dimanche 16 février 2020

Venu non pour abolir, mais pour accomplir




Deutéronome 30, 15-20 ; Psaume 119, 1-32 ; 1 Corinthiens 2, 6-10 ; Matthieu 5, 17-37

Matthieu 5, 17-37
17 Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir.
18 En vérité, je vous le dis, en effet, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota ou un seul trait de lettre de la Loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé.
19 Celui donc qui violera l'un de ces plus petits commandements et qui enseignera aux gens à faire de même sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. […]
21 Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre sera passible du jugement.
22 Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement. […]
23 Si donc tu vas présenter ton offrande sur l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
24 laisse ton offrande là, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande. […]
27 Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère.
28 Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme de façon à la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur. […]
33 Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras pas, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
34 Mais moi, je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel car c’est le trône de Dieu,
35 ni par la terre car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c’est la Ville du grand Roi.
36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
37 Que votre parole soit « oui, oui », « non, non » ; ce qu'on y ajoute vient du Mauvais.

*

« Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5, 17).

Ainsi, la Loi se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile, comme bonne nouvelle de la libération, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, Évangile qui est le même que celui du Nouveau Testament. L’Évangile est au cœur de la Loi. Sous un certain angle il est la Loi elle-même.

Si Jésus s’annonce comme celui par qui va être instauré le Règne qui vient avec l’observance de la Loi jusqu’en son cœur, il ne saurait en abolir le principe, sans lequel il n’y a pas de Règne de Dieu. « Que ton Règne vienne », i. e. « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Ta volonté, à savoir l'observance de tes préceptes. Sans cette observance, pas de Règne de Dieu, ou « des cieux », selon la façon que l’on a alors, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le Nom qui est au-dessus de tout nom — pour ne pas, selon les termes de la Torah, prononcer ce Nom en vain. C’est-à-dire ne pas s’en faire de représentations, qui prêtent toujours au ridicule (« ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en images représentant l’homme corruptible, des oiseaux », etc. — écrit Paul aux Romains, ch. 1, v. 23). Si l’on imagine Dieu sous forme humaine par exemple, et donc avec un arrière-train, on l’expose au ridicule de voir offenser ledit arrière-train. Auquel cas, celui qui s’en offusque se montre idolâtre. Il imagine Dieu vainement, et ne comprend pas que n’ayant pas à être imaginé, il ne se prête pas non plus à la caricature : caricaturer quoi si il est non seulement irreprésentable, mais même innommable ? Menacer quelqu’un de mort pour cela est idolâtre en plus d’être criminel, puisque c’est prêter à croire que Dieu que « personne n'a jamais vu » (Jean 1, 18) peut être atteint par l’atteinte à l'arrière-train qui serait supposé être le sien !

Laissez donc au-dessus de toute représentation le Nom qui est au dessus de tout nom, ne l’utilisant pas vainement, rappelle Jésus, même pas pour jurer — jurer ni par son nom, ni même par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner celui qui est au-dessus de tout nom — ni même par la terre, devenant comme son marchepied, ni encore par Jérusalem, ville de son Envoyé royal. Plutôt que jurer, efforcez-vous seulement d’être vrais et sincères, « oui, oui » ou « non, non ».

En tout cela, c’est bien de la question de notre libération dans l’instauration du Royaume qu’il s’agit, et de la réception de la Loi comme Évangile. Y a t-il libération plus entière que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? Jésus a parlé de la convoitise partant de l’adultère : qu’est-ce que la convoitise sinon un esclavage perpétuel ? Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Voilà que Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.

L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on le met en pratique. Sa parole, celle de la Torah, ne libère que si on la prend au sérieux, si on y obéit, que si on la prend radicalement au sérieux. Elle est un ordre qui met en marche… Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise de ce qui ne nous est pas donné, au désir de vengeance, ou à de toujours ridicules imageries sur Dieu.

Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme mœurs politiques ou rites et cérémonies peuvent varier d’un peuple à un autre ; ou d’un temps à un autre : ainsi après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de façons diverses. C’est l’origine de la séparation de deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi, elle, en son cœur, n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté : la Loi est ainsi l’Évangile de notre libération.

Mais allons plus loin : là où il s’avère qu’accomplir la Loi ne l’abolit pas ! Contrairement à la tentation commune qui revient à considérer que Jésus ayant accompli, i. e. observé pleinement la Loi, jusqu’en son cœur, il n’y aurait plus depuis à l’observer ! Si l’on ne réintroduit pas de la sorte subrepticement l’idée d’abolition de fait sous le terme d’accomplissement, si donc on lit le propos de Jésus jusqu’au bout, la question reste entière : quelle observance pour nous de cette Loi de liberté qui vaut pour tous les temps ?

Certes, on l’a dit, certains aspects, comme les rites et cérémonies, varient selon les lieux, les époques et les circonstances. Ainsi, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit. A fortiori, laisse là ton offrande pour vivre ce qu'elle signifie en termes de réconciliation avec autrui. Cela vaut pour tout précepte en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des traditions. Par exemple, dans le christianisme ou les traditions qui en sont issues les façons chrétiennes de comprendre et de célébrer la sainte Cène ou comprendre et d’administrer le baptême sont variables.

Variable aussi l’aspect judiciaire et politique. L’aspect judiciaire est cet aspect de la Loi qui se concrétise dans la vie de la Cité de façon variable selon les temps et les lieux. Par exemple les régimes politiques et les formes de gouvernements varient selon les époques et les pays. Autre exemple, les sanctions de justice : quelle sanction pour telle faute, mettons aujourd’hui les abus sexuels ? Sanctionnés dans l’Antiquité d’une façon qui n’est pas la nôtre, il n’est pas question pour autant d’en abolir interdiction et sanction.

Autant d'aspect, cérémonies, organisation de la justice et de la cité toujours à l’ordre du jour, mais variables dans leur application selon les lieux et les temps.

En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection que Jésus rappelle avec force dans ce texte, n’est pas sujet aux variations culturelles. L’aspect moral peut être considéré comme se déployant en vertus. Accomplir la Loi, comme Jésus le fait, n’est donc pas l’abolir par la petite porte. Accomplir, c’est tout simplement observer, observer pleinement, jusqu’au cœur ; à la lettre, jusqu’en la plus petite lettre : la Loi demeure tant que dure le monde, étant en son cœur la bonne nouvelle, l'Évangile de notre libération — selon la première parole du Décalogue : je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t’ai libéré de l’esclavage, de tout esclavage, jusqu’à l’esclavage du péché et de la mort ! Choisi donc la vie, nous enjoint le texte du Deutéronome (30, 15-20) lu aujourd’hui.




Deutéronome 30, 15-20
15 Vois, j'ai placé aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur.
16 Ce que je t'ordonne aujourd'hui, c'est d'aimer le Seigneur, ton Dieu, de suivre ses voies et d'observer ses commandements, ses prescriptions et ses règles, afin que tu vives et que tu fructifies, et que le Seigneur, ton Dieu, te bénisse […].
17 Mais si ton cœur se détourne, si tu n'écoutes pas et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant des idoles et à les servir,
18 je vous le dis aujourd'hui, vous disparaîtrez […].
19 J'en prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et les tiens,
20 en aimant le Seigneur, ton Dieu, en l'écoutant et en t'attachant à lui : c'est lui qui est ta vie, la longueur de tes jours […].


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire