dimanche 3 février 2013

Le Jubilé de la foi




Jérémie 1.4-19 ; Psaume 71 ; 1 Corinthiens 12.31-13.13 ; Luc 4.21-30

Luc 4.21-30
21 Alors il commença à leur dire : « Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez. »
22 Tous lui rendaient témoignage ; ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient : « N'est-ce pas là le fils de Joseph ? »
23 Alors il leur dit : « Sûrement vous allez me citer ce dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même.” Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. »
24 Et il ajouta : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ;
26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien. »
28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.

*

« Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez » (v. 21). Il s’agit du Jubilé, l’an de grâce prévu par le Lévitique, et annoncé par Ésaïe : c’est cette parole là que Jésus vient de déclarer « accomplie pour vous qui l'entendez ». Le mot « jubilé » vient du latin jubilæus (de jubilare, « se réjouir »), traduction par Jérôme de l'hébreu yôbel qui désigne le cor en corne de chèvre qui était utilisé pour annoncer le début de cette année spéciale qui a lieu tous les cinquante ans. Cette année de grâce, de réjouissance, où les terres devaient être redistribuées de façon équitable et les esclaves libérés. Acte de souveraineté.

Affaire de foi donc que la réception de cet accomplissement par Jésus de la promesse de la souveraineté de Dieu enfin établie : la mise en place de ce Jubilé impossible à ce moment-là dans son intégralité !

Car c’est de cela qu’il s’agit. Pourquoi donc la mise en place du Jubilé n’est pas possible en son intégralité au temps de Jésus ? Parce qu’Israël n’est pas souverain pour pouvoir mettre en œuvre de telles lois. Le souverain est alors César !

Que dit la loi sur le Jubilé (Lévitique 25, 8-18) quant à son inauguration ? « Vous déclarerez » — déclaration politique : « vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants ; ce sera pour vous un jubilé » (v. 10). Loi de souveraineté, à présent perdue. Les Romains sont très tolérants quant à l’exercice de des différents cultes. Israël a reçu de larges concessions, mais rien qui lui donne la souveraineté politique et juridique. C’est précisément ce qui, malgré sa tolérance, vaut à Rome une inimitié qui va jusqu’aux révoltes zélotes…

Or le Jubilé relève de la souveraineté. Il est même perçu par les anciens prophètes comme marque particulière de souveraineté.

Et aux temps anciens, aux temps de la souveraineté d’Israël précisément, la loi sur le Jubilé, au grand dam des prophètes, n’a pas été mise en place, comme l’idolâtrie n’a pas été rejetée, et a fini par dominer, valant alors le départ en exil, concrétisation de la perte de souveraineté — selon une lecture qu’en font les prophètes. Ça a commencé dès le veau d’or ! S’en remettre à Dieu, avec confiance, ce que marque la pratique du Jubilé, ou se faire des divinités à notre image, bien moins exigeantes en matière de foi, d’abandon à Dieu.

Cf. Jérémie (ch. 1, v. 15-16) : « voici, je vais appeler tous les peuples des royaumes du septentrion, dit l’Eternel ; ils viendront, et placeront chacun leur siège à l’entrée des portes de Jérusalem, contre ses murailles tout alentour, et contre toutes les villes de Juda. Je prononcerai mes jugements contre eux […] parce qu’ils m’ont abandonné et […] se sont prosternés devant l’ouvrage de leurs mains. »

« Mettez mes lois en pratique ; gardez mes coutumes et mettez-les en pratique : et vous habiterez en sûreté dans le pays » (Lév. 25, 18), précisait le texte du Lévitique instituant la loi du Jubilé. Ça n’a pas été fait, ce qu’a sanctionné l’exil.

« Nebucadnetsar emmena captifs à Babylone ceux qui échappèrent à l’épée ; et ils lui furent assujettis, à lui et à ses fils, jusqu’à la domination du royaume de Perse, afin que s’accomplît la parole de l’Eternel prononcée par la bouche de Jérémie ; jusqu’à ce que le pays eût joui de ses sabbats, il se reposa tout le temps qu’il fut dévasté, jusqu’à l’accomplissement de soixante-dix ans. » (2 Chronique 36, 20-21) — à savoir les années sabbatiques et les Jubilés qui lui ont manqué.

La non application du Jubilé, qui signe un manque de liberté, une soumission aux pratiques ambiantes et au culte des idoles, est sanctionnée par la perte de la liberté sous la domination babylonienne — selon la lecture des prophètes.

Et depuis cet exil, y compris après le retour d’exil, l’application de cette loi de liberté n’est plus possible — autrement qu’à l’échelle individuelle : la pleine souveraineté d’Israël n’a jamais été rétablie, jusqu’à l’époque de Jésus. Aucune proclamation politique d’un Jubilé n’est alors possible, sous peine de voir les Romains intervenir…

Les faits sont là !… Ces faits qui valent à la proclamation de Jésus de résonner comme chose impossible, pour ne pas dire exorbitante !

Sauf à la recevoir par une foi qui s'ancre au-delà de ce qui se voit, des réalités politiques concrètes.

Voilà pourquoi la parole que donne ici Jésus, qui engage la foi la plus inconcevable… rencontre… le réalisme le plus massif… et compréhensible !

Ici ce réalisme prend la forme d’une question : qui est-il celui-là pour oser une telle déclaration, si exorbitante !? Nous connaissons son père et sa mère ! Qu’il nous donne donc au moins un signe, un miracle, comme ceux qu’il a produits à Capharnaüm !

Mais les signes, c’est pour provoquer une foi à apparaître, provoquer une foi conçue à germer. En d’autres termes, c’est pour ceux du dehors, précisément ! Comme au temps d’Élie… Mais pour ceux qui ont côtoyé au quotidien le prophète et sa famille, il leur sera difficile de voir au-delà de ce quotidien trivial. Au point que même le signe s’avérera inutile : il cantonnera celui qui le verra à sa fonction éventuellement utilitaire ! (Comme la multiplication des pains que d’aucuns se contentent de juger bien utile !) « Il ne fit pas de signe miraculeux ici, à Nazareth, à cause de leur manque de foi » précisent Marc et Matthieu. Non pas que la foi rende le signe possible, mais que l’incrédulité, qui consiste à s’en tenir à ce que l’on voit, et que l’on croit savoir, le rend inutile !

Voilà qui provoquera même la colère des siens, de ceux de Nazareth !

Et il est constant dans l’histoire que les signes cessent quand est établie la foi. Cessation comme signe elle-même de ce qui doit advenir — 1 Co 13, 8-10 : « Les prophéties prendront fin, les langues cesseront, la connaissance disparaîtra. Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie, mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra. »

La parole que Jésus a prononcée requiert la simple adhésion de la foi — sans qu’il soit besoin de signe supplémentaire ! Puisque sans la foi qui le reçoit, le signe est inutile.

« Passant au milieu d'eux, Jésus alla son chemin », conclut le texte…

Serons-nous de ceux au milieu desquels Jésus passe, continuant son chemin, ou serons-vous de ceux qui n’ont plus besoin de signes supplémentaires pour ajouter foi à sa parole : « aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez » !


RP,
Poitiers, 03.02.13


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