Amos 7, 11-15 ; Psaume 85 ; Éphésiens 1, 3-14 ; Marc 6, 7-13
Amos 7, 11-15
Marc 6, 7-13
Qu'est-ce que cette intolérance ?! Voilà des disciples qui prêchent la repentance, qui prennent autorité sur les esprits impurs et qui secouent la poussière de leurs pieds contre ceux qui n'écoutent pas !…
L’Église Protestante Unie, en France, aujourd’hui : cote de popularité au zénith. Oh ! on connaît bien les protestants, ils sont sympathiques, ils sont modernes, tolérants, etc. Bref ils plaisent, et ce n'est pas faute de faire tout pour plaire. Question : l'indispensable tournement libérateur vers Dieu, la conversion / techouva en termes techniques, c'est-à-dire concrètement la repentance (qui elle n'est pas très à la mode, elle ; mais l'a-t-elle jamais été ?), a-t-il lieu ? S’il n’y a aucune remise question, aucune exigence en d'autres termes, eh bien, il n’y a qu’à se contenter de la grâce à bon marché, qui ne coûte rien que d’accepter que tout est bien. Mais il n’y a alors aucune autre libération à espérer.
C’est ainsi que lorsqu’on tente de dire la moindre exigence libératrice, on ne fait que susciter l’inimitié : qu’est ce que cette intolérance subite ? Car la suite du texte, où il est question de la mission d’évangélisation des disciples, le précise : « Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12), ou, puisque c'est le même mot, autre traduction : « se repentir ». Ce qui implique concrètement qu’il y a des choses à changer dans les comportements. Et ça, c’est le côté… désagréable de toute délivrance !
Or il y a urgence. C'est le sens de : « Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture, mais pour chaussures des sandales, et "ne mettez pas deux tuniques" ». Urgence au temps des Douze, mais peut-être aujourd'hui aussi, tant il y a toujours urgence, tant on est toujours dans l'aujourd'hui quand il s'agit de vivre vraiment ; voire de survivre.
Avant les Douze, c'est déjà le cas d'Amos, dont un extrait est proposé à nos lectures de ce jour. Amos, une prédication qui irrite, c'est le moins qu'on puisse dire. Amos prophète de malheur auprès d'un peuple qui se berce de sa tranquillité provisoire, Amos auquel on demande donc de se taire.
« Jéroboam, annonce Amos, [le roi] Jéroboam mourra par l’épée, et Israël sera emmené captif loin de son pays. » Il s'agit des dix tribus disparues depuis. Le prêtre officiel, Amatsia, n'aime pas cette prédication qui risque de secouer la léthargie ambiante. Dormir au milieu d'un champ de ruines.
Voilà qui évoque peut-être notre situation, hélas.
Un monde en champ de ruines, avec un îlot d'aisance ensommeillé, de plus en plus pressé par ceux qui vivent dans le champ de ruines. Un champ de ruines depuis lequel on se demande s'il n'a pas été entretenu pour maintenir l'ilôt en son état d'ilôt. Un ilôt bordé de frontières, comme la Méditerranée de nos plages, qui ne parvient plus à cacher ce champ de ruines qui nous entoure.
Et dans l'ilôt, que fait-on, jusque dans les Églises ? On débat de problèmes sociétaux, un peu comme en Israël au temps d'Amos, ou à Byzance à la veille de la chute de Constantinople. On s'en moque aujourd'hui, disant qu'ils discutaient du sexe des anges.
« Ne nous permets pas de rester insensible aux souffrances que nous côtoyons chaque jour » prions-nous dans notre liturgie de deuil.
« Envoie Lazare ressuscité pour que mes proches se repentent » demande le riche défunt tourmenté. « Ils ont Moïse et les prophètes. S'ils ne les écoutent pas, même un ressuscité ne les touchera pas » lui est-il répondu.
Et nous, ce matin nous avons Amos et les Douze envoyés prêcher la repentance. « Marre de se repentir » entend-on comme réponse. Comme si on avait une fois commencé à se repentir, c'est-à-dire à regarder les choses en face et à changer de cap, selon la signification du mot « repentir », qui ne veut pas dire se morfondre sur ce qui est advenu avant nous ! mais faire retour.
« Si l’on ne vous écoute pas »… avertit Jésus. Je n'ai pas la solution. Je ne crois plus aux pétitions et autres adresses aux dirigeants qui sont parfaitement informés de ce dont on croirait les informer.
Amos, qui dit n'être pas prophète professionnel, mais bouvier de profession, a averti, comme les Douze envoyés par Jésus, qu'il s'agit de se repentir, de crier à Dieu.
Nous sommes sur « un très grand navire confortablement aménagé, imagine un prophète moderne, Kierkegaard. C'est vers le soir. Les passagers s'amusent, tout resplendit. Ce n'est que liesse et réjouissance. Mais sur le pont, le capitaine voit un point blanc grossir à l'horizon et dit : “La nuit sera terrible”. Il distribue les ordres nécessaires aux membres de l'équipage. Puis, ouvrant sa Bible, il lit juste ce passage : “Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée”. Pendant ce temps. Dans les salons on continue de festoyer. Les bouchons de champagne sautent [sautent des Jéroboam, puisque le nom du roi d’Israël du temps d'Amos est devenu celui d'une bouteille de champagne !]. L’orchestre joue de plus en plus fort. On boit à la santé du capitaine. Et “La nuit sera terrible”. (S. Kierkegaard - 1813-1855 -, "Note du Journal de 1855", dans L'Instant, cité par J. Brun, “Sablons le champagne”, Foi et vie, Janvier-Février 1976.)
Kierkegaard imagine alors une situation plus effrayante encore. Les conditions sont exactement les mêmes avec cette différence que, cette fois-ci, le capitaine est au salon, rit et danse, il est même le plus gai de tous. C'est un passager qui voit le point menaçant à l'horizon. Il fait demander au capitaine de monter un instant sur le pont. Il tarde ; enfin il arrive. Mais il ne veut rien entendre et plaisantant, il se hâte de rejoindre en bas la société bruyante et désordonnée des passagers qui boivent à sa santé dans l'allégresse générale. Et il adresse ses remerciements chaleureux ». (Ibid.)
Quid de l’écho que les prophètes ont eu, ou n’ont pas eu : oh ! laissez-moi vivre comme je l’ai toujours fait… ne pas être remis en question. Or l’Évangile qui libère, à la suite d'Amos et des prophètes, demande des changements de vie.
Voilà qui fait intolérant et quelque peu… « moraliste ». Pensez : les Douze, envoyés, se mettent à proclamer qu’il faut se repentir !
Proclamer donc, que ce que l’on fait n’est peut-être pas adéquat à la liberté de l’Évangile, et au comportement libre qu’il induit (libre aussi quant au désir de plaire à tout prix). Or la repentance que prêchent les Douze est incontournable quant à l’exigence d’un changement libérateur (« Sortez de Babylone », i.e. « quittez ce qui vous rend captifs »). Mais c’est une exigence, ça ! Eh oui ! Une exigence qui risque même de rendre impopulaire.
Face à cela, que dit Jésus ? Non pas : faites des efforts pour leur plaire, mais secouez contre eux la poussière de vos pieds !… Car vient le temps où les prophètes se taisent, devant l'évidence que l'on n'a rien à faire de ce qu'ils disent…
Jésus leur donne autorité sur les esprits impurs, est-il dit des Douze. Plutôt qu'à des rois Jéroboam qui savent, tout comme les prêtres Amatsia, c'est à Dieu que crie Amos, en avertissant, c'est-à-dire en disant ce que les ensommeillés savent très bien, à savoir que sans un repentir réel, pour une prise d'autorité sur les esprits impurs qui ont conduit à cette situation, un monde malade, l’avenir est sombre.
Je n'ai pas de solution, pas plus que vous ou nos dirigeants, qui savent tout ce qu'il y a à savoir, via les experts qui les informent, qui savent aussi ce qui a conduit à cette situation, ce qui continue à se faire, à défaut de repentance.
Alors je crois qu'aujourd'hui, entendre la voix des prophètes consiste en un cri, jour et nuit, vers Dieu, dans l'intimité de nos cœurs, là où se chassent les esprits impurs, dans un monde où nous sommes tous dans le même bateau, pour que jaillisse un sursaut, dont j'ignore ce qu'il est, mais qui revêt la même urgence qu'au temps d'Amos ou des Douze.
Amos 7, 11-15
11 Car voici ce que dit Amos : Jéroboam mourra par l’épée, et Israël sera emmené captif loin de son pays.
12 Et Amatsia dit à Amos : Homme à visions, va-t-en, fuis dans le pays de Juda ; manges-y ton pain, et là tu prophétiseras.
13 Mais ne continue pas à prophétiser à Béthel, car c’est un sanctuaire du roi, et c’est une maison royale.
14 Amos répondit à Amatsia : Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète ; mais je suis berger, et je cultive des sycomores.
15 L’Éternel m’a pris derrière le troupeau, et l’Éternel m’a dit : Va, prophétise à mon peuple d’Israël.
Marc 6, 7-13
7 Il fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs.
8 Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture,
9 mais pour chaussures des sandales, « et ne mettez pas deux tuniques ».
10 Il leur disait : « Si, quelque part, vous entrez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit.
11 Si une localité ne vous accueille pas et si l’on ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds : ils auront là un témoignage. »
12 Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir.
13 Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient.
*
Qu'est-ce que cette intolérance ?! Voilà des disciples qui prêchent la repentance, qui prennent autorité sur les esprits impurs et qui secouent la poussière de leurs pieds contre ceux qui n'écoutent pas !…
L’Église Protestante Unie, en France, aujourd’hui : cote de popularité au zénith. Oh ! on connaît bien les protestants, ils sont sympathiques, ils sont modernes, tolérants, etc. Bref ils plaisent, et ce n'est pas faute de faire tout pour plaire. Question : l'indispensable tournement libérateur vers Dieu, la conversion / techouva en termes techniques, c'est-à-dire concrètement la repentance (qui elle n'est pas très à la mode, elle ; mais l'a-t-elle jamais été ?), a-t-il lieu ? S’il n’y a aucune remise question, aucune exigence en d'autres termes, eh bien, il n’y a qu’à se contenter de la grâce à bon marché, qui ne coûte rien que d’accepter que tout est bien. Mais il n’y a alors aucune autre libération à espérer.
C’est ainsi que lorsqu’on tente de dire la moindre exigence libératrice, on ne fait que susciter l’inimitié : qu’est ce que cette intolérance subite ? Car la suite du texte, où il est question de la mission d’évangélisation des disciples, le précise : « Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12), ou, puisque c'est le même mot, autre traduction : « se repentir ». Ce qui implique concrètement qu’il y a des choses à changer dans les comportements. Et ça, c’est le côté… désagréable de toute délivrance !
Or il y a urgence. C'est le sens de : « Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture, mais pour chaussures des sandales, et "ne mettez pas deux tuniques" ». Urgence au temps des Douze, mais peut-être aujourd'hui aussi, tant il y a toujours urgence, tant on est toujours dans l'aujourd'hui quand il s'agit de vivre vraiment ; voire de survivre.
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Avant les Douze, c'est déjà le cas d'Amos, dont un extrait est proposé à nos lectures de ce jour. Amos, une prédication qui irrite, c'est le moins qu'on puisse dire. Amos prophète de malheur auprès d'un peuple qui se berce de sa tranquillité provisoire, Amos auquel on demande donc de se taire.
« Jéroboam, annonce Amos, [le roi] Jéroboam mourra par l’épée, et Israël sera emmené captif loin de son pays. » Il s'agit des dix tribus disparues depuis. Le prêtre officiel, Amatsia, n'aime pas cette prédication qui risque de secouer la léthargie ambiante. Dormir au milieu d'un champ de ruines.
Voilà qui évoque peut-être notre situation, hélas.
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Un monde en champ de ruines, avec un îlot d'aisance ensommeillé, de plus en plus pressé par ceux qui vivent dans le champ de ruines. Un champ de ruines depuis lequel on se demande s'il n'a pas été entretenu pour maintenir l'ilôt en son état d'ilôt. Un ilôt bordé de frontières, comme la Méditerranée de nos plages, qui ne parvient plus à cacher ce champ de ruines qui nous entoure.
Et dans l'ilôt, que fait-on, jusque dans les Églises ? On débat de problèmes sociétaux, un peu comme en Israël au temps d'Amos, ou à Byzance à la veille de la chute de Constantinople. On s'en moque aujourd'hui, disant qu'ils discutaient du sexe des anges.
« Ne nous permets pas de rester insensible aux souffrances que nous côtoyons chaque jour » prions-nous dans notre liturgie de deuil.
« Envoie Lazare ressuscité pour que mes proches se repentent » demande le riche défunt tourmenté. « Ils ont Moïse et les prophètes. S'ils ne les écoutent pas, même un ressuscité ne les touchera pas » lui est-il répondu.
Et nous, ce matin nous avons Amos et les Douze envoyés prêcher la repentance. « Marre de se repentir » entend-on comme réponse. Comme si on avait une fois commencé à se repentir, c'est-à-dire à regarder les choses en face et à changer de cap, selon la signification du mot « repentir », qui ne veut pas dire se morfondre sur ce qui est advenu avant nous ! mais faire retour.
