Ésaïe 6, 1-8 ; Psaume 138 ; 1 Co 15, 1-11 ; Luc 5, 1-11
Luc 5, 1-11
Nous voici en présence d'un miracle de Jésus qui a un effet pour le moins inattendu à nos yeux. Voilà des pêcheurs rentrés bredouilles qui, suite à un miracle qui leur donne une pêche surabondante, abandonnent pêche et barques ! On pourrait s'attendre à un autre type de résultat…
L'étrange dialogue de Jésus et de Pierre accroît le côté troublant de cet épisode ; mais dessine en même temps, on va le voir, la voie d'une explication.
Au-delà de la façon commune de comprendre le miracle
Le récit de ce miracle est entouré de deux autres récits de divers événements miraculeux : des guérisons, qui ont pour conséquence de développer grandement la popularité de Jésus, tandis que celui-ci cherche à fuir cette popularité (4, 42 ; 5, 15-16).
Ces divers miracles sont accomplis au bénéfice de la foule, qui voit un grand avantage à s'assurer la présence permanente d'un tel guérisseur providentiel. Cette population, souvent en détresse, s'intéresse, et on peut la comprendre, aux avantages immédiats et concrets des miracles de Jésus, au point de vouloir le retenir, fût-ce d'ailleurs au déficit des autres villes (4, 42-43).
Cette attitude vis-à-vis du miracle est une attitude à courte vue, inapte à saisir la réalité spirituelle réelle du miracle, qui est signe. Lorsque la dimension spirituelle est pressentie, comme pour la guérison du paralytique par laquelle Jésus lui signifie son pardon, le miracle suscite crainte et perplexité (5, 26) !
Et c'est ce qui va en être pour Pierre et ses compagnons à propos de cette pêche miraculeuse.
Contrairement aux diverses guérisons qui ont enthousiasmé les populations, cette pêche miraculeuse concerne plus particulièrement les disciples, eux qui, confusément, ont déjà quelque idée de ce qu'il en est de Jésus.
En témoigne, quand même, l’obéissance de Pierre à Jésus lui disant de retourner jeter le filet ; Pierre qui, expérimenté en la matière, a pourtant pêché toute la nuit, et qui malgré tout, malgré ce qui inclut peut-être une volonté sous-jacente de montrer à Jésus qui est le professionnel de la pêche ; Pierre fatigué, qui y retourne quand même (v. 5).
Jésus qui vient de prêcher aux foules depuis la barque de Pierre (v. 3) — technique oratoire pour faire porter la voix plus largement — ; Jésus prend maintenant les disciples avec lui pour les inviter à repartir en mer (v. 4). Il est à présent avec un « public » plus avisé, et qui saura tirer du miracle son sens et ses conséquences les plus troublantes concernant qui est Jésus.
La leçon du miracle
Jésus, par son miracle, ne vient-il pas de montrer qu'il ouvre les portes de l'abondance, y compris, en matière de pêche, mieux que les spécialistes de la pêche ?
Et la réaction de Pierre est la frayeur, frayeur parce que, dit-il, il est un homme pécheur (v. 8-9). Pierre pressent derrière ce miracle toute une épaisseur de mystère. Il devine le tournant que ce miracle doit marquer dans sa vie. Jésus lui montre l'abondance pour lui faire comprendre qu'il lui faut abandonner déjà cette abondance dont il lui révèle avoir le secret !
Il ne saurait y avoir de pêche abondante que par la grâce de Dieu dont Jésus est le signe : c'est dire que désormais éclate aux yeux de Pierre qu'il ne saurait y avoir de sens ultime dans le geste de jeter le filet. Ce jour-là s'ouvre à ses yeux confus un horizon plus vaste que celui que lui faisait pressentir la mer qui l'appelait. D'une façon certaine, Pierre saisit que ce miracle scelle sa vocation. D'où sa frayeur : il perçoit que ce qui éclate dans le miracle qui dévoile la présence du Dieu qui l'appelle ne peut qu'être, en même temps, condamnation pour l’homme pécheur qui apparaît crûment dans la lumière de cet appel. Il y a de quoi être effrayé. Pour nous aussi. D’autant qu’à travers Pierre, ne nous leurrons pas, nous sommes aussi visés.
Pierre, lui, est pris dans les filets de ce carrefour : l'appel qu’il reçoit, qui l'éclaire, l'éblouit aussi ; il l'aveugle : situation sans issue : « Seigneur éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur ». C'est la même terreur qui saisissait Ésaïe dans la vision de sa vocation : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures » (És 6, 5). Terreur qui saisit aussi les compagnons de Pierre (v. 9-10). Et nous tous, si nous l’entendons…
La Parole de la grâce
Jésus comprend parfaitement les remous intérieurs qu'il a lui-même provoqués chez Pierre. Et il lui donne de vive voix la parole de la vocation, que Pierre a pressenti : « désormais, tu seras pêcheur — captiveur — d'hommes (comme tu as été captivé toi-même) », parole de vocation dont la force se fonde sur la parole de grâce qui la précède en apaisant la frayeur de Pierre : « Sois sans crainte » (v. 10). Car de cette pêche-là je t’ai montré, par ce signe, être le maître.
Racine de la vocation, ce « sois sans crainte » précède même probablement, dans l'Éternité, le miracle qui le signifie, et la frayeur de Pierre, qui ne pourra, dès lors, que marcher à la lumière de cette Parole de grâce. Ce jour-là, dans cette Parole de grâce qui les saisit et les appelle de façon incontournable, les disciples ont touché au domaine dont il n'est point de retour. Derrière eux s'est creusé un abîme : il n'est plus d'arrière — « alors ils ramenèrent les barques à terre, laissèrent tout et le suivirent » (v. 11).
Ce « sois sans crainte » est ici décisif. Il vaut lui aussi pour nous. Un appel qui nous est adressé à tous et qui rencontre naturellement notre crainte. Depuis celle de notre : « pourquoi moi ? » jusqu’à celle de n’être pas la hauteur. « Sois sans crainte » a dit Jésus à des apôtres qui l’ont bien entendu et qui savent par ce « sois sans crainte », qu’il ne leur est demandé que d’être ce qu’ils sont dans cette vaste tâche : des intendants d’un mystère qui les dépasse, ce mystère qui effraie Pierre. « Nous sommes des intendants des mystères de Dieu » dira Paul (1 Co 4,1). Comme Pierre n’est que le jeteur de filet d’une pêche dont Dieu seul est le maître, ce qui nous est confié n’est que l’intendance d’une grâce qui ne dépend pas de nous.
C’est tout, c’est énorme mais c’est tout. Et « ce qu’on demande en fin de compte à des intendants, c’est de se montrer fidèles », poursuit Paul (1 Co 4, 2). Soyez donc sans crainte ! C’est cela être pécheur d’hommes, c’est l’intendance spirituelle d’une grâce infinie.
Un mystère qui nous dépasse infiniment. La Parole qui fonde toute recherche de l'infini — et qui y met fin, dans la mesure où elle dévoile la présence de l'infini dans le service, à l'imitation de la Parole infinie, est venue dans la chair, afin de servir. Plus rien ne tient que de cette parole de grâce. Paul en dira : « par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » (1 Co 15, 10).
Luc 5, 1-11
1 Comme la foule se pressait autour de lui pour entendre la parole de Dieu, et qu’il se trouvait auprès du lac de Génésareth,
2 il vit au bord du lac deux petites barques, d’où les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets.
3 Il monta dans l’une de ces barques, qui était à Simon, et il lui demanda de s’éloigner un peu de terre. Puis il s’assit, et de la barque il enseignait les foules.
4 Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour pêcher.
5 Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais, sur ta parole, je jetterai les filets.
6 L’ayant fait, ils prirent une grande quantité de poissons, et leurs filets se rompaient.
7 Ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque de venir les aider. Ils vinrent et remplirent les deux barques, au point qu’elles enfonçaient.
8 Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus et dit : Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur.
9 Car la frayeur l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu’ils avaient faite.
10 Il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Et Jésus dit à Simon : Sois sans crainte ; désormais tu seras pêcheur d’hommes.
11 Alors ils ramenèrent les barques à terre, laissèrent tout et le suivirent.
*
Nous voici en présence d'un miracle de Jésus qui a un effet pour le moins inattendu à nos yeux. Voilà des pêcheurs rentrés bredouilles qui, suite à un miracle qui leur donne une pêche surabondante, abandonnent pêche et barques ! On pourrait s'attendre à un autre type de résultat…
L'étrange dialogue de Jésus et de Pierre accroît le côté troublant de cet épisode ; mais dessine en même temps, on va le voir, la voie d'une explication.
Au-delà de la façon commune de comprendre le miracle
Le récit de ce miracle est entouré de deux autres récits de divers événements miraculeux : des guérisons, qui ont pour conséquence de développer grandement la popularité de Jésus, tandis que celui-ci cherche à fuir cette popularité (4, 42 ; 5, 15-16).
Ces divers miracles sont accomplis au bénéfice de la foule, qui voit un grand avantage à s'assurer la présence permanente d'un tel guérisseur providentiel. Cette population, souvent en détresse, s'intéresse, et on peut la comprendre, aux avantages immédiats et concrets des miracles de Jésus, au point de vouloir le retenir, fût-ce d'ailleurs au déficit des autres villes (4, 42-43).
Cette attitude vis-à-vis du miracle est une attitude à courte vue, inapte à saisir la réalité spirituelle réelle du miracle, qui est signe. Lorsque la dimension spirituelle est pressentie, comme pour la guérison du paralytique par laquelle Jésus lui signifie son pardon, le miracle suscite crainte et perplexité (5, 26) !
Et c'est ce qui va en être pour Pierre et ses compagnons à propos de cette pêche miraculeuse.
Contrairement aux diverses guérisons qui ont enthousiasmé les populations, cette pêche miraculeuse concerne plus particulièrement les disciples, eux qui, confusément, ont déjà quelque idée de ce qu'il en est de Jésus.
En témoigne, quand même, l’obéissance de Pierre à Jésus lui disant de retourner jeter le filet ; Pierre qui, expérimenté en la matière, a pourtant pêché toute la nuit, et qui malgré tout, malgré ce qui inclut peut-être une volonté sous-jacente de montrer à Jésus qui est le professionnel de la pêche ; Pierre fatigué, qui y retourne quand même (v. 5).
Jésus qui vient de prêcher aux foules depuis la barque de Pierre (v. 3) — technique oratoire pour faire porter la voix plus largement — ; Jésus prend maintenant les disciples avec lui pour les inviter à repartir en mer (v. 4). Il est à présent avec un « public » plus avisé, et qui saura tirer du miracle son sens et ses conséquences les plus troublantes concernant qui est Jésus.
La leçon du miracle
Jésus, par son miracle, ne vient-il pas de montrer qu'il ouvre les portes de l'abondance, y compris, en matière de pêche, mieux que les spécialistes de la pêche ?
Et la réaction de Pierre est la frayeur, frayeur parce que, dit-il, il est un homme pécheur (v. 8-9). Pierre pressent derrière ce miracle toute une épaisseur de mystère. Il devine le tournant que ce miracle doit marquer dans sa vie. Jésus lui montre l'abondance pour lui faire comprendre qu'il lui faut abandonner déjà cette abondance dont il lui révèle avoir le secret !
