Esaïe 62.1-5 ; Psaume 96 ; 1 Corinthiens 12.4-11 ; Jean 2.1-12
Jean 2, 1-12
Nous voilà à une fête de mariage célébrée parmi des amis de la mère de Jésus, où il est invité aussi, ainsi que ses disciples. Les noces sont alors un événement considérable, qui dure toute la semaine ; et on n’invite pas seulement les amis, mais les amis des amis, qui se trouvent naturellement en pareille circonstance être eux-mêmes des amis et avoir aussi des amis qui du coup accèdent aussi au cercle des amis. La joie s'étend aux cercles les plus larges.
Société du partage, qui déborde tout particulièrement dans la joie ; un peu comme celle que donne l'Esprit saint, et qui ne connaît pas de calculs ni de lendemains, surtout, précisément, dans la joie. Jésus fera allusion à cela en évoquant, dans la parabole des noces, les invités du bord du chemin.
La famille en joie veut du monde pour partager sa joie. Et veut y prendre du temps. Ici la fête a beaucoup duré. Et voilà que le vin vient à manquer. La famille est au bord de l’humiliation. Les convives sont en passe de ne pas être honorés comme il se doit. Non pas que le maître ait été chiche, ou plus pauvre qu'il aurait voulu le laisser paraître, mais plutôt que la joie ayant été très grande, le vin a beaucoup coulé.
Fête tout humaine : il ne s’agit pas d’une bénédiction nuptiale — la bénédiction, chose qui n’existera pas dans l’Église avant le Ve siècle, concerne dans le rite juif uniquement le premier jour, qui précède les sept jours de fête — ; il s'agit de la fête qui suit, où l'on trouve Jésus — un temps tout à fait profane ; moment qui n’en réfère pas moins au précepte de la Genèse sur l’homme et la femme : soyez féconds et multipliez-vous — d’où le signe de l’abondance de la fête…
Il y a un temps pour tout, y compris pour la fête, qui n'a pas à être bridée parce que ce n'est pas tous les jours la fête, au contraire précisément, et tant pis pour les lendemains. Le Dieu qui pourvoit à la joie pourvoit à plus forte raison au quotidien. « Ne vous inquiétez pas pour vos lendemains, remettez cela à Dieu », dit Jésus.
… Et le vin vient à manquer avant qu'il n'ait suffisamment réjoui le cœur des participants. La nouvelle du problème commence à courir. On s'informe l'un l'autre : la fête risque bien d'être abrégée. Où apparaissent quelques incongruités, apparemment, du récit : une simple invitée, Marie, qui désigne Jésus aux serviteurs comme devant lui obéir, comme s'il était le maître du repas, ou le marié ! Lui qui, invité aussi, devient alors en effet comme le cœur caché de la fête. Tout est bouleversé. Marie ayant informé son fils, voilà de la part de Jésus une réaction étrange, d'abord à l'égard de sa mère.
Mais pourtant, Jésus perçoit cette information comme une interpellation. Venu en ce monde pour ce monde, ce qui l'entoure l'interpelle. Combien de fois ne le voyons-nous pas faire des miracles par compassion, apparemment à côté du sens qui est celui de tous ses miracles. Apparemment seulement, parce que fussent-ils œuvres de compassion, les miracles de Jésus sont toujours chargés d'une plénitude de sens qui en fait autant de portes ouvertes sur la vie spirituelle. Ce sens est d'ailleurs sans doute fort lié à ce que le monde l'interpelle — comme on dit —, ne le laisse pas indifférent.
La fin de la fête, la fin qui s'annonce, ne le laisse pas non plus indifférent. La fin de nos fêtes. Pourquoi faut-il que nos fêtes, nos joies, se terminent toujours ? Pourquoi faut-il que ce qui commence par des chants se termine dans la frustration, dans la tristesse, en manque du vin qui réjouit le cœur de l'homme ? Cette noce, par exemple, se terminera.
À regarder plus loin, plus tard, elle se terminera mal comme toute noce, de toute façon par un deuil — il faudra se quitter lorsque, au mieux après la vieillesse, la mort viendra frapper.
Réalité tout humaine, qui a inspiré au poète allemand Reiner Kunze ces mots émouvants : « Meurs avant moi, juste un peu / avant / Afin que ce ne soit pas toi / qui aies à revenir seule / sur le chemin de la maison ».
Il faudra bien quitter ce monde, se quitter l'un l'autre, arraché l'un à l'autre par la douleur de la mort, la joie tournera en deuil, comme la fête tourne court dans le manque de vin.
Alors Jésus donne le signe de ce qu'il est lui-même la fête éternelle, la fête où le vin ne vient jamais à manquer. Dans sa conscience de la prochaine fin de la fête qui est au cœur de toutes nos fêtes, Jésus s'interpose ; il s'interpose contre le scandale du fatal manque de vin. Alors son sang bientôt coulera, vin de joie de la fête éternelle.
Qu'en savent les hommes, qu'en sait sa mère ? D'où sa façon de lui répondre : qu'y a-t-il entre toi et moi ? Toi tu es de la terre ; quant à moi qui sais le remède à la douleur des fêtes passagères, des noces promises au deuil, mon heure n'est pas encore venue, l'heure où mon sang coulera comme un vin nouveau pour le salut du monde.
C'est ce que Jésus va signifier par son miracle, attestant qu'il vit lui-même au-delà des fêtes passagères, et qu'il fait entrer dans cet au-delà ceux qui, au cœur de leur fête, savent goûter le vin de l'alliance renouvelée, alliance éternellement nouvelle, qui purifie mieux que l'eau de toutes les aspersions dont sont remplies les jarres des purifications.
Car c'est bien de jarres de purification qu'il s'agit. Changer cette eau-là en vin, cette eau qu'il fait verser dans ces jarres-là, n'est pas le fait du hasard de la part de Jésus. Par lui prend place la joie éternelle de l'Alliance, où le meilleur des vins de fête ne vient jamais à manquer. Au cœur de l'Alliance. C'est là la dimension où Jésus resitue la question de sa mère. On est dans un monde nouveau, nouveaux cieux, nouvelle terre écrivait Esaïe, où l'on vient par le mystère de la foi.
Dès lors tout est à double sens.
L'étonnement de l'organisateur devant la qualité de ce vin servi en fin de fête, par exemple : au premier plan, il s'agit d'une stricte interrogation sur le pourquoi de cette façon de faire : servir le bon vin à la fin. À un autre plan, il nous est indiqué que là est l'entrée dans l'alliance du Royaume, de la joie éternelle.
La façon dont Jésus répond apparemment sèchement à sa mère est aussi à double sens pour nous : adressée à celle qui n'entre que partiellement dans la pensée de celui qui pour être son fils n'en est pas moins son Dieu, cette parole vaut aussi et a fortiori pour nous, qui n'avons pourtant pas le bénéfice d'une telle grâce.
La foi, qui permet à ses disciples de saisir dans le miracle la gloire de Jésus, relève d'un étonnement devant le Dieu qui agit par où on ne l'attendrait pas, c'est-à-dire peut-être, d'un Dieu tout à fait libre par rapport aux conseils que l'on voudrait lui donner, par rapport aux façons d'agir que l'on voudrait lui suggérer à demi-mot — « ils n'ont plus de vin, tu sais ce qu'il te reste à faire ».
Prenons garde : il est des prières exaucées dont le sens sera pour nous plus dérangeant qu'une absence de réponse, des exaucements qui vont nous obliger à des bouleversements que nous ne prévoyons pas en formulant ces prières, des bouleversements tels que si nous les avions connus d'abord, nous nous serions peut-être abstenus de ces prières-là.
Et il est des façons de souffler à Dieu ce qu'il devrait nous enseigner, c'est-à-dire ce que l'on a l'habitude d'entendre — vieilles jarres comme vieilles outres.
C'est nous que Jésus appelle aujourd’hui encore à avoir part à l'ivresse spirituelle du vin nouveau. C'est toujours nous qu’il vise à travers cet attachement à des jarres que Dieu veut remplir du vin le meilleur.
Là seulement est le remède à notre aveuglement, qui est cette certitude que la fête doit finir le jour où finit le vin de nos vieilles outres. Nous sommes alors appelés à goûter ce vin qui ne peut que faire éclater nos vieilles outres, emplir d'ivresse nos vieilles jarres.
Dieu a gardé ce bon vin qu'il nous dévoile — aujourd'hui, — car il y a encore un aujourd'hui. Il nous le dévoile aujourd'hui encore en Jésus pour nous enivrer de sa présence qui ne finit jamais, pour nous préparer aux noces éternelles.
Jean 2, 1-12
1 Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là.
2 Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples.
3 Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit: "Ils n’ont pas de vin."
4 Mais Jésus lui répondit : « Que me veux-tu, femme? Mon heure n’est pas encore venue. »
5 Sa mère dit aux serviteurs : « Quoi qu’il vous dise, faites-le. »
6 Il y avait là six jarres de pierre destinées aux purifications rituelles; elles contenaient chacune de deux à trois mesures.
