2 Rois 5, 14-17 ; Psaume 98 ; 2 Timothée 2, 8-13 ; Luc 17, 11-19
2 Rois 5, 14-17
Luc 17, 11-19
Dix lépreux guéris, plus un, le général syrien Naamân. Voyons d'abord le cas de Naamân. Lépreux, Naamân est par ailleurs chef de l’armée d’un pays qui est alors dans les plus mauvais termes avec Israël : la Syrie. Mais, lépreux, en désespoir de cause, et sur la réputation de ce prophète d’Israël, il va rencontrer Élisée. Et Élisée lui demande de se baigner sept fois dans le fleuve qui coule en Israël, le Jourdain ! Mais avant qu’il n’accepte ce que lui demande Élisée et n’obtienne la guérison de sa lèpre, le général syrien Naamân a été plus que réticent ; posant pas mal de questions.
Les questions de Naamân paraissent justes à notre raison. Quoi de plus raisonnable en effet : « n'y a-t-il pas de fleuves en Syrie ? » Pourquoi le Jourdain ? On me parle d'un prophète capable de me guérir ; je me rends auprès de lui, ce qui n'est pas particulièrement simple, compte tenu des relations politiques et diplomatiques entre mon pays et le sien, et le voilà qui me demande de me plonger sept fois dans le Jourdain. Qu'ai-je besoin de me plonger — et d'ailleurs pourquoi sept fois — dans ce fleuve-là ?
Puis Naamân se met peut-être à réfléchir — sur les raisons de sa mauvaise humeur devant les exigences du prophète. C'est qu'au fond de lui il sait très bien ce qu'impliquent les exigences d'Élisée : la reconnaissance d'un autre Dieu que celui, ou ceux, dont il a l'habitude.
Ce que lui demande Élisée ne trompe pas. Derrière le fleuve d'un autre pays, la terre d'un autre pays, sont symbolisées d'autres réalités, un autre type de relation avec Dieu. Et Naamân a peur. Il n'a pas l'habitude. Il n'a pas l'habitude de la liberté que lui octroie le Dieu d'Israël, liberté ne serait-ce que par rapport à sa lèpre. Que lui demande en effet le Dieu d'Israël ? Rien au fond. Le serviteur d'Élisée le lui rappelle : ce que te demande le prophète est pourtant simple. S'il « t'avait demandé quelque chose de difficile, ne l'aurais-tu pas fait ? » (v.13a). Mais voilà qu'il n'a dit rien d'autre que « lave-toi et sois pur » (v.13b). Terrible parole pour Naamân. Il est désorienté. L'enjeu, Naamân l'a compris : il est clairement signifié par ce symbole : tu te lavera dans le fleuve du pays du Dieu qui ne te demande rien que de te laver et d’être purifié. Il ne te demande même pas d'être de son peuple. Il t'accepte comme tu es, Syrien, ou autre, peu importe. Il ne te demande même pas de le servir, ni de le payer, ou d'accomplir quelque tâche, ou pèlerinage — ou que sais-je, — que ce soit.
Jusque dans ce nombre apparemment arbitraire, sept fois, apparaît ce symbole, comme la succession des jours qui débouche sur le repos du Dieu d'Israël, le repos où son peuple est appelé à entrer avec lui. C'est aujourd'hui le jour du repos. Repose-toi Naamân, repose-toi de toutes les obligations qu'exigeait de toi ton ancien dieu, toutes ces tâches dont l'accomplissement minutieux ne te guérissait pas de ta lèpre.
C'est que le Dieu qui a établi son Temple sur cette terre est une toute autre espèce de Dieu. Et Naamân panique : il perd tous ses repères. Alors si c’est cela, qu'au moins on lui laisse ses fleuves pour se baigner, ne valent-ils pas mieux que ceux d'Israël ? Mais non, il n'y aura plus de ces vieux repères, pas même de repère raisonnable, pas même les fleuves de ton pays.
Cher Naamân, ta lèpre — avec ta crainte et toutes les tâches qui, crois-tu, te justifient, — se détachera de toi quand tu quitteras tes vieux repères. Et en voici le symbole, tu viendras sur la terre et dans le fleuve du Dieu de ta liberté... Et voilà que Naamân lâche tout. Il se rend au rite apparemment absurde du prophète, et, nous dit le texte, « sa chair redevint comme celle d'un jeune garçon, et il fut pur » (v.14).
Mais — ah, l'habitude ! — Naamân ne s'en tient pas là. C'est maintenant qu'il est sauvé qu'il faut faire quelque chose, ne serait-ce qu'un cadeau à son nouveau Dieu, par l'intermédiaire de son prophète. L'habitude de Naamân : après avoir été sauvé par l'Esprit, il veut revenir, le plus vite possible, à la chair, à ses repères, faire le plus vite possible du Dieu d'Israël un nouveau dieu à l'image des anciens. Un dieu à qui on offre ceci ou cela, un dieu pour qui on fait ceci ou cela — une idole. Et pour bien lui montrer que, précisément le vrai Dieu n'a rien à voir avec ses vieilles idoles, Élisée laissera Naamân continuer d'accompagner son maître syrien dans le temple de l'idole Rimmôn. Le vrai dieu n'a rien à craindre de Rimmôn, surtout pas la concurrence.
Naamân a acquis la liberté. Et s'il le souhaite, qu'il prenne deux sacs de terre d'Israël, dernier symbole comme le fleuve, du fait que son Dieu, le vrai Dieu, est un autre Dieu.
Comme Naamân, la tentation taraude tout un chacun de réduire le vrai Dieu à la mesure de ses points de repère. Elle sera encore celle des dix lépreux de l’Évangile.
Comme Naamân face à Élisée, ils ont eu vent de la réputation de Jésus. Leur foi est remarquable. Déjà par la demande qu'ils adressent à Jésus. Et lorsqu'il leur répond, simplement, de faire ce que prescrit la Loi pour le constat de purification de la lèpre (selon la traduction commune d'un terme biblique désignant une maladie pouvant atteindre même les maisons et leurs murs, associée par le judaïsme commentant le Lévitique à la médisance) : aller voir le sacrificateur (Lv 14, 2-3), — les dix lépreux de l’Évangile ont la foi de se mettre en marche pour faire constater une purification qu'ils n'ont pas encore connue dans leur corps. Quelle foi ! Et voilà que la guérison leur advient pendant qu'ils sont en route.
Belle leçon quant à nos demandes de guérison — de nos Églises par exemple. N'attendons-nous pas que ça bouge avant de nous mettre en route ? Eh bien ! les lépreux ont reçu leur guérison alors qu'ils étaient déjà en route.
C'est là qu'apparaît la difficulté de notre texte. Neuf des ex-lépreux continuent de faire ce que Jésus leur a demandé : conformément à la Loi, ils poursuivent leur route pour faire constater leur guérison au sacrificateur. Rien à redire quant à eux. Mais le dixième, lui, ne poursuit pas sa route. Il revient sur ses pas, nous dit le texte. Étrange. Apparemment il ne fait pas ce que Jésus lui a demandé.
On comprend pourquoi au v.16 : « c'était un Samaritain », dit le texte. Compte tenu de la situation religieuse des Samaritains, il n’est pas enthousiaste à l’idée d’aller chez le sacrificateur auquel l'envoie Jésus, qui n'est évidemment pas le temple de Samarie !
C'est ainsi que lorsqu'il se trouve guéri, en chemin, il ne demande pas son reste : il revient sur ses pas. Puisque Jésus m'a guéri sans rien me demander, il comprendra, il m'accueillera. Attitude inattendue, mais compréhensible. Désobéissance néanmoins, à la Loi et à Jésus. Quelque chose qui semblerait même contraire à ce qu’avait finalement fait Naamân.
Le plus étrange, alors, est la réaction de Jésus. Non seulement il ne le rabroue pas, comme on pourrait s'y attendre, mais il le félicite. Les autres ont obéi scrupuleusement à la Loi, comme le leur a demandé Jésus. Mais c'est l'étranger dont il va dire qu'il a bien agi, qu'il a donné gloire à Dieu ! Lui, dont sa foi l'a sauvé. Que comprendre ? Sa désobéissance ne ressemble-t-elle pas à celle qui a tenté Naamân ? En apparence seulement.
