Daniel 7, 13-14 ; Psaume 93 ; Apocalypse 1, 5-8 ; Jean 18, 33-37
Daniel 7.13-14
Jean 18.33-37
L'actualité nous a placés devant une violence aveugle qui prétend s'autoriser du Dieu d'Abraham, référence commune des juifs, des chrétiens et des musulmans !
Mais un des moments fondateurs (Genèse 22) dans les textes concernant Abraham est précisément le refus radical de voir donner la mort au nom de Dieu ! C'est tout le trajet du récit qui nous conduit du moment où Abraham croit devoir sacrifier son fils à celui où Dieu arrête son geste. Ce moment qui se trouve aussi dans le Coran a pour fin de dire que pour le Dieu d'Abraham tuer en son nom déshonore son nom. C'est un moment commun aux trois traditions issues d'Abraham, le judaïsme qui y fonde son éthique, le christianisme qui relit le récit comme préfigurant la mort injuste de l'innocent en Jésus, l'islam qui commémore ce tournant religieux par l'aïd el-kébir. En commun, le refus de voir déshonorer le nom de Dieu en s’imaginant qu'il serait assoiffé de sang humain !
Face à la violence aveugle qu'a connue Paris ce vendredi, le deuil enduré, les traumatismes subis, un croyant au Dieu d'Abraham ne peut que se joindre aux larmes des victimes et de leurs proches et condamner une telle cruauté.
N'est-ce pas ce qui déshonore le nom de Dieu, tuer en son nom, qui est blasphème ? Voilà qui nous conduit de plain-pied dans le texte de l’Évangile de ce jour.
D’un côté une proclamation de la royauté de Dieu (Ps 93, 1 : « Le Seigneur est roi. Il est vêtu de majesté »), de l’autre l’affirmation que cette royauté se déploie dans un homme, dans l’image de Dieu comme vis-à-vis humain (Dn 7, 14 — l’Humain selon l’image de Dieu : « On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ») ; — et en écho Jésus qui affirme que la royauté dont il est question — et dont il se présente comme le témoin par excellence, témoin de la vérité (Jean 18, 37) —, cette royauté n’est pas de ce monde (Jn 18, 36).
Entre le règne éternel de Dieu et celui qui manifeste la façon dont l’homme en porte la marque et la délégation, se déploie la façon dont Dieu se connaît et se présente à nous : dans l’humilité.
Selon la liturgie luthérienne, ce dimanche est le dimanche de l’éternité. Éternité du Dieu qui ne se donne que dans la radicale humilité de celui dont le règne n’est pas de ce monde — connaissance de la vérité comme vis-à-vis : « je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Le règne d’éternité, le règne du Fils de l’homme, n’est pas de ce monde. C’est l’affirmation à laquelle nous conduit l’Évangile de ce jour.
Jésus aux prises avec Pilate, celui qui précisément représente le règne de ce monde, celui de César. Et qui donc — ça fait partie de sa tâche — entend tout comme parlant de ce monde : le règne dont il est question dans la parole de Dieu dont il a eu écho est donc pour lui forcément de ce monde : tu es le roi des Judéens m’ont dit d’aucuns — qui parlent pour cela de « blasphème ». On imagine l’œil ironique de Pilate : voilà en effet un roi, voire un « Fils de Dieu » qui n’a pas belle allure !
Avant d’aller plus loin dans ce texte, rappelons à nouveau qu’il n’y est pas question de querelle entre juifs et chrétiens. D’abord les chrétiens n’existent pas encore. Jésus est juif. Ensuite la traduction commune de la question de Pilate donnée en grec sur Jésus « roi des juifs » est vraiment sujette à caution : il n’y a pas de roi d’une religion, mais d’un pays ! Aussi le terme grec, qui a un double sens : Judéen, habitant de la Judée, ou juif, membre de la religion juive, doit évidemment ici être traduit par Judéen : on peut être présenté comme roi de la Judée, mais pas comme roi du judaïsme !
Bref, Pilate demande à Jésus s’il entend prendre la place d’Hérode, roi des Judéens en titre, oui ou non ?! Hérode étant l’allié des Romains, la puissance dominante, et de fait garante de l’ordre, on comprend que Pilate puisse être concerné. Mais comme il doute des capacités de ce… roi, qui ressemble si peu à un roi, à mener à bien un coup d’État, il invite Jésus à se prononcer lui-même sur ses prétentions politiques… Et n’obtient pas de réponse ! Le quiproquo est total !
D’un côté une question politico-diplomatique, le vrai motif de la condamnation de Jésus, en complicité entre autorités judéennes et romaines, malgré le scepticisme de Pilate qui cherche à se débarrasser cette affaire, et de l’autre l’affirmation juive, car le propos du juif Jésus est bien juif, sur la réalité, à une tout autre mesure, du règne de Dieu, ici dans un soulignement radical de l’humilité de Dieu.
Où l’on est renvoyé à un autre vis-à-vis : le vis-à-vis de l’éternité de Dieu et de son humanité, qui trouve dans l’histoire écho dès le Nouveau Testament dans un autre vis-à-vis, celui du judaïsme et de ce qui deviendra le christianisme : car il n’y a pas de christianisme sans judaïsme, sans judaïsme vivant. Jésus devant Pilate rend témoignage à la vérité, la vérité exprimée dans la Bible juive.
Le livre de Daniel nous donne une vision du règne de Dieu, règne décrit comme celui d'un fils d'homme, règne reçu auprès de l'Ancien des jours, Dieu. Dans l’Évangile de Jean, l’homme Jésus apparaît dans la faiblesse au jour où il comparait devant Pilate ; apparemment loin de l'éternité, l'Évangile de Jean nous parle d'un temps sombre. Il nous parle du présent, de notre présent, où ce règne éternel du Fils de l'Homme est voilé sous la douleur, sous l'humiliation, sous tout ce que l'on confronte d'inhumain et de douloureux. Là, Dieu se montre faible, dans le silence.
Et j’entends l’écho du théologien juif Hans Jonas nous interrogeant sur « le concept de Dieu après Auschwitz ». Tout sauf régnant, comme le Dieu dont Jésus nous présente le visage devant Pilate. Le voilà en proie à un destin, aujourd’hui celui de Jésus devant Pilate, qui apparemment lui échappe ! Ici, ce sont les pouvoirs humains, particulièrement en la personne de Pilate, qui sont forts. Ici Dieu est voilé dans le Christ sous son apparente impuissance. Voilé, et révélé. Car précisément, là est la façon dont Dieu règne, d’un règne qui n’est pas de l’ordre des règnes de ce monde…
… Il est celui qui nous a rejoints, qui a revêtu notre humanité. Toujours le vis-à-vis de l’infini et de l’humilité, présent dans le Christ.
Un vis-à-vis intime de Dieu et de l’humanité dans le Christ. Où l’on sait que dans le Christ humilié, l'image de Dieu est de l’ordre du dévoilement de celui qui est voilé devant Pilate dans l'humanité blessée de celui dont le règne n'est pas de ce monde.
Où l’on retrouve Daniel (7, 13-14) : « Arriva comme un fils d'homme ; Il s'avança vers l'Ancien des jours, Et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ; Et tous les peuples, les nations et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle Qui ne passera pas, Et sa royauté ne sera jamais détruite. »
Une royauté qui n’est pas de ce monde : c’est bien un fils d’homme, dans toute l’humilité qui est dans ce nom-même en hébreu comme en français : humain, humus – qui dévoile l’éternité de celui dont le règne a été dévoilé dans l’humilité du Fils de l’Homme.
Daniel 7.13-14
13 Je regardais pendant mes visions nocturnes,
Et voici que sur les nuées du ciel
Arriva comme un fils d'homme ;
Il s'avança vers l'Ancien des jours,
Et on le fit approcher de lui.
14 On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ;
Et tous les peuples, les nations et les hommes de toutes langues le servirent.
Sa domination est une domination éternelle
Qui ne passera pas,
Et sa royauté ne sera jamais détruite.
