dimanche 19 mai 2024

"Il vous fera accéder à la vérité tout entière"




Actes 2, 2-6 ; Psaume 104 ; Galates 5, 16-25 ; Jean 15, 26-27 & 16, 12-15

Actes 2, 2-6
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux.
4 Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.


Jean 15, 26-27
26 Lorsque viendra le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi ;
27 et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.


Jean 16, 12-15
12 J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant.
13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.
15 Tout ce que le Père a est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prend de ce qui est à moi, et qu’il vous l’annoncera.


*

Dans le texte de l’Évangile de Jean que nous avons lu, Jésus annonce l'envoi de l’Esprit saint, qui le dévoile comme Christ glorifié. Au livre des Actes des Apôtres, selon Luc cette fois, lors d’une fête juive des semaines, Chavouot en hébreu — sept semaines (après Pâques), soit 50 jours (d’où son nom de Pentecôte en grec — pour traduire le Chavouot de l’hébreu), lors d’une fête juive de Chavouot, donc, a lieu l'événement spectaculaire dont nous avons lu le récit. C’est ce que nous fêtons aujourd’hui : la fête de Chavouot en sa reprise chrétienne — comme événement de Pentecôte.

Selon Jean, cela est donné dans une étrange parole de Jésus. Alors qu’il va partir, être retiré à ses disciples — il va mourir ; il rappelle dans ce départ cette réalité étonnante de la vie de Dieu avec le monde : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même présent — il est ici —, il est aussi absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.

Cela signifie plusieurs choses. D’abord qu’il règne, que l’on n’a point de mainmise sur lui. Caché selon Luc dans la nuée à l’Ascension, comme le Nom imprononçable, au Sinaï, il ne saurait être retenu. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, puis celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu’une fois l’an, que le grand prêtre.

Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l’explique l’Épître aux Hébreux (8, 5) lisant l’Exode (25, 40). Temple céleste symbolisé par des langues de feu : un livre populaire à l’époque, le livre d’Hénoch (70, 7-8), évoqué par l’épître de Jude (v. 14), dit que le Temple céleste est fait de langues de feu (voir 2 Chr 7, 2 et le feu lors de la dédicace du 1er Temple de Jérusalem). Les langues de feu d'Actes 2 annoncent le temple céleste dans lequel officie le Christ.

C’est dans le lieu très saint céleste qu’il est entré par son départ, entré au-delà du voile dit l’Épître aux Hébreux, par son départ avéré à sa mort. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée (comme dans le signe de l’Ascension). Sa croix est alors, comme il l’annonçait, glorification : « l’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité ; […] Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera » (Jean 16, 13-14).

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Le don de l’Esprit est alors la présence de celui qui ne se laisse plus voir, et le partage de sa vie. Jésus présent de façon visible, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme ; et il est celui qu’on croyait fixer, par la crucifixion.

Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d’en faire une idole ! Une telle volonté relève de l’esprit du monde.

Mais l’Esprit de Dieu, l’Esprit saint, est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au-delà de l’absence, et nous met dans la communion de l’insaisissable. C’est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus — ce que Jésus vient de dire à ses disciples : « si je ne m’en vais pas, le Saint Esprit ne viendra pas ».

Nous laissant ainsi la place, il nous permet alors de devenir par l’Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

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Cela nous enseigne en parallèle ce qu’il nous appartient de faire en ces temps d’absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.

C’est à présent, dans cette perspective, l’ultime étape du projet de Dieu : l’effusion de l’Esprit promise par les prophètes — « comme l’eau couvre le fond des mers », une effusion générale (Joël 3 / Actes 2), sur tous les peuples (Actes 8 & 10). Le baptême d’eau, selon la promesse d’Ézéchiel (36, 25-26), “je vous aspergerai d’une eau pure et je mettrai en vous mon Esprit”, devient alors le signe du don de l’Esprit saint. L’universalité du don est la nouveauté, car en Israël, les fidèles connaissaient la vie de l’Esprit déjà auparavant — et des temps d’effusion, de réveil. Dorénavant, dans cette nouvelle effusion, tous les peuples sont au bénéfice du don de Dieu.

Dans le judaïsme, la fête de Chavouot/Pentecôte est la fête du don de la Torah, au cœur de laquelle est le Décalogue.

Il s'agit d’un don à portée universelle, à observer via son inscription dans les cœurs par l’Esprit. Au jour de la Pentecôte relatée dans le livre des Actes, ce don de la Loi et son inscription dans les cœurs va concerner toutes les nations — “à Jérusalem, résidaient des juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. […] Chacun entendait [les disciples dans] sa propre langue” (Ac 2, 5-6). Premier temps de l'élargissement de l’Alliance du Sinaï, on est aussi au premier temps d’un élargissement du don de la Loi, qui débouchera, plus tard dans les siècles, dans l’extension du Décalogue comme Déclaration des Droits de l’Homme, dont celle rédigée en 1789 l’est sur des tables semblables à celles qui représentent les tables de la Loi du Sinaï. Ce n’est pas par hasard… C’est aussi une signification du don universel de l'Esprit saint.

Avant cela, c’est le premier temps de la réalisation d’une promesse : « élevé de la terre », le Christ « attire tous les hommes à lui » (Jn 12, 32). Cela pour une connaissance partagée du Père, et c’est cela la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). Cette connaissance, cette consolation, n’est autre que la participation à l’humilité du Christ, à son entrée dans la condition du serviteur, que nous sommes invités à faire nôtre (Ph 2, 4-6) — c'est la connaissance de la vérité, car sans humilité, il n’y a que mensonge sur nous-même.

C’est à une dépossession que nous sommes appelés. Le don de l’Esprit saint suppose la dépossession de toute sagesse et puissance qu’a connue Jésus crucifié (1 Co 2, 1-11 ; Ph 2, 7). Dépossession qui doit aussi être notre part. Or cette dépossession correspond précisément à l’action mystérieuse de Dieu dans la Création. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s’est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s’en va, par la croix comme Ascension — c’est là sa glorification — pour que vienne l’Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes devant Dieu.

Parole d’encouragement pour nous : l’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissant cette faiblesse et cette incapacité. L’Esprit saint ne remplit pas un peuple ou un individu plein de lui-même.

C’est même au contraire quand nous sommes sans force, que tout devient possible. Pierre, qui vient de renier Jésus, faiblesse immense, est à la veille de recevoir la puissance qui va l’envoyer, plein de la seule force de Dieu. Et de même tous les disciples, dont la faiblesse, la dépossession de toute capacité, a été la porte du déferlement de l’Esprit saint. Message actuel pour nous, Église faible, en perte de force, en un peuple faible.

En se retirant, ultime humilité à l’image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu’en nous retirant à notre tour, nous devenions, par l’Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée. Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres.

Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s’est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de ce que nous avons pris l’habitude de croire de nous-mêmes, que nous nous retirions de l’image qu’ont forgée de nous nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de nous différencier par nous-mêmes — que nous nous retirions en Dieu pour accéder à la vérité, conduits par l’Esprit de vérité dans toute la vérité.

L’Esprit de Dieu, le libérateur, est celui qui insuffle en nous la liberté de n’être rien de ce dont nous aurions la maîtrise, de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus désirer ni haïr en réaction.

Le Christ lui-même s’est retiré pour nous laisser notre place, pour que l’Esprit vienne nous animer, cela à l’image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être.

Que ce jour soit pour nous une prière de retrait en Dieu, d'entrée dans son repos. De sorte que l’Esprit de Dieu que nous envoie le Christ se retirant, nous fasse accéder à la vérité — coulant en nous comme la sève dans le cep, pour être le souffle nouveau qui nous anime.


RP, Châtellerault, Pentecôte, 19.05.24
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