Il ne saurait y avoir de pêche abondante que par la grâce de Dieu dont Jésus est le signe : c'est dire que désormais éclate aux yeux de Pierre qu'il ne saurait y avoir de sens ultime dans le geste de jeter le filet. Ce jour-là s'ouvre à ses yeux confus un horizon plus vaste que celui que lui faisait pressentir la mer qui l'appelait. D'une façon certaine, Pierre saisit que ce miracle scelle sa vocation. D'où sa frayeur : il perçoit que ce qui éclate dans le miracle qui dévoile la présence du Dieu qui l'appelle ne peut qu'être, en même temps, condamnation pour l’homme pécheur qui apparaît crûment dans la lumière de cet appel. Il y a de quoi être effrayé. Pour nous aussi. D’autant qu’à travers Pierre, ne nous leurrons pas, nous sommes aussi visés.
Pierre, lui, est pris dans les filets de ce carrefour : l'appel qu’il reçoit, qui l'éclaire, l'éblouit aussi ; il l'aveugle : situation sans issue : « Seigneur éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur ». C'est la même terreur qui saisissait Ésaïe dans la vision de sa vocation : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures » (És 6, 5). Terreur qui saisit aussi les compagnons de Pierre (v. 9-10). Et nous tous, si nous l’entendons…
La Parole de la grâce
Jésus comprend parfaitement les remous intérieurs qu'il a lui-même provoqués chez Pierre. Et il lui donne de vive voix la parole de la vocation, que Pierre a pressenti : « désormais, tu seras pêcheur — captiveur — d'hommes (comme tu as été captivé toi-même) », parole de vocation dont la force se fonde sur la parole de grâce qui la précède en apaisant la frayeur de Pierre : « Sois sans crainte » (v. 10). Car de cette pêche-là je t’ai montré, par ce signe, être le maître.
Racine de la vocation, ce « sois sans crainte » précède même probablement, dans l'Éternité, le miracle qui le signifie, et la frayeur de Pierre, qui ne pourra, dès lors, que marcher à la lumière de cette Parole de grâce. Ce jour-là, dans cette Parole de grâce qui les saisit et les appelle de façon incontournable, les disciples ont touché au domaine dont il n'est point de retour. Derrière eux s'est creusé un abîme : il n'est plus d'arrière — « alors ils ramenèrent les barques à terre, laissèrent tout et le suivirent » (v. 11).
Ce « sois sans crainte » est ici décisif. Il vaut lui aussi pour nous. Un appel qui nous est adressé à tous et qui rencontre naturellement notre crainte. Depuis celle de notre : « pourquoi moi ? » jusqu’à celle de n’être pas la hauteur. « Sois sans crainte » a dit Jésus à des apôtres qui l’ont bien entendu et qui savent par ce « sois sans crainte », qu’il ne leur est demandé que d’être ce qu’ils sont dans cette vaste tâche : des intendants d’un mystère qui les dépasse, ce mystère qui effraie Pierre. « Nous sommes des intendants des mystères de Dieu » dira Paul (1 Co 4,1). Comme Pierre n’est que le jeteur de filet d’une pêche dont Dieu seul est le maître, ce qui nous est confié n’est que l’intendance d’une grâce qui ne dépend pas de nous.
C’est tout, c’est énorme mais c’est tout. Et « ce qu’on demande en fin de compte à des intendants, c’est de se montrer fidèles », poursuit Paul (1 Co 4, 2). Soyez donc sans crainte ! C’est cela être pécheur d’hommes, c’est l’intendance spirituelle d’une grâce infinie.
Un mystère qui nous dépasse infiniment. La Parole qui fonde toute recherche de l'infini — et qui y met fin, dans la mesure où elle dévoile la présence de l'infini dans le service, à l'imitation de la Parole infinie, est venue dans la chair, afin de servir. Plus rien ne tient que de cette parole de grâce. Paul en dira : « par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » (1 Co 15, 10).
R.P.
Poitiers, 10.02.13
Poitiers, 10.02.13
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire