être sauvé.

Car si notre temps, nos moments qui se succèdent, qui perpétuent l’exil dans la misère, sont signe de perte, de manquement, de déficience, de captivité sous une griffe diabolique, et sont dès lors signes de notre incapacité de voir autre chose que ce qui se voit ; bref, si les jours sont mauvais, c'est qu'il est temps, toujours, de racheter un temps de corruption : Éphésiens 5, 16, « rachetez le temps car les jours sont mauvais » ; « rachetez le temps », le moment. Ce qui fait écho au cri : « Hoshanna », sauve maintenant, en cet instant, sauve l’instant, sauve en ce temps — ouvre dès maintenant le temps éternel, le jour d’éternité.

Pour cela il nous faut, de Rameaux à Pâques, apprendre à voir sacrifier le Messie tel que nous le concevons pour retrouver dès maintenant le Sauveur éternel, révélé au dimanche de Pâques.

Jusque là — 1 Jean 5, 19 & 20 : « Nous savons […] que le monde entier est sous la puissance du malin. » Mais déjà, « nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le Véritable ; et nous sommes dans le Véritable, en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable, et la vie éternelle. »

*

Il s’agit alors de racheter ce temps en vivant dès maintenant selon le temps céleste, dans la vérité de Dieu. Exactement ce que ne fait pas ce peuple enthousiaste qui acclame un Messie en quiproquo. Forcément en quiproquo tant il est au-delà de la mesure que l'on conçoit !

Car c’est ici la brèche de l’irruption du salut dans le temps, du salut du temps. C’est ici que se rachète le temps, cette mesure de notre déperdition. C’est ce que ce « Hoshanna », sans même que ceux qui le prononcent ne le sachent, demande à Jésus. Dans la foi qu’il est un temps céleste, celui du Royaume à venir, qui n’est pas marqué par le manque, un regard sur notre temps nous enseigne la confiance en Dieu, et l’espérance actuelle de ce temps éternel qui nous est donné d’en-haut ; irruption, promise à notre foi, de l’éternité du Royaume.

Ne pas se soumettre aux aveuglements de ce temps, ne pas se conformer au siècle présent et à ses clameurs, aux clameurs des foules trompées, mais se fixer résolument dans la vérité, loi du siècle à venir, incorruptible, pour voir racheter celui-ci.

Vivre dans le siècle à venir se manifeste en ce siècle dans une attitude concrète : il ne s’agit pas de le fuir, mais d’en signifier dans la fidélité au quotidien, le rachat de chaque instant par la confiance à la loi du siècle à venir (Matthieu 6, 33-34 — « cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu »...).

*

Mais en est-on là au jour des Rameaux ? Ou est-on dans le quiproquo que l'on percevait déjà la veille dans l'inimitié montante de l'institution officielle ? — Jean 11, 48-52 : « Si nous le laissons continuer ainsi, tous croiront en lui, les Romains interviendront et ils détruiront et notre saint Lieu et notre nation » — parole de cette instance qui vaut Église institutionnelle, celle de « Caïphe, qui était Grand Prêtre en cette année-là, [disant] : "Vous n’y comprenez rien et vous ne percevez même pas que c’est votre avantage qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière." — « Ce n’est pas de lui-même qu’il prononça ces paroles, mais, comme il était Grand Prêtre en cette année-là, il fit cette prophétie qu’il fallait que Jésus meure pour la nation et non seulement pour elle, mais pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu qui sont dispersés. »

Bientôt, les proches de Jésus rejoindront la crainte sage de l'institution officielle. Aujourd'hui, ils rêvent encore, ils acclament leur Messie — acclamation menaçante pour la nation et pour lui, comme l'a deviné Caïphe : les Romains veillent.

La foule heureuse elle, qui est celle qui espère en Jésus, qu'elle acclame, celle de l’Église renouvelée, réveillée, rejoindra bientôt par la déception la crainte légitime et sage de Caïphe et de l’institution ; cela jusqu'aux plus proches de Jésus, dont l'un le livrera et dont le plus enthousiaste, Pierre, le reniera.

La puissance menaçante de Rome plane, immense, face à cette dérisoire montée à Jérusalem de la manifestation non-autorisée de ce petit candidat à la messianité ! Tous, de Caïphe à Pierre en passant par la foule aux Rameaux sont dans la même fausse espérance, une espérance à la mesure de ce siècle, de ce temps corrompu. Mais, avertira Paul, plus tard (Romains 12, 2) : « ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu […]. ».

L'avertissement de Paul vaut aussi pour plus tard, jusque pour nous — avertissement contre tous ce qui consiste à se ranger à l'ordre temporel, porté alors par Rome. « Nous n'avons de roi que César » proclamera-t-on bientôt (Jean 19, 15) ! ne voyant plus le sens de ce panneau ironique et dérisoire, motif de la crucifixion, « Jésus de Nazareth, roi des Judéens ».

*

Les Hoshanna des enthousiastes, mais ils ne le savent pas ! sont porteurs d'une tout autre espérance, dont l'ouverture passera par le sacrifice de la vaine espérance — espérer contre toute espérance. Pour cela, il faudra voir sacrifier le Jésus qui nous plaît — mais ça vaut au fond pour tous ceux que l'on acclame selon nos conceptions propres ! Tous, à commencer par nos proches, sont à une tout autre mesure que ce que nous en concevons. Laissons-les être ce que Dieu a fait d'eux, d'elles...

Pour l'heure, il faudra voir sacrifier ce Jésus que l'on porte vers le trône de Jérusalem, et qui forcément nous décevra, décevra nos fausses attentes : il est en vérité à une toute autre mesure que nos courtes espérances, contre lesquelles il faut apprendre à espérer.

C'est un autre trône qui attend celui que l'on acclame, un trône d'éternité dont le signe en ce temps est son rejet pour le temps. C'est ainsi qu'il sauve le temps, notre temps, qu'il sauve chacun de jours, de nos instants, c'est ainsi qu'il répond à notre cri : Hoshanna.

La foule qui l'acclame ne sait pas exactement ce qu’elle demande — la foule ne sait pas encore que celui qu’elle acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle.

« Sauve maintenant ». Alors le temps est racheté. Voilà la parole surgie de la foule agitée, de la foule en fête, une parole chargée d'une vérité silencieuse pour l'heure, mais qui retentira au dimanche de Pâques en écho de l’éternité dans laquelle est fondée la parole du salut de ceux qui sont dans le temps.


RP, Poitiers, Rameaux, 09/04/17


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