dimanche 28 avril 2024

“Dieu est plus grand que notre cœur”




Actes 9, 26-31 ; Psaume 98 ; 1 Jean 3, 18-24 ; Jean 15, 1-8

1 Jean 3, 18-24

‭‭Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité.‭
‭Par là nous connaîtrons que nous sommes de la vérité, et nous rassurerons nos cœurs devant lui ;‭
‭car si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.‭
‭Bien-aimés, si notre cœur ne nous condamne pas, nous avons de l’assurance devant Dieu.‭
‭Quoi que ce soit que nous demandions, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements et que nous faisons ce qui lui est agréable.‭
‭Et c’est ici son commandement : que nous croyions au nom de son Fils Jésus-Christ, et que nous nous aimions les uns les autres, selon le commandement qu’il nous a donné.‭
‭Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et nous connaissons qu’il demeure en nous par l’Esprit qu’il nous a donné.


*

“Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses.‭” (1 Jn 3, 20)

Nous le savons : notre cœur nous condamne… nous sommes tourmentés pour ce qu’on a fait ou pour ce qu’on n’a pas fait.

Ce qui nous rapproche de ce que nous dit Paul — “il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me gifler et m’empêcher de m’enorgueillir.‭ ‭Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi,‭ et il m’a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse” (2 Co 12, 7-9).

Être tourmenté, condamné par son propre cœur, et finalement n’avoir comme seule consolation que cette promesse : “Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse” — seul recours pour que notre cœur ne nous condamne plus. Savoir n’être ni juste, ni au niveau requis, et savoir aussi que Dieu fait avec ce que nous sommes…

C’est ce que l’écrivain Georges Bernanos dit en ces termes : “Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais, si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.” (Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne)

S’oublier, pour commencer — sans doute est-ce là un fruit du don de l'Esprit saint. “La grâce est de s’oublier.” Grâce qui relève de la connaissance réelle de ce que “Dieu est plus grand que notre cœur.”

Mais qu’il est difficile de réaliser cela de façon si réelle que l’on parvienne vraiment à s’oublier, tant l’orgueil nous en empêche, nous poussant à être en permanence préoccupés de nous-mêmes — tourmentés pour ce qu’on a fait ou pour ce qu’on n’a pas fait (sachant qu'il s’agit d’“aimer non pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité”). Comment ne pas en être tourmenté quand au quotidien on contemple la misère du monde (pensons au riche face à Lazare à sa porte ou sur l’écran de télévision), en contraste à notre confort ?

Voilà à nouveau “l’ange de Satan”, venant nous gifler : “qu’as-tu fait, ou pas fait ?”, sachant que de toute façon on n’en fera jamais assez, sauf à sombrer dans une indécente bonne conscience croyant avoir mieux fait que les autres ou simplement avoir fait sa part…

Orgueil étrange, greffé sur un frein à l’orgueil, puisque être tourmenté par “l’ange de Satan”, nous rappelant constamment nos défaillances, vient d'abord nous empêcher de nous enorgueillir, écrit Paul. Mais voilà que l’orgueil nous saisit à nouveau, qui consiste cette fois à rester préoccupé par soi, par ce que “l'ange de Satan” nous dit de nos insuffisances, et donc à être encore préoccupé de soi !

“La grâce est de s’oublier”, note donc Bernanos — cela étant rendu possible en sachant que “Dieu est plus grand que notre cœur”. Et sachant cela — que “Dieu est plus grand que notre cœur, et qu’il connaît toutes choses”, et qu’il nous a aimés, nous ayant mystérieusement rejoints —, “la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ”… comme lui-même nous a aimés.

C’est sans doute là le cœur de cette 1ère épître de Jean, le cœur du cœur étant que “Dieu est amour” (1 Jn 4, 8 & 16), ce cœur où se résolvent les contradictions apparentes : “Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous” (1 Jn 1, 8) ; et “‭quiconque demeure en lui ne pèche point ; quiconque pèche ne l’a pas vu, et ne l’a pas connu” (1 Jn 3, 9). N’est-ce pas contradictoire ?

Les Réformateurs avaient une formule nous entraînant au nœud de cette contradiction apparente et nous en donnant la résolution : nous sommes à la fois justes et pécheurs.

Pécheurs en nous-mêmes, “si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes”, et justes en Jésus-Christ : “‭quiconque demeure en lui ne pèche point”.

Déjà justes et encore pécheurs. Justes en espérance. Et “quiconque a cette espérance en lui se purifie, comme lui-même est pur” (1 Jn 3, 3). C’est pourquoi, “son commandement [est] que nous croyions au nom de son Fils Jésus-Christ, et que nous nous aimions les uns les autres, selon le commandement qu’il nous a donné” (1 Jn 3, 23). Avec confiance : “que nous croyions au nom de son Fils Jésus-Christ”, qui a, lui, pleinement observé les commandements.

Entre le pas encore et l’espérance du déjà, qui déjà nous purifie, la formule des Réformateurs a un troisième terme : à la fois justes, pécheurs et repentants.

Pécheurs, en nous-mêmes, justes en Jésus-Christ, et repentants de savoir cela, le repentir étant le chemin intérieur constant entre les deux autres pôles, juste et pécheur. Non pas une complaisance morbide et douteuse (il y a un repentir qui mène à la mort, nous avertit Paul), mais le repentir qui mène à la vie, selon le vrai sens du mot repentir : retour. “Revenez à moi”, tel est l'appel lancé par les prophètes, que donne encore l’épître de Jean, en regard du fondement de cet appel, révélé dans le Christ nous rejoignant, venant en chair (1 Jn 4, 2), cela jusqu'à la mort.

L'épître résume cette révélation par cette expression (1 Jn 4, 8 & 16) : “Dieu est amour”, expression unique dans les Écritures, unique dans toute l’histoire des religions, fondée sur la foi en la venue en chair, jusqu’à la mort, de celui qui montre ainsi combien il nous a aimés.

Cela parle du pardon, sachant qu’a priori nous n’aurions rien en nous pour être aimables : et pourtant, “‭si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute injustice.‭” (1 Jn 1, 8-9)

Parlant du pardon, cela parle aussi de l’observance des commandements, dont le cœur est l’amour reconnaissant pour Dieu, concrétisé dans l’amour du prochain — prochain pas aimable a priori lui non plus, pécheur comme nous et pourtant aimé de Dieu comme nous. Nous voilà donc appelés à l’aimer aussi, comme Dieu que l’on ne voit pas, tandis que l’on voit le prochain : “celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?‭” (1 Jn 4, 20)

Voilà comment on retrouve le cœur de la loi, le cœur de tout commandement, accompli, selon Paul dans une seule parole : “toute la loi, dit-il, est accomplie dans cette seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Ga 5, 14). Cœur de la loi. “Quiconque pèche transgresse la loi, et le péché est la transgression de la loi” (1 Jn 3, 4).‭ Or, “ce qui vous a été annoncé et ce que vous avez entendu dès le commencement, c’est que nous devons nous aimer les uns les autres,‭ et ne pas ressembler à Caïn, qui était du malin, et qui tua son frère” (1 Jn 3, 11-12).

Souvenez-vous de l’épisode de Caïn. Je lis, au livre de la Genèse, ch. 4, v. 6-8 : “Le Seigneur dit à Caïn : ‘Pourquoi t’irrites-tu ? Et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèveras-tu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le.’ Caïn parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère et le tua.”

Le péché est tapi à ta porte… Mais toi, domine-le. On a entendu la suite, Caïn ne l’a pas dominé. Car Caïn n’a pas reçu le pardon de ses péchés. Il jalousait son frère. Il n’a pas reçu le pardon, l’élargissement de son cœur, et la capacité de pardonner. Il n’a pas reçu la capacité de soumettre le péché : le péché l’a vaincu, Caïn ne l’a pas dominé… N’ayant pas reconnu cette part sombre de lui-même.

Mais voici le fruit de l’Esprit saint : l’Esprit du Ressuscité qui a vaincu la mort a pouvoir sur tout. Il a pouvoir même sur le péché. Il ouvre même comme possible l’impossible commandement donné à Caïn : “domine sur le péché”. Impossible, Caïn n’ayant fait que projeter sur son frère la frustration qui l’habitait.

Face à cela, le don de l'Esprit saint est aussi pénétration de tout ce qui fait notre être, jusqu'en ses zones d'ombre — pénétrant jusqu'aux profondeurs de Dieu, l'Esprit sonde tout en nous en dit Paul (1 Co 2, 10). Une pénétration empreinte de miséricorde, qui dit et promet que sa présence en nous nous révèle à nous-même et ainsi nous libère. La liberté étant que nos fautes nous sont pardonnées, que l’Esprit saint nous les soumet en nous permettant de connaître ce qui est en nous. Il nous donne ainsi “la grâce (qui) est de s’oublier.” Et même, il ouvre sur “la grâce des grâces ( :) s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.”

*

Et si c'était là le fruit qui nous est promis dans l’évangile de ce jour ? — Jean 15, 1-8 :
Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.‭
‭Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit.‭
‭Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée.‭
‭Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi.‭
‭Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire.‭
‭Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent.‭
‭Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.‭
‭Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples.


RP, Châtellerault, 28.04.24
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