Comme pour les sept bains de Naamân, notons aussi la symbolique du nombre : 10 personnes, c'est-à-dire ce qu'il faut dans le judaïsme pour pouvoir constituer une Synagogue. Voilà donc la base d'une assemblée de croyants. Sur les dix personnes, neuf qui obéissent, scrupuleusement, dont il n'y a rien à redire. Mais voilà que du coup, précisément parce qu'on ne peut rien trouver à redire dans leur façon d'agir, elles manquent l'essentiel.
Pour ces neuf-là, tout va bien, pensent-ils, dans leur relation avec Dieu : ils font, et ce qu'ils font, fût-ce des prières, est un bon point de repère entre Dieu et eux, c'est-à-dire un bon point d'appui pour s'abstenir de vraie relation avec Dieu. Le dixième lui, ne fait pas ce qui est prescrit.
Mais voilà, précisément du fait qu'il n'a rien fait de ce qu'il aurait dû faire, et parce qu'il n'y a rien pour lui dont il pourrait croire qu'il le ferait pour Dieu en échange de la grâce gratuite, rien à donner au Dieu qui ne veut rien, comme il ne voulait rien de Naamân le Syrien, voilà qu'il est à même d'avoir une réelle relation avec Dieu.
Il n'a plus d'autre choix que celui de la liberté devant Dieu, la liberté de rendre grâce simplement, gratuitement, à l'auteur de son salut.
C'est là ce qui explique les paroles apparemment étranges de Jésus, félicitant celui-ci plutôt que ceux qui avaient obéi à ses prescriptions. Leur obéissance, leur faire, leur tenait lieu de relation avec Dieu. Qu'est-ce qu'il pouvait leur dire de plus ?
Ce récit n'est pas indifférent. À travers la symbolique du nombre de base pour la fondation d'une Synagogue nous est bien indiqué ce qu'il signifie. C'est que la renaissance qui est en train de s'opérer se fait par quelqu’un à qui on ne s'attendait pas. Ici un Samaritain, qui s'avère être le dixième indispensable...
Comme l'Eglise naissante, constituée, nous dira Paul « ni de beaucoup de sages selon la chair, ni de beaucoup de puissants, ni de beaucoup de nobles. » (1 Co 1, 26). Jusqu'à ce que cette Église, devenue autonome, s'endorme pour ses sommeils périodiques, qui voient tout aussi régulièrement ceux qui se font forts d’être en règle, sages, puissants, nobles, se trouver hors de la relation avec Dieu, comme symboliquement l'étaient les lépreux, exclus des lieux saints et de la communion du peuple.
Soyons attentifs au dixième homme qui ne paie pas de mine, ne fait pas ce qu’il faut, mais qui est peut-être en train de couver une de ces relations avec Dieu qui pourrait contaminer toute l’Église. Dieu peut même projeter d’en changer radicalement le visage.
En tout cas, c’est ce type de relation qu’il demande de chacun — vraie, enracinée en deçà des rites — rite détaillé pour Naamân, rite dépouillé pour le dixième lépreux —, qui n’ont pas pour fonction de nous permettre établir une sorte de commerce avec un Dieu qui en deviendrait bien tangible ; mais n’ont fonction que de témoignage, pour nous de la part de Dieu, et pour autrui comme parole qui nous est confiée.
C’est le point commun entre Naamân, mis en relation avec le vrai Dieu via la gestuelle déroutante accomplie à travers Élisée, comme un témoin d’une parole prophétique, et le dixième lépreux mis en marche et bouleversé par le don gratuit de Jésus. Ce point commun : une vraie relation avec Dieu est mise en place. Dans son attitude avec le lépreux guéri qui ne suit pas ce qui lui a été dit, écho de celle d’Élisée avec Naamân, c’est cela que Jésus nous donne à méditer.
2 Rois 5, 14-17
14 […] Naamân descendit au Jourdain et s’y plongea sept fois selon la parole de l’homme de Dieu. Sa chair devint comme la chair d’un petit garçon, il fut purifié.
15 Il retourna avec toute sa suite vers l’homme de Dieu. Il entra, se tint devant lui et dit : "Maintenant, je sais qu’il n’y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n’est en Israël. Accepte, je t’en prie un présent de la part de ton serviteur."
