dimanche 2 février 2020

"Un glaive te transpercera l’âme"




Malachie 3.1-4 ; Psaume 24 ; Hébreux 2.14-18 ; Luc 2.22-40

Luc 2, 21-40
21 Huit jours après [sa naissance], quand vint le moment de circoncire l’enfant, on l’appela du nom de Jésus, comme l’ange l’avait appelé avant sa conception.
22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur
23 – ainsi qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur –
24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.
25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit Saint était sur lui.
26 Il lui avait été révélé par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.
27 Il vint alors au temple poussé par l’Esprit ; et quand les parents de l’enfant Jésus l’amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,
28il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes :
29 « Maintenant, Maître, c’est en paix,
comme tu l’as dit, que tu renvoies ton serviteur.
30 Car mes yeux ont vu ton salut,
31 que tu as préparé face à tous les peuples :
32 lumière pour la révélation aux nations
et gloire d’Israël ton peuple. »
33 Le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce qu’on disait de lui.
34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère : « Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté
35 – et toi-même, un glaive te transpercera l’âme ; ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs. »
36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge ; après avoir vécu sept ans avec son mari,
37 elle était restée veuve et avait atteint l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.
38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem.
39 Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
40 Quant à l’enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.
*

L'évangile d'aujourd'hui nous place au dernier temps du cycle de la petite enfance de Jésus, qui se clôt ainsi par le dévoilement du sens de ce qui apparaissait avec l'Annonciation, le « oui » de Marie qui la voyait acquiescer par avance à ce que Syméon lui annonce à présent : « une épée te transpercera l'âme ».

Acquiescer à la vie, comme fécondité du monde créé par Dieu, c'est prendre un risque terrible, c'est entrer dans le risque de la création, prendre le risque qui mène le monde dans la souffrance à la souffrance de la croix d'un homme déchirant l'âme de sa mère — c'est donc aussi cela, Noël ! on le sait à présent avec Marie, qui n'en remercie pas moins son Dieu ! elle l'a dit par avance : qu'il me soit fait selon ta parole…

Selon le texte de l’Épître aux Hébreux (2, 14-16) lu ce jour,
14 Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantît celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable,
15 et qu’il délivrât tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans la servitude.
16 Car assurément ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la postérité d’Abraham.
Alors que la douleur et l'amertume de la Pâque future de cet enfant sont annoncées par le prophète Syméon à sa mère — « une épée te transpercera l'âme » —, l'offrande de reconnaissance qui accompagne une cérémonie comme la purification qui suit la présentation de l'enfant nouveau-né apparaît comme en contraste. Contraste entre d'un côté l'annonce que fait Syméon de la douleur de la mort future de Jésus en croix sous les yeux de sa mère et de l'autre côté la reconnaissance, signifiée ici dans la reconnaissance de ses parents en ce jour de relevailles.

C'est l'occasion de dire un mot sur la tradition des crêpes en ce jour (puisque c'est là l'offrande de reconnaissance, on va le voir), quarante jours après la naissance de Jésus, jour qui correspond à celui du rite de réintégration de sa famille dans le cours de la vie normale — les jours qui suivent l'accouchement les en ont exclus, c'est pourquoi on appelle cela « la purification », après une sorte de quarantaine, mise à l'écart de quarante jours — bref, ce qui se termine par les relevailles…

Ce rite des relevailles correspond à un précepte de la Loi de Moïse — Lévitique ch. 12 :
1 Le Seigneur adressa la parole à Moïse : « […]
3 Le huitième jour, on circoncit […] l’enfant ; […]
6 Lorsque s’achève [pour la mère] son temps de purification, pour un fils ou pour une fille, elle amène au desservant du temple, à l’entrée de la tente de la rencontre, un agneau âgé d’un an, pour un holocauste, et un pigeon ou une tourterelle, servant à un sacrifice pour le péché ;
7 […] » Telles sont les instructions concernant la femme qui accouche d’un garçon ou d’une fille.
8 « Si elle n’arrive pas à se procurer un agneau, elle prend deux tourterelles ou deux pigeons, l’un servant à un holocauste et l’autre à un sacrifice pour le péché ; quand le desservant a fait sur elle le rite d’absolution, elle est purifiée. »

*

Dès les IVe-Ve siècles, est célébrée la présentation de Jésus au Temple. En Occident où sa naissance est fêtée le 25 décembre, cela correspond, en suivant Luc qui y assimile le rite de « la purification », à la date du 2 février, recoupant globalement les fêtes romaines de Lupercus, dieu de la fécondité (lupercales), ou les fêtes de Proserpine et de Cérès, autant de fêtes païennes de la fécondité.

On a l’équivalent chez les Celtes, qui célébraient la fête d'Imbolc le 1er février : un rite en l’honneur de la déesse Brigit, fêtant la fertilité au sortir de l’hiver. On portait des flambeaux et on parcourait les champs en procession, priant la déesse pour la terre avant les semailles. Où l'on voit apparaître les lumières de chandelles qui donneront le nom de « chandeleur ».

Avec la fête de la présentation de Jésus au Temple, associée à celle des « relevailles » de sa mère, on retrouve ce que l'on a vu à Noël quant aux recoupements entre la naissance du Christ et les traditions de tous les peuples reçues dès lors comme pierres d’attente de la manifestation du Sauveur de tous les peuples — « lumière pour la révélation aux nations et gloire d’Israël » (v. 32)…

*

Mais… où sont les crêpes ? me direz-vous…

C'est ici que l'on trouve l’enracinement biblique de cette fête qui rejoint l'espérance des peuples jusque dans leurs cultes de la fécondité, ainsi totalement relus et transformés — la fécondité d'une vierge ouvrant à présent, via la parole terrible « une épée te transpercera l'âme », sur l'abondance de la vie de résurrection en Jésus Christ.

Les crêpes ? On a lu dans Luc qu'il était question de tourterelles et petits pigeons. Luc donne le rite en raccourci, et en télescopant présentation et purification, qui sont pourtant séparés d’environ une semaine, la présentation de l'enfant ayant lieu le 31e jour après sa naissance. C'est le Pidyon Haben, la cérémonie de rachat des premiers-nés, basée sur Exode 13, 13 : « vous rachèterez les premiers-nés de votre peuple ».

Luc laisse donc de côté la diversité des aspects du rite pour se concentrer sur le seul fait que Jésus est bien passé par toutes les pratiques du judaïsme — de la circoncision à la bar-mitsvah (Luc 2, 42 sq.), en passant par sa présentation et son rachat comme premier-né, cela accompagné de la purification de ses parents.

Maintenant, si on entre dans les détails de ce qui a dû s'accomplir à cette occasion, on découvre que selon la Loi de Moïse, « on ne doit pas apparaître au Temple sans offrandes » — Deutéronome 16, 16 ; et qu'une femme qui a donné naissance doit apporter une offrande au Temple après avoir été au mikvé (le bain de purification) — Lévitique 12, 6.

Or, le Lévitique le précise — ch. 2, 1 : « Lorsque quelqu’un fera à l’Éternel une offrande en don, son offrande sera de fleur de farine ». Lévitique 2, 4 précise : « Si tu fais une offrande de ce qui est cuit au four, qu’on se serve de fleur de farine, et que ce soient des gâteaux sans levain pétris à l’huile et des galettes sans levain arrosées d’huile ». Et Lévitique 7, 12 : « Si quelqu’un l’offre par reconnaissance, il offrira, avec le sacrifice d’actions de grâces, des gâteaux sans levain pétris à l’huile, des galettes sans levain arrosées d’huile, et des gâteaux de fleur de farine frite et pétris à l’huile. »

Bref, des crêpes !… Ondulées par la cuisson, d'où le nom, « crêpe » venant du mot latin crispa qui signifie « bouclé », « ondulé »… Voilà d'où vient la tradition des crêpes partagées le jour de la fête de la présentation de Jésus au Temple et de la purification de sa mère et de la famille.

L’offrande des crêpes — geste prescrit par Moïse pour remercier Dieu — est à présent le geste par lequel Marie dit sa reconnaissance, quoiqu'il en soit. La prophétie tragique de Syméon sur elle donne alors tout son sens à la prophétie de Marie sur elle-même, en forme, pour nous, de malgré tout, quelques versets avant : « toutes les générations me diront bienheureuse » (Luc 1, 48). Ce pourquoi la prophétesse Anne, enchaîne sur la prophétie de Syméon : « elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem », écrit Luc (2, 38), nous permettant de dire à notre tour avec Syméon :

« Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvoies ton serviteur.
Car mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé face à tous les peuples :
lumière pour la révélation aux nations et gloire d’Israël ton peuple. »


RP, Poitiers, 02/02/20


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire