Exode 17, 8-13 ; Psaume 121 ; 2 Timothée 3, 14-4, 2 ; Luc 18, 1-8
Luc 18, 1-8
« Prier », le mot français vient du latin « precarius » : 1) qu’on obtient par la prière ou par faveur ; 2) précaire, passager ; 3) étranger. Notre mot « précaire » est dérivé du mot prière. La prière donne conscience de la précarité. Le priant se découvre précaire… Comme la veuve de notre parabole qui, elle, prie le juge parce que sa situation est précaire.
Il n’y a pas plus précaire qu'une veuve au temps du Nouveau Testament. Une veuve manque de tout (de cela naissent les premières communautés religieuses féminines dans les Actes des Apôtres — ch. 6 : organiser la solidarité pour les veuves), à l’époque où Jésus parle, comme aujourd’hui en bien des lieux. Et face à cela, voici un juge au comportement désagréable, sourd à la précarité, sourd à sa précarité.
On peut s'étonner de ce que Jésus ait choisi un tel exemple pour exhorter ses disciples à la prière. Ce juge peu scrupuleux n'a décidément rien d'exemplaire, il représente bien peu celui qu'il est censé représenter ici, à savoir Dieu…
Mais il serait sans doute aussi mal venu de notre part d'escamoter la parabole et de glisser rapidement sur ce qui pourrait nous y déranger en nous contentant d'admirer la persévérance de la veuve sans tenir compte de ce face à quoi elle persévère.
Et si Jésus nous invitait ici à prier Dieu contre la façon dont on se représente Dieu ? Non pas prier pour m'attirer ses bonnes grâces ou au nom du devoir accompli qui me donnerait l'illusion de n'être pas, ou plus, précaire ; mais prier contre la conception de Dieu que cela suppose. Une prière qui se dresse comme un refus du mal qu’il semblerait m’envoyer, refus de la souffrance, l'injustice, la mort, ou sa menace, comme l'intercession de Moïse (Ex 17) face à Amalek qui représente le Mal.
À être bien attentifs au texte et aux propos clairs de Jésus aux versets 7 et 8 — « Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ?… Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. » —, on comprend qu’il est fait allusion ici à la question de la rédemption, le rachat, de son peuple exilé loin de lui — « ses élus » ! Rédemption par rapport à cette situation précaire d'exilé. La rédemption, le rachat dont Jésus est porteur est celui d'un peuple conscient de son exil. « Pas de ce monde », ce monde où il a perdu sa liberté et où il connaît la souffrance de l’oppression au quotidien.
Car si l'exil babylonien a alors cessé pour Israël, ce n'est que pour des situations ambivalentes, qui font que le peuple attend toujours sa délivrance. Et à l'époque du Nouveau Testament, un Jean le Baptiste prêchant le repentir n'annonce rien d'autre, en citant Ésaïe, que la fin de l'exil.
Déjà au plan strictement politique, la liberté des élus est alors largement compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais en outre, et les plus fervents des fidèles ne cessent de le rappeler, cet exil est en fin de compte le signe dans l’histoire d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, la douleur, le péché et la culpabilité. Exil loin de Dieu !
Et au-delà de toutes les délivrances, c'est de la délivrance de cette captivité-là que Jésus se veut porteur. Et c'est pour cette justice-là, pour être rachetés de cet exil, que « les élus crient à Dieu nuit et jour » (v.7). Dieu tarderait-il ?
Pour la veuve, figure d'Israël en exil, coupée de son Dieu, l'attitude du juge demeure incompréhensible, et en tout cas ne trouve pas d'explication dans son attitude à elle. Tout comme Job : les explications de ses amis n'expliquent rien.
Il ne nous reste qu'à nous rendre au constat de Job : « Dieu m'a saisi par la nuque et m'a brisé » (Job 16, 12), constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel il ne perçoit qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25).
C'est encore la leçon de Paul : Dieu a soumis la Création à la vanité, à l'évanescence, et à la douleur, avec une espérance : sa libération ! (Ro 8, 20-22).
Nous voilà au cœur de la prière, qui monte à Dieu depuis notre précarité : que ton règne vienne… délivre-nous du mal, du malin.
Ici, on retrouve notre parabole avec tout son poids et son mystère. Une veuve, totalement dépouillée, précaire comme on ne peut plus. Il est des choses qui nous semblent bien étranges, bien injustes, dignes de révolte… Ou dignes de combat, de lutte spirituelle.
Au départ, la révolte contre le mal — révolte préférable aux tentatives d'explications de toutes sortes : Dieu donnera tort à ses amis prolixes en explications diverses, contre Job qui se révolte face au mal qui l'atteint. Mais à Job, Dieu ne reprochera que son ignorance.
Jésus dans notre parabole nous mène à la rencontre de la leçon du livre de Job. Il ne nous invite pas à disserter face à ce qui tient finalement du scandale : ce juge est désagréable. Il ressemble au Dieu qui nous semble muet et sourd à nos malheurs.
Face à ce présent lourd, accablant, il s’agit de persévérer dans la foi — l'exil aura son terme, l'errance prendra fin. Pour cela, il s’agit de plaider, pour obtenir la justice de la foi, proche de se manifester. Cette persévérance devant Dieu suppose de ne pas se décourager. Les réalités sont souvent dures ; ou deviennent évanescentes, en des jours où l'on peut aller jusqu'à voir disparaître sous leur mise en doute l'existence historique de bien des choses : des personnages bibliques, jusqu'à Jésus (cf. la thèse dite « mythiste »), des événements historiques (depuis l'Antiquité et le Moyen Âge quand on voit mettre en doute l'existence de faits et de leurs sources auparavant reconnus, jusqu'à l'époque contemporaine, même toute récente, où par ex. la réalité des attaques du 11/09 est remise en cause). Le réel s'estompe dans un passé devenu diaphane.
La souffrance de la veuve elle-même, Israël en exil, peut aller jusqu'à être mise en doute, jusqu'aux récentes thèses négationnistes, pire que toutes les négations puisqu'elles peuvent aller jusqu'à entraîner un retour du pire. Le combat qui se mène dans ce temps d'exil est un combat difficile ; l’adversité est bien présente. Mais la forme la plus subtile de l’adversité est encore le découragement — surtout quand tout semble s'effondrer, jusqu'au réel lui-même. Saurons-nous garder les cœurs levés dans la prière (comme Moïse les bras levés — Ex 17) ? C'est la question que pose Jésus : « quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Il s’agit bien là d’un combat, combat de l’Église, combat peu visible — dont la source cachée est le secret de « la chambre intérieure de ton cœur » — « lorsque tu pries, entre dans le secret de ta chambre intérieure, et ferme la porte » dit Jésus.
C'est d'une lutte qu'il s'agit, une lutte spirituelle dont nous sommes les combattants, apparemment contre la raison dévoyée et contre le réel qui semble disparaître, contre ce que nous ressentons même, contre les images de Dieu qui sont les nôtres — telle l'image de ce juge sourd — : le fondement de ce combat est la foi, foi en la promesse, foi comme obéissance : « veillez et priez ».
Reste alors une seule question : « Mais quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Luc 18, 1-8
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit : "Il y avait dans une ville un juge qui n’avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui venait lui dire : Rends-moi justice contre mon adversaire.
4 Il s’y refusa longtemps. Et puis il se dit : Même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien ! parce que cette veuve m’ennuie, je vais lui rendre justice, pour qu’elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.
6 Le Seigneur ajouta : "Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Et il les fait attendre !
8 Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?"
*
« Prier », le mot français vient du latin « precarius » : 1) qu’on obtient par la prière ou par faveur ; 2) précaire, passager ; 3) étranger. Notre mot « précaire » est dérivé du mot prière. La prière donne conscience de la précarité. Le priant se découvre précaire… Comme la veuve de notre parabole qui, elle, prie le juge parce que sa situation est précaire.