Jean 18.33-37
33 Pilate rentra donc dans la résidence. Il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Judéens ? »
34 Jésus lui répondit : « Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ? »
35 Pilate lui répondit : « Est-ce que je suis Judéen, moi ? Ceux de ta nation, les grands prêtres, t'ont livré à moi ! Qu'as-tu fait ? »
36 Jésus répondit : « Ma royauté n'est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux pouvoirs judéens. Mais maintenant ma royauté n'est pas d'ici. »
37 Pilate lui dit alors : « Tu es donc roi ? » Jésus lui répondit : « Tu dis que je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »
*
L'actualité nous a placés devant une violence aveugle qui prétend s'autoriser du Dieu d'Abraham, référence commune des juifs, des chrétiens et des musulmans !
Mais un des moments fondateurs (Genèse 22) dans les textes concernant Abraham est précisément le refus radical de voir donner la mort au nom de Dieu ! C'est tout le trajet du récit qui nous conduit du moment où Abraham croit devoir sacrifier son fils à celui où Dieu arrête son geste. Ce moment qui se trouve aussi dans le Coran a pour fin de dire que pour le Dieu d'Abraham tuer en son nom déshonore son nom. C'est un moment commun aux trois traditions issues d'Abraham, le judaïsme qui y fonde son éthique, le christianisme qui relit le récit comme préfigurant la mort injuste de l'innocent en Jésus, l'islam qui commémore ce tournant religieux par l'aïd el-kébir. En commun, le refus de voir déshonorer le nom de Dieu en s’imaginant qu'il serait assoiffé de sang humain !
Face à la violence aveugle qu'a connue Paris ce vendredi, le deuil enduré, les traumatismes subis, un croyant au Dieu d'Abraham ne peut que se joindre aux larmes des victimes et de leurs proches et condamner une telle cruauté.
*
N'est-ce pas ce qui déshonore le nom de Dieu, tuer en son nom, qui est blasphème ? Voilà qui nous conduit de plain-pied dans le texte de l’Évangile de ce jour.
D’un côté une proclamation de la royauté de Dieu (Ps 93, 1 : « Le Seigneur est roi. Il est vêtu de majesté »), de l’autre l’affirmation que cette royauté se déploie dans un homme, dans l’image de Dieu comme vis-à-vis humain (Dn 7, 14 — l’Humain selon l’image de Dieu : « On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ») ; — et en écho Jésus qui affirme que la royauté dont il est question — et dont il se présente comme le témoin par excellence, témoin de la vérité (Jean 18, 37) —, cette royauté n’est pas de ce monde (Jn 18, 36).
Entre le règne éternel de Dieu et celui qui manifeste la façon dont l’homme en porte la marque et la délégation, se déploie la façon dont Dieu se connaît et se présente à nous : dans l’humilité.
*
Selon la liturgie luthérienne, ce dimanche est le dimanche de l’éternité. Éternité du Dieu qui ne se donne que dans la radicale humilité de celui dont le règne n’est pas de ce monde — connaissance de la vérité comme vis-à-vis : « je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Le règne d’éternité, le règne du Fils de l’homme, n’est pas de ce monde. C’est l’affirmation à laquelle nous conduit l’Évangile de ce jour.
*
Jésus aux prises avec Pilate, celui qui précisément représente le règne de ce monde, celui de César. Et qui donc — ça fait partie de sa tâche — entend tout comme parlant de ce monde : le règne dont il est question dans la parole de Dieu dont il a eu écho est donc pour lui forcément de ce monde : tu es le roi des Judéens m’ont dit d’aucuns — qui parlent pour cela de « blasphème ». On imagine l’œil ironique de Pilate : voilà en effet un roi, voire un « Fils de Dieu » qui n’a pas belle allure !
Avant d’aller plus loin dans ce texte, rappelons à nouveau qu’il n’y est pas question de querelle entre juifs et chrétiens. D’abord les chrétiens n’existent pas encore. Jésus est juif. Ensuite la traduction commune de la question de Pilate donnée en grec sur Jésus « roi des juifs » est vraiment sujette à caution : il n’y a pas de roi d’une religion, mais d’un pays ! Aussi le terme grec, qui a un double sens : Judéen, habitant de la Judée, ou juif, membre de la religion juive, doit évidemment ici être traduit par Judéen : on peut être présenté comme roi de la Judée, mais pas comme roi du judaïsme !
Bref, Pilate demande à Jésus s’il entend prendre la place d’Hérode, roi des Judéens en titre, oui ou non ?! Hérode étant l’allié des Romains, la puissance dominante, et de fait garante de l’ordre, on comprend que Pilate puisse être concerné. Mais comme il doute des capacités de ce… roi, qui ressemble si peu à un roi, à mener à bien un coup d’État, il invite Jésus à se prononcer lui-même sur ses prétentions politiques… Et n’obtient pas de réponse ! Le quiproquo est total !
D’un côté une question politico-diplomatique, le vrai motif de la condamnation de Jésus, en complicité entre autorités judéennes et romaines, malgré le scepticisme de Pilate qui cherche à se débarrasser cette affaire, et de l’autre l’affirmation juive, car le propos du juif Jésus est bien juif, sur la réalité, à une tout autre mesure, du règne de Dieu, ici dans un soulignement radical de l’humilité de Dieu.
Où l’on est renvoyé à un autre vis-à-vis : le vis-à-vis de l’éternité de Dieu et de son humanité, qui trouve dans l’histoire écho dès le Nouveau Testament dans un autre vis-à-vis, celui du judaïsme et de ce qui deviendra le christianisme : car il n’y a pas de christianisme sans judaïsme, sans judaïsme vivant. Jésus devant Pilate rend témoignage à la vérité, la vérité exprimée dans la Bible juive.
Le livre de Daniel nous donne une vision du règne de Dieu, règne décrit comme celui d'un fils d'homme, règne reçu auprès de l'Ancien des jours, Dieu. Dans l’Évangile de Jean, l’homme Jésus apparaît dans la faiblesse au jour où il comparait devant Pilate ; apparemment loin de l'éternité, l'Évangile de Jean nous parle d'un temps sombre. Il nous parle du présent, de notre présent, où ce règne éternel du Fils de l'Homme est voilé sous la douleur, sous l'humiliation, sous tout ce que l'on confronte d'inhumain et de douloureux. Là, Dieu se montre faible, dans le silence.
Et j’entends l’écho du théologien juif Hans Jonas nous interrogeant sur « le concept de Dieu après Auschwitz ». Tout sauf régnant, comme le Dieu dont Jésus nous présente le visage devant Pilate. Le voilà en proie à un destin, aujourd’hui celui de Jésus devant Pilate, qui apparemment lui échappe ! Ici, ce sont les pouvoirs humains, particulièrement en la personne de Pilate, qui sont forts. Ici Dieu est voilé dans le Christ sous son apparente impuissance. Voilé, et révélé. Car précisément, là est la façon dont Dieu règne, d’un règne qui n’est pas de l’ordre des règnes de ce monde…
*
… Il est celui qui nous a rejoints, qui a revêtu notre humanité. Toujours le vis-à-vis de l’infini et de l’humilité, présent dans le Christ.
Un vis-à-vis intime de Dieu et de l’humanité dans le Christ. Où l’on sait que dans le Christ humilié, l'image de Dieu est de l’ordre du dévoilement de celui qui est voilé devant Pilate dans l'humanité blessée de celui dont le règne n'est pas de ce monde.
Où l’on retrouve Daniel (7, 13-14) : « Arriva comme un fils d'homme ; Il s'avança vers l'Ancien des jours, Et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ; Et tous les peuples, les nations et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle Qui ne passera pas, Et sa royauté ne sera jamais détruite. »
Une royauté qui n’est pas de ce monde : c’est bien un fils d’homme, dans toute l’humilité qui est dans ce nom-même en hébreu comme en français : humain, humus – qui dévoile l’éternité de celui dont le règne a été dévoilé dans l’humilité du Fils de l’Homme.
RP, Châtellerault, 22.11.15
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire