Amos 7, 11-15 ; Psaume 85 ; Éphésiens 1, 3-14 ; Marc 6, 7-13
7 Il fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs.
8 Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture,
9 mais pour chaussures des sandales, "et ne mettez pas deux tuniques".
10 Il leur disait : "Si, quelque part, vous entrez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit.
11 Si une localité ne vous accueille pas et si l’on ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds : ils auront là un témoignage."
12 Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir.
13 Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient.
Autre temps, autre urgence : aujourd’hui résonne « le son perçant et assourdissant de l’alarme incendie dans la cuisine » (selon les mots d’un fonctionnaire de l’ONU à la lecture du rapport du GIEC). Eh bien, nous dit l’Évangile, aujourd’hui comme hier, il s'agit d’entrer dès maintenant dans la vie ! Entrer dans la délivrance promise.
Ainsi, « ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12), ou, autre traduction : « se repentir », faire retour. Deux effets du repentir : sur le salut des personnes dès aujourd’hui ; et peut-être sur le monde, s’il est mis en œuvre collectivement. Quoiqu’il en soit, le repentir comme chemin de délivrance implique concrètement qu’il y a des choses à changer, d’urgence. Et ça, c’est le côté… difficile de toute délivrance !
Je ne résiste pas à la tentation, pour illustrer cela, de citer un extrait du livre de C.S. Lewis, Le grand divorce (entre le ciel et l’enfer — en référence à leur mariage selon de William Blake), où en visite par une vision à l’entrée du paradis, l’auteur décrit la scène suivante. Il y voit un homme qui hésite à entrer, empêché de la sorte :
« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, car la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire ? dit l'esprit flamboyant - c'était un ange, je le compris soudain.
- Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
- Oh ! aïe ! Attention. Vous me brûlez. Pas si près !
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue ?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer ?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez ? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut - eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer ?
- Oh ! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
- Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer ?
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez ! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer ?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile.
- Vous croyez ? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui ; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans un éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en ! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer ? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.
- Certainement pas.
- Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. »
Etc. Vous trouverez la suite dans le livre de C.S. Lewis, Le grand divorce.
Jésus « fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7) — genre petit lézard. Et plus loin, de fait (v. 13) : « ils chassaient beaucoup de démons ». Ce qui suppose la volonté d’exercer ladite autorité : « laissez-moi l’ôter ». Et pour cela : « ils proclamèrent qu’il fallait se repentir » (v. 12).
Cela après le constat selon lequel le maître, lui, Jésus, « ne pouvait faire aucun miracle » (v. 5) à Nazareth, où il est familier… « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ?" Et il était pour eux une occasion de chute. Jésus leur disait : "Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison." Et il ne pouvait faire là aucun miracle » (v. 3-5), parlant de la réaction des proches de Jésus à ses paroles et ses actes, tandis que « de nombreux auditeurs disaient : "D’où cela lui vient-il ? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ?" » (v. 2). Mais ça, ce n'est pas la réaction de ses proches, qui le considèrent comme un gamin, un gamin du village, celui qu’ils croient connaître, qui leur reste familier…
Cela dit, précise le texte, « il guérit — pourtant — quelques malades en leur imposant les mains » (v. 5). Histoire de dire que le problème n’est pas dans sa capacité à libérer — tandis qu’il « s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas » (v. 6).
Tel est l’écho qu’il a eu, ou n’a pas eu chez ses familiers : oh ! laissez-moi vivre comme je l’ai toujours fait… D’autant que Jésus « parcourait les villages des environs en enseignant » (ibid.), avec manifestement plus de succès que chez ses proches.
Proximité, familiarité, autant d’obstacles insurmontables à l’Évangile, et dont on fait naïvement l’Alpha et l’Oméga de son annonce !
Et pourtant un texte comme celui que nous avons lu nous met nettement en garde contre ce genre de volonté de plaire — secouez plutôt la poussière de vos pieds —, contre les stratégies de la proximité qui provoquent en écho la conviction que l’on est proche, que Jésus est un familier : résultat, il ne put faire de miracle !
Question : Églises protestantes, en France, aujourd’hui : cote de popularité au zénith. Bloquées depuis quelques décennies au plus haut de la popularité. Oh ! on connaît bien les protestants, ils sont sympathiques, ils ne nous remettent jamais en question, ils se plient à nos désirs.
Résultat, quand il s’agit de rogner sur la liberté de culte, on est les premiers visés, au prix supplémentaire de ce que le résultat escompté par cette sympathie, à savoir le tournement vers Dieu, le repentir en termes techniques, n’a jamais lieu — et pour cause, s’il n’y a aucune exigence, il n’y a qu’à se contenter de la grâce à bon marché que l’on nous a proposée, qui ne coûte rien que d’accepter le sourire et de le rendre, ou les services, sans même besoin de reconnaissance. Mais du coup, il n’y a plus aucune autre libération à espérer. C’est ainsi que lorsqu’on tente de dire la moindre exigence libératrice à ces familiers, comme à Nazareth, on ne fait que susciter l’inimitié. « Secouez la poussière de vos pieds. »
Et pourtant les Douze sont envoyés proclamer que ce que l’on fait n’est peut-être pas adéquat à la liberté de l’Évangile, et au comportement libre qu’il induit ; comportement, c’est-à-dire morale selon le latin, éthique selon le grec. Aujourd'hui, les choses en la matière, en matière de morale, ou d'éthique, sont devenues complexes, demandant par exemple des connaissances en économie ou en science médicale contemporaine, ou autres domaines complexes. Pensons aux exigences concernant la menace climatique. Pensons aussi à la loi bioéthique qui vient d'être votée. Les questions posées sont considérables, entre hypothèses sur l'embryon et essais en termes de chimères, entre l'humain et le non-humain, ou les risques de retour à des pratiques que l'on pensait révolues, genre achat de ventres contre espèces financières (on nous affirme qu'on n'y viendra pas, malgré la règle du prix Nobel de physique Dennis Gabor, qui dit : « ce qui peut être fait techniquement le sera nécessairement »). Pas question de s'immiscer comme Églises dans des questions dont la technicité nous dépasse comme telles ; mais au cœur de ces questions, les exigences semées en nous par la parole biblique demeurent. Une conscience aiguisée et attentive à la parole divine, reçue avec le respect que n'ont pas eu les familiers de Jésus.
C’est sur cela que Jésus envoie ses disciples en « leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7). Genre le petit lézard de C.S. Lewis qui ne partira pas si on est si « tendre » envers sa victime qu’on lui accorde, comme elle le demande, de ne pas être remise en question. Or l’Évangile qui libère demande des changements de vie. Les Douze proclament donc qu’il faut se repentir ! Et l'écho de répondre : « on en a assez de se repentir », quand en fait on n'a jamais commencé !
« Quittez ce qui vous rend captifs », répond aujourd'hui l'Évangile ; « acceptez de voir tuer votre lézard » ; bref : « Sortez de Babylone », de l'esprit de Babylone. Vous êtes témoins de la Jérusalem nouvelle, la Cité de Dieu. Augustin résume ainsi les choses : deux amours ont bâti deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu a fait la cité terrestre, Babylone, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi a fait la Jérusalem nouvelle, la Cité de Dieu (Augustin, La Cité de Dieu, XIV, 28). Et le Psaume 33, dans la version de Clément Marot : « Si cherchant sa route, un peuple t’écoute, il vivra heureux ; il verra les signes qui déjà désignent la Cité de Dieu. »
RP, Poitiers, 11.07.21
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