Il n’y a pas plus précaire qu'une veuve au temps du Nouveau Testament. Une veuve manque de tout (de cela naissent les premières communautés religieuses féminines dans les Actes des Apôtres — ch. 6 : organiser la solidarité pour les veuves), à l’époque où Jésus parle, comme aujourd’hui en bien des lieux. Et face à cela, voici un juge au comportement désagréable, sourd à la précarité, sourd à sa précarité.
On peut s'étonner de ce que Jésus ait choisi un tel exemple pour exhorter ses disciples à la prière. Ce juge peu scrupuleux n'a décidément rien d'exemplaire, il représente bien peu celui qu'il est censé représenter ici, à savoir Dieu…
Mais il serait sans doute aussi mal venu de notre part d'escamoter la parabole et de glisser rapidement sur ce qui pourrait nous y déranger en nous contentant d'admirer la persévérance de la veuve sans tenir compte de ce face à quoi elle persévère.
Et si Jésus nous invitait ici à prier Dieu contre la façon dont on se représente Dieu ? Non pas prier pour m'attirer ses bonnes grâces ou au nom du devoir accompli qui me donnerait l'illusion de n'être pas, ou plus, précaire ; mais prier contre la conception de Dieu que cela suppose. Une prière qui se dresse comme un refus du mal qu’il semblerait m’envoyer, refus de la souffrance, l'injustice, la mort, ou sa menace, comme l'intercession de Moïse (Ex 17) face à Amalek qui représente le Mal.
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À être bien attentifs au texte et aux propos clairs de Jésus aux versets 7 et 8 — « Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ?… Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite. » —, on comprend qu’il est fait allusion ici à la question de la rédemption, le rachat, de son peuple exilé loin de lui — « ses élus » ! Rédemption par rapport à cette situation précaire d'exilé. La rédemption, le rachat dont Jésus est porteur est celui d'un peuple conscient de son exil. « Pas de ce monde », ce monde où il a perdu sa liberté et où il connaît la souffrance de l’oppression au quotidien.
Car si l'exil babylonien a alors cessé pour Israël, ce n'est que pour des situations ambivalentes, qui font que le peuple attend toujours sa délivrance. Et à l'époque du Nouveau Testament, un Jean le Baptiste prêchant le repentir n'annonce rien d'autre, en citant Ésaïe, que la fin de l'exil.
Déjà au plan strictement politique, la liberté des élus est alors largement compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais en outre, et les plus fervents des fidèles ne cessent de le rappeler, cet exil est en fin de compte le signe dans l’histoire d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, la douleur, le péché et la culpabilité. Exil loin de Dieu !
Et au-delà de toutes les délivrances, c'est de la délivrance de cette captivité-là que Jésus se veut porteur. Et c'est pour cette justice-là, pour être rachetés de cet exil, que « les élus crient à Dieu nuit et jour » (v.7). Dieu tarderait-il ?
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Pour la veuve, figure d'Israël en exil, coupée de son Dieu, l'attitude du juge demeure incompréhensible, et en tout cas ne trouve pas d'explication dans son attitude à elle. Tout comme Job : les explications de ses amis n'expliquent rien.
Il ne nous reste qu'à nous rendre au constat de Job : « Dieu m'a saisi par la nuque et m'a brisé » (Job 16, 12), constat douloureux, incompréhensible, révoltant, face auquel il ne perçoit qu'un recours, apparemment aussi étrange : « C'est Dieu que j'implore avec larmes » (16, 20) ; recours scellé dans une certitude : « je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera au dernier jour » (19, 25).
C'est encore la leçon de Paul : Dieu a soumis la Création à la vanité, à l'évanescence, et à la douleur, avec une espérance : sa libération ! (Ro 8, 20-22).
Nous voilà au cœur de la prière, qui monte à Dieu depuis notre précarité : que ton règne vienne… délivre-nous du mal, du malin.
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Ici, on retrouve notre parabole avec tout son poids et son mystère. Une veuve, totalement dépouillée, précaire comme on ne peut plus. Il est des choses qui nous semblent bien étranges, bien injustes, dignes de révolte… Ou dignes de combat, de lutte spirituelle.
Au départ, la révolte contre le mal — révolte préférable aux tentatives d'explications de toutes sortes : Dieu donnera tort à ses amis prolixes en explications diverses, contre Job qui se révolte face au mal qui l'atteint. Mais à Job, Dieu ne reprochera que son ignorance.
Jésus dans notre parabole nous mène à la rencontre de la leçon du livre de Job. Il ne nous invite pas à disserter face à ce qui tient finalement du scandale : ce juge est désagréable. Il ressemble au Dieu qui nous semble muet et sourd à nos malheurs.
Face à ce présent lourd, accablant, il s’agit de persévérer dans la foi — l'exil aura son terme, l'errance prendra fin. Pour cela, il s’agit de plaider, pour obtenir la justice de la foi, proche de se manifester. Cette persévérance devant Dieu suppose de ne pas se décourager. Les réalités sont souvent dures ; ou deviennent évanescentes, en des jours où l'on peut aller jusqu'à voir disparaître sous leur mise en doute l'existence historique de bien des choses : des personnages bibliques, jusqu'à Jésus (cf. la thèse dite « mythiste »), des événements historiques (depuis l'Antiquité et le Moyen Âge quand on voit mettre en doute l'existence de faits et de leurs sources auparavant reconnus, jusqu'à l'époque contemporaine, même toute récente, où par ex. la réalité des attaques du 11/09 est remise en cause). Le réel s'estompe dans un passé devenu diaphane.
La souffrance de la veuve elle-même, Israël en exil, peut aller jusqu'à être mise en doute, jusqu'aux récentes thèses négationnistes, pire que toutes les négations puisqu'elles peuvent aller jusqu'à entraîner un retour du pire. Le combat qui se mène dans ce temps d'exil est un combat difficile ; l’adversité est bien présente. Mais la forme la plus subtile de l’adversité est encore le découragement — surtout quand tout semble s'effondrer, jusqu'au réel lui-même. Saurons-nous garder les cœurs levés dans la prière (comme Moïse les bras levés — Ex 17) ? C'est la question que pose Jésus : « quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Il s’agit bien là d’un combat, combat de l’Église, combat peu visible — dont la source cachée est le secret de « la chambre intérieure de ton cœur » — « lorsque tu pries, entre dans le secret de ta chambre intérieure, et ferme la porte » dit Jésus.
C'est d'une lutte qu'il s'agit, une lutte spirituelle dont nous sommes les combattants, apparemment contre la raison dévoyée et contre le réel qui semble disparaître, contre ce que nous ressentons même, contre les images de Dieu qui sont les nôtres — telle l'image de ce juge sourd — : le fondement de ce combat est la foi, foi en la promesse, foi comme obéissance : « veillez et priez ».
Reste alors une seule question : « Mais quand le Fils de l'Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
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1 […] Je lève les yeux vers les montagnes. D'où me viendra le secours ?
2 Le secours me vient du SEIGNEUR, qui a fait les cieux et la terre.
3 Il ne te laissera pas vaciller sur tes jambes ; celui qui te garde ne sommeille pas.
4 Non, il ne sommeille ni ne dort, celui qui garde Israël.
5 C'est le SEIGNEUR qui te garde, le SEIGNEUR est ton ombre à ton côté.
6 Le jour, le soleil ne te frappera pas, ni la lune pendant la nuit.
7 Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie ;
8 le SEIGNEUR te gardera lorsque tu sortiras et lorsque tu rentreras, dès maintenant et pour toujours.(Psaume 121)
R.P., Poitiers, 20/10/19
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