7 Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau ces jarres » ; et ils les emplirent jusqu’au bord.
8 Jésus leur dit : « Maintenant puisez et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent,
9 et il goûta l’eau devenue vin — il ne savait pas d’où il venait, à la différence des serviteurs qui avaient puisé l’eau, aussi il s’adresse au marié
10 et lui dit : « Tout le monde offre d’abord le bon vin et, lorsque les convives sont gris, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ! »
11 Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
12 Après quoi, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples; mais ils n’y restèrent que peu de jours.
*
Nous voilà à une fête de mariage célébrée parmi des amis de la mère de Jésus, où il est invité aussi, ainsi que ses disciples. Les noces sont alors un événement considérable, qui dure toute la semaine ; et on n’invite pas seulement les amis, mais les amis des amis, qui se trouvent naturellement en pareille circonstance être eux-mêmes des amis et avoir aussi des amis qui du coup accèdent aussi au cercle des amis. La joie s'étend aux cercles les plus larges.
Société du partage, qui déborde tout particulièrement dans la joie ; un peu comme celle que donne l'Esprit saint, et qui ne connaît pas de calculs ni de lendemains, surtout, précisément, dans la joie. Jésus fera allusion à cela en évoquant, dans la parabole des noces, les invités du bord du chemin.
La famille en joie veut du monde pour partager sa joie. Et veut y prendre du temps. Ici la fête a beaucoup duré. Et voilà que le vin vient à manquer. La famille est au bord de l’humiliation. Les convives sont en passe de ne pas être honorés comme il se doit. Non pas que le maître ait été chiche, ou plus pauvre qu'il aurait voulu le laisser paraître, mais plutôt que la joie ayant été très grande, le vin a beaucoup coulé.
Fête tout humaine : il ne s’agit pas d’une bénédiction nuptiale — la bénédiction, chose qui n’existera pas dans l’Église avant le Ve siècle, concerne dans le rite juif uniquement le premier jour, qui précède les sept jours de fête — ; il s'agit de la fête qui suit, où l'on trouve Jésus — un temps tout à fait profane ; moment qui n’en réfère pas moins au précepte de la Genèse sur l’homme et la femme : soyez féconds et multipliez-vous — d’où le signe de l’abondance de la fête…
Il y a un temps pour tout, y compris pour la fête, qui n'a pas à être bridée parce que ce n'est pas tous les jours la fête, au contraire précisément, et tant pis pour les lendemains. Le Dieu qui pourvoit à la joie pourvoit à plus forte raison au quotidien. « Ne vous inquiétez pas pour vos lendemains, remettez cela à Dieu », dit Jésus.
… Et le vin vient à manquer avant qu'il n'ait suffisamment réjoui le cœur des participants. La nouvelle du problème commence à courir. On s'informe l'un l'autre : la fête risque bien d'être abrégée. Où apparaissent quelques incongruités, apparemment, du récit : une simple invitée, Marie, qui désigne Jésus aux serviteurs comme devant lui obéir, comme s'il était le maître du repas, ou le marié ! Lui qui, invité aussi, devient alors en effet comme le cœur caché de la fête. Tout est bouleversé. Marie ayant informé son fils, voilà de la part de Jésus une réaction étrange, d'abord à l'égard de sa mère.
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Mais pourtant, Jésus perçoit cette information comme une interpellation. Venu en ce monde pour ce monde, ce qui l'entoure l'interpelle. Combien de fois ne le voyons-nous pas faire des miracles par compassion, apparemment à côté du sens qui est celui de tous ses miracles. Apparemment seulement, parce que fussent-ils œuvres de compassion, les miracles de Jésus sont toujours chargés d'une plénitude de sens qui en fait autant de portes ouvertes sur la vie spirituelle. Ce sens est d'ailleurs sans doute fort lié à ce que le monde l'interpelle — comme on dit —, ne le laisse pas indifférent.
La fin de la fête, la fin qui s'annonce, ne le laisse pas non plus indifférent. La fin de nos fêtes. Pourquoi faut-il que nos fêtes, nos joies, se terminent toujours ? Pourquoi faut-il que ce qui commence par des chants se termine dans la frustration, dans la tristesse, en manque du vin qui réjouit le cœur de l'homme ? Cette noce, par exemple, se terminera.
À regarder plus loin, plus tard, elle se terminera mal comme toute noce, de toute façon par un deuil — il faudra se quitter lorsque, au mieux après la vieillesse, la mort viendra frapper.
Réalité tout humaine, qui a inspiré au poète allemand Reiner Kunze ces mots émouvants : « Meurs avant moi, juste un peu / avant / Afin que ce ne soit pas toi / qui aies à revenir seule / sur le chemin de la maison ».
Il faudra bien quitter ce monde, se quitter l'un l'autre, arraché l'un à l'autre par la douleur de la mort, la joie tournera en deuil, comme la fête tourne court dans le manque de vin.
Alors Jésus donne le signe de ce qu'il est lui-même la fête éternelle, la fête où le vin ne vient jamais à manquer. Dans sa conscience de la prochaine fin de la fête qui est au cœur de toutes nos fêtes, Jésus s'interpose ; il s'interpose contre le scandale du fatal manque de vin. Alors son sang bientôt coulera, vin de joie de la fête éternelle.
Qu'en savent les hommes, qu'en sait sa mère ? D'où sa façon de lui répondre : qu'y a-t-il entre toi et moi ? Toi tu es de la terre ; quant à moi qui sais le remède à la douleur des fêtes passagères, des noces promises au deuil, mon heure n'est pas encore venue, l'heure où mon sang coulera comme un vin nouveau pour le salut du monde.
C'est ce que Jésus va signifier par son miracle, attestant qu'il vit lui-même au-delà des fêtes passagères, et qu'il fait entrer dans cet au-delà ceux qui, au cœur de leur fête, savent goûter le vin de l'alliance renouvelée, alliance éternellement nouvelle, qui purifie mieux que l'eau de toutes les aspersions dont sont remplies les jarres des purifications.
Car c'est bien de jarres de purification qu'il s'agit. Changer cette eau-là en vin, cette eau qu'il fait verser dans ces jarres-là, n'est pas le fait du hasard de la part de Jésus. Par lui prend place la joie éternelle de l'Alliance, où le meilleur des vins de fête ne vient jamais à manquer. Au cœur de l'Alliance. C'est là la dimension où Jésus resitue la question de sa mère. On est dans un monde nouveau, nouveaux cieux, nouvelle terre écrivait Esaïe, où l'on vient par le mystère de la foi.
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Dès lors tout est à double sens.
L'étonnement de l'organisateur devant la qualité de ce vin servi en fin de fête, par exemple : au premier plan, il s'agit d'une stricte interrogation sur le pourquoi de cette façon de faire : servir le bon vin à la fin. À un autre plan, il nous est indiqué que là est l'entrée dans l'alliance du Royaume, de la joie éternelle.
La façon dont Jésus répond apparemment sèchement à sa mère est aussi à double sens pour nous : adressée à celle qui n'entre que partiellement dans la pensée de celui qui pour être son fils n'en est pas moins son Dieu, cette parole vaut aussi et a fortiori pour nous, qui n'avons pourtant pas le bénéfice d'une telle grâce.
La foi, qui permet à ses disciples de saisir dans le miracle la gloire de Jésus, relève d'un étonnement devant le Dieu qui agit par où on ne l'attendrait pas, c'est-à-dire peut-être, d'un Dieu tout à fait libre par rapport aux conseils que l'on voudrait lui donner, par rapport aux façons d'agir que l'on voudrait lui suggérer à demi-mot — « ils n'ont plus de vin, tu sais ce qu'il te reste à faire ».
Prenons garde : il est des prières exaucées dont le sens sera pour nous plus dérangeant qu'une absence de réponse, des exaucements qui vont nous obliger à des bouleversements que nous ne prévoyons pas en formulant ces prières, des bouleversements tels que si nous les avions connus d'abord, nous nous serions peut-être abstenus de ces prières-là.
Et il est des façons de souffler à Dieu ce qu'il devrait nous enseigner, c'est-à-dire ce que l'on a l'habitude d'entendre — vieilles jarres comme vieilles outres.
C'est nous que Jésus appelle aujourd’hui encore à avoir part à l'ivresse spirituelle du vin nouveau. C'est toujours nous qu’il vise à travers cet attachement à des jarres que Dieu veut remplir du vin le meilleur.
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Là seulement est le remède à notre aveuglement, qui est cette certitude que la fête doit finir le jour où finit le vin de nos vieilles outres. Nous sommes alors appelés à goûter ce vin qui ne peut que faire éclater nos vieilles outres, emplir d'ivresse nos vieilles jarres.
Dieu a gardé ce bon vin qu'il nous dévoile — aujourd'hui, — car il y a encore un aujourd'hui. Il nous le dévoile aujourd'hui encore en Jésus pour nous enivrer de sa présence qui ne finit jamais, pour nous préparer aux noces éternelles.
RP, Poitiers, 20.01.19