« Si l’on ne vous écoute pas »… avertit Jésus. Je n'ai pas la solution. Je ne crois plus aux pétitions et autres adresses aux dirigeants qui sont parfaitement informés de ce dont on croirait les informer.
Amos, qui dit n'être pas prophète professionnel, mais bouvier de profession, a averti, comme les Douze envoyés par Jésus, qu'il s'agit de se repentir, de crier à Dieu.
Nous sommes sur « un très grand navire confortablement aménagé, imagine un prophète moderne, Kierkegaard. C'est vers le soir. Les passagers s'amusent, tout resplendit. Ce n'est que liesse et réjouissance. Mais sur le pont, le capitaine voit un point blanc grossir à l'horizon et dit : “La nuit sera terrible”. Il distribue les ordres nécessaires aux membres de l'équipage. Puis, ouvrant sa Bible, il lit juste ce passage : “Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée”. Pendant ce temps. Dans les salons on continue de festoyer. Les bouchons de champagne sautent [sautent des Jéroboam, puisque le nom du roi d’Israël du temps d'Amos est devenu celui d'une bouteille de champagne !]. L’orchestre joue de plus en plus fort. On boit à la santé du capitaine. Et “La nuit sera terrible”. (S. Kierkegaard - 1813-1855 -, "Note du Journal de 1855", dans L'Instant, cité par J. Brun, “Sablons le champagne”, Foi et vie, Janvier-Février 1976.)
Kierkegaard imagine alors une situation plus effrayante encore. Les conditions sont exactement les mêmes avec cette différence que, cette fois-ci, le capitaine est au salon, rit et danse, il est même le plus gai de tous. C'est un passager qui voit le point menaçant à l'horizon. Il fait demander au capitaine de monter un instant sur le pont. Il tarde ; enfin il arrive. Mais il ne veut rien entendre et plaisantant, il se hâte de rejoindre en bas la société bruyante et désordonnée des passagers qui boivent à sa santé dans l'allégresse générale. Et il adresse ses remerciements chaleureux ». (Ibid.)
*
Quid de l’écho que les prophètes ont eu, ou n’ont pas eu : oh ! laissez-moi vivre comme je l’ai toujours fait… ne pas être remis en question. Or l’Évangile qui libère, à la suite d'Amos et des prophètes, demande des changements de vie.
Voilà qui fait intolérant et quelque peu… « moraliste ». Pensez : les Douze, envoyés, se mettent à proclamer qu’il faut se repentir !
Proclamer donc, que ce que l’on fait n’est peut-être pas adéquat à la liberté de l’Évangile, et au comportement libre qu’il induit (libre aussi quant au désir de plaire à tout prix). Or la repentance que prêchent les Douze est incontournable quant à l’exigence d’un changement libérateur (« Sortez de Babylone », i.e. « quittez ce qui vous rend captifs »). Mais c’est une exigence, ça ! Eh oui ! Une exigence qui risque même de rendre impopulaire.
Face à cela, que dit Jésus ? Non pas : faites des efforts pour leur plaire, mais secouez contre eux la poussière de vos pieds !… Car vient le temps où les prophètes se taisent, devant l'évidence que l'on n'a rien à faire de ce qu'ils disent…
Jésus leur donne autorité sur les esprits impurs, est-il dit des Douze. Plutôt qu'à des rois Jéroboam qui savent, tout comme les prêtres Amatsia, c'est à Dieu que crie Amos, en avertissant, c'est-à-dire en disant ce que les ensommeillés savent très bien, à savoir que sans un repentir réel, pour une prise d'autorité sur les esprits impurs qui ont conduit à cette situation, un monde malade, l’avenir est sombre.
Je n'ai pas de solution, pas plus que vous ou nos dirigeants, qui savent tout ce qu'il y a à savoir, via les experts qui les informent, qui savent aussi ce qui a conduit à cette situation, ce qui continue à se faire, à défaut de repentance.
Alors je crois qu'aujourd'hui, entendre la voix des prophètes consiste en un cri, jour et nuit, vers Dieu, dans l'intimité de nos cœurs, là où se chassent les esprits impurs, dans un monde où nous sommes tous dans le même bateau, pour que jaillisse un sursaut, dont j'ignore ce qu'il est, mais qui revêt la même urgence qu'au temps d'Amos ou des Douze.
RP, Poitiers, 12.07.15
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