Ésaïe 61, 1-11 ; Luc 1, 46-55; 1 Thess 5, 16-24
Jean 1, 6-8 & 19-26
6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean.
7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.
[…]
19 Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Judéens envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : "Qui es-tu ?"
20 Il fit une déclaration sans restriction, il déclara : "Je ne suis pas le Christ."
21 Et ils lui demandèrent : "Qui es-tu ? Es-tu Élie ?" Il répondit : "Je ne le suis pas." - Es-tu le Prophète ?" Il répondit : "Non.
22 Ils lui dirent alors : "Qui es-tu ?... que nous apportions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ! Que dis-tu de toi-même ?"
23 Il affirma : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur, comme l'a dit le prophète Ésaïe."
24 Or ceux qui avaient été envoyés étaient des Pharisiens.
25 Ils continuèrent à l'interroger en disant : "Si tu n'es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète, pourquoi baptises-tu ?"
26 Jean leur répondit : "Moi, je baptise dans l'eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ;
27 il vient après moi et je ne suis même pas digne de dénouer la lanière de sa sandale."
28 Cela se passait à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.
*
Un simple mortel
Un dialogue entre des pharisiens, prêtres et lévites qui lui sont envoyés, et Jean, interrogé. Un dialogue en forme de questions-réponses qui flairent le piège : pour qui te prends-tu, toi qui n’es reconnu par personne d’autorisé, en tout cas pas par nous, responsables religieux ? Et Jean, qui par ailleurs ne prétend rien, rien qu’accomplir la volonté du Dieu qui l’envoie ; Jean rejette en bloc toutes les hypothèses, sans doute fumeuses à son goût, et autres références flatteuses qu’on veut lui appliquer, qui sont autant de vrais titres glorieux.
Et pourtant les rumeurs persistantes ont tout pour l’encourager à céder à ces flatteries, pour l’inciter à succomber aux croyances qui sont derrière. Pensez : Jean être céleste ! Prophète venu du ciel ! On lui reconnaît même fréquemment une fonction qui s’inscrit dans la lignée d’une étrange parole du prophète Malachie, cette parole qui annonçait la venue future d’Élie, cet autre prophète qui, lui, avait été enlevé au ciel !
Alors, Jean, nouvel Élie ? Oh, allez, peut-être pas forcément, pour tous, un ange descendu du ciel, mais simplement un précurseur semblable à l’Élie de Malachie, au message de l’Élie de Malachie. Voilà qui n’est déjà pas mal : un homme envoyé de Dieu, dit le texte-même que nous avons lu : cela pourrait s’interpréter dans le sens où on le pousse.
Témoin de la lumière
Être céleste Jean ? Il n’a pas cette prétention : lui est l’homme de la terre, du désert, simple messager du repentir, de l’aplanissement du chemin où va passer un autre ; un simple témoin, témoin de la lumière, d’une lumière qui le dépasse de tout l’infini qui est entre celui qui vient du ciel précisément, cette lumière, et lui, Jean, qui, comme tous les témoins, n’est que poussière du désert, et signe d’une lumière si puissante que l’ombre seule en fait deviner la source.
On ne regarde pas le soleil en face. On ne sait même pas de quel point du ciel il vient. On ne regarde pas la lumière en plein soleil. On sait d’où elle vient en regardant l’ombre qu’elle projette derrière un simple témoin planté là. Jean est ce témoin. Il sait ne produire que de l’ombre ; mais qui montre l’origine de la lumière.
La lumière vient du point exactement inverse à l’ombre que ce point produit. C’est cela Jean : le témoin de la terre, indiquant a contrario la lumière du ciel, depuis l’ombre qu’elle projette par lui. Le témoin planté dans le sable du désert apparaît avant la lumière, avant qu’on ne perçoive la source de la lumière, mais la lumière l’a précédé. Il n’apparaît d’abord, que parce que la lumière l’a précédé. Il n’apparaît qu’en contraste à une lumière qui le déborde infiniment, et qu’on ne voit pas en elle-même parce qu’elle éblouit. Le témoin renvoie à elle. Mais sans lumière, il ne serait jamais apparu. Invisible dans les ténèbres. “Il vient après moi, mais il était avant moi”, dit Jean de Jésus.
Là apparaît pleinement le grand rôle de Jean : être l’ombre qui fait paraître la lumière. N’être visible que comme ombre de la lumière. Là est toute la mission et la prédication de Jean : s’abaisser, être simple ombre, pour faire apparaître la lumière. Ou, pour le dire dans les termes d’Ésaïe, qu’il cite : aplanir le chemin du Seigneur qui vient, Jésus, la Parole éternelle : quiconque s’abaisse jusqu’à jouer son vrai rôle d’ombre-témoin est signe du Christ ; mais qui s’élève, s’exalte et se prétend lumineux, se prétend brillant, est obstacle sur le chemin, détourneur de lumière, qui pour cela vit nécessairement dans les ténèbres.
J’exalte ma piété, mon savoir, ma beauté, ma richesse, mes titres ? — autant de pâles loupiotes en regard de la lumière de celui qui est lumière. Je veux que ces loupiotes brillent : je cherche donc nécessairement à vivre dans les ténèbres puisque je veux que tout cela se voit, alors que tout cela, qui n’est qu’autant de faibles bougies, ne se voit pas, justement, sous la lumière éclatante du soleil dans le désert de ma vie : si une faible bougie doit briller, il lui faut du sombre, il ne faut pas qu’elle soit allumée en plein jour...
Jean a choisi : s’effacer ; plus que de briller, être l’ombre, pour vivre dans la lumière, être l’ombre de la lumière, l’ombre qui dévoile la lumière : c’est de cette façon qu’il peut aplanir le chemin du Seigneur : en se sachant indigne d’en dénouer les sandales. Même sa prédication et son geste sublime, son baptême, sont l’ombre de la lumière. À combien plus forte raison les nôtres, nos gestes. C’est le baptême administré de façon invisible, comme un souffle, Esprit soufflé par le Christ, qui sauve — et point les bains et autres ablutions que seules peuvent administrer les hommes. Comme le dit Jean, nous n’avons de pouvoir que celui de répandre de l’eau, pas de communiquer l’Esprit.
De même, c’est la Parole éternelle, créatrice de l’univers, cette Parole devenue chair, Jésus, qui peut sauver — et point nos paroles, aussi remarquables sembleraient-elles, que peuvent proférer nos bouches enténébrées.
Aplanir le chemin du Seigneur
S’il en est ainsi de nos paroles et gestes religieux, que dire alors de nos autres diverses gloires passagères ; beauté, force, titres, richesse, et j’en passe, autant d’instruments qui pourraient être au service du Seigneur, autant d’instruments d’oppression pour qui n’y prend point garde, instruments, même, finalement, d’une gloutonnerie qui avalerait le monde sans savoir y mêler le goût des herbes amères.
Mettre dans son repas de fête un peu d’herbes amères, recommande la Torah pour le repas de fête de la Pâque. Un peu d’herbes amères pour se souvenir de l’exil et de la misère. Misère passée du temps de l’esclavage, misère actuelle de nos frères de la terre. Écoutons la façon dont en parle cet autre témoin de la lumière, le prophète Amos (6:6) : “buvant du vin dans des coupes, et se parfumant à l'huile des prémices, [dit-il de son peuple, Juda] ils ne ressentent aucun tourment pour la ruine de Joseph.” Amos menace ainsi Juda qui au cœur de ses fêtes ignore la douleur de son frère Joseph dans l’exil, le deuil, la faim. Et nous, qu’avons-nous fait de nos frères ? Saurons-nous mettre un peu d’herbes amères au cœur de nos joies passagères ? C’est cela aussi le message de Jean Baptiste, du témoin de la lumière : la conversion à laquelle il appelle commence là. Au jour où les abîmes des inégalités se creusent, tenter encore d’aplanir le chemin du Seigneur.
Outre les gestes religieux, outre les moments de fête, on pourrait en dire autant de tous les aspects glorieux, croyons-nous, de nos vies : autant de possibles abats-jours visant sans le savoir toujours clairement, à voiler le Christ... Alors aujourd’hui, que l’attente de Dieu donne à chacun de nous de devenir un peu une ombre, l’humble ombre du soleil magnifique que nous pourrons ainsi fêter et accueillir dignement. Que Dieu nous accorde cette joie : être ainsi vraiment de la fête de tous ses enfants de la terre appelés à devenir enfants de Dieu dans la lumière que nous attendons à Noël.
R.P.
Vence
3e dimanche de l'Avent
11.12.11
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