16 Élisée répondit : "Par la vie du SEIGNEUR que je sers, je n’accepterai rien!" Naamân le pressa d’accepter mais il refusa.
17 Naamân dit : "Puisque tu refuses, permets que l’on donne à ton serviteur la charge de terre de deux mulets, car ton serviteur n’offrira plus d’holocauste ni de sacrifice à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR.
Luc 17, 11-19
11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance
13 et élevèrent la voix pour lui dire : "Jésus, maître, aie pitié de nous."
14 Les voyant, Jésus leur dit : "Allez vous montrer aux prêtres." Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L’un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or c’était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit : "Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ?
18 Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu : il n’y a que cet étranger !"
19 Et il lui dit : "Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé."
*
Dix lépreux guéris, plus un, le général syrien Naamân. Voyons d'abord le cas de Naamân. Lépreux, Naamân est par ailleurs chef de l’armée d’un pays qui est alors dans les plus mauvais termes avec Israël : la Syrie. Mais, lépreux, en désespoir de cause, et sur la réputation de ce prophète d’Israël, il va rencontrer Élisée. Et Élisée lui demande de se baigner sept fois dans le fleuve qui coule en Israël, le Jourdain ! Mais avant qu’il n’accepte ce que lui demande Élisée et n’obtienne la guérison de sa lèpre, le général syrien Naamân a été plus que réticent ; posant pas mal de questions.
Les questions de Naamân paraissent justes à notre raison. Quoi de plus raisonnable en effet : « n'y a-t-il pas de fleuves en Syrie ? » Pourquoi le Jourdain ? On me parle d'un prophète capable de me guérir ; je me rends auprès de lui, ce qui n'est pas particulièrement simple, compte tenu des relations politiques et diplomatiques entre mon pays et le sien, et le voilà qui me demande de me plonger sept fois dans le Jourdain. Qu'ai-je besoin de me plonger — et d'ailleurs pourquoi sept fois — dans ce fleuve-là ?
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Puis Naamân se met peut-être à réfléchir — sur les raisons de sa mauvaise humeur devant les exigences du prophète. C'est qu'au fond de lui il sait très bien ce qu'impliquent les exigences d'Élisée : la reconnaissance d'un autre Dieu que celui, ou ceux, dont il a l'habitude.
Ce que lui demande Élisée ne trompe pas. Derrière le fleuve d'un autre pays, la terre d'un autre pays, sont symbolisées d'autres réalités, un autre type de relation avec Dieu. Et Naamân a peur. Il n'a pas l'habitude. Il n'a pas l'habitude de la liberté que lui octroie le Dieu d'Israël, liberté ne serait-ce que par rapport à sa lèpre. Que lui demande en effet le Dieu d'Israël ? Rien au fond. Le serviteur d'Élisée le lui rappelle : ce que te demande le prophète est pourtant simple. S'il « t'avait demandé quelque chose de difficile, ne l'aurais-tu pas fait ? » (v.13a). Mais voilà qu'il n'a dit rien d'autre que « lave-toi et sois pur » (v.13b). Terrible parole pour Naamân. Il est désorienté. L'enjeu, Naamân l'a compris : il est clairement signifié par ce symbole : tu te lavera dans le fleuve du pays du Dieu qui ne te demande rien que de te laver et d’être purifié. Il ne te demande même pas d'être de son peuple. Il t'accepte comme tu es, Syrien, ou autre, peu importe. Il ne te demande même pas de le servir, ni de le payer, ou d'accomplir quelque tâche, ou pèlerinage — ou que sais-je, — que ce soit.
Jusque dans ce nombre apparemment arbitraire, sept fois, apparaît ce symbole, comme la succession des jours qui débouche sur le repos du Dieu d'Israël, le repos où son peuple est appelé à entrer avec lui. C'est aujourd'hui le jour du repos. Repose-toi Naamân, repose-toi de toutes les obligations qu'exigeait de toi ton ancien dieu, toutes ces tâches dont l'accomplissement minutieux ne te guérissait pas de ta lèpre.
C'est que le Dieu qui a établi son Temple sur cette terre est une toute autre espèce de Dieu. Et Naamân panique : il perd tous ses repères. Alors si c’est cela, qu'au moins on lui laisse ses fleuves pour se baigner, ne valent-ils pas mieux que ceux d'Israël ? Mais non, il n'y aura plus de ces vieux repères, pas même de repère raisonnable, pas même les fleuves de ton pays.
Cher Naamân, ta lèpre — avec ta crainte et toutes les tâches qui, crois-tu, te justifient, — se détachera de toi quand tu quitteras tes vieux repères. Et en voici le symbole, tu viendras sur la terre et dans le fleuve du Dieu de ta liberté... Et voilà que Naamân lâche tout. Il se rend au rite apparemment absurde du prophète, et, nous dit le texte, « sa chair redevint comme celle d'un jeune garçon, et il fut pur » (v.14).
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Mais — ah, l'habitude ! — Naamân ne s'en tient pas là. C'est maintenant qu'il est sauvé qu'il faut faire quelque chose, ne serait-ce qu'un cadeau à son nouveau Dieu, par l'intermédiaire de son prophète. L'habitude de Naamân : après avoir été sauvé par l'Esprit, il veut revenir, le plus vite possible, à la chair, à ses repères, faire le plus vite possible du Dieu d'Israël un nouveau dieu à l'image des anciens. Un dieu à qui on offre ceci ou cela, un dieu pour qui on fait ceci ou cela — une idole. Et pour bien lui montrer que, précisément le vrai Dieu n'a rien à voir avec ses vieilles idoles, Élisée laissera Naamân continuer d'accompagner son maître syrien dans le temple de l'idole Rimmôn. Le vrai dieu n'a rien à craindre de Rimmôn, surtout pas la concurrence.
Naamân a acquis la liberté. Et s'il le souhaite, qu'il prenne deux sacs de terre d'Israël, dernier symbole comme le fleuve, du fait que son Dieu, le vrai Dieu, est un autre Dieu.
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Comme Naamân, la tentation taraude tout un chacun de réduire le vrai Dieu à la mesure de ses points de repère. Elle sera encore celle des dix lépreux de l’Évangile.
Comme Naamân face à Élisée, ils ont eu vent de la réputation de Jésus. Leur foi est remarquable. Déjà par la demande qu'ils adressent à Jésus. Et lorsqu'il leur répond, simplement, de faire ce que prescrit la Loi pour le constat de purification de la lèpre (selon la traduction commune d'un terme biblique désignant une maladie pouvant atteindre même les maisons et leurs murs, associée par le judaïsme commentant le Lévitique à la médisance) : aller voir le sacrificateur (Lv 14, 2-3), — les dix lépreux de l’Évangile ont la foi de se mettre en marche pour faire constater une purification qu'ils n'ont pas encore connue dans leur corps. Quelle foi ! Et voilà que la guérison leur advient pendant qu'ils sont en route.
Belle leçon quant à nos demandes de guérison — de nos Églises par exemple. N'attendons-nous pas que ça bouge avant de nous mettre en route ? Eh bien ! les lépreux ont reçu leur guérison alors qu'ils étaient déjà en route.
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C'est là qu'apparaît la difficulté de notre texte. Neuf des ex-lépreux continuent de faire ce que Jésus leur a demandé : conformément à la Loi, ils poursuivent leur route pour faire constater leur guérison au sacrificateur. Rien à redire quant à eux. Mais le dixième, lui, ne poursuit pas sa route. Il revient sur ses pas, nous dit le texte. Étrange. Apparemment il ne fait pas ce que Jésus lui a demandé.
On comprend pourquoi au v.16 : « c'était un Samaritain », dit le texte. Compte tenu de la situation religieuse des Samaritains, il n’est pas enthousiaste à l’idée d’aller chez le sacrificateur auquel l'envoie Jésus, qui n'est évidemment pas le temple de Samarie !
C'est ainsi que lorsqu'il se trouve guéri, en chemin, il ne demande pas son reste : il revient sur ses pas. Puisque Jésus m'a guéri sans rien me demander, il comprendra, il m'accueillera. Attitude inattendue, mais compréhensible. Désobéissance néanmoins, à la Loi et à Jésus. Quelque chose qui semblerait même contraire à ce qu’avait finalement fait Naamân.
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Le plus étrange, alors, est la réaction de Jésus. Non seulement il ne le rabroue pas, comme on pourrait s'y attendre, mais il le félicite. Les autres ont obéi scrupuleusement à la Loi, comme le leur a demandé Jésus. Mais c'est l'étranger dont il va dire qu'il a bien agi, qu'il a donné gloire à Dieu ! Lui, dont sa foi l'a sauvé. Que comprendre ? Sa désobéissance ne ressemble-t-elle pas à celle qui a tenté Naamân ? En apparence seulement.
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Comme pour les sept bains de Naamân, notons aussi la symbolique du nombre : 10 personnes, c'est-à-dire ce qu'il faut dans le judaïsme pour pouvoir constituer une Synagogue. Voilà donc la base d'une assemblée de croyants. Sur les dix personnes, neuf qui obéissent, scrupuleusement, dont il n'y a rien à redire. Mais voilà que du coup, précisément parce qu'on ne peut rien trouver à redire dans leur façon d'agir, elles manquent l'essentiel.
Pour ces neuf-là, tout va bien, pensent-ils, dans leur relation avec Dieu : ils font, et ce qu'ils font, fût-ce des prières, est un bon point de repère entre Dieu et eux, c'est-à-dire un bon point d'appui pour s'abstenir de vraie relation avec Dieu. Le dixième lui, ne fait pas ce qui est prescrit.
Mais voilà, précisément du fait qu'il n'a rien fait de ce qu'il aurait dû faire, et parce qu'il n'y a rien pour lui dont il pourrait croire qu'il le ferait pour Dieu en échange de la grâce gratuite, rien à donner au Dieu qui ne veut rien, comme il ne voulait rien de Naamân le Syrien, voilà qu'il est à même d'avoir une réelle relation avec Dieu.
Il n'a plus d'autre choix que celui de la liberté devant Dieu, la liberté de rendre grâce simplement, gratuitement, à l'auteur de son salut.
C'est là ce qui explique les paroles apparemment étranges de Jésus, félicitant celui-ci plutôt que ceux qui avaient obéi à ses prescriptions. Leur obéissance, leur faire, leur tenait lieu de relation avec Dieu. Qu'est-ce qu'il pouvait leur dire de plus ?
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Ce récit n'est pas indifférent. À travers la symbolique du nombre de base pour la fondation d'une Synagogue nous est bien indiqué ce qu'il signifie. C'est que la renaissance qui est en train de s'opérer se fait par quelqu’un à qui on ne s'attendait pas. Ici un Samaritain, qui s'avère être le dixième indispensable...
Comme l'Eglise naissante, constituée, nous dira Paul « ni de beaucoup de sages selon la chair, ni de beaucoup de puissants, ni de beaucoup de nobles. » (1 Co 1, 26). Jusqu'à ce que cette Église, devenue autonome, s'endorme pour ses sommeils périodiques, qui voient tout aussi régulièrement ceux qui se font forts d’être en règle, sages, puissants, nobles, se trouver hors de la relation avec Dieu, comme symboliquement l'étaient les lépreux, exclus des lieux saints et de la communion du peuple.
Soyons attentifs au dixième homme qui ne paie pas de mine, ne fait pas ce qu’il faut, mais qui est peut-être en train de couver une de ces relations avec Dieu qui pourrait contaminer toute l’Église. Dieu peut même projeter d’en changer radicalement le visage.
En tout cas, c’est ce type de relation qu’il demande de chacun — vraie, enracinée en deçà des rites — rite détaillé pour Naamân, rite dépouillé pour le dixième lépreux —, qui n’ont pas pour fonction de nous permettre établir une sorte de commerce avec un Dieu qui en deviendrait bien tangible ; mais n’ont fonction que de témoignage, pour nous de la part de Dieu, et pour autrui comme parole qui nous est confiée.
C’est le point commun entre Naamân, mis en relation avec le vrai Dieu via la gestuelle déroutante accomplie à travers Élisée, comme un témoin d’une parole prophétique, et le dixième lépreux mis en marche et bouleversé par le don gratuit de Jésus. Ce point commun : une vraie relation avec Dieu est mise en place. Dans son attitude avec le lépreux guéri qui ne suit pas ce qui lui a été dit, écho de celle d’Élisée avec Naamân, c’est cela que Jésus nous donne à méditer.
RP, Châtellerault, 13/10/19
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