dimanche 20 novembre 2022

Avant la fondation du monde




2 Samuel 5, 1-3 ; Psaume 122 ; Col 1, 12-20 ; Luc 23, 35-43

Colossiens 1, 12-20
12 Rendez grâce au Père qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière.
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour ;
14 en lui nous sommes délivrés, nos péchés sont pardonnés.
15 Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute création,
16 car en lui tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles comme les invisibles, Trônes et Souverainetés, Autorités et Pouvoirs. Tout est créé par lui et pour lui,
17 et il est, lui, par devant tout ; tout est maintenu en lui,
18 et il est, lui, la tête du corps, qui est l’Eglise.
Il est le commencement, Premier-né d’entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude
20 et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix.

*

Jean 9, 1-3, « En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui posèrent cette question : "Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ?" Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! » En-deçà de la réponse de Jésus, la question, la supposition des disciples. Ç'aurait pu être lui qui aurait péché. Alors quand, puisqu'il n'était pas né ? Vous connaissez la légende par laquelle la tradition mystique juive explique le petit sillon que nous avons sous le nez… L'enfant connaît, avant de naître, tous les mystères cachés. À la naissance, un ange lui ferme la bouche pour qu'il oublie tout ce qu'il sait. Le petit sillon qu'on a sous le nez est la marque du doigt de l'ange. Gardant cela en tête (nous y reviendrons), venons-en à notre texte de l'Épître aux Colossiens.

*

Le Christ, le Ressuscité — « premier né d'entre les morts » (Col 1, 18) — est reçu dans l'Épître aux Colossiens comme préexistant, c'est-à-dire comme existant avant ce temps, avant la Création du monde — « tout a été créé par lui, dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles » (Col 1, 16).

L’Évangile selon Jean s'ouvre avec la Parole créatrice en vis-à-vis de Dieu — parallèle à « l’image de Dieu » de l’Épître aux Colossiens (v. 1). Le grec du Prologue de Jean reprend les mots de la Bible des LXX dans la Genèse : en arkhe — au commencement —, pour parler de la précédence de la Parole de Dieu par rapport au temps : « Dieu dit : que la lumière soit », — « la Parole était Dieu ». Le symbole de Nicée-Constantinople rendra cette affirmation par « de même essence » que le Père.

Jean 1
1 Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement auprès de Dieu.
3 Tout est venu à l'existence par elle, et rien n'est venu à l'existence sans elle.
4 En elle était vie, et la vie était la lumière des humains. […]
9 La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde. […]
14 La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.


Selon le même Évangile de Jean, Jésus affirme sa propre éternité préexistante : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. » (Jean 8, 58)

Le « devenir chair » (Jn 1, 14) de cette parole rejoint la préexistence du Ressuscité de l'Épître aux Colossiens, le Ressuscité étant celui qui a pris chair dans le temps. Cela renvoie à l'idée de préexistence telle qu'elle est connue par ailleurs à l'époque du Nouveau Testament, à laquelle fait allusion le texte de Jean 9 sur l'aveugle-né, allusion à une préexistence relevant d'un enracinement de la créature dans la pensée de Dieu avant qu'elle ne soit produite dans notre temps. C'est ainsi que la parole éternelle et incréée, image éternelle de Dieu créatrice de toutes choses, est déjà manifestée avant le temps comme « premier-né de toute création » (Col 1, 15) : cela est dévoilé dans la résurrection, qui parle donc aussi, outre sa préexistence éternelle, comme Dieu auprès de Dieu, d'une préexistence du Christ comme appelé à devenir chair, comme créature humaine donc.

Ce monde préexistant où il est question de Fils de l'Homme qui est dans les cieux — auquel le Christ est identifié dans le Nouveau Testament — apparaît dans la Bible hébraïque, notamment, mais pas uniquement, au livre de Daniel (cf. aussi Ézéchiel). (Cf. Daniel Boyarin, Le Christ juif, éd. du Cerf, 2013.)

Daniel 10
5 Levant les yeux, je vis un homme vêtu de lin avec une ceinture d'or d'Ouphaz autour des reins.
6 Son corps était comme de chrysolithe, son visage comme l'aspect de l'éclair, ses yeux comme un feu flamboyant, ses bras et ses jambes comme l'éclat du bronze poli, et sa voix comme un tumulte. […]
16 […] quelqu’un qui avait l’apparence des fils de l’homme toucha mes lèvres. J’ouvris la bouche, je parlai, et je dis à celui qui se tenait devant moi : Mon seigneur, la vision m’a rempli d’effroi, et j’ai perdu toute vigueur.

Apparaît bien, ici, un monde préexistant… un monde angélique dont participe l'humain et notamment cette figure du Fils de l'Homme auquel le Christ est identifié dans le Nouveau Testament. L’Apocalypse suggère cette préexistence jusqu'en toute le vécu de Jésus dans le temps, envisageant l'éternité de l'événement de la croix : l’apparition du Ressuscité à Thomas (Jean 20), nous en montre les plaies. Selon une lecture possible du texte, « l'agneau de Dieu » est « immolé depuis la fondation du monde ».

(Apocalypse 13, 8 : Tous les habitants de la terre, ceux dont le nom n'a pas été inscrit sur le livre de la vie de l'agneau immolé depuis la fondation du monde, se prosterneront devant [la bête].)
Un courant important du christianisme de l'Antiquité — avec notamment le théologien Origène (IIe-IIIe s.) — , rejoignant une idée juive et grecque, considère que tous les êtres humains participent de cette préexistence comme créatures. Cette théologie trouve des enracinements possibles dans le Nouveau Testament.

Romains 8
29 Ceux qu'il a connus d'avance, il les a aussi destinés d'avance à être configurés à l'image de son Fils, pour qu'il soit le premier-né d'une multitude de frères.
30 Et ceux qu'il a destinés d'avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

Éphésiens 1
4 Avant la création du monde, Dieu nous a choisis dans le Christ pour que nous soyons saints et sans défaut devant ses yeux. Dieu nous aime
5 et, depuis toujours, il a voulu que nous devenions ses fils par Jésus-Christ. Il a voulu cela dans sa bonté.

Ici, le Christ préexistant auquel nous sommes assimilés par la foi nous fait accéder au statut de créatures préexistant à la Création du monde dans la pensée de Dieu, mais avec cette caractéristique, que toutes les autres créatures sont fondées en lui, en lui manifesté comme le Ressuscité.

Une citation de la rabbin Delphine Horvilleur, (Comment les rabbins font les enfants : Sexe, transmission et identité dans le judaïsme, Grasset, 2015) : « Françoise Dolto avait l'habitude de dire aux enfants qui se plaignaient de leurs parents : "Tu n'avais qu'à pas choisir de naître là." » La rabbin Horvilleur commente : « Elle cherchait sans doute ainsi à sortir l'enfant d'un fatalisme héréditaire pour lui faire reprendre la main sur son histoire, et le convaincre qu'il n'était pas aussi impuissant qu'il le croyait. La mystique juive est à sa manière un peu "doltienne". Elle suggère en tout cas que chaque être choisit avant de venir au monde les parents qui lui donneront naissance […]. Nos parents répondraient ainsi aux besoins de notre âme. L'idée est séduisante quand elle responsabilise la personne et lui permet de ne plus placer papa-maman sur le banc des accusés permanents et exclusifs de ses échecs. »

Selon cette même tradition juive — j'emprunte les mots à Cioran (De l'inconvénient d'être né) — « Dieu créa les âmes dès le commencement, et elles étaient toutes devant lui sous la forme qu'elles allaient prendre plus tard en s'incarnant. Chacune d'elle, quand son temps est venu, reçoit l'ordre d'aller rejoindre le corps qui lui est destiné mais chacune, en pure perte, implore son Créateur de lui épargner cet esclavage et cette souillure. »

Deux façons imagées de dire un similaire sentiment d'exil d'être au monde, que dit aussi l'explication du petit sillon sous le nez, un sentiment de perte, lié à la douleur d'être au monde, ce monde pourtant si beau malgré ses douleurs, douleurs pourtant incontestables, allant jusqu'à l'atroce. Il ne faut pas en tirer la conclusion dévoyée que nous serions physiquement tels ou tels avant de naître, ou que nous serions par ex. sexués avant de venir au monde et que certains seraient tombés dans le mauvais corps, par ex. C'est où il ne faut pas aller. L'idée de préexistence est une façon classique de dire notre sentiment de n'être pas de ce monde.

Aussi, que nous dit l'Épître aux Colossiens ? Que le Christ, par qui et pour qui tout a été fait, est venu nous rejoindre jusqu'au plus intense de nos détresses et de nos douleurs pour racheter nos vies, pour transformer nos exils en sa mission, car pour lui la venue en ce monde est une mission pour nous les humains et pour notre salut, librement acceptée lui qui, « existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,‭ ‭mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ;‭ ‭et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix.‭ » (Philippiens 2, 6-8)

Évangile de ce jour, Luc 23, 35-43
35 Le peuple restait là à regarder ; les chefs, eux, ricanaient ; ils disaient : « Il en a sauvé d’autres. Qu’il se sauve lui-même s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
36 Les soldats aussi se moquèrent de lui : s’approchant pour lui présenter du vinaigre, ils dirent :
37 « Si tu es le roi des Judéens, sauve-toi toi-même. »
38 Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « C’est le roi des Judéens. »
39 L’un des malfaiteurs crucifiés l’insultait : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! »
40 Mais l’autre le reprit en disant : « Tu n’as même pas la crainte de Dieu, toi qui subis la même peine !
41 Pour nous, c’est juste : nous recevons ce que nos actes ont mérité ; mais lui n’a rien fait de mal. »
42 Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi. »
43 Jésus lui répondit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. »

‭C’est pourquoi, poursuit l'Épître aux Philippiens (ch. 2, 9-11), « Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom,‭ ‭afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre,‭ ‭et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.‭ »

En effet le Ressuscité est le commencement, Premier-né d’entre les morts, afin de tenir en tout le premier rang. Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix. (Col 1, 18-21)


RP, Poitiers, 20.11.2022
Diaporama :: :: Prédication (version imprimable)


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire