dimanche 28 mai 2017

"Cette gloire que j’avais avant que le monde fût"




Actes 1, 12-14 ; Psaume 27 ; 1 Pierre 4, 13-16 ; Jean 17, 1-11

Jean 17, 1-11
1 Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie
2 et que, selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire.
5 Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 "J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés et ils ont observé ta parole.
7 Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données. Ils les ont reçues, ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi,
10 et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi, et j’ai été glorifié en eux.
11 Désormais je ne suis plus dans le monde ; eux restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous sommes un.

*

Retour sur le jeudi de l’Ascension : dans cette glorification du Christ annoncée par l’Évangile de Jean, le départ du Christ qui est sa mort, sa crucifixion, se superpose à son Ascension. Apparaissent deux plans : au premier plan la croix et la mort, à l’arrière plan, comme par transparence, l’Ascension.

Dans l’Ascension comme dans la crucifixion, le Christ est « enlevé » (Actes 1, 2). « Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt la venue en gloire.

L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence — il ne faut pas imaginer cette élévation comme un déplacement physique vers le haut qui conduirait le Christ à une droite de Dieu « géographique » : Dieu est dans un au-delà infini : une élévation comme déplacement physique durerait indéfiniment ! Et d'autre part, Dieu est universellement présent : la droite de Dieu est partout ! Et de plus le Christ ressuscité emplit lui-même corporellement toutes choses. L'Ascension est un départ, déjà signifié par la Croix.

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent, il est aussi à présent, comme le Père, absent, caché.

Cette « absence » a plusieurs sens. Elle est d'abord signe de son règne, de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui. Le culte biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, et celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l'Exode (25, 40). Moïse devait établir le Tabernacle terrestre sur le modèle du Tabernacle céleste qui lui était présenté et dans lequel, selon l'Épître aux Hébreux, officie le Christ. C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort, et, après ce premier retour qu'est sa résurrection, signifié à nouveau dans l'Ascension. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée.

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Mais derrière l'expression de son règne, une autre signification transparaît en ce que nous sommes mystérieusement appelés à suivre le Christ dans le Tabernacle céleste. Nous aussi nous devons croître à son image, et entrer dans l'unité du Père et du Fils (Jean 17, 11).

C'est en ce sens que le départ de Jésus est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus… qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. Et on lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Le mal dont Jésus subira les assauts : le départ du Christ, avant l'Ascension, est d'abord sa crucifixion. Parti, mais dès lors, nous laissant la place, il nous permet de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

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Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire en ces temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume. C'est en quelque sorte l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour s'approche de son entrée dans le repos de Dieu. En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour de nous-mêmes, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l'habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l'image qu'a forgée de nous notre histoire, à travers nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de leur plaire, de les séduire ; que nous nous retirions aussi de notre volonté de nous différencier d'eux. L’Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté qui rend possible de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer ni haïr en réaction.

Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de plaire, ou nos volontés de nous démarquer.

C'est là seulement que se complète notre création à l'image de Dieu. C'est là seulement qu'est notre entrée avec le Christ dans le Tabernacle éternel où nous sommes consacrés à officier dans le repos de Dieu. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.

Que ce jour soit pour nous vraie occasion d'une prière de retrait en Dieu — de sorte que l'Esprit de Dieu lui-même soit le souffle qui nous fasse accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu.


RP, Châtellerault, 28.05.17


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